Robert Lalonde affiche une belle
constance depuis la parution de «La Belle Épouvante» en 1980. D’un roman à
l’autre, l’adolescence marque ses personnages et aspire toutes les énergies. Le
bond dans l’âge adulte s’effectue toujours dans les plus grandes turbulences.
Il faut cicatriser une blessure qui vient de la naissance, de la famille ou de
la vie peut-être sinon le risque de la marginalité devient grand.
Un jeune garçon dans «Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» doit guérir des «blessures de vie» avant
de s’avancer dans l’âge adulte. Il faut mettre les doigts sur des plaies, un
vécu où sa vie aurait pu lui échapper.
Étranger dans sa famille, le
narrateur s’évade pour respirer le monde, s’étourdir dans une nature fabuleuse
qui le pousse au-delà des choses, dans les galaxies de son imaginaire où il
retrouve un frère mort à la naissance. Un jumeau, un double, un soi qui le houspille
du pays des morts.
Stanley mélange deux
langues. Il attire, repousse et subjugue. Tout près, Serge s’invente un monde
pour oublier l’abandon de ses parents. Il dessine et peint magnifiquement quand
le narrateur s’empêtre dans les couleurs et gâche tout avec ses pinceaux.
Les livres
Claire, une cousine, surgit
et disparaît, des livres plein les poches de son grand manteau. Une sorte de «Grand
Meaulnes» au féminin qui vit dans les univers de quelques écrivains qu’elle
connaît par cœur.
«Nous avions beau être
cousins «de la fesse gauche», comme disait ma tante, sa folle de mère, qui
hurlait à cœur de jour et poussait Claire à fuguer, à prendre le bois, les
champs, un livre dans chacune des poches de son grand manteau noir de
vagabonde, je ne la connaissais pour ainsi dire que de vue. Elle apparaissait,
disparaissait, surgissait là où elle n’avait pas d’affaire, longue ombre maigre
à lunettes, grimaçant toujours le même sourire entendu et secouant la tête dans
une espèce de non solennel et dramatique qui me donnait froid dans le dos.»
(p.73)
Delphine maîtrise les
chiffres et les équations mathématiques, attise les sens du garçon. Elle le poussera
doucement vers l’écriture.
Éloi, le fossoyeur, le fou et
le sage, touche la vie et la mort. Il y a aussi Clément qui pousse le narrateur
à guérir par l’écriture. Tout cela dans une sexualité trouble, fascinante et perturbante.
Tous dissimulent une
cicatrice avec le père Arcos, un secret qu’il faut transcender. Tous se
débattent avec une culpabilité qui les ronge.
«Quand on est jeune, on
éprouve la même curiosité étonnée devant le mal que celle qu’on ressent devant
le bien. Mais c’est quand on est jeune, pourtant, qu’il faut faire connaissance
avec la douleur. Il faut faire ce travail-là jeune, et je l’ai fait. Cette
cicatrice sur mon ventre…» (p.156)
Clément est hanté par la
mort de son jeune frère, le père Arcos étouffe dans son silence coupable.
Stanley, incapable de se démêler dans les langues qui habitent son cerveau, sa
race maudite d’Indien, se suicide. Analphabète, saint et démon, il n’arrive pas
à se hisser hors du gouffre qu’est sa vie. Comment survivre quand on est damné,
le ciel et l’enfer, le souffle de la mort et de la vie?
Robert Lalonde croit qu’il est
possible d’exorciser ses démons par la création, les valeurs rédemptrices de
l’écriture et de la peinture. Comme si chez cet écrivain, il fallait s’arracher
à l’animalité, vivre une forme de sacrifice ou d’offrande pour réussir le
passage vers le monde des adultes. Tout cela dans une nature omniprésente, envahissante
et affolante.
Tous les personnages
portent leur passé comme une croix. Les garçons et les filles doivent se
faufiler par l’étroit passage de la résilience, de l’art et de la connaissance,
pour ressurgir dans un univers différent.
L’écrivainj nous plonge
dans un monde mouvant et changeant. «Un
jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle» s’infiltre en nous par tous
les pores de la peau. Une langue magique qui vous pousse au-delà du réel, de
l’histoire et des personnages, du bien et du mal. Nous sommes dans une tourmente
où tout est flou et parfois d’une densité lumineuse difficile à supporter.
Encore une fois, la magie opère et vous transporte.
«Un jour le vieux hangar sera emporté par la débâcle»
de Robert Lalonde est paru aux Éditions du Boréal.
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