Ying Chen, écrivaine d'origine chinoise, arrivait au Québec en 1989. Son entrée dans la littérature d’ici fut assez spectaculaire avec «Les Lettres chinoises», «L'Ingratitude» et «Immobile». Des ouvrages qui permettaient de découvrir une belle sensibilité et un monde fascinant. Dans «Quatre mille marches», elle explique son rapport à l’écriture et la vie.
«Je veux que pour une fois mon carnet soit exempt des éléments fictifs, qu'il serve de point final à une tristesse usée. Un enterrement peut être parfois un secours.» (p.9)
Lors d'un retour à Shanghai, le temps de tourner un documentaire, elle retrouve ses parents après dix ans d’exil. Pas de larmes, aucune exubérance! Ying Chen est devenue une étrangère au pays de sa naissance. Dorénavant, sa patrie est le monde de l'écriture.
«Aujourd'hui, j'ai l'impression de n'être pas vraiment née, de n'avoir jamais vraiment vécu avant vingt-huit ans, avant de m'être mise à écrire pour de bon.» (p.13)
Abandon
En quittant la Chine, Ying Chen abandonnait sa nationalité comme une vieille robe et plongeait dans une nouvelle langue pour s'y effacer. Il faut peut-être parler de mutation dans son cas. Comme si elle s’arrachait à tout ce qu’elle était pour se sculpter dans une nouvelle culture, d'autres langues devrais-je dire. Le « territoire des langues » donne dorénavant une direction à sa vie et contribue à former un nouvel être à chaque expression ou mot qu’elle découvre. Elle est heureuse dans ces glissements vers une autre identité. Comme une voyageuse qui se grise du vol de l’avion mais qui veut repartir aussitôt qu’elle a posé le pied dans l’aéroport.
«Mais l'écrivain par sa nature d'enfant sauvage est irrésistiblement attiré par la langue et la littérature, cette chose vague, indéfinie et sans cesse en devenir, qui risque à tout moment de lui filer entre les doigts. L'écrivain est en exil dans la langue.» (p.93)
Elle a d'abord apprivoisé le français mais ce n'était que le début d’une longue pérégrination. La migration la pousse encore et toujours vers «cette autre femme» qu'elle pourchasse en plongeant dans d’autres langues pour «renaître, avec une peau toute neuve, sans plaie et respectable?»
Le rêve
«Je rêvais et je rêve encore de franchir la barrière des langues, convaincue que toutes les cultures peuvent me nourrir, que je suis ma propre origine qui se forme, se disperse et se reforme au fur et à mesure que je voyage, que je suis moi avant d'être shanghaïenne, chinoise, québécoise, canadienne ou autre.» (p.48)
Comme si en explorant une autre langue, elle cherchait à oublier tout ce qui fait qu'elle est Chinoise. Il faut savoir que Ying Chen a grandi pendant la Révolution culturelle en Chine. Un régime politique où le je n’avait guère d’espace et de sens. Aujourd’hui, elle semble basculer dans l'excès contraire. Elle nie toute appartenance, toutes racines pour n’être plus qu’un moi errant. Elle peut sembler moderne à l’époque de la mondialisation mais rejeter l'histoire et tout nationalisme, est-ce raisonnable? Que serait Léon Tolstoï sans sa langue, son peuple et son milieu? Qu'aurait été Gabriel Garcia Marquez et Günter Grass sans des ancrages nationaux qui en ont fait les écrivains que nous connaissons. Danny Laferrière peut-il oublier sa naissance haïtienne? Est-ce que le glissement d’une langue vers une autre peut donner un ancrage à un écrivain? Arrivera-t-elle à «construire un abri pour mon corps méprisable.»
«On existe, n'est-ce pas, dans la langue et par la langue.» (p. 36) «Je ne sais plus trop où est mon vrai sol et quelle est ma vraie langue. Le passé et l'avenir se confondent.» (p.37)
Ying Chen s’accroche à ce présent qui file et s’échiffe. Un instant qui contient à la fois le passé et l’avenir. Une réflexion troublante et une haine dérangeante de ce qu’elle est «de ma peau avec son insupportable couleur, cette laideur et cette honte!».
L’esthétisme de Ying Chen me semble beaucoup plus une dérobade qu’un véritable approfondissement de ce qu’est l’écriture, cette quête de soi et du monde qui surgit et se transforme dans et par le langage. L’apprentissage des langues, de toutes les langues dans ce cas, devient un abandon et une négation de soi. Bien plus, c’est là une trajectoire qui risque de faire oublier l’écrivaine que nous avons découvert avec bonheur. Dans «Quatre mille marches» on ne retrouve pas la justesse de la langue de «L'Ingratitude», ni sa limpidité. Le français de Ying Chen semble s’étioler. Dommage! A vouloir posséder toutes les langues, on n'en maîtrise peut-être plus aucune.
«Quatre mille marches» de Ying Chen est paru aux Éditions du Boréal.
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