«Voici un livre écrit en
chaussures de marche, le nez dans le vent, avec boussole et GPS. Un livre pour
rouler, survoler, connaître. Un incitatif à s’enfoncer dans les villes ou les
épinettes noires. Parce que la géographie, c’est le berceau d’un pays»,
explique Marie-France Bazzo dans une courte préface. Les Québécois sont
vraiment en manque de connaissances géographiques. Leurs lacunes cognitives en
ce qui concerne le territoire ne cessent de s’accumuler.
Le Nord, l’exemple le plus
frappant. Les trois quarts du territoire du Québec restent inconnus et
mystérieux. Cet espace mythique, sauvage, propice aux fantasmes miniers et
hydro-électriques, devient un lieu d’exil temporaire, le temps de faire «la
passe» et d’accumuler un pactole avant de revenir vers la civilisation.
«Les Canadiens et les
Québécois ont bien évolué dans le sens de peupler les régions les plus
tempérées, les plus au Sud, les plus liées à la richesse du sol et aux réseaux
de communications, mais ces réseaux ne sont jamais allés, jamais, vers le Nord.
Ils vont vers le Sud, ou vers l’Europe.» (p.18)
Une grande majorité de la
population québécoise vit dans la vallée du Saint-Laurent et les territoires
bordant certains affluents. Après Chibougamau, c’est l’inconnu, les vents, les
épinettes, la toundra qui attire les plus braves…
«Non. Je pense que nous
n’avons jamais eu conscience du territoire. Le Nord, pour nous, est une
absence. Fondamentalement et historiquement, ce sont les Autochtones qui
l’habitent.» (p.94)
Pourtant, ceux qui ont arpenté
ce pays sont devenus des amoureux du Nord. Pensons à Jean Désy, Louis-Edmond
Hamelin et Serge Bouchard. On pourrait aussi s’attarder au territoire fantasmé
d’Yves Thériault qui en a fait le lieu de toutes les sauvageries et des
pulsions.
Passé
Les Québécois ignorent leur
histoire, encore plus celle des autochtones, leur mythologie, leur conception
du pays, les rapports avec la nature et la vie. Nous sommes affligés d’une
amnésie qui nous empêche de prendre les bonnes décisions.
«On l’a bradé, notre
territoire. On l’a donné. On l’a mauvaisement prêté à des gens. Loué, vendu
même: le fond des rivières, certains droits de coupe, le sous-sol, le pétrole,
certains métaux. Toujours uniquement sous des auspices et des justifications
économiques. Parce que malheureusement c’est seulement là, dans l’économique,
que l’on dresse des bilans.» (p.130)
Les gouvernements ressassent
des idées peu adaptées à l’époque contemporaine et à sa géographie. L’idée même
des régions ressources empêche le développement intelligent des territoires
périphériques et du Nord. Un concept venu du colonialisme peut-être qui fait
que l’on pille les ressources de ces contrées au profit des habitants du Sud et
des villes. Cette vision bancale ne peut que donner des interventions néfastes.
L’exploitation de la forêt, des mines dans les régions est un véritable gâchis
que beaucoup refusent de voir. L’erreur
boréale de Richard Desjardins, par exemple, a montré une réalité que nombre
de décideurs et de commentateurs ont refusé d’accepter. Ils ont préféré
pourfendre «le poète».
De quoi le territoire du Québec a-t-il besoin? amorce une réflexion qui mérite d’être poursuivie et
étoffée. Ces témoignages font prendre conscience des lacunes, des trous de
mémoire qui peuvent expliquer nos flous identitaires, notre incapacité à se
définir et à s’affirmer. Ce brouillard on le retrouverait autant du côté de la
culture, de la littérature en particulier, que l’on ne fréquente guère, que
l’on ne diffuse pas et que l’on oublie d’enseigner.
Les politiciens devraient
lire et relire ce collectif, les enseignants devraient le mettre dans les mains
de leurs étudiants dans les cégeps et les universités. Un incontournable pour
ceux et celles qui s’intéressent à la vie d’ici, au territoire immense du
Québec réel et à inventer.
Enfin des textes qui font appel
à la lucidité et à l’intelligence. C’est quand même rare dans une époque où
être, c’est devenir consommateur. Une entreprise nécessaire.
De quoi le territoire du Québec a-t-il
besoin? de Marie-France Bazzo, Camil Bouchard, René-Daniel
Dubois et Vincent Marissal est paru aux Éditions Leméac.