PIERRE-LOUIS GAGNON aime s’inspirer de personnages tirés de l’histoire récente, surtout de cette puissance que nous nommions alors l’URSS ou l’Union soviétique. Aleksandra Kollontaï a été ministre sous le règne de Lénine et est devenue ambassadrice en Suède sous la dictature de Staline. Elle est en poste au moment où son pays envahit la Finlande en 1939. Cette femme était déjà une figure importante dans le roman précédent de Pierre-Louis Gagnon, La disparition d’Yvan Bonine paru en 2018. La diplomate alors jouait des coudes pour que le prix Nobel de littérature soit attribué à Maxime Gorki, le choix de Staline. Malgré toutes les pressions et les entourloupettes de l’ambassadrice, Yvan Bounine en exil en France, un dissident et farouche opposant au régime communiste, sera le lauréat de l’institution.
Pierre-Louis Gagnon, du moins dans ce que j’ai lu de lui, construit ses histoires en fouillant dans les archives, celles de l’URSS en particulier. Un moment de l’actualité contemporaine fertile en rebondissements et intrigues étourdissantes. En fait, le romancier n’a guère besoin d’inventer des péripéties tellement les gens qui gravitaient autour du pouvoir et de Staline faisaient n’importe quoi pour se faufiler dans la hiérarchie. Toutes les trahisons étaient permises, allant même jusqu’à sacrifier une épouse pour se maintenir dans le giron des décideurs. L’important était de garder les faveurs de Staline qui devenait de plus en plus irascible et bourru, imprévisible aussi avec ses proches devant l’éminence d’un affrontement avec l’Allemagne. Tous savaient qu’un couperet pendait au-dessus de leur tête et que le moindre faux pas pouvait être fatal. Il suffisait d’un geste et d’un mot et ils se retrouvaient en prison ou encore face à un peloton d’exécution.
Kollontaï est sur la liste de la prochaine purge, mais n’entend pas demeurer passive et résiste, même si la fatigue commence à la faire fléchir et, surtout, qu’elle n’est plus une jeunette. Elle n’a plus rien de la battante, de l’implacable féministe qui réclamait une liberté totale et ne se gênait pas pour dénoncer l’hégémonie des hommes. Elle a l’appui de Molotov qui tire sur toutes les ficelles. Lui aussi tente de sauver sa peau et celle de sa femme qui a occupé des fonctions importantes au Kremlin et qui a été démise. « Aleksandra Kollontaï n’était plus dans les bonnes grâces du chef du gouvernement, c’était devenu un secret de Polichinelle. Malgré cela, Molotov, en cynique accompli, savait qu’il pouvait encore utiliser ses services, tant que le couperet n’était pas tombé. » (p.67)
Personne ne peut se fier à ses proches. Les espions rôdent partout et montent des dossiers sur à peu près tout le monde. Tous sont sous haute surveillance et peuvent être arrêtés à tout moment. J’imagine que les collaborateurs de Poutine, en ce moment, vivent la même chose et nul n’ose prendre une décision par peur de contrarier un chef toujours imprévisible.
MISSION
Kollontaï reçoit comme mission d’intervenir auprès du premier ministre suédois, Per Albin Hansson, afin qu’il maintienne sa politique de neutralité face au conflit qui oppose l’URSS à la Finlande. Ce n’est pas sans faire penser à la situation en Ukraine et la valse des diplomates qui marchent sur des œufs pour ne pas déplaire au chef du Kremlin. Elle provoque des rencontres, réussit sa tâche. La Suède reste sur ses positions et tente d’amorcer des négociations entre la Finlande et l’URSS pour ramener la paix selon les volontés de Staline, bien sûr.
Les attentats se multiplient à Stockholm, les monuments sautent et cela m’a rappelé le Québec des années 70, quand le FLQ s’en prenait aux symboles de la domination britannique à Montréal.
Ce roman à caractère historique nous fait revivre les mois précédents la Deuxième Guerre mondiale, les tensions avec l’Allemagne nazie de plus en plus fortes. C’est toujours formidablement intéressant de plonger dans une époque récente que nous connaissons souvent mal et de suivre de « vrais » personnages. Ce qui est particulier chez Gagnon, c’est sa façon de décrire des gens qui sont prêts à tout pour se maintenir au pouvoir et qui n’hésitent jamais à trahir leurs intimes. Des psychopathes chassent dans les rues, prennent plaisir à violer les jeunes filles et à les torturer en se moquant de tout.
Gagnon en révèle beaucoup sur la nature humaine, ses pulsions et ses excès quand les dirigeants abandonnent toute notion d’éthique et de morale. Kollontaï apprendra que son amant est agent double et qu’il informait ses supérieurs sur ses moindres propos et agissements.
Voilà un monde qui donne des frissons dans le dos.
Aleksandra Kollontaï réussira à déjouer tous les ambitieux pourtant. « Aleksandra Kollontaï demeura ambassadrice à Stockholm jusqu’en mars 1945 et mourut à Moscou en 1952. Pour des raisons inconnues, le grand procès des diplomates n’eut jamais lieu. » (p.255)
Pas de purge, mais des hommes et des femmes maintenus dans la terreur. Ils faisaient tout pour ne pas déplaire au chef suprême, réalisant qu’il ne fallait surtout pas dire la vérité à Staline, mais seulement ce qu’il voulait entendre.
Pierre-Louis Gagnon a certainement encore bien des sujets et des personnages inspirants pour nous entraîner dans les coulisses du pouvoir et de la folie. L’histoire politique ne cesse de se répéter et ce formidable conteur ne se gêne pas pour nous le démontrer.
GAGNON PIERRE-LOUIS. Dix-sept, rue Villagatan, Stockholm, Montréal, Éditions Lévesque Éditeur, 2021, 262 pages.
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