IL FAUT SOULIGNER LE
COURAGE d’Alain Gagnon qui tourne le dos au matérialisme de l’époque et
questionne la vie dans Fantômes d’étoiles,
un « essai sur l’oubli de soi. » Qu’est-ce que l’écrivain cherche à dire dans son
trente-sixième volume qui vient de paraître ? Comment oublier le soi, son ego,
sa petite personne qui ne cherche qu’à satisfaire des besoins primaires et
souvent futiles ? Nous les réalistes et les concrets, comment peut-on aller au-delà
des apparences et des images qui encensent le bonheur et l’éternelle jeunesse ?
Est-ce qu’Alain Gagnon peut toucher et faire réfléchir ?
Nous vivons dans une époque dites
des communications et de la consommation. Nous pouvons discuter avec des gens de
partout dans le monde sans avoir à quitter son chez-soi grâce à Internet.
Jamais les contacts, les échanges de savoir et de connaissances n’ont été si
faciles. Il suffit d’un clic. Pourtant, les gens semblent de plus en plus vivre
la solitude, avoir du mal à être avec l’autre. On se perd, on s’épuise, on
s’étourdit à accumuler des richesses et des objets qui polluent la planète. Il
est aussi facile de remodeler son corps et atteindre un âge que mes
grands-pères et mes grands-mères n’auraient jamais imaginé.
L’individu ne se définit maintenant
que par les richesses et les biens qu’il accumule. Une époque où des incultes profitent
du droit d’expression pour nous gaver de stupidités, de faussetés et de
bobards. Que dire de ces radios où les pires obscurantistes sévissent en ressassant
les absurdités ? Sont-ce nos maîtres ? Ceux qui tracent la voie ?
Alain Gagnon se demande ce
qui arrive aux humains et pourquoi notre société tourne le dos à des
millénaires où la pensée questionnait la vie et l’existence humaine, cherchait
à comprendre la place de l’homme dans l’ordre cosmique. L’humain n’est-il qu’un
animal ou possède-t-il une dimension qui en fait un être exceptionnel ?
AUDACE
Il peut sembler téméraire
après Jean-Paul Sartre et Albert Camus de ramener la question de Dieu, du divin
qui niche peut-être en l’homme et la femme. Rares sont ceux qui osent maintenant
dire qu’ils croient à une essence divine et que l’homme s’affirme en atteignant
une autre dimension. Je ne parle pas de la bigoterie d’un Jean Tremblay, maire
de Saguenay. Je pense à un questionnement authentique qui relève de la philosophie
et de la méditation.
Bien sûr, l’humain doit
satisfaire des besoins primaires et perpétuer l’espèce. Pourtant, il y a une forme
d’élan en lui qui le pousse vers une dimension où la vie prend une autre
signification. Comme si l’humain devait se hisser sur ses épaules pour voir plus
loin, savoir à quoi il ressemble quand il oublie ses instincts et qu’il observe
avec les yeux de son esprit.
Celui, pour qui
la vie se résume à la satisfaction de besoins primaires ou artificiels,
s’oublie. Il a dû s’oublier ou se désapprendre, désapprendre ce qu’il est. Il
vit en état d’aliénation constant en regard de sa réalité. Et toute notre
civilisation conspire à ce qu’il en soit ainsi. Nous vivons dans une
civilisation de l’oubli. De l’oubli et de la profonde insatisfaction de soi qui
en est conséquente, et engendre la colère contre le monde et contre soi. (p.11)
Alain Gagnon tourne le dos
aux modes et aux propos qui flattent l’ego, les faux débats pour réclamer une autre
dimension. Le sens de la vie est de chercher par sa pensée et son intelligence
à se hisser dans une autre dimension et à habiter peut-être ce que nous pouvons
appeler l’âme. Comme s’il fallait muter et emprunter le chemin de la chenille pour
devenir papillon, passer du terrestre à l’aérien. La vie serait-elle une
mutation ? Je ne connais que Jean Désy parmi les écrivains contemporains pour aborder
un tel sujet même s’il diffère d’Alain Gagnon dans son regard.
RÉFLEXION
L’écrivain ne s’attarde pas à
décortiquer les obsessions de ses contemporains qui vivent par procuration et cherchent
à épouser des images que les médias ressassent. Les moyens de communication
valorisent le jouisseur-consommateur qui se moule dans un plaisir où tous cherchent
à être le clone du voisin. Rien de cela chez Gagnon. L’humain qui perd son
temps à corriger son image fausse son moi et tourne le dos à son essence. La
question est autre. C’est là que l’écrivain devient pertinent.
Mais comment ne pas
s’inquiéter devant cette technologie qui efface le sens de l’histoire, la
nécessité de devenir un humain meilleur dans ses désirs, ses pensées, ses
rapports avec les autres ? Pas facile d’être soi en dehors des clichés et des
leurres. Nous confions nos connaissances à des nuages ou des disques durs.
Histoire, philosophie, réflexions, tout cela dans d’immenses hangars que peu de
gens fréquentent. L’humain de demain sera peut-être une coquille vide qui rêve
de prendre une bière au sommet d’une montagne ou qui s’autophotographie devant
sa voiture.
Les étoiles sont où nous ne les voyons pas. Nous voyons
leur fantôme. Nous les voyons scintiller où elles étaient, il y a des millions
d’années ou plus. Nous les admirons où elles ne sont plus. Il en est de même du
transcendant. Nous ne possédons pas l’équipement mental nécessaire à son
appréhension certaine, qui convaincrait jusqu’au dernier humain. Nous
tâtonnons, trébuchons comme l’Ermite de la neuvième lame du Tarot, qui porte ce
nom. On y aperçoit un homme habillé d’une bure, qui cherche, lanterne tempête
en main. Il ne doute pas que l’objet de sa quête existe. Quant à trouver ? Et
dans quelles conditions ? Perplexité et scepticisme marquent ses traits. (p.75)
Alain Gagnon ne tourne pas le
dos aux religions qui ont hanté les millénaires même s’il sait très bien que
ces croyances sont souvent devenues la chasse gardée de dirigeants qui ont accaparé
le pouvoir.
Le questionnement est
intéressant en ces temps de charte des libertés et de laïcité. Qui est le
Québécois ? Quel visage montre-t-il en Amérique ? La question est vaste comme
ce pays que nous ne savons pas reconnaître dans ses singularités et ses
particularités. Le film L’empreinte, avec
Roy Dupuis, fait un pas dans cette direction en tentant de surprendre le vrai
visage du Québécois. Où la liberté de l’un empiète sur la liberté de l’autre ? Comment
trancher en respectant les notions de tolérance et de partage ?
QUESTIONS
Je ne suis guère attiré par les
questions religieuses même si je peux admettre qu’il y a un aspect en nous qui peut
échapper au temps et à l’espace. Toutes les civilisations ont tenté de formuler
des réponses à cette grande hésitation en présentant des théories sur la vie et
la nature de l’homme en oubliant toujours la femme.
Comment expliquer cette appétence
qui nous pousse à devenir un meilleur humain dans sa société et son quotidien ?
C’est peut-être une question de vocabulaire ou de mots qui m’éloigne d’Alain
Gagnon.
Je le répète, cet homme a du
courage pour élever la voix et dire ce qu’il croit. Mais qui va l’entendre ?
Maintenant, l’immortalité
passe par ces machines qui avalent nos visages, nos voix, nos chants pour nous donner
l’illusion de déjouer la mort. Il est encore possible d’écouter Barbara, Léo
Ferré et les Doors… Est-ce cela l’immortalité, être figé sur un disque ou séquestré
dans une boîte à images ? Que répondre en ce siècle où penser est une perte de
temps et surtout d’argent ? Merci Alain Gagnon de sortir des sentiers battus.
Fantômes d’étoiles, essai sur l’oubli de soi d’Alain
Gagnon est paru aux Éditions Broquet, 114 pages, 19,95 $.