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dimanche 25 août 2013

Gilles Archambault fascine encore


Gilles Archambault fait preuve d’une constance remarquable avec des romans et des nouvelles qui me touchent à tout coup. Je garde un souvenir ému de Qui de nous deux, un regard tendre sur l’amour de sa vie, sa compagne qui vient de mourir. Un texte qu’on lit en ravalant, l’incroyable solitude qui s’installe quand la vie fait en sorte que l’on se retrouve seul dans un appartement en ne sachant quoi faire de sa peau. Comme si les balises de toute une vie éclataient.

Lorsque le cœur est sombre est paru en janvier. Je l’ai négligé même s’il n’était jamais loin dans ma pile de nouveautés. Certains titres me suivent un moment et vont rejoindre les livres que je ne lirai probablement jamais. D’autres s’accrochent même si je tarde à me décider pour des raisons étranges. Soit que le titre me fasse hausser les épaules ou que la page couverture me repousse. Avec Archambault, malgré des titres peu accrocheurs, l’écrivain, sa manière et son écriture finissent toujours par m’attirer.
Au début du mois d’août, j’ai apporté le roman à la plage. Là, les orteils dans le sable, sous un parasol, avec le bruit des vagues dans les oreilles, le moment était venu. J’ai regardé les nuages qui s’ameutaient du côté de Roberval où l’ami Jacques Girard devait discuter avec des lecteurs au café Yé. Un temps parfait pour la terrasse ou le sable. Les enfants plongeaient en hurlant. J’ai regardé longuement la page couverture avant de me décider.

Personnages

Tout arrive en une journée comme dans une tragédie de Racine. Quelques phrases et nous sommes emportés. Tout tourne autour de Ghislain, le soleil je dirais qui attire les autres personnages. Le comédien vient d’aborder les rives de la vieillesse. Ce séducteur a fait soupirer bien des femmes à la télévision ou sur la scène. Victime de son âge, oublié par le milieu, il tente de retrouver un peu d’éclat en conviant ses amis au restaurant. Yves, un ami, un écrivain discret, Marie-Paule, une ancienne flamme qui a partagé un moment sa vie. Luc, un instable qui a connu mille métiers, Annie, une jeune femme qui connaît le comédien depuis toujours et ne le porte pas dans son coeur. Ghislain était l’ami de son père.
Chacun jongle avec certaines méchancetés qu’ils n’oseront jamais dire ou encore se questionne sur sa vie, ce qu’il est. Pourquoi des hommes et des femmes se fréquentent-ils après tant d’années? Ils se heurtent, mais ne peuvent s’empêcher de se voir. Ils sont attirés l’un vers l’autre comme des planètes.  L’univers tient ainsi.
«Yves ne pouvait pas comprendre ce que ressent un comédien que l’on ne sollicite presque plus, la hantise du carnet vide, la peur du téléphone muet. Tu ne connaîtras jamais rien de tout cela, lui disais-je, tu as ta retraite assurée, l’insécurité financière, tu ne sais pas ce que c’est. Yves n’était pas plus lourd en ce temps-là qu’il ne l’est maintenant. Je le connaissais trop peu encore pour lui faire des confidences. Marie-Paule me manquait.» (p.52)
L’écrivain quasi muet vit avec une femme dynamique, souriante, toujours prête à sauter dans l’aventure. Comment ne pas penser à Archambault, ce doux silencieux des lettres québécoises qui, malgré sa discrétion, garde ses fidèles. Son roman est parmi les meilleurs vendeurs de Boréal cet été.

«Sans Valéria, je ne vivrais pas. Au fond, j’aime notre bonheur tranquille ou ce qui en tient lieu. Je vis dans la présence et dans les petites absences de Valéria. Quand on me demande pourquoi dans mes romans les couples sont si fragiles, je ne sais dire que des énormités, que le bonheur n’est pas pour moi une évidence, qu’il n’est pas en tout cas une source d’inspiration, que je suis plutôt porté à décrire le désarroi, la solitude.» (p.69)

Questions

L’écrivain s’attarde aux hésitations de chacun, à leurs peurs, leur angoisse et leur lâcheté. Vivre en société, c’est passer le veston d’un personnage, porter un masque, être quelqu’un d’autre d’une certaine façon. Une réflexion encore une fois sur le vieillissement et la solitude. Archambault reste percutant, particulièrement touchant. Je me suis arrêté souvent pour me demander où j’en étais dans ma course et quel personnage me ressemblait le plus. Les réponses, je les garde pour moi.
J’attends déjà le prochain ouvrage de monsieur Archambault en me promettant de faire diligence. Il a comme sept vies ce grand écrivain et ses romans, je finis par les lire un jour ou l’autre.

Lorsque le cœur est sombre de Gilles Archambault est paru aux Éditions du Boréal.

vendredi 23 août 2013

La vie se permet de nous faire la leçon


Clément de Gaulejac, dans Grande école, regarde autour de lui, questionne et parvient à faire une expérience d’un événement qui peut sembler anodin. C’est souvent amusant, parfois étonnant, toujours juste. Comme quoi la vie ne cesse de nous préparer des surprises et de nous donner des leçons peut-être qu’il faut comprendre.

Inutile de chercher dans ces textes brefs l’expérience unique, l’aventure et l’illumination qui transforment les êtres. L’auteur s’attarde aux petites choses de son quotidien, à ses études, son travail d’illustrateur et d’artiste qu’il veut faire du mieux qu’il peut. Des rencontres aussi ou des propos sur la vie et l’art qui, sans qu’on le sache, bouleversent et peuvent changer la vie. L’artiste devient alors vulnérable, surtout quand il tente de trouver la petite lumière qui lui fera voir les choses autrement. Nous avons souvent l’impression de nous pencher au-dessus de son épaule pour surprendre ce qui retient son attention, écouter une discussion avec un camarade ou les propos d’un professeur qui semble «posséder la vérité». Toutes ces expériences apprennent à l’étudiant comment se protéger de ses maîtres, à suivre son instinct pour demeurer soi, fidèle à son regard pour être vrai et percutant.
«Tu travailles sur quoi en ce moment?» La question rituelle revenait lors de chacune de nos rencontres de couloir. Les réponses variaient selon le degré de proximité avec l’interlocuteur. Nous savions qu’en général, là-dessus, il valait mieux en dire le moins possible.» (p.23)

Leçons

L’auteur saisit le trait, retient une parole au vol et vous laisse un peu en déséquilibre. Voilà tout le charme de ce livre d’une simplicité exemplaire. Quelques lignes, une esquisse, un croquis je dirais, et vous avez une situation, un projet qui peut devenir un tableau, une grande leçon de vie. Parce qu’il faut un pas et un autre pas pour arriver à traverser les jours et les semaines quand on veut faire métier d’artiste. Je retiens certaines rencontres, des remarques qui font hausser les épaules, des propos blessants qui pourraient hanter le créateur pendant des jours. Et il y a cette méfiance, l’autre qui peut s’approprier votre travail, qui ne cherche qu’à se voir dans vos réalisations. De quoi devenir un peu paranoïaque.

«Pour lui, le dessin n’était pas un moyen de dire ce qui est, mais de trouver des choses nouvelles; ce n’était pas un outil pour le récit ou la représentation juste du réel, mais pour l’exploration et l’invention au-delà de sa surface. Mon problème selon lui, c’était que je me contentais de raconter et d’ailleurs, de quoi étais-je le plus fier? De mon voyage ou de mes dessins?» (p.118)

Questionnement

Une manière de scruter le monde, de l’appréhender et de se situer devant ses semblables. Parce que questionner la vie, affronter un univers d’objets et de gens qui vous regardent et se savent regardés, n’est jamais sans risque. Il y a toujours un mot, un geste qui peuvent vous bousculer et vous blesser.
«Malheureusement, il en va de certains jugements de valeur comme des paquebots qui continuent longtemps d’avancer après qu’on en a coupé les moteurs.» (p.224)
Gaujelac nous apprend à devenir plus attentifs à certains événements, à ne pas nous laisser emporter par le tourbillon des gestes et des paroles. Une sorte de méditation sur l’art de vivre tout simplement en prenant du recul de toutes les expériences que nous sert la vie. Parce que c’est dans les petites choses, une remarque que nous apprenons et trouvons les grandes vérités existentielles. L’art de voir dans sa plus belle simplicité et de rester fidèle à ses passions et à ses goûts, peu importe les remarques désobligeantes.

Grande école de Clément de Gaulejac est paru aux éditions Le Quartanier.

lundi 19 août 2013

Germain effectue un travail d’ethnologue



Jean-Claude Germain, avec «Sur le chemin de la Roche percée», complète une entreprise particulière. L’écrivain vient de boucler un périple qui permet de nous faufiler dans les années soixante alors que tout allait changer au pays du Québec. Une lecture qui oscille entre la petite histoire et les grands questionnements. Voilà la manière unique de cet écrivain assez difficile à classer.

Le jeune étudiant fréquente le monde des artistes et des créateurs et se questionne dans l’effervescence qui précède la Révolution tranquille. Après la lecture des quatre ouvrages qui s’attardent sur le sujet, on ne peut que constater que les changements, dans la Belle province, ne sont pas arrivés en claquant des doigts. Il y a eu une longue incubation qui a préparé cette période où le monde a basculé en quelque sorte.
Peintres et sculpteurs cherchent à s’affranchir de la tradition pour découvrir un autre univers. Tous ont en mémoire le Refus global même s’il n’est jamais évident de s’inventer un langage formel et de s’approprier une vision de l’art. Chacun tente de faire sa place et surtout cherche à ne rien devoir à ses prédécesseurs. Dans le monde de la création, chaque génération tente de bousculer les «plus anciens» pour imposer son regard et ses façons de faire. Une même volonté en arts visuels, au théâtre, en poésie que dans le roman. Trouver sa manière, s’inventer même si, avec le passage du temps, on constate souvent que les ruptures n’arrivent pas fréquemment. Le plus grand bouleversement est venu de Sigmund Freud qui a parlé de l’inconscient. Les arts connurent alors une mutation, une vraie. L’important pour l’artiste ou le poète dorénavant était de dire ce qu’il y avait en soi en utilisant la réflexion ou en se laissant guider par ses pulsions. Toutes les routes devenaient des poussées vers soi.
«J’ai toujours envié les peintres qui, tôt le matin, se présentaient à l’atelier et s’installaient devant leur chevalet pour poursuivre là où ils s’étaient arrêtés la veille. Une fois libérée du motif et du point de fuite, l’œuvre se développait progressivement, chaque décision influençait l’autre. L’automatisme était une sorte d’évocation gestuelle à chevaucher l’aléatoire et donner forme à la matière à la vitesse du hasard.» (p.13)
Germain a côtoyé Roussil, Riopelle, Jacques Hurtubise et bien d’autres originaux. Armand Vaillancourt n’était pas bien loin, j’imagine. Tous cherchaient à briser les carcans, les empêchements qui étouffaient les créateurs depuis des décennies et surtout à s’affranchir du clergé. Une grande quête, un refus d’abord et de nombreuses expériences plus ou moins étranges.

Curiosité

Germain est un curieux qui a pris du temps à trouver sa voie. Lecteur boulimique, il trouve matière à réflexion chez les penseurs et les philosophes en lisant tout ce qui lui tombe sous la main. Peut-être pour prendre un certain recul, mieux se trouver, il entreprend un voyage avec des amis dans les provinces maritimes. Ils séjournent ici et là, écrivent, croisent des originaux, cherchent d’autres manières de bousculer la réalité. Confronter à une nature qui peut étouffer quand on se retrouve sur l’île Bonaventure, tous évoluent à leur façon.

«Comme l’esquif d’Ulysse qui court d’une île à l’autre, la valise sous le capot et le moteur en poupe, notre coquille de noix sur roues poursuivait inlassablement sa route.» (p.124)
Dans leur petite voiture, ils traversent des villes, se heurtent à des habitudes séculaires, découvrent des endroits où le temps semble s’être arrêté. C’était avant le tourisme de masse, les voyages organisés, les grandes et petites séductions qui appâtent les visiteurs autour de Percé. C’était l’aventure que de partir sur les routes sans savoir où dormir et manger. Ils font la fête, n’arrivent pas à trouver du homard, finissent par se procurer de l’alcool et un peu de vin en devant respecter des conditions étranges, se réservent aussi des moments pour travailler et réfléchir. C’est après ce périple, peut-être, que Germain prendra la décision de se tourner vers le théâtre et la scène.
Il y a les anecdotes, bien sûr, mais l’auteur est particulièrement intéressant quand il réfléchit à la création et ce qui a marqué les productions de la scène pendant cette période et les années 1970. L’influence d’Antonin Artaud par exemple.
Une époque singulière, comme une hésitation avant l’éclatement de la Révolution tranquille. Un témoignage qui permet de mieux saisir les espoirs qui animaient les créateurs et une bonne partie de la société, la singularité du Québec aussi. L’écrivain rend bien l’effervescence qui était la sienne et celle de ses compagnons d’aventure. Beau travail nécessaire de mémoire.

Sur le chemin de la Roche percée de Jean-Claude Germain est paru aux Éditions Hurtubise.

jeudi 15 août 2013

Un témoignage d’une vérité saisissante


Germain Nault, né en 1920, avait à peine dix-huit ans quand la Deuxième Guerre mondiale a éclaté. Un conflit que la population du Québec suivait distraitement, ne se sentant guère concernée par cet affrontement qui allait traumatiser le siècle. Le jeune homme s’enrôle, n’ayant jamais à l’esprit qu’il pouvait participer à la guerre en Europe.

Le jeune homme en débarquant en Normandie, plonge dans l’enfer, voit des amis et des compagnons d’armes mourir. Son témoignage fait vivre l’horreur de la guerre et ses monstruosités, permet d’apprécier aussi la droiture d’un homme qui croyait en son destin.
Ce récit, écrit par ses petites-nièces Marilou et Martine Doyon, devient passionnant quand le jeune militaire participe au grand débarquement du 6 juin 1944.
Germain Nault conduit un char, transporte des munitions, devient estafette, va d’un commandant à l’autre sur sa moto pour transmettre les ordres, défiant les tirs ennemis et parfois même ceux des alliés. Un travail particulièrement dangereux qui exige des nerfs d’acier.
Un peu casse-cou, il aime circuler ainsi, se fiant à sa bonne étoile, ayant un regard sur le conflit tout à fait particulier. Il sera témoin de scènes horribles, de carnages, verra ses meilleurs amis mourir sous ses yeux.
 «Des vies humaines s’éteignaient sous mes yeux depuis le début des affrontements et je n’y pouvais rien. C’était intolérable. C’était inhumain. C’était presque absurde. Et, pour me faire comprendre encore davantage que la guerre était avare d’exemptions, ma vie a basculé lorsque j’ai aperçu ce que j’appréhendais le plus depuis le début de notre calvaire : en cette fin de journée du 6 juin 1944, en montant vers La Mare, le destin m’a fait passer à côté du corps criblé de balles d’un ami, celui de Fernand Hains. Je suis aussitôt descendu de mon véhicule, en espérant de tout mon être percevoir un semblant de respiration dans sa poitrine, mais je me suis vite rendu à l’évidence. Les balles ne lui avaient laissé aucune chance. Déjà, je pensais à ses parents, à ce que j’allais leur dire.» (p.115)

Il risque sa vie tous les jours, ne doute jamais de la justesse de sa mission. Il suivra les troupes alliées qui progressent vers la frontière de l’Allemagne en livrant de terribles combats, jusqu’à la reddition des forces nazies. Il aura vu l’horreur, connu le pire tout en gardant sa foi dans l’humanité, en se rappelant sa famille et sa mère.
«Je ne réalisais pas que j’allais bientôt retrouver ma famille, mon village, ma petite routine au Québec. J’ai pris soin d’envoyer une lettre à mes parents pour les avertir que j’allais être de retour dans quelques jours. J’imaginais la sensation de soulagement que ma mère a dû éprouver à lecture de mes derniers mots en provenance d’outre-mer.» (p.211)
Germain Nault s’en sortira sans trop de séquelles, peut-être parce qu’il a toujours refusé de ruminer des événements sur lesquels il n’avait aucune prise. Il a su se concentrer sur le chemin à parcourir et non pas sur celui qu’il venait de faire. Il rentrera au pays, retrouvera sa famille, se mariera et connaîtra une vie bien remplie.
Un témoignage inspirant, un travail respectueux des jumelles Marilou et Martine Doyon qui demeurent très attentives aux propos de leur grand-oncle. On sent leur fascination pour ce héros qui a frôlé cent fois la mort, un homme humble qui croit en l’humanité et a su se préserver de tous les préjugés, même envers ses ennemis. Une vie pas comme les autres qu’il fallait faire connaître. C’est bellement réussi.

J’ai survécu au débarquement, de Marilou et Martine Doyon est paru aux Éditions JCL.