Nombre total de pages vues

lundi 3 septembre 2012

Aude tient la mort à distance grâce à l’écriture


«Il y a eu sept ans en juin, on m’annonçait que j’avais un cancer du sang, cancer incurable et mortel. Le pronostic, avec chimiothérapie et greffe de cellules souches, était de deux ans tout au plus.» (p.13)

Le médecin vous fait asseoir dans son bureau après une longue attente. Il se penche sur ses papiers, cherche ses mots et hésite avant de dire en baissant la tête: «Vous allez mourir dans deux ans et un jour». Je sais, cela ne se passe pas comme ça, mais le résultat est le même. Plusieurs de mes proches ont reçu ce verdict comme un coup de matraque.
La fin est inévitable, nous le savons tous. Elle adviendra dans un moment de distraction, sans prévenir ou encore elle s’imposera après un vieillissement du corps qui gruge toutes vos facultés. Que faire avec une vie écourtée, la mort qui vous souffle dans le cou?
Aude a réagi en écrivaine.
«Malgré cette mort annoncée, j’ai tenu obstinément à me lancer dans l’écriture de Chrysalide que je projetais d’écrire avant cette annonce fatidique.» (p.13)
Une manière de dire pas maintenant, de tenir ses douleurs et ses angoisses en joue. Le roman est paru en 2006. La mort n’avait pas osé s’approcher.
«Le pouvoir fabuleux de la fiction me permet une projection dans d’autres expériences que celles tributaires de mon âge, de mon sexe, de mon apparence, de mon état de santé, du lieu où je suis née, de mon appartenance à une culture et des choix que j’ai faits au cours de ma vie.» (p.13)
Une façon de s’échapper et de déjouer l’ennemi qui se glisse en soi?
«Est-ce que la mort peut me faire la peau si je n’y suis pas? Est-ce qu’elle peut me trouver si je me suis camouflée dans la peau d’un de mes personnages? La mort ne lit pas, c’est connu. Elle est trop occupée à faucher.» (p.15)

Combat

Pendant la lecture de ces vingt et une nouvelles, j’ai senti l’écrivaine en état de guerre. Tous les personnages d’«Éclats de lieux» luttent férocement pour protéger leur identité, leur personnalité, leur être dans un monde menaçant. Des réfugiés, des femmes surtout, voient leur vie se défaire, des enfants rejetés par les leurs ou encore un grand garçon intelligent qui a eu le malheur de naître roux. La différence est mal perçue dans nos sociétés et rarement valorisée. Les propos d’un certain maire de Saguenay sur Djemila Benhabib en sont l’illustration par l’absurde.
Et l’image de cette réfugiée qui serre le tube vide d’un stylo dans sa main pour se protéger des hommes s’est imposée. Un simple stylo vide peut-il mettre l’agresseur en fuite?
Il restait juste assez d’encre dans la plume d’Aude pour tenir les chacals qui rôdent dans ses cellules à distance.
Tout le recueil est une lutte pour chasser les prédateurs, les mains violeuses, les regards qui dépossèdent et les mots qui blessent. Un combat âpre qui demande tout de votre être. Et malgré la mort, la violence, la cruauté, le harcèlement, la vie est là, toujours, avec parfois un moment de grâce comme celui où l’écrivaine reçoit une transfusion sanguine.
«Cet autre me pénétrera lentement pour m’ensemencer de cette substance onctueuse et rouge qui, propulsée par son cœur, sillonnait son corps tout entier. Il me donnera le sang rubis qui coulait dans ses veines. Pendant cette longue et intense rencontre, je ne pourrai pourtant pas voir son visage, ni le toucher de mes mains, de mes lèvres. Nous ne sentirons pas les vibrations de nos voix, nous n’entendrons pas nos mots mi même le rythme de nos souffles.» (p.51)
Un texte d’une justesse remarquable.

Fascinant

Moi qui ai l’habitude de souligner au marqueur des phrases et des paragraphes en lisant, je me suis retrouvé avec un exemplaire resplendissant comme une fleur de pissenlit dans un printemps revenu.
Une force d’écriture qui ne se dément jamais, une justesse qui grince, mais une volonté de vivre qui s’impose malgré tout.
Cette écrivaine incomparable trouve le sens de la vie dans les mots et les phrases qui sont autant de poinçons qu’elle enfonce dans la paroi de granite pour s’empêcher de glisser au fond du précipice. À lire absolument! Du grand art!

«Éclats de lieux» d’Aude est paru chez Lévesque éditeur.

dimanche 26 août 2012

Claude Le Bouthillier s'inspire de son histoire


Tout au long de ma lecture de «Caraquet, la grande» de Claude Le Bouthillier, j’ai été ému, touché. Cet écrivain, au cours des ans, n’a cessé de parler de son coin de pays et de son histoire. Une fidélité, doublée d’une lucidité, quant à l’avenir des Acadiens du Nouveau-Brunswick qui nous laisse sans voix.

L’oeuvre de Claude Le Bouthillier oscille entre le roman, le récit et la poésie. «L’Acadien reprend son pays», publié en 1977, a été adapté pour la scène par Laval Goupil.
Une œuvre qu’il présente ici par de courts extraits qui touchent l’histoire, l’amour, l’air et l’eau. Il s’attarde aussi aux fêtes, à la nourriture et aux saisons.
Le tout commence avec l’arrivée de son ancêtre Joseph, vers 1740, qui épouse Angélique, une métisse micmaque. On connaît les luttes pour la survie, la présence menaçante des Anglais, la tragédie de la déportation de 1755 et après, la longue et terrible résistance de ce peuple qui a survécu par entêtement et par miracle.
«Au Ruisseau 1784. La classe de Mathilde avait diminué malgré toutes les énergies qu’elle y avait consacrées.
— Les Robin, se plaignait-elle, découragent tous les efforts des parents qui veulent faire instruire leurs enfants, argumentant que cela ne leur fera pas prendre davantage de morues. Et pour empêcher le développement de l’agriculture, ils achètent les meilleures terres. On n’a pas davantage de droits sur la mer depuis qu’ils tiennent les pêcheurs dans leurs griffes.» (p.74)
Une épopée qu’il rend vivante en explorant le grand territoire de Caraquet qui a la réputation d’être le plus long village du monde avec sa rue principale qui s’étire sur 35 kilomètres. Un lieu où ses ancêtres se sont installés il y a près de 300 ans et où il a vécu son enfance dans la grande maison ancestrale des Le Bouthillier construite en 1836. Son père, après avoir été pêcheur, a été garde-pêche. Il avait comme tâche de déjouer les manœuvres des braconniers. Le romancier en a long à raconter sur les astuces de ces hommes qui tentaient ainsi de nourrir leurs familles.

Combat

Quel courage il a fallu à ces hommes et ces femmes pour survivre et faire respecter leurs droits! L’affaire Louis Mailloux, un jeune Acadien militant pour les écoles françaises, abattu par les militaires anglophones, est un moment fort de cette résistance.
L’écrivain se transforme en historien, en ethnologue aussi où il décrit les différents métiers de la mer et de la terre, la navigation, les fêtes et les repas fabuleux qu’ils tiraient de la mer. Il présente aussi, avec une précision remarquable, certains travaux et les outils utilisés.
Il se sent responsable envers son peuple et est habité par un amour de son coin de pays exemplaire. Cela ne l’empêche pas d’être lucide quant à l’avenir de ces francophones qui s’exilent dans l’Ouest canadien pour travailler. L’Ouest fait vivre l’Est maintenant comme il l’affirme dans une formule heureuse.
«Quand la Péninsule deviendra un tiers monde branché sur la galaxie/ Avec une soucoupe plus grosse que la cabane/ Il ne restera plus de l’Acadie que le folklore et une grande déchirure.» (p.151)
«La survie du peuple acadien, sans véritables pouvoirs de gérer son territoire et sa destinée, m’apparaît précaire. Aucun peuple n’y est arrivé. Pour ne prendre qu’un seul exemple: les Acadiens des États de la Nouvelle-Angleterre, à quelques exceptions près, ont été assimilés. Le système est plus fort que les hommes.» (p.227)

L’œuvre de Claude Le Bouthillier est admirable de fidélité, d’amour et de constance. «Le feu du Mauvais Temps», «Les marées du Grand Dérangement» ou «Le borgo de l’Écumeuse» plongent le lecteur dans l’histoire. Il était peut-être aussi nécessaire d’imaginer l’Acadie dans des temps futurs. «Babel ressuscitée» répond à ce désir de survie.
Un conteur né qui possède le sens du détail, invente des personnages attachants.
«Caraquet, la grande» témoigne d’un peuple qui lutte pour sa langue de plus en plus fragilisée. Un exemple pour les Québécois qui n’arrivent pas à se décider quant à leur avenir. La campagne électorale actuelle fourmille de propos désolants face à cette éventualité. L’idée de se donner un pays est rabattue au rang de simple «chicane». Comme si discuter de son avenir était une perte de temps. De quoi envisager des jours sombres au pays du Québec après le 4 septembre.

«Caraquet, la grande» de Claude Le Bouthiliier est paru chez La Grande Marée.

lundi 20 août 2012

L’écrivain Wayson Choy s’accroche à la vie

L’être humain a la particularité de s’illusionner et de croire qu’il est immortel. Quand il ressent des malaises ou différents symptômes inquiétants, il continue comme si de rien n’était jusqu’au moment où le corps flanche.

L’écrivain canadien-anglais Wayson Choy, en 2001, se retrouve à l’urgence d’un hôpital de Toronto, entre la vie et la mort. Il se croyait invincible et capable de travailler quinze heures par jour, surtout à la veille de terminer un roman.
«Ma bouche s’est tordue. Mes narines se sont dilatées. Ma tête s’est projetée avec la force d’un ouragan; quand j’ai éternué, j’ai eu l’impression que ma bouche explosait. J’ai grogné avec un bruit de clapotis comme un cochon de dessin animé. Le souffle coupé, j’ai cherché un mouchoir dans ma poche et, si quelqu’un avait été là, je me serais excusé en disant: « Désolé. Allergies.» (p.13)

Après des jours dans le coma, quelques moments de lucidité où il a l’impression de voir le monde par un hublot, il refait surface. Un long et pénible retour qui demandera toutes ses énergies.
Heureusement, de nombreux amis l’assistent dans cette lutte où il risque tout. Et après une sorte de longue léthargie, il réapprend à respirer, à avaler un verre de jus et à remuer les doigts. Tout ce qui allait de soi auparavant devient un exploit physique.

Volonté

Wayson Choy fait preuve d’un courage admirable. C’est peut-être le propre de l’écrivain que de pouvoir répéter certains gestes jour après jour. Il se déplace avec un déambulateur et retrouve une forme d’autonomie même s’il doit tout réapprendre. Il est longtemps incapable de tenir un crayon et se demande si écrire est encore possible.
«J’avais déjà regardé quelques fois et pensé : si près et pourtant si loin… Je manquais encore trop de confiance en moi pour renoncer au déambulateur dont j’étais devenu malgré moi dépendant, non seulement comme support physique, mais aussi, soyons francs, pour attirer la sympathie des autres. Si j’étais capable de m’en éloigner d’une dizaine de pas, je ne pouvais en faire que huit pour revenir à ma marchette.»(p.105)

Changement

Les pièges à poussière de son appartement doivent être éliminés. Choy est asthmatique. Gravement. Les amis démolissent les bibliothèques qui regorgent de papiers et de vieux livres. La guerre aux tapis et aux moquettes est déclarée. Le capharnaüm qu’était son lieu de travail devient un espace aéré et clair. Il aura l’impression d’être ailleurs quand il rentrera chez lui.
«Kate m’a téléphoné de sa résidence à McGill et m’a raconté comment son père avait travaillé toute la nuit à démanteler la douzaine de bibliothèques en teck verni, comment une équipe de quatre personnes, jurant comme des charretiers, avait porté les étagères et non pas un, mais trois bureaux rafistolés au sous-sol.» (p.109)
Le sédentaire doit dorénavant bouger et mieux s’alimenter.

Retour

Après une longue convalescence, Choy recommence sa vie d’écrivain. Il triche un peu au début et ses manies reviennent. Les humains sont incorrigibles, on le sait. Il multiplie les voyages et travaille sans jamais se reposer. Le corps flanche une fois de plus. Le cœur cette fois. Il subit un quadruple pontage. Que lui faut-il pour comprendre qu’il doit ralentir et mener une vie moins trépidante?
«Je savais que son départ signifiait que j’irais bien. Que je serais la même personne que j’avais été avant de presque mourir, à deux reprises. Que tous mes défauts demeuraient totalement intacts.» (p.208)
Le pire ennemi que l’on peut affronter est en soi.
Voilà le témoignage vivant et plein d’humour d’un homme attachant, sensible aux autres et à la beauté de la vie qui devient de plus en plus précieuse quand elle risque de se terminer. Un hommage à l’amitié aussi.
Hélène Rioux a traduit ce récit qui se lit comme un thriller. Une belle occasion de jongler avec ses façons de vivre.

«Pas maintenant» de Wayson Choy est paru chez XYZ, éditeur.

mardi 14 août 2012

André Carpentier secoue nos manières de communiquer

André Carpentier s’est aventuré plutôt du côté du récit au cours des dernières années. «Gésu Retard. Faits divers montréalais en huit journées et dix-sept dictées sur le temps vécu» remonte à 1999.

«Dylanne et moi», un court roman d’une centaine de pages, m’a entraîné dans un univers étrange. Un homme lutte contre le cancer et sa vie n’est qu’une longue dérive où plus rien ne vient secouer la grisaille du quotidien. Une petite annonce dans un journal culturel retient son attention.
«Un mois auparavant, j’avais répondu à une petite annonce personnelle parue dans un hebdomadaire culturel branché, que je feuilletais pour une rare fois, allez savoir pourquoi. La petite annonce proposait «une expérience artistique à deux». Le libellé précisait: «de préférence avec une personne qui serait tout le contraire d’artiste.» L’avertissement «Galants s’abstenir», qui avait dû en désenchanter plus d’un, m’avait mis en confiance, sans doute à cause de son élégance.» (p.11)
Une jeune femme lui propose une expérience étonnante. Tout bascule et la vie prend de nouvelles couleurs.

Danse

La performeuse explique qu’elle va danser dans son loft et lui devra la photographier. Là où ça devient singulier, c’est quand elle lui demande d’être nu lors des séances.
L’homme, plutôt coincé dans ses complets qui ne se distinguent pas par leur originalité, a des habitudes qui ne dérogent guère. La médecine qu’il pratique est faite de gestes mille fois répétés et rassurants.
«- Mais ne voyez donc pas tout en bien ou mal, en bon ou mauvais, fit-elle, la réalité est infiniment plus complexe que ça. Il y a aussi de la nudité dans le nu - vous connaissez Egon Schiele, Lucian Freud -, et il peut aussi y avoir de l’art dans la nudité.» (p.37)
L’expérience s’avère laborieuse au début, mais il s’abandonne et retrouve peu à peu ses instincts de chasseur.
«Je n’en revenais pas. Moi, dans mon épaississement et sous mes flétrissures, avec ma tonsure croissante et mon épiderme talé, sans compter ma cicatrice aux lèvres si fragilement refermées, moi qui n’avais jamais vécu dans un corps glorieux d’athlète ou de star, moi qui avais fait de la rigidité mon maintient naturel, je devenais potentiellement porteur d’un était de beauté propice à susciter des émotions. Quel cadeau elle me faisait.» (p.48)
Il découvre un bonheur et une intensité qu’il ne croyait plus possible.
«Ma présence au monde, tout orientée vers cette expérience artistique à deux, était comblée. Il y avait longtemps qu’il n’y avait eu une telle coïncidence entre mon corps et moi.» (p.51)
Après ces séances bouleversantes, il reçoit une invitation de la jeune femme devenue aveugle. Elle signera ses livres au Salon du livre de Québec. Un choc pour le médecin qui vient de retrouver toutes les dimensions de son être.

Expérience

Voilà une appropriation particulière de l’espace, du regard et de la gestuelle. L’homme retrouve l’instinct, la liberté et la danseuse vibre de tout son être malgré la perte progressive de la vision. Comment voir et que regarder? Les deux plongent dans le monde de la pulsion et de l’instinct où chacun doit prévoir l’autre. Les deux se cherchent, se fuient, deviennent des fauves en chasse. Deux corps aux sens exacerbés dansent, bondissent, pivotent, s’échappent et se rapprochent.
Ils se frôlent, se désirent, se devinent et s’excitent. Qui va surprendre l’autre? La danse devient traque et fuite, un combat étrange et sensuel. L’expérience sera inoubliable pour lui.
Il vivra une peine d’amour même si les rencontres avec l’artiste ont été brèves. Il a connu une fulgurance qu’il est difficile d’oublier.
Elle savait qu’elle perdrait la vue et tentait peut-être d’échapper à cette réalité en fuyant l’œil implacable de la caméra. Lui a oublié son cancer et voit tout autrement.
Un roman fort troublant qui questionne nos manières de communiquer et qui, peut-être, pointe l’atrophie qui guette les humains de moins en moins physique dans nos sociétés. Un jeu qui retourne l’être et le propulse dans un moment d’incandescence. Carpentier explore le regard, le mouvement, la sensualité, les élans qui poussent les hommes vers les femmes et vice-versa. J’ai eu l’impression de faire face aux forces pures de la gravité terrestre.

«Dylanne et moi» d’André Carpentier est paru chez Boréal Éditeur.

mardi 7 août 2012

Marcel Broquet se penche sur sa vie d’éditeur


Plus de cinquante ans dans le monde du livre comme libraire, éditeur et enfin comme auteur. Voilà le parcours fascinant de Marcel Broquet.

L’auteur est né en Suisse, d’une famille de paysans qui n’hésitaient pas devant l’effort. Un pays qu’il quitte dans la vingtaine pour aboutir au Canada où il rencontrera l’amour, réussira à se tailler une place enviable dans le monde de l’édition. Ce qui ne veut pas dire qu’il tourne le dos à son lieu d’origine, loin de là. Il y retourne régulièrement et la Suisse le fascine même s’il adore le Québec.
Le détour est long avant d’aborder sa vie à Montréal. Marcel Broquet est un passionné d’histoire, des pays et des gens. Il remonte l’arbre généalogique de ses ancêtres et découvre la Suisse qui traîne une mauvaise réputation avec sa neutralité politique et les comptes bancaires.
Et comment éviter les secrets de famille ?
Son père a eu l’étrange idée de migrer en France juste avant le déclenchement de la Deuxième Guerre mondiale. Il s’est engagé dans la Résistance, s’est fait tuer dans un règlement de compte.
«Mon père, Paul, est né le 14 septembre 1903 à Delémont. Il est mort assassiné à Marvelise, petit village de Franche-Comté, le1er octobre 1944.» (p.41)
Une histoire d’amour, un rival qui l’abat froidement. Il laisse cinq enfants à la charge de sa femme. Sans ressources, elle doit retourner en Suisse et faire mille tâches pour survivre avec l’aide de sa famille.

Étude

Marcel à dix ans ne sait ni lire ni écrire. En retard sur les jeunes de son âge, il doit fréquenter l’école, la loi l’oblige en Suisse. Heureusement, une institutrice le prend en charge et lui donne des cours particuliers.
Élève sérieux, il se dirige vers un établissement de commerce et peut gagner sa vie dans les assurances. Un métier qu’il n’apprécie guère mais qui lui procure une belle indépendance. Il découvre surtout Lausanne.
La passion pour les livres est là, celle des randonnées dans la campagne, des excursions en France. Il fera même une expédition à Paris à bicyclette. Le jeune Broquet dort à la belle étoile et mange ce qu’il trouve. Il ne manquait surtout pas d’audace.

Le Canada

Le goût de partir devient de plus en plus pressant et il choisit le Canada, l’Ouest pour devenir fermier. Il se retrouve à Montréal avec dix dollars en poche et doit effectuer de menus travaux pour survivre. Il finit par ouvrir une librairie à Verdun. Un monde difficile, surtout avec l’étiquette d’étranger qui lui colle au dos. Il glisse imperceptiblement vers le métier d’éditeur, se distinguant surtout pas ses ouvrages sur les oiseaux et la belle collection Signatures qui présente les peintres du Québec. Tout cela avec les hauts et les bas du marché de l’édition, la compétition féroce et un système d’escomptes qui laisse peu de sous dans la caisse. Il parvient à créer une entreprise exemplaire et ses fils prendront la relève.
Marcel Broquet survole toute la période d’affirmation du Québec avec la Révolution tranquille, mais reste discret et laisse le lecteur souvent sur sa faim. Il s’attarde plus aux origines de sa famille, la Suisse que sur le monde du livre et ses soubresauts. Il effleure à peine l’univers des auteurs et les grands moments de sa carrière.
Il plaide pourtant pour le livre, la culture, la lecture sous toutes ses formes avec une complice, Rosette Pipar. Les deux croient que le projet de loi C-11 du gouvernement Harper va anéantir les revenus déjà plutôt minces des créateurs.
«Stanley Péan, le président de l’UNEQ, avait qualifié le premier ministre d’« inculte » et de « bête politique non intelligente ». Il citait en exemple des pays comme l’Angleterre, l’Irlande ou l’Écosse, qui investissent entre 20 $ et 22 $ par citoyen pour leur conseil des arts. « Le Canada donne 5 $ par citoyen… » (p.240)

Un ouvrage sympathique, le monde d’un migrant qui a gardé un amour sincère pour son pays d’origine et qui s’est taillé une place enviable au Québec.

«Laissez-moi vous raconter» de Marcel Broquet est paru aux Éditions Marcel Broquet.

L’entreprise de Simon Girard bat de l’aile


«Ca va être là»… mettre la réalité sur les pages. Je peux comprendre, c’est pour ça que j’écris… au moins en partie. Mais je doute que ce soit LA raison de Michel, je sens qu’il y a autre chose.» (p.133)

Voilà la proposition du récit biographique de Simon Girard. L’auteur nous entraîne à Percé, dans le monde d’un homme ordinaire. Une camaraderie s’installe entre l’auteur et Michel Bourget qui raconte ses histoires en buvant de la bière. Les deux bricolent le matin et à quatorze heures, la caisse de houblon glisse sous la table. On trouve de tout dans ce récit : des histoires de chasse, d’ours que Michel a surpris dans les forêts. Nous sommes cependant loin de la magie de Samuel Archibald.
Michel l’avoue à la toute fin, il se confie pour rejoindre ses enfants qu’il n’a pas vu grandir. Le conflit avec la mère était trop virulent. Et la DPJ a mis bien des bâtons dans les roues.
«Vivre un an et demi en une heure… ces affaires-là, c’est un peu en dehors de la coche. Tu fais des enfants, et la Loi voudrait qu’ils deviennent comme des étrangers par rapport à toi. Un moment donné, mes bébés vont être assez grands pour décider par eux-mêmes de me voir et … le livre, ça pourra leur faire une introduction un peu plus plaisante.» (p.187)
Michel tend une perche vers ses enfants. Simon écrit pour faire un livre, dire les choses comme elles sont.

Confidences

Les histoires se croisent et sont souvent racontées par deux ou trois personnes différentes. Ce qui donne un effet de répétition et surtout n’apporte rien de particulier. Des amours à peine effleurés, un navire que l’on sauve pendant une tempête, un incendie, un massage cardiaque qui permet à un homme de survivre et un séjour en prison qui se perd dans les dédales de l’administration. Des voyages aussi. L’un au Portugal en particulier pour retrouver une amoureuse enceinte qui n’a de regards que pour son professeur de Tai Chi. Simon écoute, cale sa bière, va pisser et recommence.
Le tout tient à la fois du journal et du témoignage que l’on transcrit après enregistrement. Il faut compter aussi sur les fuites de Simon qui prend les nerfs facilement, vit sa vie d’écrivain, publie un premier livre, participe à des expériences médicales tout en recevant son chèque d’aide sociale. Une histoire de bons gars capables de donner un coup de poing quand il le faut, qui n’hésitent jamais à venir en aide même si le « sauvé » ne veut pas le reconnaître.
«Un humain qui sauve la vie à d’autres humains ? Pas intéressés. Si c’est eux autres que j’avais sauvés, ils auraient peut-être réagi comme Hubert… Hubert qui restait dans un des appartements dans la cour… il comprenait plus trop ce qui se passait quand je l’ai trouvé…» (p.145)
Malgré tout ça, le livre ne lève guère. L’anecdote prend toute la place et on oublie les événements signifiants. Un langage près de l’oralité, avec des petites percées réflexives sur la vie, le voyage, l’humanité, les amours et les enfants.
C’est sympathique mais il en aurait fallu plus pour que l’on embarque dans cette aventure. Le réel, il faut l’arranger sinon on risque d’ennuyer. Le sujet était là mais Simon Girard n’a pas fait son travail d’écrivain.

«Michel Bourget, sauver des vies» de Simon Girard est paru aux Éditions Les 400 coups.