Tout au long de ma lecture de
«Caraquet, la grande» de Claude Le Bouthillier, j’ai été ému, touché. Cet
écrivain, au cours des ans, n’a cessé de parler de son coin de pays et de son
histoire. Une fidélité, doublée d’une lucidité, quant à l’avenir des Acadiens
du Nouveau-Brunswick qui nous laisse sans voix.
L’oeuvre de Claude Le
Bouthillier oscille entre le roman, le récit et la poésie. «L’Acadien reprend
son pays», publié en 1977, a été adapté pour la scène par Laval Goupil.
Une œuvre qu’il présente ici par
de courts extraits qui touchent l’histoire, l’amour, l’air et l’eau. Il s’attarde
aussi aux fêtes, à la nourriture et aux saisons.
Le tout commence avec
l’arrivée de son ancêtre Joseph, vers 1740, qui épouse Angélique, une métisse
micmaque. On connaît les luttes pour la survie, la présence menaçante des
Anglais, la tragédie de la déportation de 1755 et après, la longue et terrible
résistance de ce peuple qui a survécu par entêtement et par miracle.
«Au Ruisseau 1784. La classe
de Mathilde avait diminué malgré toutes les énergies qu’elle y avait
consacrées.
— Les Robin, se
plaignait-elle, découragent tous les efforts des parents qui veulent faire
instruire leurs enfants, argumentant que cela ne leur fera pas prendre
davantage de morues. Et pour empêcher le développement de l’agriculture, ils
achètent les meilleures terres. On n’a pas davantage de droits sur la mer
depuis qu’ils tiennent les pêcheurs dans leurs griffes.» (p.74)
Une épopée qu’il rend vivante
en explorant le grand territoire de Caraquet qui a la réputation d’être le plus
long village du monde avec sa rue principale qui s’étire sur 35 kilomètres. Un
lieu où ses ancêtres se sont installés il y a près de 300 ans et où il a vécu
son enfance dans la grande maison ancestrale des Le Bouthillier construite en
1836. Son père, après avoir été pêcheur, a été garde-pêche. Il avait comme
tâche de déjouer les manœuvres des braconniers. Le romancier en a long à
raconter sur les astuces de ces hommes qui tentaient ainsi de nourrir leurs
familles.
Combat
Quel courage il a fallu à ces
hommes et ces femmes pour survivre et faire respecter leurs droits! L’affaire
Louis Mailloux, un jeune Acadien militant pour les écoles françaises, abattu
par les militaires anglophones, est un moment fort de cette résistance.
L’écrivain se transforme en
historien, en ethnologue aussi où il décrit les différents métiers de la mer et
de la terre, la navigation, les fêtes et les repas fabuleux qu’ils tiraient de
la mer. Il présente aussi, avec une précision remarquable, certains travaux et
les outils utilisés.
Il se sent responsable envers
son peuple et est habité par un amour de son coin de pays exemplaire. Cela ne
l’empêche pas d’être lucide quant à l’avenir de ces francophones qui s’exilent dans
l’Ouest canadien pour travailler. L’Ouest fait vivre l’Est maintenant comme il l’affirme
dans une formule heureuse.
«Quand la Péninsule deviendra
un tiers monde branché sur la galaxie/ Avec une soucoupe plus grosse que la
cabane/ Il ne restera plus de l’Acadie que le folklore et une grande
déchirure.» (p.151)
«La survie du peuple acadien,
sans véritables pouvoirs de gérer son territoire et sa destinée, m’apparaît
précaire. Aucun peuple n’y est arrivé. Pour ne prendre qu’un seul exemple: les
Acadiens des États de la Nouvelle-Angleterre, à quelques exceptions près, ont
été assimilés. Le système est plus fort que les hommes.» (p.227)
L’œuvre de Claude Le Bouthillier est admirable de fidélité, d’amour et de constance. «Le feu du Mauvais Temps», «Les marées du Grand Dérangement» ou «Le borgo de l’Écumeuse» plongent le lecteur dans l’histoire. Il était peut-être aussi nécessaire d’imaginer l’Acadie dans des temps futurs. «Babel ressuscitée» répond à ce désir de survie.
Un conteur né qui possède le
sens du détail, invente des personnages attachants.
«Caraquet, la grande» témoigne
d’un peuple qui lutte pour sa langue de plus en plus fragilisée. Un exemple
pour les Québécois qui n’arrivent pas à se décider quant à leur avenir. La
campagne électorale actuelle fourmille de propos désolants face à cette éventualité.
L’idée de se donner un pays est rabattue au rang de simple «chicane». Comme si
discuter de son avenir était une perte de temps. De quoi envisager des jours
sombres au pays du Québec après le 4 septembre.
«Caraquet, la grande» de Claude Le Bouthiliier est
paru chez La Grande Marée.
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