André Carpentier s’est
aventuré plutôt du côté du récit au cours des dernières années. «Gésu Retard.
Faits divers montréalais en huit journées et dix-sept dictées sur le temps
vécu» remonte à 1999.
«Dylanne et moi», un court
roman d’une centaine de pages, m’a entraîné dans un univers étrange. Un homme lutte
contre le cancer et sa vie n’est qu’une longue dérive où plus rien ne vient
secouer la grisaille du quotidien. Une petite annonce dans un journal culturel
retient son attention.
«Un mois auparavant, j’avais
répondu à une petite annonce personnelle parue dans un hebdomadaire culturel
branché, que je feuilletais pour une rare fois, allez savoir pourquoi. La
petite annonce proposait «une expérience artistique à deux». Le libellé
précisait: «de préférence avec une personne qui serait tout le contraire
d’artiste.» L’avertissement «Galants s’abstenir», qui avait dû en désenchanter
plus d’un, m’avait mis en confiance, sans doute à cause de son élégance.» (p.11)
Une jeune femme lui propose
une expérience étonnante. Tout bascule et la vie prend de nouvelles couleurs.
Danse
La performeuse explique
qu’elle va danser dans son loft et lui devra la photographier. Là où ça devient
singulier, c’est quand elle lui demande d’être nu lors des séances.
L’homme, plutôt coincé dans ses
complets qui ne se distinguent pas par leur originalité, a des habitudes qui ne
dérogent guère. La médecine qu’il pratique est faite de gestes mille fois
répétés et rassurants.
«- Mais ne voyez donc pas
tout en bien ou mal, en bon ou mauvais, fit-elle, la réalité est infiniment
plus complexe que ça. Il y a aussi de la nudité dans le nu - vous connaissez
Egon Schiele, Lucian Freud -, et il peut aussi y avoir de l’art dans la
nudité.» (p.37)
L’expérience s’avère laborieuse
au début, mais il s’abandonne et retrouve peu à peu ses instincts de chasseur.
«Je n’en revenais pas. Moi,
dans mon épaississement et sous mes flétrissures, avec ma tonsure croissante et
mon épiderme talé, sans compter ma cicatrice aux lèvres si fragilement
refermées, moi qui n’avais jamais vécu dans un corps glorieux d’athlète ou de
star, moi qui avais fait de la rigidité mon maintient naturel, je devenais potentiellement
porteur d’un était de beauté propice à susciter des émotions. Quel cadeau elle
me faisait.» (p.48)
Il découvre un bonheur et une
intensité qu’il ne croyait plus possible.
«Ma présence au monde, tout
orientée vers cette expérience artistique à deux, était comblée. Il y avait
longtemps qu’il n’y avait eu une telle coïncidence entre mon corps et moi.»
(p.51)
Après ces séances bouleversantes,
il reçoit une invitation de la jeune femme devenue aveugle. Elle signera ses
livres au Salon du livre de Québec. Un choc pour le médecin qui vient de
retrouver toutes les dimensions de son être.
Expérience
Voilà une appropriation particulière
de l’espace, du regard et de la gestuelle. L’homme retrouve l’instinct, la
liberté et la danseuse vibre de tout son être malgré la perte progressive de la
vision. Comment voir et que regarder? Les deux plongent dans le monde de la
pulsion et de l’instinct où chacun doit prévoir l’autre. Les deux se cherchent,
se fuient, deviennent des fauves en chasse. Deux corps aux sens exacerbés
dansent, bondissent, pivotent, s’échappent et se rapprochent.
Ils se frôlent, se désirent, se
devinent et s’excitent. Qui va surprendre l’autre? La danse devient traque et
fuite, un combat étrange et sensuel. L’expérience sera inoubliable pour lui.
Il vivra une peine d’amour
même si les rencontres avec l’artiste ont été brèves. Il a connu une fulgurance
qu’il est difficile d’oublier.
Elle savait qu’elle perdrait
la vue et tentait peut-être d’échapper à cette réalité en fuyant l’œil
implacable de la caméra. Lui a oublié son cancer et voit tout autrement.
Un roman fort troublant qui questionne
nos manières de communiquer et qui, peut-être, pointe l’atrophie qui guette les
humains de moins en moins physique dans nos sociétés. Un jeu qui retourne
l’être et le propulse dans un moment d’incandescence. Carpentier explore le
regard, le mouvement, la sensualité, les élans qui poussent les hommes vers les
femmes et vice-versa. J’ai eu l’impression de faire face aux forces pures de la
gravité terrestre.
«Dylanne et moi» d’André Carpentier est paru chez Boréal
Éditeur.
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