Nicole Houde, avec «Bancs publics», entraîne le lecteur dans une suite de courts textes qui permettent de faire connaissance avec Pierrot le chat, Jean-Eudes, cet ami trop tôt parti, Paul-Émile, le petit-fils de l’écrivaine, l’inventeur de «la machine à réconforter». La romancière éprouve un faible, on le comprend, pour ce jeune aventurier qui aime particulièrement les sorcières, même si elles lui donnent des frissons. Mélanie sa fille, son copain Philippe, sa mère qui a atteint «le bout de son âge» se profilent à l’occasion.
«Il y a dans le ventre de ma fille quelqu’un qui ne connaît pas encore le temps et se contente d’embryonner. Je voudrais écrire pour lui et moi une belle histoire où il y aurait de quoi rire et s’enchanter. Mais dans quel personnage ancrer le sourire?» (p.11)
L’auteure «ancre le sourire» dans les fées qui font les yeux doux à Darwin, rêvent de fouiner sous le pagne de Cromignon, de vivre une «plus value d’affection» avec un certain Marx.
Humour
L’écrivaine dévoile dans ces récits et ces contes un humour qu’on ne lui connaissait pas. Elle jongle avec la théorie de l’évolution des espèces, certaines idées de Marx, le Big Bang et des personnages connus de la Bible. C’est particulièrement inventif, surtout quand une fée entraîne le lecteur au jardin d’Éden où les pommiers, ces «arbres du Bien et du Mal, de la Connaissance et de la Putréfaction», trahissent les secrets. Nicole Houde convoque sa Majesté le vent et les chats volants, les fées et les mages. Il n’en faut pas plus pour croire à la révolution ou l’évolution...
Des moments aussi où la fantaisie cède devant la réflexion. Il suffit d’un banc au Jardin botanique de Montréal, d’un arbre en fleurs, d’un étang, des papillons et il est possible alors de suivre un nuage, de se perdre dans un ruissellement de lumière pour oublier la respiration difficile, le pas plus lourd et la maladie.
Le lecteur qui fréquente l’oeuvre de cette écrivaine reconnaît des personnages et des lieux qu’elle a fréquentés dans ses romans. Le passé se faufile entre deux gestes, deux mots, un sourire ou un éclat de rire. Les disparus approchent sur la pointe des pieds pour murmurer à l’oreille des vivants.
Il suffit d’un banc au Jardin botanique de Montréal... |
«À cet instant, tu n’es plus seule sur la route. Tu sens sa présence. Il arrive parfois que des cailloux nous racontent une histoire et dépose le souffle chaud d’une ombre au creux de nos mains.» (p.124)
Gravité
Même en s’amusant, Nicole Houde n’oublie pas la gravité qui leste ses ouvrages. La mort est difficile à déjouer. Plusieurs textes flirtent avec les derniers moments qu’il est impossible de nier.
«La mort, la vie et tous ces liens ténus qui nous rattachent aux autres ; il s’agit parfois d’un chapeau, d’une rose, d’un chat ou d’une rivière. Variations d’une partition musicale puisque le langage est, parmi ces liens, le plus fondamental.» (p.46)
Des surprises comme toujours, des bonheurs qu’il faut lire et relire. Il suffit d’une phrase pour connaître le ravissement.
«La terre demeure l’ultime interlocutrice de nos conversations. Nous faisons semblant de ne pas l’entendre. Elle réplique en nous donnant de la neige, du soleil, des ancolies et des épervières. Quand nous l’avons suffisamment rendue abstraite, la terre nous regarde avec les yeux d’un homme ou ceux d’un chat.» (p.17)
On reste là, sans oser un geste, retenant notre souffle.
«Comme chaque être humain, je suis une histoire contenant beaucoup d’hiers et une foule de personnages ; les miens se frottent l’âme contre l’épais pelage d’un chat musicien. Il s’appelle Pierrot à cause des clairs de lune. Je lui parle de mon père, né et mort d’une soif sans bon sens, je lui parle de ma mère couchée dans une nuit dont elle ne reviendra pas.» (p.32)
Nicole Houde a l’art d’aborder les choses les plus amusantes et les plus graves avec des images incomparables. Il suffit de s’abandonner entre les rires et la méditation pour saisir une autre facette de cette écrivaine incomparable.
«Bancs publics» de Nicole Houde est publié aux Éditions de La Pleine lune.