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dimanche 17 octobre 2010

Nicole Houde dévoile son humour


Nicole Houde, avec «Bancs publics», entraîne le lecteur dans une suite de courts textes qui permettent de faire connaissance avec Pierrot le chat, Jean-Eudes, cet ami trop tôt parti, Paul-Émile, le petit-fils de l’écrivaine, l’inventeur de «la machine à réconforter». La romancière éprouve un faible, on le comprend, pour ce jeune aventurier qui aime particulièrement les sorcières, même si elles lui donnent des frissons. Mélanie sa fille, son copain Philippe, sa mère qui a atteint «le bout de son âge» se profilent à l’occasion.
«Il y a dans le ventre de ma fille quelqu’un qui ne connaît pas encore le temps et se contente d’embryonner. Je voudrais écrire pour lui et moi une belle histoire où il y aurait de quoi rire et s’enchanter. Mais dans quel personnage ancrer le sourire?» (p.11)
L’auteure «ancre le sourire» dans les fées qui font les yeux doux à Darwin, rêvent de fouiner sous le pagne de Cromignon, de vivre une «plus value d’affection» avec un certain Marx.

Humour

L’écrivaine dévoile dans ces récits et ces contes un humour qu’on ne lui connaissait pas. Elle jongle avec la théorie de l’évolution des espèces, certaines idées de Marx, le Big Bang et des personnages connus de la Bible. C’est particulièrement inventif, surtout quand une fée entraîne le lecteur au jardin d’Éden où les pommiers, ces «arbres du Bien et du Mal, de la Connaissance et de la Putréfaction», trahissent les secrets. Nicole Houde convoque sa Majesté  le vent et les chats volants, les fées et les mages. Il n’en faut pas plus pour croire à la révolution ou l’évolution...
Des moments aussi où la fantaisie cède devant la réflexion. Il suffit d’un banc au Jardin botanique de Montréal, d’un arbre en fleurs, d’un étang, des papillons et il est possible alors de suivre un nuage, de se perdre dans un ruissellement de lumière pour oublier la respiration difficile, le pas plus lourd et la maladie.
Le lecteur qui fréquente l’oeuvre de cette écrivaine reconnaît des personnages et des lieux qu’elle a fréquentés dans ses romans. Le passé se faufile entre deux gestes, deux mots, un sourire ou un éclat de rire. Les disparus approchent sur la pointe des pieds pour murmurer à l’oreille des vivants.
Il suffit d’un banc au Jardin botanique de Montréal...
«À cet instant, tu n’es plus seule sur la route. Tu sens sa présence. Il arrive parfois que des cailloux nous racontent une histoire et dépose le souffle chaud d’une ombre au creux de nos mains.» (p.124)

Gravité

Même en s’amusant, Nicole Houde n’oublie pas la gravité qui leste ses ouvrages. La mort est difficile à déjouer. Plusieurs textes flirtent avec les derniers moments qu’il est impossible de nier.
«La mort, la vie et tous ces liens ténus qui nous rattachent aux autres ; il s’agit parfois d’un chapeau, d’une rose, d’un chat ou d’une rivière. Variations d’une partition musicale puisque le langage est, parmi ces liens, le plus fondamental.» (p.46)
Des surprises comme toujours, des bonheurs qu’il faut lire et relire. Il suffit d’une phrase pour connaître le ravissement.
«La terre demeure l’ultime interlocutrice de nos conversations. Nous faisons semblant de ne pas l’entendre. Elle réplique en nous donnant de la neige, du soleil, des ancolies et des épervières. Quand nous l’avons suffisamment rendue abstraite, la terre nous regarde avec les yeux d’un homme ou ceux d’un chat.» (p.17)
On reste là, sans oser un geste, retenant notre souffle.
«Comme chaque être humain, je suis une histoire contenant beaucoup d’hiers et une foule de personnages ; les miens se frottent l’âme contre l’épais pelage d’un chat musicien. Il s’appelle Pierrot à cause des clairs de lune. Je lui parle de mon père, né et mort d’une soif sans bon sens, je lui parle de ma mère couchée dans une nuit dont elle ne reviendra pas.» (p.32)
Nicole Houde a l’art d’aborder les choses les plus amusantes et les plus graves avec des images incomparables. Il suffit de s’abandonner entre les rires et la méditation pour saisir une autre facette de cette écrivaine incomparable.

«Bancs publics» de Nicole Houde est publié aux Éditions de La Pleine lune. 

dimanche 3 octobre 2010

C.S. Richardson est irrésistible

Ambroise Zéphyr apprend, après un examen médical vers le début de la cinquantaine, que ses jours sont comptés. L’avenir et les rêves ne sont plus possibles. Il décide de partir avec sa compagne pour visiter vingt-six lieux, des villes dont le nom commence par une lettre de l’alphabet.
 «Des lieux. De A à Z, cela fait vingt-six. Un mois, cela fait trente. C’est ce qu’a dit le docteur. Ou vingt-neuf ? En quelle année sommes-nous ? Vingt-huit ? Un mois, à peu de choses près.» (p.47)
Une décision étrange? L’alphabet tient une place importante dans la vie d’Ambroise. Ses patronymes couvrent l’alphabet. Le A d’Ambroise, du prénom, mène au Z final de Zéphyr, son nom de famille. Il est marié avec Zappora Ashkenazi, alias Zip. Du Z cette fois au A. Ils étaient faits pour se rencontrer.

Voyage

Le couple quitte l’Angleterre pour Amsterdam. Il y aura Berlin, Chartres et l’île d’Elbe. Dans chacune de ces villes, Ambroise visite des musées, les cathédrales et les galeries, s’attarde devant des œuvres d’art, des monuments architecturaux et des toiles de grands maîtres. Il n’y a que l’art pour glisser hors du temps et effleurer l’immortalité. Une course contre la montre, contre la mort certainement.
«Elle essaya de penser à des façons astucieuses de redéfinir l’ordre alphabétique, mais son cerveau refusa l’exercice, préférant imaginer un vrai repas, des vêtements propres, une sieste, un coin tranquille au bord de l’eau avec vue sur la cathédrale. Au minimum, manger, changer de sous-vêtements et se reposer pour passer le temps pendant qu’Ambroise irait à l’église.» (p.65)
Qu’est-ce qui devient important quand on sait la fin arriver? Un voyage de ville en ville pour découvrir le secret de l’immortalité ou les petits plaisirs que l’on s’offre quand plus rien ne vous bouscule.
«Ce n’est qu’une histoire. La vie continue. La mort continue. C’est simple. Simple comme tout.» (p.98)
Simple surtout quand l’autre est concerné.

L’art

Ambroise scrute des tableaux qui traversent les siècles, se retrouve devant une pyramide, ces monuments à la mort, fige devant une toile de Rembrandt, tente de saisir cette vérité fuyante qui cerne la vie.
Zappora et Ambroise manqueront de temps. Ils rentrent quand la santé d’Ambroise se détériore. A partir de la lettre M, tout bascule. Il tente de rêver le voyage. Mumbai, New York Osaka et… la fin est là.
«Elle l’aida à se mettre au lit, ajouta une couverture de son côté pour l’empêcher de trembler et s’enroula autour de lui. Elle oscillait au bord du sommeil quand l’atmosphère de la petite maison victorienne s’épaissit brusquement. Le silence l’éveilla en sursaut.» (p.145)
Zappora survit, un peu égarée dans son corps, dans ses pensées, incapable de reprendre la course. C’est peut-être en effleurant la mort qu’elle vit pleinement, vibre, devient entière et présente.
«Zip resta encore un peu, perdue dans la contemplation du parc désert. Il se mit à pleuvoir. Elle ouvrit le carnet qu’elle avait déniché dans une librairie d’Amsterdam. Avec douceur, Zip vida soigneusement le contenu de la pochette dans la valise d’Ambroise. Elle mit la main dans une poche du veston et en sortit un caractère d’imprimerie. Un caractère gras, sans sérif. Elle resta un instant immobile, puis remit le petit bloc de bois à sa place.» (p.148)
J’ai pensé souvent à «L’écume des jours» de Boris Vian en lisant C. S. Richardson C’est du même niveau. L’allégorie est magnifique, séduisante et irrésistible. Il y a là un appétit de vivre, une joie qui soulève et transporte. Les œuvres qui réussissent cet exploit, on les compte sur les doigts de la main. Quel bonheur de parcourir cette fable qui touche l’innommable avec une délicatesse rare. À lire avec toute l’attention possible pour comprendre un peu mieux la vie ou la mort. L’amour aussi.

«La fin de l’alphabet» de C.S. Richardson est paru aux Éditions Alto. 

vendredi 1 octobre 2010

Les amours impossibles de Sophie Bouchard

Sophie Bouchard récidive avec un roman d’amour et de désespérance, deux ans après la parution de « Cookie ».
L’univers marin est plus présent que jamais dans « Les bouteilles ». La mer devient un personnage qui rythme les jours et les nuits, tord les êtres dans leur solitude. Un univers de fureur et de silence.
Il faut un temps cependant pour découvrir le drame de Cyril qui s’est exilé sur un piton rocheux au milieu du grand fleuve. Depuis des années, il vit en marge des humains.
« Je vis dans un enfer, un phare entouré d’eau. Pas de terre à des kilomètres. » (p. 11)
Tout change avec l’arrivée de Frida et Clovis, un couple que l’isolement défait rapidement. Elle est rêveuse, aimante et sensuelle. Lui devient muet et indifférent, ne rêvant que d’automatiser le phare et d’en chasser les humains.
« Clovis ne s’arrête pas à écouter cette substance tangible et figée dans les longs silences de son amoureuse. Il justifie son caractère discret en la décrivant comme une personne sereine. En paix. Il ne voit pas ses yeux toujours humides. Un regard qui désire s’accrocher à une parcelle de terre cachée derrière la brume. Les vagues. Les jours où la silhouette de son village apparaît dans les montagnes, Frida se dénoue. Sa tête se remplit d’odeurs connues et rassurantes. Elle transpire la libération. Elle habite son corps. » (p. 17)
Le couple est désarçonné par les vents, les brouillards et les marées. Il n’y a qu’Armand, le commissionnaire, pour apporter un moment de répit. Le passeur s’amuse de la fureur des eaux avec ses provisions de mots.

Défaite

Le lecteur comprend peu à peu que Cyril est allé au Sénégal avec Rosée. Un séjour qui a failli le tuer. La misère, l’exploitation, les « boat people » qui prennent la mer, les corps roulés par les vagues à chaque matin, il n’en pouvait plus.
« Il quittait le confort d’un pays dévasté. Jardiniers. Cuisiniers. Gardiens de nuit. Ménagères. Une qui lavait les vêtements. L’autre qui époussetait les meubles. Une autre pour les carreaux et les planchers. Encore une pour balayer la cour. Rosée et Cyril avaient goûté à la richesse et leur maison se gérait comme une entreprise. Des employés à payer. Ils ne savaient plus que faire de leurs dix doigts. Ils engageaient les voisins pour qu’ils puissent se sortir la tête de l’eau et nourrir leurs familles nombreuses. Rosée adorait cette fourmilière, cette maison toujours pleine. Cyril culpabilisait et participait aux tâches quotidiennes. »  (p.105)            
Il est rentré. Rosée est restée. Après des années, elle lance des appels à son amoureux. Elle coule, elle meurt. Cyril tarde à répondre.
La mer amplifie les tensions. La tempête se déchaîne. Des vagues comme on en voit seulement dans les romans. Le phare est détruit. Clovis est emporté par une vague. Cyril et Frida retrouvent la côte. Ils sont devenus des naufragés qui tentent de colmater leur vie. Elle va au Sénégal et lui arrive trop tard. Rosée s’est jetée à la mer. Peut-être que c’est elle qui est venue buter contre le pic rocheux dans sa folle désespérance. Frida et Cyril ne peuvent qu’être une présence à l’autre après tout ce qu’ils ont vécu. C’est ce qu’ils peuvent après les tempêtes de l’amour.
L’aide au pays en voie de développement est questionné, le déséquilibre planétaire, la répartition des richesses, les iniquités et l’exploitation. Sophie Bouchard questionne des façons de vivre. La planète est en danger et si plusieurs lancent des bouteilles à la mer, ils ne reçoivent des réponses que rarement.
Une écriture haletante, épousant les vagues qui butent contre le phare et imposent la cadence. Comme dans « Cookie », les relations amoureuses s’avèrent impossibles. Chacun s’enferme dans son soi et n’arrive pas à s’ouvrir à l’autre. Il est toujours trop tard quand l’un pose un geste ou répond à l’appel de détresse. Une vision pessimiste ? Peut-être mais combien riche. On le sait, les grandes histoires d’amour finissent mal. Un roman enlevant, dense et particulièrement fascinant.

« Les bouteilles » de Sophie Bouchard est publié aux Éditions La Peuplade.

mardi 21 septembre 2010

André Carpentier flâne dans les cafés

Après «Ruelles, jours ouvrables», André Carpentier récidive avec «Extraits de cafés» où il s’attarde dans ces établissements qui prolifèrent dans tous les quartiers de la ville. Ces lieux ont leurs réguliers, leurs visiteurs occasionnels, des originaux qui attirent le regard selon les heures.

«Voilà, c’est ainsi, je crois, qu’à mon totem de flâneries, j’ai ajouté les cafés, avec leurs personnages et leurs faits quotidiens, qui forment l’armature de ces pages. Je me croyais toujours obsédé par le réseau des ruelles ; en fait, je nomadisais déjà d’un café à l’autre, comme qui s’éprend d’un nouveau territoire, et rapiéçais mes carnets à coups de notules, d’ajouts, de renvois.» (p.11)
Des endroits où il est possible de refaire le monde, de retrouver des connaissances où simplement lire le journal en dégustant un espresso. Tout dépend de l’heure et du lieu. La clientèle, près de l’Université du Québec à Montréal ou dans le nord de la ville, n’est pas la même. 

Des mondes

Ces lieux de retrouvailles, de reconnaissances, de réconciliations, d’amours qui naissent ou s’effilochent au hasard d’un courant d’air ou d’un rayon de soleil sur un coin de terrasse, fascinent. Chaque café a son petit quelque chose, un décor qui crée une ambiance, des arômes singuliers.
«Il y a dans l’aura des cafés, c’est-à-dire dans la constellation des traces humaines qui y sont associées, une chose singulière et enviable qui est la lenteur. Je veux dire cette disponibilité fluide qui est le fait de celui qui se donne le temps de regarder, d’écouter, de rêver, de maintenir ce que Pierre Sansot appelle un ennui de qualité.» (p.48)
Regards échangés, sourires, dialogues qui s’engagent ou qui tombent dans l’oreille du solitaire.
«Dans un café qui baigne dans une ondée de sueurs chaudes, je m’installe sur une banquette latérale où je ne gênerai personne, les joueurs de dominos, les lecteurs de journaux, les ressasseurs de passé, les brasseurs de politique. J’aime ces angles d’où l’on peut tout voir d’un café, dans son ensemble comme dans ses détails, grignoter les schizos, se taquiner les serveuses, entrer les désenchantés, déguerpir les pressés…» (p. 76)

Successions

Carpentier y retrouve des visages à chaque jour. On s’y confie, on comble la solitude, on tente d’attirer l’attention quand on s’y glisse à l’heure de l’apéro. Le café connaît des marées, des reflux, des poussées fascinantes à observer et à décrypter.
Dommage que Carpentier n’identifie jamais ces endroits. Nous apprenons parfois que nous sommes près de l’Université du Québec à Montréal ou dans tel quartier. Il lui arrive aussi de se faire la dent sur un écrivain ou un poète sans le nommer. Cette méchanceté anonyme est un peu agaçante. Bien sûr, nous sommes tous des inconnus dans ces endroits. Mais quand on choisit de s’y attarder et d’écrire, il faut le courage de dire ce qui doit être dit.
«Cette comédienne, qui, juste à commander un Perrier, prend l’allure d’une starlette qui s’ébroue les aigrettes. Elle paraît scruter tout un chacun à tour de rôle, mais en réalité, elle ne fait que vérifier si on ne la regarde pas. On dirait qu’elle ne paraît pas assez tranquille avec elle-même pour avoir ne serait-ce qu’un peu de curiosité pour les autres.»  (p.191)
Et il y a ces débuts de fragments qui jouent tous du «que»... «Un de ces jours que je mets trois secondes… Un jour que je suis disparu des…» Cette fréquence du «que» a fini par gâcher ma lecture. Carpentier nous a habitués à mieux.
Peut-être qu’il aurait fallu élaguer, resserrer et surtout s’attarder pour découvrir des hommes et des femmes qui vivent l’amour, la maladie, la vieillesse et la peur, qui se réfugient peut-être dans ces lieux publics pour oublier un moment leurs craintes ou leur joie... Nous passons à côté de quelque chose.

«Extraits de café», d’André Carpentier est paru aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/andre-carpentier-1010.html

lundi 20 septembre 2010

Ying Chen jette une douche d’eau froide sur le monde

Autant j’ai aimé « Immobile » et « L’ingratitude » de Ying Chen, autant j’ai eu du mal avec « Querelle d’un squelette avec son double » et « Quatre mille marches ». Assez pour ignorer la prose souvent alambiquée de cette écrivaine, ses parutions en 2006 et 2008.
Avec « Espèces », l’écrivaine d’origine chinoise signe un court texte étonnant comme toujours. Une femme disparaît aux yeux des humains, se réincarne en chatte et continue sa vie auprès de son mari. Une bête au poil soyeux qui se souvient de tout même si elle a perdu l’usage de la parole.
Rien n’allait plus avec A. le mari. Surtout depuis la disparition de l’enfant qu’elle avait trouvé sur le pas de sa porte et adopté. Comment se produit cette métamorphose ? Le lecteur ne le sait pas et ce n’est pas là le propos de la romancière.
« Je me félicite de ma renaissance un peu décadente si on veut le croire, apparemment peu prometteuse, mais qui m’assurera, telle une récompense matérielle, j’en suis persuadée par l’expérience de mes autres vies, une capacité d’idolâtrer, un pouvoir de séduire, une possibilité de rendre A. plus viril, plus à son aise, plus amoureux, en le laissant triompher sur moi. » (p. 14)

Découverte

Le félin goûte à la liberté de circuler et de jouer, aux odeurs de la ville, aux charmes de la nuit et du jour. Elle découvre la générosité des gens et les chats du quartier qui n’en mènent pas large. Tous sont castrés, repus, trop gras, dorlotés par des maîtres qui comblent ainsi un manque d’affection.
Cette entourloupette permet à Ying Chen de jeter un regard singulier sur les hommes et les femmes, leurs façons de vivre et leurs préoccupations souvent futiles.
« La communication n’est jamais possible avec l’autre parce qu’il n’écoute pas, que personne ne l’intéresse jamais vraiment. Sa tête est remplie d’idées à lui, il n’y a plus de place que pour les informations impersonnelles en tant que sources d’idées, que pour des citations d’étrangers, de préférence illustres, comme simples supports de sa pensée. » (p. 46)
La nouvelle représentante de la race féline a peu de considérations pour l’espèce supérieure de la création même si elle vénère son maître, plus même que du temps où elle était femme.
« Lorsque, du haut de ma fenêtre, j’aperçois leurs silhouettes et leurs mouvements à travers les arbres, à travers la vitre de ma fenêtre, je vois peu  de différence entre eux et la famille des rats, des oiseaux ou des fourmis. L’univers rajeunit quand il se libère des humains, de leurs regards réprobateurs pour je ne sais quelles raisons ni de quels droits, de leur pensée bruyante, assommante et savamment hypocrite, de leur mémoire et de leurs trésors pourris. » (p.62)

Rencontre

Peu à peu la jeune chatte apprivoise A. et c’est le bonheur parfait jusqu’à ce qu’une autre femme arrive dans la maison. Les deux femelles deviennent des rivales. C’est même amusant quand elle décrit les ébats amoureux de A. avec sa nouvelle flamme.
« Puis ils se précipitent dans l’escalier, appelés par une autre faim plus impérieuse. Bientôt la maison est remplie de bruits suspects, de gémissements et de respirations fortes, de frottements de pieds de chaises sur le plancher, de chocs de tête contre le mur… On croirait que les squelettes dans la cave se mettent à danser. » (p. 178)
Rien ne trouve grâce aux yeux de la chatte. Elle subit l’opération qui la rend stérile et se retrouve moins alerte et plutôt indifférente. C’est peut-être ce qui attend l’humanité.
Je ne sais pourquoi, j’ai eu l’impression tout au long de ma lecture de n’être pas dans le coup. Peut-être la façon de dire et d’écrire toute en circonvolutions qui tient à distance. Ce qui est souvent très dur et outrancier fait plutôt hausser les épaules.
Il s’avère difficile de suivre les personnages de Ying Chen, d’adhérer à ses curieuses histoires. Dommage parce que l’idée est excellente et le regard percutant.

« Espèces » de Ying Chen est publié aux Éditions du Boréal 

dimanche 19 septembre 2010

Claude Jasmin ne cesse d’explorer son enfance

Les copains avec qui Claude Jasmin jouait au cow-boy dans les ruelles le surnommaient «Papamadi». Voilà qui explique l’étrange titre de son dernier roman. Le jeune garçon, tout comme l’adulte, ne résistait jamais au plaisir d’épater l’auditoire. Il avait l’habitude de lancer ses récits en disant : «Papa m’a dit», manière de remplacer le «Il était une fois».
 Parce que le parternel de Claude racontait des histoires curieuses où voyantes et mystiques arboraient des stigmates, saignaient à tous les vendredis et se coltaillaient avec le diable. Catherine Emmerich, Thérèse Neumann, Marie-Louise Brault, Marthe Robin, Bernadette Soubirous et bien d’autres. Ces noms ne diront rien à ceux qui ont moins de quarante ans. Ces femmes conversaient avec Dieu, voyaient la Vierge, guérissaient les malades et accomplissaient des miracles. Elles étaient l’objet de véritables cultes.

Souffrances

Jasmin père s’attardait aux souffrances de ces mystiques et raffolait des détails qui effarouchaient l’enfant.
«C’est pas tout ça, mon gars, sous les yeux du procurateur Ponce Pilate qui, on le sait, s’en lavait les mains, il y a eu 72 crachats. Tu as bien entendu : 72. N’oublions pas le sang versé, 230 000 gouttes. » Papa fait beaucoup de fumée et ajoute : « Maintenant, mon gars, voici pire que pire : il y a eu… 600 200 larmes.» (p.10)
Des statistiques qui ne pouvaient que faire trembler un enfant sensible et l’empêcher de dormir.   
«Peu à peu, des gens de partout en Allemagne se rendent à la maison de ferme. Ils voient Thérèse qui souffre, qui crie, qui pleure, qui se tord de douleur parfois. Et ça c’est spécial, mon gars, elle lévite ! Tu entends ? La voilà comme soulevée au-dessus de son lit dans cette chambre modeste… … Sais-tu le plus fantastique ? Durant ses visions, cette femme ignorante parlait couramment en araméen ! C’est la langue que parlait Jésus.» (p.15)
La vie des mystiques mais des confidences qui bouleversaient l’enfant. Son père n’était peut-être pas heureux de sa vie.
«Tu sais mon garçon, j’aurais pas dû me marier, ma vraie vocation c’était prêtre, même que je dirais, moine. Dans un monastère, j’aurais été un homme heureux.» Je suis mal à l’aise, et je m’inquiète : est-il malheureux? Il enchaîne : «Durant mon voyage de noces, la croisière sur le Saguenay, un matin j’étais sorti sur le pont, j’ai pensé à me jeter dans le fleuve.» (p.45)
Son père a songé au suicide, pendant son voyage de noces. Troublant. On touche le cœur du récit, mais malheureusement Claude Jasmin ne s’y attarde pas.

Fascination

L’écrivain oublie l’ordre chronologique, retourne dans sa petite enfance et nous ramène à la mort du père, alors qu’il est chef de famille et qu’il en mène large dans les médias et à la télévision. Des moments précieux, des rencontres où le fils et le parternel se retrouvaient en tête-à-tête au chalet ou encore partaient en expédition. Les affrontements aussi quand l’adulte se dressait devant son géniteur pour démontrer que «ses mystiques» étaient des tricheurs. Une relation d’amour qui avait souvent du mal à se dire.
«J’étais un révolté. Aussi contre lui, ce père bigot ? Sans doute. Pourtant ça n’était pas très clair, car je l’aimais aussi. J’aimais tant ces drôles de tableaux qu’il brossait, tard le soir, comme en secret, derrière son comptoir, entre les visites de ses clients, des zazous ! En somme, entre les séances des deux cinémas du coin de la rue.» (p.100)

Regard

Claude Jasmin a l’ âge maintenant de regarder derrière son épaule pour s’attarder à ce qui a fait sa vie d’écrivain, d’artiste en arts visuels, de conteur incomparable et de polémiste.
Dommage qu’il y ait autant de redites. Cette sombre histoire du frère Maximilien par exemple. On aurait pu écourter. Ce n’est pas ce qui retient le lecteur. On s’égare !
Reste que Claude Jasmin est un sacré conteur. Malgré un récit un peu écrianché, il captive le lecteur et nous plonge dans un univers de religiosité qui a hanté sa génération.

«Papamadi» de Claude Jasmin est publié chez VLB Éditeur.