Michael Ignatieff, dans «Terre de nos aïeux», s’attarde à ses grands-parents maternels, les Grant. Le plus mythique est certainement son arrière grand-père, George Monro Grant.
Né en 1835 à Pictou en Nouvelle-Écosse, George Monro Grant étudie en Écosse et revient à Halifax comme pasteur. Collaborateur au journal «The Chronicle Herald» il prône l’adhésion de la Nouvelle-Écosse à la confédération canadienne.
En 1872, il traversera le Canada, note tout dans ses carnets. Il publie son récit de voyage en 1873. Sa mission est de voir s’il est possible de construire une voie ferrée qui ira de l’Atlantique au Pacifique.
Les bateaux et le train n’allaient pas plus loin que «Collingwood, sur la rive sud du lac Huron», explique le chef du Parti libéral du Canada. «C’est là que s’arrêtait le Canada, du moins en ce qui concerne le chemin de fer». Les aventuriers ont dû faire le reste du voyage à la manière des coureurs des bois. «À mi-chemin de la traversée du continent, le cheval, la charrette et le canot se substituaient aux moyens de transport modernes.»
Premières nations
Les voyageurs croisent des métis et des autochtones. Des réflexions surgissent sous la plume de l’observateur.
«Et maintenant une race étrangère envahit le pays et trace des lignes pour ériger des clôtures et dire «Ceci est à moi, pas à vous» jusqu’à ce que le propriétaire d’origine ait tout perdu. Tout cela est peut-être inévitable, mais pour agir comme nous voudrions nous-mêmes être traités, au nom de la Justice et du «droit sacré» à la propriété, ne faudrait-il pas assurer à l’Indien une compensation généreuse et, si possible, permanente.» (p.53)
Le train sera construit. L’Ouest s’ouvrira à la colonisation et Louis Riel est pendu. C’est la fin du rêve d’une nation métisse et francophone. Quant aux autochtones, ils ne sont toujours pas reconnus et les négociations de l’Approche commune s’éternisent.
Pédagogue
Le grand-père William Lawson Grant participe à la Première Guerre mondiale et ne s’en remettra jamais. Il connaît cependant une brillante carrière comme pédagogue à Upper Canada College.
«Il souhaitait que l’école s’inspire de la méthode française d’enseignement des langues, qu’il avait tant admirée à Paris. Il voulait qu’il y ait moins de latin et de grec et davantage de sciences et de mathématiques, moins d’examens et plus d’éducation physique. L’enseignement devait être ouvert à l’actualité et au reste du monde, et il fallait offrir des bourses d’études pour les garçons issus de familles pauvres.» (p.117)
Le plus original sera l’oncle de Michael Ignatieff, George Parkin Grant. Pacifiste, il refuse de s’enrôler lors de la Seconde Guerre mondiale, préférant «servir» dans les quartiers populaires de Londres que les Allemands bombardent. En 1965, il écrit un essai où il questionne l’avenir du Canada.
«Le postulat de Lament for a Nation est simple et direct. Le Canada est passé du statut de colonie à celui de nation pour redevenir une colonie. Le pays est passé de l’assujettissement à l’Empire britannique à une soumission à l’impérialisme des Etats-Unis. Dans ce processus, il a perdu son identité et son âme. Ce n’est plus qu’une question de temps : il va disparaître.» (p.156)
Rêver le Canada
Michael Ignatieff, descendant de réfugiés russes arrivés au pays en 1928, rêve d’un Canada où le Québec pourra exporter son électricité dans l’Ouest et le Manitoba son pétrole dans l’Est. Avec John Saul, il croit à la présence canadienne dans l’Arctique. «Aimer un pays est un acte d’imagination. …Nous ne connaissons qu’une partie de la réalité. Il faut imaginer le reste», écrit-il dans son introduction.
Un livre intéressant pour les figures évoquées et aussi pour l’esquisse de ce qui pourrait devenir le programme du chef du Parti libéral du Canada. L’auteur aurait pu s’attarder un peu plus aux femmes de la famille Grant qui semblent aussi intéressantes qu’originales.
«Terre de nos aïeux» de Michael Ignatieff est publié chez Boréal Éditeur.