«Je ne sais pas, Philippe, si en vieillissant on
devient réac, mais il est vrai que je m’impatiente devant les gens qui
téléphonent au volant, comme j’ai envie, à l’épicerie, d’engueuler les vieux
qui cherchent leur petit change à la caisse. Et je sais bien, Philippe, je le
ressens profondément, qu’il y a quelques années à peine, la loi enfreinte et le
temps perdu ne m’apparaissaient pas comme des motifs d’impatience, ni de
valables raisons de discordes.» (p.9)
Patrick Nicol enseigne dans un cégep et il a vécu
de près la grogne étudiante qui s’est transformée en un cri de toute une
population qui en avait ras le bol. La crise a fini par s’essouffler avec l’été
et les élections automnales, mais elle a laissé des traces.
Dérangement
L’enseignant a été troublé comme beaucoup de ses semblables
au Québec. Dans «Terre des cons», le narrateur s’adresse à un ami, un collègue
de travail. Les deux croient en la littérature, le beau, l’art de vivre et un
certain raffinement. Ils ont mis une vie à se sortir de l’ignorance.
«Je me suis constitué de savoir et le savoir à son
tour m’a formé. Rien dans mon identité ne me semble plus personnel que mes
lectures, mes écritures, pas même les belles expressions de ma mère, les
deux-trois habiletés que mes parents m’ont transmises — cuisine hygiène,
menuiserie —, pas même certaines taches, acrochordons ou épi récalcitrant dont
j’ai hérité et que j’aurais transmis si je m’étais reproduit.» (p.33)
Cette façon d’être, de voir le monde et de
l’interpréter ne semble plus tenir. Tout bascule dans le récit de Nicol. Les
certitudes fuient dans toutes les directions.
Questionnement de la culture, des étudiants, de
leur indifférence devant certains textes, leur incapacité à lire et décrypter
l’ironie dans une chanson. Le constat est dur, peut-être vrai. Pourtant, les leaders
de la contestation étudiante étaient magnifiques et rassurants. Il doit y avoir
des exceptions, j’espère.
Notre professeur bascule dans l’alcool, n’arrive
plus à dormir, se gave d’informations à la télévision, guette les nouveaux
voisins qui multiplient les soirées arrosées où les mêmes propos reviennent
comme un CD accroché à une phrase musicale.
Questionnement
Qu’est la culture? Quelles sont les assises de
notre société? Où allons-nous? Que retenir de ces manifestants qui ont bloqué
les rues de Montréal en jouant de la casserole?
L’écrivain n’est guère tendre envers les médias et
surtout un certain chroniqueur. Comment ne pas reconnaître Richard Martineau, même
s’il ne le nomme jamais.
«Le Chroniqueur avait vu des étudiants boire une
sangria sur une terrasse. Paraît même qu’ils parlaient au téléphone: ce
spectacle l’avait indigné. Il voyait là la preuve que tous les étudiants
étaient des privilégiés qui pouvaient se payer l’augmentation des frais de
scolarité qu’imposait le gouvernement — une facture presque doublée —, et
contre laquelle ils faisaient la grève.» (p.41)
Devenons-nous tous des réactionnaires en prenant de
l’âge? Que faire quand on trouve que les jeunes sont paresseux et qu’ils
manquent d’orgueil? On a parfois l’impression que le narrateur et ses étudiants
vivent dans des mondes différents.
Remise
en question
Patrick Nicol tente de s’accrocher devant des
voisins qui bousculent sa quiétude, cet ami homosexuel qui échappe au temps et
aux remises en question. Julie aussi, sa blonde, qui trouve une nouvelle énergie
en participant aux manifestations. Est-ce là la fête, le lieu où tout devient
possible, même un retour vers la fougue de la jeunesse? L’enseignant se sent en
dehors de tout, perdu et dépassé.
Un regard impitoyable et nécessaire. Difficile à avaler,
mais combien juste. Le monde carbure aux clichés, aux raisonnements abscons et
aux sophismes qui font gonfler les cotes d’écoute des médias où la bêtise devient
des dogmes. Patrick Nicol provoque un véritable «tremblement d’être», questionne
nos regards, nos réactions devant des événements qui secouent notre confort,
peut-être aussi notre indifférence. Un court roman qui vise juste et soulève
pas mal de questions.
«Terre des
cons» de Patrick Nicol est paru aux Éditions La Mèche.