Étienne, un chercheur, a perdu le goût de vivre. Fin de la quarantaine, fort d’une carrière ponctuée de colloques et de conférences à l’étranger, il stagne dans une forme de grisaille. La vie est un fardeau pour Jean-François Chassay dans «Sous pression».
«Depuis des années qu’il se voyait dépérir, selon les critères qu’il se donnait lui-même, il envisageait les modes de suicide les plus variés, du plus banal au plus extravagant, éliminant les méthodes stupides, consistant par exemple à se jeter devant un métro. Cette avenue idiote ne fonctionne presque jamais, on risque de se retrouver estropié sans être plus avancé, on traumatise un chauffeur et on met des gens en retard, ce qui reste une manière platement narcissique d’attirer l’attention.» (p. 21)
«Depuis des années qu’il se voyait dépérir, selon les critères qu’il se donnait lui-même, il envisageait les modes de suicide les plus variés, du plus banal au plus extravagant, éliminant les méthodes stupides, consistant par exemple à se jeter devant un métro. Cette avenue idiote ne fonctionne presque jamais, on risque de se retrouver estropié sans être plus avancé, on traumatise un chauffeur et on met des gens en retard, ce qui reste une manière platement narcissique d’attirer l’attention.» (p. 21)
En bon scientifique, il prendra une décision après avoir soupesé le pour et le contre. Il convoque des connaissances, des amis, neuf hommes et des femmes pour l’aider à voir clair.
«Alors il s’était proposé un plan, désespéré (ou désespérant, il refusait de trancher). Lui qui connaissait bien des gens, depuis le temps, avait décidé pour une fois de penser à lui. De ne s’intéresser qu’à lui. De se donner une dernière chance. En demandant, pour une fois, de l’aide. L’aide des autres.» (p. 23)
Une collègue de travail, un vétérinaire, un cinéaste, un psychologue ou une peintre doivent lui donner une raison de vivre ou de mourir… Ces rencontres devraient permettre à Étienne de cerner le pour et le contre qui plaident en faveur de la vie ou de la mort.
Égoïsme
Les interlocuteurs ne savent que parler d’eux et de leurs obsessions. Certains propos étonnent, ceux du psychologue entre autres qui se montre particulièrement dur envers les Québécois et Montréal.
«Le Québécois est dans le meilleur des cas un trou de cul infantile, dans le pire un porc infantile. Je m’égare. Mais c’est justement ce qu’il faut.» (p.57)
Pas de quoi vouloir s’incruster dans une telle population.
Étienne doit continuer son chemin de croix, de plus en plus épuisé, de plus en plus seul.
«Son esprit, pour le moment, s’étiole dans une sorte de vide. Il se contente de suivre le mouvement du wagon. Il souffle sept fois, comme s’il voulait saisir un rythme qui lui appartiendrait. Il souffle sept fois et voit sept étoiles apparaître devant ses yeux. Sept étoiles, sept lumières, du feu. Un brasier. Et pourtant, il ne ressent rien.» (p.28)
Est-il possible de trouver des raisons objectives qui font choisir la vie… ou la mort? Les raisons scientifiques et les équations qui feraient en sorte qu’Étienne ait la certitude qu’il va faire le bon choix existent-elles?
«Avait-il tout son temps ou au contraire devait-il se dépêcher pour utiliser au maximum les possibilités de cette journée ? Son attitude ressemblait plutôt à l’attente d’un signe qui lui indiquerait la route à suivre. Une sorte de miracle du destin. Pour un athée comme lui, lecteur de Richard Dawkins depuis toujours même si la question de l’évolution l’intéressait modérément, on pouvait y voir de l’ironie. On pouvait même se permettre d’en rire.» (p.107)
Questionnement
On y côtoie des figures historiques, des gens qui ont dû répondre un jour ou l’autre au questionnement d’Étienne.
«Le voilà toujours aussi immobile, au carrefour de la rue Laurier et du boulevard Saint-Laurent. Il ne reste tic-tac plus que tic-tac quelques tic-tac minutes tic-tac avant minuit. Peut-être… non, certainement qu’il se demande : et maintenant ? En effet : maintenant. Il y a des limites à tergiverser.» (p.225)
À la fin, tout est possible, comme tout peut s’arrêter. C’est peut-être là le sort du vivant. Il n’y a jamais de certitude. Tout est une question de regards, de pulsions et de désirs. L’empathie entre les êtres humains n’existe pas chez Jean-François Chassay. Tous sont prisonniers de leur individualisme. Écouter l’autre, le comprendre, l’accompagner ne fait pas partie de leurs habitudes. Portrait fort dérangeant de notre époque? Peut-être…
Ce récit grinçant nous laisse avec nos questions. Le choix de vivre semble tout aussi absurde que celui de mettre fin à ses jours.
«Sous pression» de Jean-François Chassay est publié aux Éditions du Boréal.