lundi 16 mars 2020

SOPHIE LÉTOURNEAU EN CHASSE

JE ME SUIS RAPIDEMENT ATTACHÉ à cette narratrice qui, pour trouver l’âme sœur prend tous les moyens, consulte même une voyante qui indique le chemin à parcourir. Et en même temps, j’ai toujours eu l’impression d’être à côté du vrai récit qui nous pousse comme une vague vers l’écriture, une manière de secouer la vie qui ne cesse de fuir en faisant des bonds ? La littérature est-elle le fruit du présent, du passé qui parvient à modeler l’avenir ? La question m’a hanté tout au long de la lecture de Chasse à l’homme de Sophie Létourneau.

Le titre de ce récit n’est pas banal, peut provoquer des quiproquos ou des attentes. Une battue symbolique bien sûr, pour croiser l’amoureux qui va tout changer. Sophie Létourneau l’imagine tel un personnage de roman. Il est Français et elle devra s’exiler à Paris pour connaître la grande aventure. C’est ce qui m’a fasciné dans ces fragments qui m’ont fait penser à des papiers que l’on colle à un tableau pour se faufiler dans une fiction. Non pas que le texte soit tortueux, mais un mot, une phrase vous arrête, une empreinte révèle la présence d’un être vivant qui vous suit peut-être depuis un bon moment. La vie est comme ça. Un bond à gauche, un autre à droite et souvent des reculs.

Comme l’amour, l’avenir est d’abord une histoire que l’on se raconte. Une projection vers l’avant. À vingt-huit ans, ces deux dispositions dont je m’étais coupée - l’amour et l’avenir -, j’en suis devenue curieuse. (p.13)

Ce texte oscille entre la réflexion, la lecture de certains ouvrages, la vie avec ses références à des personnes réelles. La trame est là, mais il y a toujours ce retour sur soi, comme si l’auteure regardait dans un rétroviseur où défile son vécu, tout en fonçant vers demain. Un récit, un journal, une fiction avec cette voyante qui tire les rideaux pour montrer la direction à prendre. Et me voilà tout méfiant, sur mes gardes. Ce n’est peut-être que l’entreprise d’une lectrice qui se projette dans l’espace pour mieux cerner son histoire. Comment savoir ? Des fragments, des réflexions ciselées comme des bracelets qui tintent au moindre geste. Regard sur l’amour, la mort, les études et l’acte d’ancrage qu’est la plongée dans la littérature.
Drôlement intelligent.
Souvent, j’ai eu l’impression de frôler des aphorismes, un moment de vie qui se referme tout doucement. Ce qui m’a fasciné dans cette entreprise, c’est le mélange de quête fictive et un réalisme qui nous fait rencontrer des écrivains, participer à des événements. La certitude que j’aurais pu être à un lancement au Port de tête et de boire un verre avec l’auteure.

Dans mon journal, on lit : Je veux écrire un livre sérieusement frivole. Me saisir d’une thématique loin de moi, éperdue. D’un cliché, une femme qui cherche l’amour à Paris, faire un livre bizarre. Un album aux entrées multiples, quelques artéfacts, anecdotes disparates, portraits et objets trouvés. Montrer l’intelligence derrière le désir d’être aimée. (p.30)

Sophie Létourneau réussit parfaitement cette entreprise déstabilisante. Et comment ne pas être séduit par les images, cette parole, ce regard qui transforme une vie et vous pousse dans des directions imprévues.

À Montréal, je ne t’ai pas cherché. J’étais amoureuse du petit japonais. Mais je craignais aussi le pouvoir de l’écriture. Wajdi Mouawad m’avait dit que j’étais une sorcière. Pierre Bayard avait confirmé que la vie de beaucoup d’écrivains s’inspirait de leurs livres. Et je n’étais pas prête, dans ma vie comme dans mon travail, à me lancer dans une nouvelle histoire. (p.136)

Rien n’est banal dans ce récit malgré les apparences. Un ouvrage intriguant, qui bouscule comme tous les bons livres savent le faire.
Sophie Létourneau nous plonge au cœur de l’existence et de l’amour. Un manuel de survie en quelque sorte que l’on garde près de soi pour se retrouver dans un recoin du jour, à caresser les mots de cette magicienne qui invente des chemins qu’il ne faut jamais négliger.
Un livre qui nous pousse hors des sentiers battus et fait oublier les balises. L’impression de devenir le confident de cette femme, de la suivre dans ses questionnements et ses pérégrinations.
Fascinant, audacieux et envoûtant.


LÉTOURNEAU SOPHIE ; Chasse à l’homme, Éditions LA PEUPLADE, 216 pages, 21,95 $.

http://lapeuplade.com/livres/chasse/

Aucun commentaire:

Publier un commentaire