Vanessa Courville |
J’aime les études qui permettent de bousculer certaines œuvres
littéraires et d’aller plus loin dans la compréhension des écrivains. Malheureusement,
trop souvent, comme bien d’autres, j’imagine, je lis trop rapidement, glissant
à la surface d’un texte, happé par l’histoire ou par la cadence de la phrase. J’oublie
alors de m’arrêter, de me demander dans quoi j'avance, où l’action m’entraîne, d’interroger
ce que l’écrivain peut dissimuler dans une chambre. Les territoires imaginaires, lieu et mythe dans la littérature québécoise,
répond à plusieurs de ces questions. Le collectif dirigé par Vanessa Courville, Georges Desmeules et
Christiane Lahaie m’a fait découvrir des lieux réels et imaginaires, des
espaces étonnants que les écrivains scrutent d’une manière particulière.
Peu importe le
genre abordé, les auteurs ont besoin de s’ancrer dans un territoire et de
l’explorer pour le comprendre et y construire leur habitation. Michel Tremblay,
par exemple, n’a cessé de revenir à la rue Fabre du Plateau Mont-Royal. Tout
comme Michel Marc Bouchard ne se lasse jamais de parcourir le Lac-Saint-Jean
dans ses œuvres théâtrales. Je pense aux Feluettes
qui s’attarde à Roberval, au Peintre des
Madones qui nous attire à Saint-Cœur-de-Marie, son village d’origine, ou
Saint-Ludger-de-Milot dans Les Muses
orphelines. Et que dire du quartier Saint-Henri dans Bonheur d’occasion chez Gabrielle Roy. À peu près tous les écrivains
s’attardent sur des lieux qu’ils ont fréquentés dans l’enfance et qu’ils ont
quittés pour une raison ou une autre. Nicole Houde s’est souvent arrêtée à
Saint-Fulgence, près du fjord du Saguenay, avec Lise Tremblay dans La pêche blanche en particulier. Pierre
Gobeil n’a pas écrit Dessins et cartes du
territoire pour rien. L’écriture littéraire ou théâtrale permet de revenir
dans ces territoires et de les réinventer.
Les écrivains deviennent
des marcheurs de pays et ils ont besoin de ces espaces pour y construire des
abris et faire face à des questions qui les hantent depuis leur naissance. À la
fois réel, imaginaire, transformé, sublimé, détesté, dessiné à grands traits ou
à petites touches impressionnistes, le lieu devient un point de départ ou
d’arrivée.
Christiane Lahaie |
J’aime la patience
de ces lecteurs qui vont et viennent dans l’espace d’un roman, scrutent le
terrain comme les archéologues pour mettre à jour une problématique que l’écrivain
tente souvent de masquer. Ces chercheurs, cette fois, nous font faire une
visite à Victor-Lévy Beaulieu, Laure Conan, Nicolas Dickner, Fernand Daoust,
Anne Hébert, Louis Hémon, Jérome Lafond, Anne Legault, Catherine Mavrikakis,
Élisabeth Vonarburg et Fred Pellerin.
LIEUX CONNUS
Les endroits les
plus connus de notre littérature sont certainement la rue Fabre et le Plateau
Mont-Royal que Michel Tremblay n’a cessé d’évoquer, le Péribonka de Louis Hémon,
le Trois-Pistoles de Victor-Lévy Beaulieu ou la ville de Québec de Jacques
Poulin.
Sara Bédard-Goulet
s’invite dans la famille de l’auteur des Belles-soeurs,
s’attarde au lien incestueux qui unit Victoire et Josaphat, une transgression
qui donne naissance aux personnages qui forment la grande tribu de l’écrivain montréalais.
On
constatera que le lieu mythique de cette famille correspond à un espace
familier, c’est-à-dire la maison voisine, et les personnages féminins présents
dans cet espace renvoient à une filiation troublée par l’inceste à l’origine de
la famille. (p. 98)
Cette maison vide
hante l’œuvre de Tremblay, ces femmes que Marcel croise et rencontre, n’avaient guère retenu mon attention. Il faut dire que je suis un
mauvais lecteur de Tremblay et que je l’ai abandonné après Un ange cornu avec des ailes de tôle. Je trouvais qu’il se répétait
et tournait en rond. Sara Bédard-Goulet m’incite à revenir vers cet écrivain
dont j’adore le théâtre pour le parcourir dans tous ses territoires.
POULIN
Cette Amérique
amnésique que Jacques Poulin secoue quand il part à la recherche de son frère
dans Volkswagen Blues en compagnie de
la Grande Sauterelle hante plusieurs écrivains contemporains. Je pense à Éric
Dupont dans La fiancée américaine ou
encore Daniel Grenier avec L’année la
plus longue. Si Jack Waterman retrouve ce frère sans mémoire, peut-être à
l’image « de ce pays qui n’est toujours pas un pays » comme le dit si bien
Victor-Lévy Beaulieu, la Grande Sauterelle elle, confronte son passé et l’histoire
douloureuse des nations indiennes. Comment ne pas penser à Jack Kerouac hanté
par son passé familial, la langue du Québec qu’il a tenté de faire revivre dans
certaines oeuvres ? Il faut lire La vie
est d’hommage pour bien comprendre l’imaginaire et « le paradis perdu » de
l’auteur de On the road.
Pour
Jack Waterman et Pitsémine, le paysage américain recèle partout les restes d’un
passé tragique : celui qui a vu les peuples premiers disparaître ou presque. La
Grande Sauterelle est née dans la réserve de La Romaine ; elle est métisse. Le
chapitre consacré au Rocher-de-la-Famine, le Starved Rock situé dans le comté de LaSalle, Illinois, résume à lui
seul la portée du drame des Autochtones. (p.63)
La piste de
l’Oregon, le mythe de la frontière qui a marqué l’imaginaire des Américains, a
été pendant longtemps le territoire des inventeurs de pays francophones. Serge
Bouchard nous le rappelle dans Les
remarquables oubliés ou encore dans
Elles ont fait l’Amérique. Une histoire ignorée, des personnages qui deviennent
des incontournables pour qui s’intéressent aux grands espaces américains et aux
personnages qui les ont incrustés dans notre imaginaire.
ANNE HÉBERT
L’arrêt sur Les fous de Bassan par Audrey B Jones
permet de s’attarder en Gaspésie et de faire des liens avec Angéline de Montbrun de Laure Conan. Nous
y découvrons des zones troubles où l’inceste se pointe le nez. Dommage
cependant qu’elle n’aille pas plus loin dans son évocation de William Faulkner.
Je suis revenu souvent à cet écrivain qui a hanté nombre d’auteurs québécois.
Je pense à Alain Gagnon qui a transformé son pays du Lac-Saint-Jean à la manière
de Faulkner, rebaptisant le territoire de Saint-Félicien pour mieux échapper aux
carcans de l’histoire et permettre à son imaginaire d’aller dans toutes les
directions.
Impossible
d’oublier Victor-Lévy Beaulieu qui m’a accompagné depuis ma première
publication en 1970. Une œuvre avec ses hauts et ses bas, ses grandeurs et ses
misères, ses pas de côté et ses fulgurances. Sébastien Chabot s’aventure dans
le territoire des Magouas, particulièrement dans L’Héritage, le téléroman qui a marqué l’histoire de la télévision
et donné naissance à un roman remarquable. Encore l’inceste, ce mal
présent chez Anne Hébert, Laure Conan, Michel Tremblay, plus récemment chez Audrey
Wilhelmy. Il faudrait peut-être s’y attarder un jour ou l’autre.
Le pays des
Magouas, chez Beaulieu, permet de libérer tous les fantasmes. Les balises
tombent et les interdits s’évanouissent. Une manière de nous pousser dans l’inconscient,
de se livrer à des pulsions que la société ligote. J’aime aussi que Sébastien
Chabot nous confie ses ambitions d’écrivain et sa manière d’occuper le
territoire.
Or
cela rejoint ma propre démarche d’écrivain, où je m’efforce de mettre en scène
des personnages transformés en faire-valoir de leur environnement, démarche que
semble partager le romancier suédois Torgny Lindgren dans Fausses Nouvelles lors qu’il confie : « La seule façon, c’est
d’y inscrire des êtres humains. C’est ce que j’ai voulu faire tout au long de
ma vie, écrire des hommes pour le paysage. » (p.175)
Beau moment aussi
du côté de Fred Pellerin. Christiane Lahaie explique comment le conteur et
fabulateur transforme Saint-Élie-de-Caxton par la parole et son imaginaire. Une
manière de faire basculer ce village dans le mythe et la légende. Et que dire
du regard de Marie Hélène Voyer sur les bunkers et les bungalows. Impossible de regarder nos quartiers résidentiels d'un même oeil après cette lecture.
Une manière de
nous ouvrir les yeux, de prendre conscience de la partie invisible de l’iceberg,
de mieux comprendre le travail et les obsessions d’un écrivain. C’est ce qui
rend la littérature fascinante. Un texte littéraire n’est jamais saisi dans
toutes ses dimensions. C’est certainement pourquoi je passe tant d’heures à
lire mes contemporains et ceux et celles qui ont marqué l’histoire littéraire. Ces
écrivains réussissent toujours à m’étonner, à me surprendre et à ébranler mes
certitudes. Tous me permettent de mieux comprendre le Québec et certains lieux
que nous ne voyons plus pour les avoir trop fréquentés peut-être. Parce que pour
comprendre le Québec et les Québécois nous devons lire sa littérature et ses
œuvres marquantes. Il faudrait certainement que nos politiciens s’y mettent un
jour et arrêtent de se fier aux sondages qui ne sont que des aiguilles qui
saisissent nos humeurs aussi changeantes que les jours et les prévisions
météréologiques.
LES TERRITOIRES IMAGINAIRES,
LIEU ET MYTHE DANS LA LITTÉRATURE QUÉBÉCOISE de VANESSA COURVILLE,
GEORGES DESMEULES ET CHRISTIANE LAHAIE, une publication de LÉVESQUE
ÉDITEUR.
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