Roman d’action, d’intrigues
et d’espionnage presque, «L’invention de Louis» de Nicolas Tremblay bouscule
nombre de croyances et de certitudes. Une présentation percutante des
changements technologiques qui transforment la société. L’auteur analyse dans
cet ouvrage des concepts, des façons d’agir, d’étudier, de lire le monde et de
l’habiter. J’aime l’audace et la manière de l’écrivain, sa façon d’emprunter des
sentiers peu fréquentés.
Nicolas Tremblay, avec ses
parutions toujours un peu en marge, ne cesse de jongler avec des problématiques
troublantes. Dans un beau mélange de réel et d’actualité, l’auteur n’hésite jamais
à plonger dans des œuvres littéraires importantes et à fréquenter les écrivains,
à mettre en scène des personnages connus dans les médias. Il ose encore une
fois secouer des certitudes avec «L’invention de Louis», un roman
d’anticipation.
Je me suis vite retrouvé dans
une actualité fantasmée et combien réelle. L’auteur revient sur la construction
de l’aéroport de Mirabel, le fiasco du siècle que l’on a inauguré en grandes
pompes, le travail des journalistes à Radio-Canada, la poussée irrésistible de
l’informatique et la mutation de la pensée que cela entraîne.
Il y a surtout Louis, un
avatar de Louis-Philippe Hébert, poète, écrivain et éditeur, un passionné
d’informatique qui s’amuse à trafiquer les ordinateurs à une époque où ces
machines étaient encore des curiosités pour ne pas dire un fantasme. Louis
réussit avant tout le monde à inventer le traitement de texte et à imprimer des
documents à très grande vitesse. Cette découverte aura des conséquences importantes
et imprévues. Nombre de gens avec l’arrivée des ordinateurs ont perdu leur
emploi.
Il y a aussi des entreprises
comme IBM qui n’aiment guère qu’un obscur Québécois vienne jouer dans leurs
plates-bandes. On ne lésine pas avec ces marginaux qui parlent français en
plus. La révolution technologique engendre une véritable guerre de tranchées.
La trame de fond repose sur
«La manufacture à machines», un roman de Louis-Philippe Hébert. L’auteur, dans
ce livre paru en 2000, imaginait un monde où des appareils effectuaient à peu
près tout du travail des humains.
Mutation
Nicolas Tremblay ramène aussi
Marshall McLuhan, le penseur devenu célèbre en expliquant, dans une formule-choc,
que le médium est le message. Autrement dit, un moyen de communication comme
l’ordinateur modifie la pensée des utilisateurs et les réflexes de la société.
L’électricité est devenue le
système nerveux de la planète. Elle l’enrobe, la pousse, la stimule et modifie
toutes les manières de vivre et de faire. Le roman devient alors une réflexion
sur les mutations que le numérique et l’informatique apportent dans notre monde.
L’écrivain se réfère à l’invention de l’imprimerie qui a changé l’approche du
savoir et la transmission des connaissances.
Une révolution est en cours
et nous avons du mal à la comprendre, surtout qu’il est difficile d’en mesurer
toutes les conséquences. Les plus résistants à ces changements sont peut-être
les intellectuels qui, avec leur savoir encyclopédique qui date de plusieurs
siècles, n’arrivent pas à s’adapter. Le savoir maintenant est de connaître les
chemins qui permettent d’avoir accès aux serveurs où les données sont stockées.
L’information est là au bout du clavier. Alors la culture prend une autre
direction. Bien des métiers et des professions sont appelés à disparaître. À la
télévision par exemple, les ordinateurs font le travail de dizaines de
recherchistes avec beaucoup d’efficacité.
L’enseignement ne peut être
ce que nous avons connu avec le Siècle des lumières. Un maître ne peut plus
donner son cours devant des étudiants qui prennent des notes et tentent de
mémoriser des concepts en vue de réussir l’examen. Les téléphones intelligents,
les ordinateurs mobiles et accessibles partout bouleversent les habitudes. Les
manières de voir, de dire, de concevoir le monde sont en train de muter et nous
résistons, tentons de préserver des approches peut-être complètement obsolètes.
Nicolas Tremblay s’amuse
encore une fois à faire des incursions dans le monde de l’actualité et
particulièrement à Radio-Canada qui devient un laboratoire. Tous les
journalistes ont un double. Bernard Derome est un robot qu’il suffit d’activer.
Les journalistes et les animateurs sont-ils devenus interchangeables comme des automates?
La question mérite que l’on s’y attarde.
Plus qu’un roman, voilà une
belle réflexion qui nous pousse dans le monde actuel et nous permet d’élaborer les
scénarios les plus étranges. Notre monde est en mutation et nous oublions de le
regarder, avançant le plus souvent comme des aveugles sur une corde raide.
«L’invention de Louis» de Nicolas Tremblay est paru chez
Lévesque éditeur.
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