Josée souffre d’insomnie. La
maladie du siècle à ce que l’on dit. De plus en plus de femmes surtout voient
venir la nuit comme une épreuve. À un point tel que le manque de sommeil finit
par perturber le quotidien.
«Une fois dans la rue, je
ne trouve plus ma voiture. Je regarde mes clefs pour que ressurgisse, à force
de contemplation, un indice quelconque, n’importe quoi. J’essaie de ranimer
l’image d’un lampadaire, d’une borne-fontaine évitée, d’un parcomètre, d’une
enseigne. Rien. Même pas le souvenir d’être retournée la chercher rue
Champfleury après la capitulation de la veille. Ce qui ne veut rien dire. Je
reste calme. Ça ira, ça reviendra. Je me mets en marche dans l’espoir que «ça»
me tombe dessus.» (p.50)
Des angoisses terribles
pour l’enseignante et des «trous» qui en font presqu’une somnambule. Elle se
couche tôt pourtant, mais après une heure ou deux, le carrousel se met en
branle dans sa tête… Ou plutôt, la vis, peut-être une proche parente de celle
d’Archimède, la pousse vers le matin comme une naufragée qui doit nager toutes les
nuits jusqu'à épuisement.
«La vis repart, fait à
nouveau défiler devant moi la scène. Quarante mains qui cessent de prendre des
notes, quarante visages ahuris qui, plus tôt prêts à croire que la littérature
élève l’âme et rend meilleur, réalisent en quelques coups de talon que la
fréquentation assidue des auteurs peut aussi rendre fou. Pour cette scène
d’autohumiliation, ils me gratifient de leur plus sérieuse attention, de la
trempe de celle que je n’aurais même jamais souhaitée pour mes cours.» (p.25)
Épuisement
Sa vie se détraque. Comment
respecter un horaire, donner des cours et retenir l’attention des étudiants?
Elle plonge dans une autre dimension et surviennent alors des incidents plutôt embarrassants.
«Aujourd’hui, ma fatigue se
traduit plus souvent en d’inquiétantes absences: je me retrouve parfois dans
mon auto, sur la route, sans savoir d’où je viens ni où je vais, réintégrant
mes esprits quelques sorties trop tard; d’autres fois, j’entre en crise de rage
et j’ouvre les yeux, après quelques secondes de dissociation mentale, sur un
tiroir à four récalcitrant à moitié arraché, un tableau de bord fissuré, un
cellulaire en poudre; en des moments inopportuns, je fonds en larmes, en
impatience, en intolérance, en haine de moi-même. Et des autres quand ça
déborde.» (p.77)
Sa vie prend eau de toute
part. Philippe, son amoureux, finit par en avoir assez et la séparation devient
inévitable. Peut-être, que ce ne sont pas uniquement les insomnies de Josée qui
sont en cause, mais cela n’aide guère.
Heureusement, il y a un petit
garçon qui, comme dans «La petite et le vieux», réussit à lui faire un peu oublier
ses problèmes. L’enfant passe son temps à attendre son père, un travailleur de
la construction. Il devient le protecteur de l’institutrice en quelque sorte. On
souhaite que la vie de Josée prenne un autre tournant avec le père de cet
enfant attachant. Il y a aussi sa mère qui ne cesse de téléphoner pour des
futilités. Presque du harcèlement.
Dérape
Cette carence de sommeil bousille
tout. C’est parfois amusant, c’est surtout tragique même si Josée possède un
bon sens de l’humour.
La professeure finit par
halluciner. Dans sa fatigue, son épuisement, elle voit son père décédé avec qui
elle dialogue le plus naturellement du monde. Comme si les insomnies vous empêchaient
de faire la différence entre le réel et l’imaginaire. C’est peut-être le cas,
je ne sais pas. Marie-Renée Lavoie plonge le lecteur dans un drame même si
l’auteure tente de le traiter avec le sourire. Le tragique a beau se présenter dans
ses habits d’été, il n’en reste pas moins dérangeant et inquiétant. Je remercie
les dieux de ne pas m’avoir privé de belles et longues nuits de sommeil.
«Le syndrome de la vis» de Marie-Renée Lavoie est
paru aux Éditions XYZ.
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