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lundi 28 mai 2012

Montréal possède aussi son Far Ouest

Je me suis demandé où Marie Hélène Poitras voulait en venir en lisant les premières pages de «Griffintown». Comme si l’écrivaine survolait son sujet à la manière d’un oiseau de proie qui multiplie les cercles avant de fondre sur sa cible.


Et puis je me suis senti happé par le monde des chevaux et des calèches. Un milieu où des traditions d’une autre époque survivent, au cœur d’une ville qui arrive mal à contenir les charges des automobiles et les manifestations étudiantes. Deux façons d’être qui se côtoient à tous les jours pour le meilleur et le pire. Autant de pièges que les cochers et les bêtes doivent éviter.


Renaissance

La saison s’amorce. Les cochers surgissent comme des marmottes qui sortent de leur trou. Tous sont des éclopés, des marginaux, avec un passé qu’ils cherchent à oublier. Ils vivent au jour le jour, se perdent souvent dans l’alcool et les drogues, disparaissent un certain temps et reviennent plus amochés que jamais. D’autres manquent à l’appel sans que l’on sache ce qu’ils sont devenus.
«Comme les cochers, les chevaux qui échouent à Griffintown traînent plusieurs vies derrière eux. On les prend tels qu’ils sont. C’est pour eux aussi, bien souvent, le cabaret de la dernière chance.» (p.17)
Les plus anciens se souviennent de Mignonne, une jument qui a marqué l’imaginaire de tous...
Il faut compter aussi sur les commissionnaires qui servent le café, apportent des sandwichs et surveillent les attelages quand c’est nécessaire. Même chose pour les chevaux. Certains sont là depuis des années et entreprennent une dernière saison.

Passion

Marie vit une véritable passion pour les chevaux depuis son enfance. Elle suit son cours de cochère et aspire à diriger son attelage dans les rues du Vieux-Montréal. Elle fait face à un monde macho où l’on ne fait de quartier à personne. Elle doit apprivoiser de véritables phénomènes. Billy, le bras droit du patron, l’Indien, Alice, la Grande Folle, le Rôdeur, La mouche, Joe, Evan et Lloyd.
John prend Marie sous son aile et lui enseigne les rudiments du métier. Il y a bien des choses à savoir et surtout il y a le cheval qu’il faut sentir, comprendre et prévoir.
«John, qui au départ ne voulait pas entraîner de nouveau cocher, se surprend à chercher à protéger Marie, à craindre pour elle. Elle est jolie, ça crève les yeux. Désirable même, mais trop jeune, trop belle, trop bien pour lui. Il est un cow-boy, un homme qui déloge les copeaux de bois d’entre ses orteils chaque soir après avoir retiré ses chaussures.» (p.84)
Une foule de détails qu’il faut maîtriser avant de s’aventurer dans des rues encombrées où le cheval peut s’affoler à tout moment.

Affrontements

Les terrains des écuries sont convoités par des spéculateurs et des mafiosos. Paul, le propriétaire est abattu sauvagement dans un stationnement. On retrouve son corps dans le ruisseau nauséabond qui longe les étables. Pas question de faire appel à la police. Dans le Far Ouest, on règle ses problèmes soi-même. La fin sera apocalyptique. Comme si la modernité voulait biffer ce relent du passé de toutes les mémoires.
Un roman fascinant.
Marie Hélène Poitras a le sens du détail et démontre un savoir étonnant des chevaux, des soins qu’il faut leur prodiguer et des attelages. Une connaissance d’un monde qui n’existe plus que dans le folklore et certains festivals peut-être.
Elle écrit une page d’histoire, décrit avec précision un monde marginal où hommes et bêtes apprennent à s’apprivoiser.
On pourrait tirer des images magnifiques de «Griffintown», un film qui tiendrait autant de l’ethnologie que du monde contemporain. Une confrontation de la modernité et d’un monde plus ancien aussi.
Un véritable western où les bons et les mauvais s’affrontent comme au temps de Jessy James et d’Hopalong Cassidy.
Un ouvrage fascinant. Des originaux aux grands cœurs qui croient à une certaine forme de solidarité malgré tout et partagent un amour inconditionnel pour les chevaux. Les bêtes deviennent aussi des personnages avec leurs manies, leurs travers et leurs caractères bien sentis. Ils subissent aussi les affres du temps et peuvent s’épuiser. Un formidable voyage dans un monde peu connu.

«Griffintown» de Marie Hélène Poitras est paru aux Éditions Alto.

lundi 21 mai 2012

Jean-Jacques Pelletier scrute notre société à la loupe

J’en suis sorti un peu étourdi même s’il prévient le lecteur que le parcours ne sera pas facile, qualifiant son ouvrage «d’essai panoramique». «Les taupes frénétiques» de Jean-Jacques Pelletier vise large et ne néglige aucun aspect de la société contemporaine.


L’écrivain questionne la mode, les sports, la télévision, les médias sociaux, la pensée politique, la consommation, l’art contemporain et la littérature. Une brique où se dégagent des forces qui soutiennent une pensée qui cherche à s’élever au-delà des engouements et des clichés.
Aujourd’hui, partout, tout le temps, il faut être performant. Pas de demi-mesure. Le sport illustre parfaitement ce monde où il n’y en a que pour les gagnants. Un coureur se fait battre par une poussière de seconde et il est un perdant. On fragmente le temps pour déterminer le champion. La compétition pour les meilleurs postes et les avantages pécuniaires au travail fait de vous un «winner». Cette pensée se cristallise à la télévision où des vedettes, des athlètes et des humoristes qui varlopent tout le monde, y compris eux-mêmes, sont invités à tour de rôle. Il faut du neuf, du spectaculaire, de nouvelles figures qui accrochent les regards pendant quelques secondes.
«Si la montée aux extrêmes se manifeste dans tous les domaines de la vie individuelle et collective, elle est particulièrement visible dans les domaines qui sont liés à une forme ou une autre de mise en spectacle, qu’il s’agisse des spectacles eux-mêmes, des médias ou des productions artistiques.» (p.16)
Les modes changent en un battement de paupière. Un livre est désuet après quelques jours. En art visuel, l’artiste devient l’objet et le sujet de son travail. Le soi s’impose en littérature, au cinéma et au théâtre. «Tout le monde en parle» invite des artistes, des comédiens, parfois un écrivain qui parlent de leurs plaisirs et de leurs angoisses. Rarement il n’est question du contenu d’une pièce de théâtre ou d’un livre.

Nouveau Narcisse

On ne gagne qu’en se concentrant sur soi. Le vainqueur s’entraîne comme une machine et pousse son corps à la limite. Un écrivain doit publier deux ou trois livres par année pour demeurer dans l’actualité et les échelons du palmarès.
Ce nouveau Narcisse est équipé de toute une quincaillerie pour enrober son moi sur Twitter ou Facebook.
«Narcisse est le nouveau dieu. Mais il s’agit d’un Narcisse renouvelé, d’un Narcisse sur les stéroïdes, pourrait-on dire. D’un Néo-Narcisse. Tout aussi centré sur son image que son prédécesseur de la mythologie grecque. Néo-Narcisse s’en distingue par une ambition démesurée: il voudrait ramener à l’intérieur de son image l’ensemble de l’univers - de manière à pouvoir en jouir sans cesser de ne regarder que lui-même. De ne penser qu’à lui. De là les comportements narcissiques qui prolifèrent sur Internet: publication et mise à jour de son autobiographie en continu (pensées, repas, vêtements achetés, photos, vidéo ou musique qu’on a aimés…) sur Facebook ou Twitter, sur des blogues… Toute la vie privée y passe.» (p.418)
Ce je traîte son corps comme une machine. Une pièce est défectueuse? On la change. D’où le commerce des organes et les histoires d’horreurs qui en découlent. La course à la jeunesse obsède et les opérations qui effacent les traces de l’âge deviennent de plus en plus fréquentes. Tout ce qui est vieux est dépassé et à jeter.
«L’ici maintenant» s’impose. Le passé et le futur ne signifient plus rien. Cette pensée fait fi des cultures, élimine ce qui ancre l’humain dans un pays et donne sens à la vie. Pertes des langues, disparition des différences pour le nouveau, les modes interchangeables, les parasites qui se vampirisent.
Jean-Jacques Pelletier pose des questions dérangeantes. Gageons qu’on ne l’invitera pas aux grandes émissions télévisuelles où le moi triomphe.
Une réflexion nécessaire même si certains postulats sont discutables, l’auteur en convient. Je crois qu’il y a une forme de résurgence du collectif dans des mouvements comme la contestation étudiante et les indignés. Le je est partout mais il y a encore des nous ici et là qui résistent. Il faut l’espérer en croisant les doigts.

«Les taupes frénétiques» de Jean-Jacques Pelletier est paru chez Hurtubise.



lundi 14 mai 2012

Pascale Bourassa confirme son immense talent



Après son entrée en littérature en 2009, Pascale Bourassa publie un second roman. Les lecteurs se souviendront que j’avais fort apprécié «Le puits», un ouvrage puissant qui plonge dans la réalité des femmes confinées, à une époque pas si lointaine, à leur rôle de génitrice.

Cette fois, avec «À l’ouest», la romancière présente une saga où quatre générations de Québécois francophones prennent le relais. Ils ont quitté le Québec pour migrer au nord de l’Ontario et en Alberta un peu plus tard. Toujours avec l’espoir de tout recommencer. Un monde où il faut «risquer sa vie à chaque jour» comme l’écrivait Louis Hémon dans «Maria Chapdelaine».
Ces familles osaient tout. Surtout les femmes presque toujours enceintes et happées par des dizaines de petites bouches. Une fatalité transmise d’une génération à l’autre.

Héritage

Joanna est la dernière de cette lignée de femmes francophones qui ont peuplé l’Ouest canadien. Les premières ont voyagé dans des charrettes tirées par des chevaux pendant des semaines avant de s’installer dans un pays de plaines et de grands vents. Une arrière grand-mère qui n’en pouvait plus de cette solitude, de ses enfants et des tâches toujours à recommencer.
«Elle sortit, paniquée. Courir pour tout oublier. Courir dans le bois sans s’arrêter, jamais. Respirer l’air frais, le plus possible. Respirer enfin. Maman courait, ses larges jupes déchirées par les ronces. Les larmes l’aveuglaient. Elle voulait partir, fuir la maison pour ne pas mourir emmurée vivante entre quatre murs, des rires de sœurs et des cris de bébé plein la tête.» (p.43)
Elle vivra un certain temps en Indienne et aura Tami, une petite métisse.

L’étrangère

Joanna étudie au Québec où on la considère comme une étrangère. Elle rencontre Christian qui vient de la République dominicaine où la misère et la fatalité sont tout aussi grandes que chez ces francophones qui luttent pour leur langue, leur culture et leur identité dans les grandes plaines où l’anglais domine.
Des cauchemars la hantent en revenant dans son village d’origine, la maison où elle a grandi entre ses grands-parents. Elle retrouve son passé par fragments. Les femmes de sa famille ont connu des destins incroyables.
«Tous ces eaux discours la laissèrent de marbre. Il y avait longtemps qu’elle avait oublié son âme. Elle l’avait laissée en chemin, sur les routes, entre le Canada français et l’Ouest canadien. Elle l’avait semée dans un champ. Elle n’avait pas de temps pour son âme quand les choses terrestres grossissaient à vue d’œil et qu’elles prenaient tellement d’ampleur qu’il n’y avait plus un seul coin de disponible. Toute la place était prise par le mari, les enfants, la maison et la cuisine, les heures interminables du quotidien. Son âme était dans un champ au Manitoba, ou en Saskatchewan peut-être, et resterait là.» (p.207)
Petite Anna, la grand-mère de Joanna, n’était qu’une fillette quand elle s’est mariée au fils Guérette. Ce qui ne l’a pas empêchée de faire une kyrielle de petits garçons, de se perdre dans ses rêves, de renier sa demi-sœur métisse qui subira les pires sévices dans un pensionnat et chez un père Oblat. Une situation horrible pour ces enfants autochtones qui sont violés dans leur langue, leur culture, leur façon d’être quand ce n’est pas dans leur corps.

Saga

Des vies se recoupent, empiètent les unes sur les autres et reconstituent la grande aventure qu’a été la colonisation de ces territoires où les Indiens ont été dépossédés. Une histoire particulièrement dérangeante. Pascale Bourassa a l’art de nous plonger dans des situations où l’on risque son âme.
Joanna apprivoise ses hantises qui deviennent moins fréquentes à mesure qu’elle connaît son passé. Peut-être qu’elle pourra retrouver sa place et une certaine quiétude en revenant au Québec même si elle s’y sentira toujours étrangère. Une impression je crois qui a habité Gabrielle Roy toute sa vie.

Bouleversant

Un roman fait de fragments qui vous perdent un peu et vous rattrapent pour ne jamais vous lâcher. Pascale Bourassa est une écrivaine puissante. Un terrible destin marque ses personnages de femmes qui ont la fatalité inscrite dans leur génétique. Malgré l’amour, les enfants, le succès de leurs entreprises, elles sont souvent broyées par la vie et des tâches surhumaines.
Pascale Bourassa confirme son talent exceptionnel dans un roman bouleversant.

«À l’ouest» de Pascale Bourassa est paru aux Éditions de La Grenouillère.

samedi 12 mai 2012

Véronique Marcotte ne réussit pas à s’envoler

Véronique Marcotte insiste. Elle ne veut pas de malentendu. «Aime-moi» raconte une histoire vraie. Les personnages ont existé et existent peut-être encore. Seuls les noms ont changé.


Une petite fille séquestrée par une secte religieuse, dont le principal cérémonial consistait à l’agresser, constitue la trame de cette histoire sordide.
Pas étonnant que l’adolescente soit perturbée et qu’elle éprouve des problèmes de comportement. Elle régresse par moment et combat un cancer en plus.
Judith est touchée et entend démontrer que des hommes et des femmes peuvent être généreux. En fait toute la famille de Judith adopte Maëlle et s’occupe d’elle.

Hésitation

Et voilà ! Retournement dramatique. Tout cela était pure invention. Maëlle a tout imaginé. Il n’y a jamais eu de secte, de viols et de tortures. Cette enfant est une manipulatrice, une menteuse et une fabulatrice. Tous les qualificatifs du dictionnaire sont incapables de qualifier cette femme qui aurait plus de trente ans et qui réussit à se réincarner en adolescente !
Judith, Maëlle et la narratrice, prennent la parole tour à tour. Peut-être pas une bonne idée. Surtout dans le cas de Maëlle.
Ça sonne faux, tout le temps. J’ai eu de la difficulté à adhérer à ce récit même en y mettant toute ma bonne volonté. Toujours repoussé, rejeté hors de cette histoire.
«Quand elle a traversé le pont de la rivière des Mille-Îles, elle n’a pas remarqué comme d’habitude le parfum que dégageait une nature plus dense que celle, disséminée, de la ville. Le bonheur inhérent au fait de rentrer à la maison s’absentait, disparaissait, comme coupable devant tant de misères.» (p.29)
Malheureusement, l’écriture de Véronique Marcotte n’est jamais à la hauteur. C’est maladroit, rugueux, sans emportement. C’est ce qui fait peut-être que jamais je n’ai réussi à embarquer dans cette fable.
Véronique Marcotte échoue dramatiquement. Cette histoire est peut-être vraie, mais il en faut plus pour retenir le lecteur.

«Aime-moi» de Véronique Marcotte est paru chez VLB Éditeur.

vendredi 11 mai 2012

Gilles Archambault nous laisse les larmes aux yeux

«Qui de nous deux?» de Gilles Archambault s’avère un récit particulièrement touchant et bouleversant. L’épouse de l’écrivain est décédée d’un cancer après quarante ans de vie commune. Une présence irremplaçable, une perte d’équilibre dans la vie de Monsieur Archambault. Autant dire qu’il a perdu une partie de soi.


Il ne pouvait réagir qu’en bousculant les mots pour apprivoiser cette «absence» qui le laisse perdu dans son corps et son esprit. Chacun des objets de l’appartement lui rappelle la présence de son épouse.
«Le passé, le nôtre, qui ne fut pas toujours rose, avait une réalité que le présent n’a plus. Je me sens amputé. J’ai perdu le seul être au monde avec qui je pouvais converser même dans le silence. Voilà pourquoi je sens le besoin de ne pas me taire.» (p.11)
Écrire pour garder sa présence, lui souhaiter encore de « beaux rêves » comme il le faisait à tous les soirs avant d’aller au lit.
«C’est tout simple, je n’ai qu’un désir, lui parler, la toucher. Je voudrais qu’elle soit présente, elle n’est plus que cendres. Je me déplace dans notre appartement. Tout me rappelle sa présence. Parfois, en me mettant au lit pour la nuit, je viens bien près de lui souhaiter de faire de beaux rêves. Je l’ai fait si longtemps.» (p.23)

Deuil

Gilles Archambault se souvient de leur première rencontre alors qu’il venait de quitter l’université et qu’il rêvait de livres et d’écriture. Après, il y a eu le travail, la famille, des voyages, des hésitations et des absences. Les écrivains s’égarent souvent dans leur tête.
Et ces années où le cancer a récidivé. La perte d’autonomie, la vie qui semble se recroqueviller pour n’être qu’une toute petite flamme qui vacille.
«Je me dirige vers ma mort. Tant que Lise était à mes côtés, il me semblait que l’irréversible pouvait attendre. Nous avions soixante ans, soixante-dix, des choses devenaient plus difficiles. Pour elle, de fréquentes alertes du côté de la santé. Le passé avait depuis longtemps jeté une ombre sur l’avenir, dont nous ne parlions qu’avec prudence. La perspective d’un voyage éventuel nous a souvent permis de vivre avec un peu moins d’angoisse.» (p.68)
Lise a fait face à la mort avec courage et dignité même si la maladie l’éloignait un peu plus à chaque jour.
Maintenant elle est là, tout le temps. Monsieur Archambault a placé des photos d’elle partout dans l’appartement. Elle a toujours été là même quand il partait pour son travail et qu’il prenait plaisir à s’attarder en France.
Que peut être la vie maintenant ? Un voyage à Paris où ils sont allés si souvent tous les deux. La ville qu’ils aimaient. Leur ville. Les souvenirs deviennent encore plus douloureux.
Un récit qui vous laisse avec les larmes aux yeux. Le témoignage d’un homme qui perd son équilibre, celle qui aura été une camarade, une complice dans le long voyage d’une vie.
D’une justesse et d’une vérité remarquable.

«Qui de nous deux?» de Gilles Archambault est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 7 mai 2012

Robert de Roquebrune le grand mystificateur du Québec


J’ai lu «Testament de mon enfance» de Robert de Roquebrune alors que j’étais en huitième ou en neuvième année. Je n’en conserve que peu de souvenirs.



Nous gardions précieusement la collection du Nénuphar de Fides dans l’armoire vitrée de la petite école de Monsieur Baillargeon. Une vingtaine de livres peut-être. «Les enragés du Grand-Portage» de Léo-Paul Desrosiers, «Trente arpents» de Ringuet et «La Minuit» de Félix-Antoine Savard.
J’étais curieux de plonger dans le récit-biographique de Normand Cazelais. Peut-être qu’il réussirait à faire ressurgir des images, secouerait des souvenirs chez un jeune lecteur sauvage qui bondissait sur tout ce qui était imprimé.
Bien sûr, cet ouvrage n’est pas là pour ameuter les lecteurs ou décortiquer les œuvres d’un écrivain. Parlons plutôt d’un arrêt, d’une manière toute simple de s’approcher d’une personnalité pour soulever la curiosité. Je garde de bons souvenirs du «Gabrielle Roy» d’André Vanasse et du «Louis Hémon» de Mathieu-Robert Sauvé.

Personnage

Il est rare qu’un écrivain se crée une identité, s’invente un passé comme l’a fait Robert Hertel La Rocque. C’est le nom de baptême de Roquebrune. Il s’est imaginé des ancêtres nobles pour mener grand train dans la bonne société de son époque. Sa vie comme son œuvre aura été une formidable mystification où le vrai et le faux se mélangent. Cet écrivain qui n’était pas dépourvu de talent, loin de là, aura fait de sa vie une véritable fiction.
Il a prétendu avoir reçu des formations à La Sorbonne. Pure invention. Il est devenu archiviste on ne sait trop comment, n’ayant jamais étudié dans ce domaine.
«Il y a le patricien qui ajoute une particule à son nom, passionné d’un passé révolu, qui combat toute sa vie pour défendre des ancêtres… supposons pour certains d’entre eux. Un homme qui s’est fait lui-même, vraisemblablement sans parcours académique officiel, qui s’invente une formation universitaire, qui obtient un job dans une sphère très pointue, au surplus à Paris et dans une institution fédérale canadienne.» (p.117)

Vie mondaine

Il aura mené une vie mondaine fascinante, fréquenté des artistes, séjourné pendant de longues périodes en France où il se sentait chez lui. Il a connu aussi une vie heureuse avec son épouse, écrivant aussi dans plusieurs revues françaises. Il sera un familier des conservateurs de son époque tout en ayant un pied dans la modernité. Il se montrera particulièrement aigri les dernières années de sa vie, pourfendant les nationalistes québécois avec une hargne remarquable. Peut-être que la question de l’identité venait le chercher d’une manière particulière.
Un homme qui a su créer une légende autour de sa personne sans jamais être démasqué. Un autodidacte certain qui a travaillé toute sa vie à enjoliver son passé et à entretenir sa légende.
Normand Cazelais le présente avec le plus grand respect. Il aurait été facile de le pourfendre avec les yeux d’un contemporain. Robert de Roquebrune pourrait être le sujet d’un roman, sans aucun doute. Une belle manière de s’approcher d’un écrivain fascinant dans sa vie et son œuvre. Un personnage, un cas.

«Robert de Roquebrune, L’art de la fabulation» de Normand Cazelais est paru chez XYZ Éditeur.

Le questionnement nécessaire de Mathieu Bock-Côté

Mathieu Bock-Côté est quelqu’un, je l’avoue, qui me déstabilise quand je le vois à la télévision. Cet homme parle plus vite que son ombre et me heurte souvent avec ses propos. Il défend ses idées avec âpreté, pour ne pas dire avec une passion qui peut étourdir. 



Son passage à «Tout le monde en parle» m’a laissé perplexe. Rien pour me précipiter vers «Fin de cycle, aux origines du malaise politique québécois». Bel euphémisme que de parler d’un «malaise québécois» devant le comportement du premier ministre Jean Charest envers les manifestations qui reviennent comme les matchs de la coupe Stanley. Nous connaissons présentement une remise en question importante où des conceptions de la société se heurtent.
Pour le sociologue, la pensée qui a permis la Révolution tranquille au Québec doit être questionnée. Sinon, le Parti québécois risque de disparaître. Comment lui donner tord? Le taux d’insatisfaction envers Jean Charest atteint des sommets et les intentions de vote envers le Parti québécois stagnent.
Il a fallu que Gilles Duceppe soit mis en échec par une manœuvre qui semble douteuse pour que Pauline Marois se refasse une santé politique. La «femme de béton», après une embellie dans les intentions de vote, semble avoir du mal à se détacher même si le parti de François Legault a vécu une plongée vertigineuse.
Et que dire du «virage orange» qui a mis le Bloc québécois au rancart? Désir de changement ou fatigue d’entendre des discours qui se répètent?

Situation

Pour Mathieu Bock-Côté les gauchisants ont fait main base sur le nationalisme et ont tourné le dos au passé des Québécois. Le plus bel exemple de cette idéologie se retrouve dans le système d’éducation. L’égalitarisme s’impose au détriment des valeurs traditionnelles. La société multiculturelle de Trudeau se retourne presque toujours  contre les francophones.
La droite de son côté considère l’État comme une entreprise et les hôpitaux comme un centre de villégiature. L’individualisme fait foi de tout au détriment du collectif. L’équilibre budgétaire devient un dogme de foi.
La Coalition pour l’avenir du Québec est l’exemple de cette vision «privée» de la société. Son programme politique se résume essentiellement à détruire certaines institutions.

Conservateur

Mathieu Bock-Côté affirme être conservateur tout en rejetant les idées de droite et les doctrines de certains gauchistes. Il revendique le nationalisme qui a permis au Parti québécois de René Lévesque de prendre le pouvoir en 1976. Ce dernier avait réussi à créer une coalition avec les créditistes et les radicaux qui venaient du Rassemblement pour l’indépendance nationale.
D’une certaine manière Mathieu Bock-Côté me démontre que je suis un tantinet conservateur même si les politiques de Stephen Harper m’horripilent. Comment peut-on approuver la légalisation du pillage des écrivains avec le projet de loi C-11? Conservateur parce que je me méfie des visions étatiques comptables et des approches transversales et latérales en éducation. Le but de ces réformistes: inventer une société égalitariste, laïque, permissive, ouverte, fourre-tout qui tourne le dos à notre histoire nationale. Une société qui oublie son passé et son histoire. Cela peut expliquer pourquoi la littérature québécoise est si peu présente dans les écoles. Table rase pour mieux s’assimiler et disparaître peut-être. Pourquoi pas l’enseignement de l’anglais à la maternelle tant qu’à y être?

Mythes

Mathieu Bock-Côté a le grand mérite de secouer des mythes et des idéologies qui peuvent mettre en danger la survie des Québécois francophones. Il lance de bonnes questions. Doit-on tout brader au nom de la modernité?
Une réflexion importante dans une société en ébullition qui résiste à toutes les décisions du gouvernement Charest depuis quelques années. Que l’on songe au développement de l’éolien, aux gaz de schiste et au plan Nord, les élus ont dû ramer contre la volonté du peuple. Il y a certainement une fracture de plus en plus grande entre toute une population et ses représentants.
Chose certaine, nous vivons de grands bouleversements et le ton est donné, je crois, par la jeunesse qui cristallise ce ras-le-bol que pas un parti politique n’arrive à canaliser. Doit-on s’en réjouir ou s’apitoyer? Mathieu Bock-Côté s’élève au-dessus de la mêlée et c’est fort heureux. Il réussit à le faire dans la frénésie de l’actualité et dans une société en manque de leadership.

«Fin de cycle, aux origines du malaise politique québécois» de Mathieu Bock-Côté est paru aux Éditions du Boréal.

mardi 1 mai 2012

Le beau voyage de Serge Fisette au pays de l’enfance


Marguerite Duras, quinze ans après sa mort, fascine nombre d’écrivains. Tout comme elle a subjugué Yann Andréa qui lui a envoyé des lettres pendant des années avant de vivre avec elle.

Serge Fisette écrit à Yann Andréa qui, après le décès de la romancière, a publié quelques livres émouvants. Il a fait preuve d’une fidélité sans faille, d’un dévouement où il était «l’ange» de la romancière et de la cinéaste.
Je vous écrit, Yann Andréa, comme vous l’avez fait à Marguerite Duras. Des lettres que vous lui envoyez durant des mois, des années jusqu’au jour où elle dit: venez!» (p.7)
La longue lettre de Fisette prend les méandres du souvenir et de l’enfance. Il retrouve le petit garçon qui tourne le dos à la violence du père et qui restera traumatisé par une correction.
«Je suis au milieu du couloir, cet entre-deux qui va de la cuisine au salon. Je regarde, d’un côté, les hommes rivés au téléviseur, un match de sport qui ne m’intéresse pas ; de l’autre, les femmes qui jasent. Où aller, avec eux, avec elles? Je ne bouge pas, les bras le long du corps. Soudain je vois la place que j’occupe: un lieu de passage, déraciné, ce soir de Noël, la singularité, la divergence.» (p.27)
Un jeune garçon différent qui oscille entre le monde des hommes et des femmes, entre son milieu pauvre et celui des plus riches qu’il fréquente au collège. Son orientation sexuelle aussi qui le perturbe. Duras, malgré toute l’admiration qu’il éprouve pour elle, n’est qu’un prétexte pour regarder derrière son épaule.
Fidélité

Serge Fisette, au gré de ses voyages, de ses amours, revient à l’auteure de «L’Amant», croit la surprendre dans un hôtel du Sud. Il fera un pèlerinage en France, se désolera des dernières publications de Yann Andréa. C’est peut-être une réflexion sur l’écriture qui finit par imprégner tout ce récit.

«Car l’écriture prouve bien que tout n’est pas perdu, un fait irréfutable que j’existe bel et bien. Les mots, lorsqu’on a la foi, ont la faculté de nous faire renaître, de transfigurer l’âme, le corps, jusqu’à devenir de la lumière, jusqu’à devenir  bienheureux. Cette conversion reproduit chaque jour dans le monde: l’élévation du corps, de l’hostie. Autrement c’est la nullité.» (p.73)
Serge Fisette possède un sens de l’image certain. Il procède par petites touches pour inventer un portrait ou une scène marquante. C’est toujours juste, chaud et sensuel. Une belle manière de s’adresser à «l’ange» qui se tapit dans l’ombre mais qui finit toujours par s’éloigner.

«Un été par la suite» de Serge Fisette est paru aux Éditions Les heures bleues.

lundi 30 avril 2012

Le grand art du monde ordinaire de Serge Bruneau

Serge Bruneau nous entraîne dans un monde un peu étrange dans «Quelques braises et du vent».
Une famille, du moins ce qui en reste. La grande sœur Marie, écrivaine, travaille comme serveuse et s’occupe de son fils Martin. Ses romans n’arrivent pas à se démarquer dans la production littéraire.
«Marie en était à la rédaction de son cinquième roman qui, aux dernières nouvelles, s’intitulerait Rendez-vous sur Mars. Elle n’avait jamais eu la main pour les titres et il semblait que ça n’allait pas en s’améliorant. Si seulement elle s’était ouverte plutôt que de traiter son travail comme un secret d’État, j’aurais pu lui soumettre quelques idées. Rien de bien fracassant, mais tout de même mieux que ce qu’elle avait en tête. Je gardais tout ça pour moi. Je n’avais plus voix au chapitre. (p.15)
Des livres que Marc, son frère, trouve plus ou moins intéressants.
Elle a tout pourtant: beauté, intelligence et de l’énergie à revendre. Elle prépare une manifestation pour protester contre la présence d’une industrie de textile qui fait la pluie et le beau temps dans la petite ville depuis des décennies.

Rivière

La rivière Sainte-Camille coupe la ville en deux et devient le symbole de l’exploitation du milieu. Un barrage retient les eaux dans la haute ville pour le plaisir des riches et ne laisse que des flaques stagnantes en bas, surtout quand la sècheresse sévit depuis des semaines. 
Marc doit vivre avec un handicap après un accident de moto. Il est le liant de cette famille qui s’enrichit d’un autre frère qui risque sa vie en ingurgitant toutes les drogues imaginables. Il se retrouve à l’hôpital après un infarctus même s’il est encore tout jeune.
Marc se sent responsable de sa sœur, de son frère même si cela ne clique guère entre les deux, de son père aussi, un itinérant qui n’est pas dépourvu de bagou et de charisme. Un sujet tabou. Marie et Karl deviennent particulièrement virulents quand il est question de lui.
«Victor avait été marin, boxeur, plombier, mécano, jardinier, cuisinier, routier, barman, conducteur de taxi, journalier, trappeur, un peu père, très peu époux. Parfois un moment, il n’était que soûl.» (p.43)
De la mère, il n’en est jamais question.

Manifestation

Marie prépare un grand coup pour donner un élan à sa carrière d’écrivaine peut-être. Comment séparer l’actualité de la fiction? Une occasion pour elle de faire le ménage dans sa vie peut-être.
«Il m’arrivait de le comprendre, tout comme il m’arrivait de considérer son attitude injuste envers Marie. Elle écrivait, et c’était pas rien. Un écrivain, ça ne pouvait pas toujours se balader avec un air bienheureux plaqué en plein visage. Passer le monde sous la loupe, le décortiquer, le désosser pour y trouver le nerf sensible devait valoir un minium de compréhension, pour ne pas dire de respect. Depuis quand demandait-on aux écrivains de filer comme des fusées dans un firmament de plus en plus encombré?» (p.127)
Les manifestants envahissent la ville et la violence éclate. Un sujet particulièrement d’actualité.

Drame

Marc en voulant protéger tout le monde et surtout son père provoquera un drame terrible.
«L’idée m’était insupportable. Déjà qu’il avait tout Rivière-Sainte-Camille sur le dos… Qu’on se moquait de chacun de ses gestes… Qu’on ne ratait pas l’occasion pour le pointer du doigt, grimacer sur son passage, se pincer le nez pour combattre sa puanteur. Le pire était d’imaginer Marie devant ce mauvais spectacle qui viendrait bafouer tant et tant d’efforts pur que les consciences s’éveillent et poussent à l’action… Des mois de travail et d’espoir. Tout ça anéanti, éclipsé par l’intervention burlesque de son propre père.» (p.156)
Serge Bruneau a l’art de mettre en scène des personnages particulièrement séduisants. Ses héros, je pourrais les croiser à tous les jours en me rendant à l’épicerie.
Chacun cherche sa petite place au soleil, se débat avec ses peurs et ses angoisses. Toujours tendre, humain et plein d’empathie. Une forme de grand art du quotidien. Je crois qu’il n’y a pas d’autres mots pour qualifier l’œuvre de Serge Bruneau.
Juste, émouvant, avec une écriture qui coule de source. Un écrivain trop discret qui mériterait d’être mieux connu et apprécié.

«Quelques braises et du vent» de Serge Bruneau est paru chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/612.html

lundi 23 avril 2012

Qu’arrivera-t-il advenant l’indépendance du Québec

Jean-Michel David et son éditeur Arnaud Foulon
Il est rare qu’un romancier s’aventure dans l’actualité politique. Encore plus qu’un jeune écrivain, à sa première publication, fasse de l’indépendance du Québec la trame de sa fiction. Jean-Michel David relève ce défi dans «Voir Québec et mourir», un thriller politique qui pourrait devenir réalité si jamais les Québécois disaient oui lors d’un troisième référendum.
Nous sommes en 2014, le premier ministre Georges Normandeau, lors du spectacle de la Fête nationale sur les plaines d’Abraham, lance la tenue d’un troisième référendum portant sur l’indépendance du Québec. Tout le monde est pris par surprise.
Tout semble être prévu pourtant du côté d’Ottawa où l’on jongle avec différents scénarios. Jonathan Roof, originaire de Magog mais détestant les Québécois, n’entend pas céder. Peu importe les résultats, Ottawa dira non. Bien plus, il prépare une invasion militaire.

Violence

Il suffira de provoquer une certaine violence et Jonathan Roof est convaincu que les Québécois reviendront au sein du Canada. Québec s’organise et mobilise toutes les forces. Le dirigeant des services secrets, un certain Curtis Taylor, passe du côté du Québec avec son bras droit Éric Martel. Les deux mènent une guerre, n’hésitent jamais à éliminer ceux qui se mettent sur leur route. Le pire est à prévoir avec Ottawa et Québec entend bien répliquer à toutes les agressions. Il faut occuper les frontières, contrer les attaques de l’Armée canadienne, protéger certains personnages.
La campagne référendaire se déroule en passant d’une manifestation à une autre et le vote tombe le 14 juillet. Les Québécois disent oui par une faible majorité. C’est l’euphorie dans toutes les villes. Québec est un pays.
Ottawa met en branle sa réplique terrifiante. Des mercenaires frappent un peu partout dans les villes et c’est l’hécatombe. Des attentats, des tueries, des carnages dans l’explosion d’établissements publiques.

Réplique

Taylor a eu le temps, avec l’aide de plusieurs nationalistes, de s’entendre avec la mafia, les motards et les petits trafiquants qui se transforment en armée de l’ombre qui rend coup pour coup. Les soldats canadiens se déploient et sont éliminés en grand nombre. Des attaques sanglantes, des victimes par centaines. Nous ne sommes plus dans la dentelle. C’est presque la guerre civile. Le sang coule à flots.
Éric Martel et Curtis Taylor font rouler des têtes. Les agents exécutent les plus basses missions avec une efficacité redoutable. Ils élimineront même le commandant de l’Armée canadienne.
Une foule de personnages défilent. Des histoires d’amour se nouent entre des militants. Des journalistes suivent l’actualité, les politiciens à Ottawa comme à Québec ne ferment plus l’œil. Les chefs de police ne savent plus ou donner de la tête et les truands deviennent sympathiques même s’ils peuvent tuer sans sourciller. À croire que chaque Québécois peut prendre les armes pour répliquer aux manœuvres des militaires et à défendre son nouveau pays.
Le tout culmine lors d’une grande manifestation sur les plaines d’Abraham à Québec. Une répétition de la fameuse bataille qui a fait que la Nouvelle-France passe sous le joug anglophone. Tout le Québec  afflue vers la capitale nationale. Une foule immense et l’Armée canadienne tente d’encercler ces centaines de milliers d’hommes et de femmes. Le pire arrive bien sûr. Un homme se transforme en bombe et l’explosion fait des milliers de morts. Un carnage, un renversement de pouvoir à Ottawa, une paix qui s’installe. Québec devient enfin un état souverain qui pourra vivre des jours paisibles à côté d’un Canada qui accepte son indépendance.
Le sang coule et les morts se multiplient. Tout le monde peut tuer, même un célèbre animateur de télévision qui a eu le malheur de perdre sa fille lors de la manifestation sur les plaines d’Abraham, abattra l’ancien premier ministre canadien Jonathan Roof qui s’est réfugié à l’étranger.
Pourtant j’ai lu cette histoire d’horreur sans reprendre mon souffle. Jean-Michel David accroche le lecteur et ne le lâche pas. De courts chapitres et vous voilà sur le bout de votre chaise. Malgré les exagérations, il garde un contact avec la réalité. Le genre veut cela. Jamais je ne me suis ennuyé malgré les massacres qui se multiplient. Le Québec est indépendant mais à quel prix…

«Voir Québec et mourir» de Jean-Michel David est paru aux Éditions Hurtubise.

lundi 16 avril 2012

L’Abitibi : un pays propice aux plus belles légendes

Quel plaisir de voir les Éditions Trois-Pistoles publier un nouveau volet de la série «Contes, légendes et récits du Québec et d’ailleurs».
Un volume impressionnant de 530 pages pour cette quatorzième étape de la collection. Cette fois, destination l’Abitibi-Témiscamingue, un territoire longtemps le fief des chasseurs et des trappeurs. Les colons se sont risqués plus tardivement dans cette Terre promise. C’est du moins ce que laissait entendre la propagande de l’époque.
Les chercheurs d’or devaient tout bousculer dans une troisième vague. Ces aventuriers ont quadrillé le pays dans l’espoir de faire fortune, bousculant les rêves et des déceptions. Les Québécois francophones étant plus souvent qu’autrement témoins de l’appropriation de leur richesse minière par des étrangers. Un Plan Nord d’une autre époque, mais avec une même approche.
Un pays encore jeune, un territoire immense, des paysages à couper le souffle et un climat qui peut effaroucher les plus téméraires.
«La présence des Autochtones, la traite des fourrures, la spoliation des richesses naturelles, la colonisation assistée, la ruée vers les métaux précieux et une situation géographique aux marges de l’écoumène ont laissé des traces dans l’imaginaire régional qui s’est construit au carrefour des rencontres multiples», explique Denis Cloutier, le coordonnateur de cette publication.

Grande époque

Quelques explorateurs ont traversé ce territoire alors que l’on pratiquait la traite des fourrures, sans compter les Autochtones qui y vivaient depuis fort longtemps. Indiens et Blancs se côtoyaient dans des postes de traite. A noter que les textes de cette époque parlent des Sauvages et non pas des Algonquins. A lire la visite de Mgr Joseph-Thomas Duhamel, évêque d’Ottawa, en 1881 qui prend les proportions d’une visite papale.
L’Abitibi-Témiscamingue aura été le refuge de nombre de Québécois qui, n’ayant pas d’argent et de travail s’y sont installés en espérant s’inventer une nouvelle vie. La grande colonisation changera le visage de cet immense territoire.

Aventure

Colons qui construisent une cabane au cœur de la forêt avec peu d’outils. L’isolement, les moustiques, le froid et la neige font partie du quotidien de ces désespérés qui n’ont qu’un choix: survivre. Il faut imaginer le courage qu’il a fallu à ces hommes et ces femmes pour défricher des terres et bâtir des paroisses. Une maigre subvention les empêchait de mourir de faim les premières années.
Avec les prospecteurs, des villes sont sorties de la forêt. Rouyn et Noranda par exemple. Une ville modèle, propre, dessinée par la compagnie et Rouyn qui pousse anarchiquement, devient le rendez-vous de tous les aventuriers qui tentent de faire fortune avec tout ce que cela comporte.
Ajouter une légende
L’Abitibi-Témiscamingue est un lieu où s’installeront des francophones bien sûr mais aussi des émigrants venus d’Europe et même d’Asie. Un joyeux mélange propre à faire naître les légendes et les mythes, des héros qui défient les forces de la nature comme Stanley Siscoe. Des conflits aussi avec ces «Fros» qui flirtaient avec le socialisme et qui ont eu leur importance dans l’Abitibi de l’or et des mines. Des grèves sauvages, inhumaines, le capitalisme dans toute sa grossièreté et sa barbarie.
Jeune

Ce pays étant relativement jeune, des témoins ont écrit sur la colonisation et cette grande épopée. Des écrivains comme Arthur Buies, Gabrielle Roy, Félix-Antoine Savard ont raconté cette époque. À lire Gabrielle Roy dans ses récits journalistiques. «Heureux les nomades» est un bijou où elle accompagne une famille qui va s’Installer dans ce pays neuf.
Des écrivains fort connus au Québec ont vécu leur enfance dans ce coin de pays. Yves Beauchemin, Raoul Duguay, Louise et Richard Desjardins, Jocelyne Saucier et Suzanne Jacob.
Des écrivains marquants signent des textes dans ce magnifique ouvrage. Signalons Jeanne-Mance Delisle et Louis Hamelin, Josée Bilodeau et Isabelle Vaillancourt.
«Contes, légendes et récits de l’Abitibi-Témiscamingue» raconte une époque qui sort de l’ordinaire. Des aventures incroyables, des textes qui font frémir. Je pense en particulier à «La ruelle rouge» d’André Lemelin.
Une appropriation de cet immense territoire par les écrits de maintenant et d’hier. Un livre qui témoigne d’une page importante de l’aventure du Québec. C’était hier, c’est aujourd’hui peut-être alors que l’on s’apprête à envahir les espaces du Nord.

«Contes, légendes et récits de l’Abitibi-Témiscamingue» de Denis Cloutier est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

lundi 9 avril 2012

Jean-François Caron passe du côté des grands

Je le dis en choisissant mes mots. Jean-François Caron vient d’écrire un roman qui le pousse du côté des grands. Je crois. «Rose Brouillard, le film» m’a subjugué. Une écriture incantatoire, un rythme, une cadence qui emporte dans une autre dimension. J’ai lu, allant et revenant sur ces pages pour m’imprégner de cette musique sauvage.
«Quand on est seule, quand on vit seule dans une histoire qu’on partage avec son père, on n’a pas besoin de nom. Quand on partage sa vie avec Onile, le veilleur et le papa de l’histoire, un nom, c’est inutile. Si l’un parle, l’autre écoute, nulle nécessité de s’appeler et c’est bien ainsi.» (p.41)
Un bijou.

La trame

Une  île au milieu du fleuve, près d’une autre île. Le Veilleur y vit en marge du monde pour apprivoiser sa sauvagerie et sa tendresse peut-être. Une sorte de vigie qui sauve les marins en perdition. Et sur la berge, devant, un village.
Une femme. Pas une histoire d’amour mais un mariage. Une transaction plutôt au magasin général du village. La jeune femme a connu l’amour avec un pianiste. Il faut sauver les apparences.
Il y aura une petite fille qui voit sa mère sombrer dans la folie, son père se tourner vers l’alcool. Rose rêve un monde que l’on fait et défait, les îles comme les grains d’un chapelet qui mènent jusqu’à Cuba parfois. La mère bascule du haut de la falaise. Après, Onile s’abrutit dans l’alcool jusqu’à disparaître.
Jean-François Caron est fasciné par les pièges de la mémoire. «Nos échoueries» était également une quête du genre avec tous les dangers qui refont surface quand on fouille le passé.

Rose

Dorothée, employée par la société touristique, est chargée de retrouver Rose et de tourner un documentaire. Elle retrace la vieille femme rue Drolet à Montréal. À bout d’âge, cette dernière colle des mots partout pour se rappeler ce qu’est une table ou une fenêtre. Sa vie oscille entre l’étrange liste de ses occupations et des objets qui l’entourent. Le roman de Caron va ainsi. D’une séquence à l’autre, d’un mot à un autre pour reconstituer le drame de l’île du Veilleur.
La vieille dame un peu confuse ignore les questions, bascule dans ce temps où elle vivait avec sa mère et son père Onile.
«Quand un bateau s’aventurait trop près des vlimeux récifs, au risque de s’échouer. C’étaient les emportements les plus bruyants. Mais pas les plus terribles. Les pires colères étaient celles qu’il vivait dans le silence. Parce qu’elles baignaient dans la déception. Et rien ne soulage la déception. Sauf peut-être: la musique.» (p.141)
Rose revit les drames qui ont bouleversé sa vie. La mort de la mère surtout.
«Je suis ma mère dans l’odeur verte des noisetiers, le vent emmêle mes cheveux dans mon visage et dans mes yeux, je suis elle désorientée, comme lorsqu’elle a perdu pied, lorsqu’une pierre a roulé, lorsque le vent l’a poussée, ou peut-être le désespoir, je suis elle qui bat l’air de ses bras, juste avant la chute, les yeux dans l’eau, les cheveux dans les yeux, le vent dans les cheveux, la robe dans le vent, la mer dans les plis de la robe. Je suis elle avant que son corps ne soit écorché et brisé sur les pierres accumulées au pied de la falaise vive, ballotté dans l’eau sanguine et salée. Je suis elle avant son corps perdu pendant des heures. Perdu. Pendant des heures.» (p.237)

Plongée

Une plongée vertigineuse dans le réel et l’imaginaire, le passé et l’autre, celui que l’on invente pour attirer les touristes. Nous avons tout dans ces fragments. Les témoins de l’époque, les délires de Rose, les vacanciers, Dorothée avec ses amours de passage, une Québécoise d’origine haïtienne qui nie ses racines.
«Les îles sont des mots échappés, qui dépassent la pensée. Des chapitres comme des éclaboussures. Qui vont dans tous les sens. S’il y avait un pont entre les îles, mes souvenirs se rejoindraient. Car il y a toutes ces îles dans ma tête. Je ne sais plus inventer les ponts pour les relier.» (p.217)
C’est ça! Juste ça et bien plus.
Un roman magnifique. J’ai traîné sur les mots pour prolonger le plaisir, garder ces longues phrases lancinantes en mémoire et me les approprier. Un grand livre.

«Rose Brouillard, le film» de Jean-François Caron est publié aux Éditions La Peuplade.