J’AI LU AVEC GRAND BONHEUR le carnet de Marie Clark. Surtout que
j’ai l’impression d’avoir vu naître ce texte au Camp littéraire Félix, il y a quelques années, lors du premier
atelier dirigé par Robert Lalonde sur le carnet d’écrivain. Nous étions six.
Marie Clark, Marité Villeneuve, Francine Chicoine, Danielle Dubé, Monique
Brillon et moi. Sous le regard de la toujours attentive Danyelle Morin, bien
sûr. Un arrêt de quelques jours pour discuter, écrire, se gaver de mots et
découvrir les chemins qui mènent peut-être à l’écriture. C’est lors de ce
séjour que j’ai amorcé mon carnet L’enfant
qui ne voulait plus dormir. Ce genre littéraire convient parfaitement à
Marie Clark qui aime les promenades en solitaire, les randonnées en forêt où
dans la montagne qu’elle surveille de la fenêtre de sa maison. Enfin, j’ai pu
découvrir Petites leçons d’orientation
apprises dans le désordre dans sa totalité. Une lecture captivante.
Les
écrits intimes m’ont toujours passionné. Ce fut la première forme d’écriture
que j’ai fréquentée au milieu de mon adolescence, dans mon village où écrire
était un péché que le curé Gaudiose aurait dénoncé en chaire s’il avait su.
Inutile de dire que je ne n’ai rien avoué dans le confessionnal. Je vis en état
de péché d’écriture depuis cette
époque lointaine.
Je
ne sais si le public est friand de ces textes qui montrent les chemins de l'écrit,
retournent l’être et qui ne savent que dire les hésitations, les hantises de
celui ou celle qui cherche à devenir souffleur
de mots. Les lecteurs ne s’arrachent pas les titres de la très belle
collection Écrire des Éditions
Trois-Pistoles et c’est dommage. Tous ceux et celles qui rêvent de voir leur
nom sur la page couverture d’un livre devraient fréquenter ces écrivains qui
jonglent avec des questions et des incertitudes qui hantent le manieur de mots.
Parce que celui qui sait n’écrit pas. Il y a bien les travailleurs de la phrase
qui ne cessent de varier une action sur un même thème sans trop se préoccuper
de l’embarcation dans laquelle ils s’installent. Parce que la littérature, on
ne le dit jamais assez, ne repose par sur une histoire ou quelques personnages.
À peu près tout le monde peut inventer une intrigue avec un commencement, un
drame et une fin. La littérature passe par une manière, un style qui révèle
l’auteur, un rythme, une musique interne, une façon de dire, de voir et de se
faufiler dans le quotidien. On identifie un écrivain comme on reconnaît la
musique de Wolfgang Amadeus Mozart ou de Jean-Sébastien Bach. Marcel Proust a
une manière inimitable, Robert Lalonde ou Gunther Grass, qui vient d’avoir la
mauvaise idée de mourir, ont une écriture singulière.
MARCHEUSE
Marie
Clark aime partir dans les champs, oublier les sentiers balisés, marcher au
hasard, découvrir des coins perdus, surveiller les arbres, les oiseaux, tout ce
qui vit et se manifeste quand on prend le temps de respirer et de voir. Elle
ramène toujours quelque chose, une fleur, une feuille, souvent un haïku, un
genre littéraire de plus en plus fréquenté au Québec. Je salue Carol Lebel,
André Duhaime et Jeanne Painchaud. Francine Chicoine qui a pris la relève avec
Louise Saint-Pierre pour créer le Camp
littéraire de Baie-Comeau qui se consacre uniquement à ce genre littéraire.
Une véritable école.
Ce sont des traces. Miennes. Un peu partout. Au hasard.
Dans la neige de la cour, dans celle de l’écran. Suspendues sur la corde à
linge ou à lignes. Toutes marques ténues que la bourrasque, la mémoire de mon
ordinateur, efface. Mes efforts d’empreintes luttent. Contre le temps. À tous
les temps. Perdent le plus souvent. Heureusement, je grave la petite attention
du haïku. Ma manière à moi d’inscrire le présent. Durablement. Comme une grâce
perpétue l’éphémère. (p.13)
Une
manière de voir, d’être, d’emprisonner un moment dans une bulle qui ressemble à
une goutte d’eau. C’est, je dirais, ce qui lui permet de fixer des moments de
sa journée et de sa vie. Je comparerais cela à des poinçons que l’on enfonce
dans le roc pour escalader une montagne. Des haïkus qui sonnent comme des coups
de gong qui font vibrer le paysage.
des tournesols
poussent
partout dans le potager
la touche du tamia
(p.61)
Il
y a aussi ces questionnements qui ne cessent de tourner autour d’elle comme ces
oiseaux qu’elle nourrit et qui lui disent de vivre, d’être là encore et encore.
Respirer, écrire, explorer, devenir la cartographe de son être, chercher les
coutures de son corps et de sa pensée, oser affronter ses hantises, sa
conscience de la catastrophe qui guette l’humanité avec l’exploitation
inconsidérée des ressources.
Nous ne pouvons pas vivre comme nous le faisons. Pourtant,
nous le faisons. Chaque jour de défi à notre planète nous rapproche de la
catastrophe. Ce petit bout de terrain que j’ai emprunté à une banque. Mon îlot
de terre franche au milieu du délire. Sur lui, je me dresse contre le vent.
Cultive. Fais fructifier. Il n’y a rien à opposer au désespoir. Que la beauté.
(p.69)
La
plupart des gens préfèrent fermer les yeux et foncer sur les autoroutes,
risquant l’hécatombe à chaque courbe. L’écrivaine ne peut se résoudre à cette
inconscience. Elle se tient en marge, au cœur du monde, là où il est possible
d’habiter le silence, de s’extasier devant les battements d’ailes d’une
sittelle ou les facéties des colibris. Ou encore prendre le temps de se pencher
sur un potager, biner, sarcler, participer à la générosité de la terre qui
offre tant quand on fait un effort. La méditation par le jardinage.
EXCURSION
Marie
Clark plante ses bâtons de marche dans le sol, scande des vers de Michel Pleau
ou de Denise Desautels, revient sur des extraits qui se faufilent dans sa
mémoire comme ces éclairs qui déchirent le ciel les jours d’orage. Écrire, se
surveiller, se mettre en état de réceptivité ; marcher, recommencer,
remettre ses pieds dans ses empreintes, toujours, trouver une joie immense en
prenant un nouveau-né dans ses bras pour bercer l’avenir.
J’écris parce que je suis si peu douée pour la ferveur de
l’instant. Pour rattraper mes pertes, mes manquements, mes distractions, mes
absences. Pour tenter de les contenir, les consigner quelque part. J’écris pour
nous, atteints que nous sommes tous au cœur, pour combler nos déficits à
l’égard du sublime. J’écris sur les herbes couchées de nos sentiers, sur les
traces de notre passage. Mes haïkus continuent de résonner bien après que je me
suis tue. (p.115)
J’ai
laissé des traces partout avec mon marqueur jaune comme je le fais toujours. Le
carnet est devenu plein de paragraphes éclatants qui me parlent, m’accompagnent
et me font sourire. Parce qu’on revient à ce carnet, il ne nous abandonne pas
facilement. C’est une sorte de livre d’heures.
Une
belle façon de retarder la bousculade du temps quand le soleil fait fondre un
glaçon au bord du toit ou place une mésange devant vous qui ose demander :
qui es-tu, que fais-tu ? Une façon de suivre l’écrivaine dans sa vie de tous
les jours, ses tourments et ses questionnements, ses peurs et ses petits
moments de joie. C’est ce que procure le métier fou et fascinant de l’écriture.
Un
texte senti, émouvant et vibrant.
J’ai
eu souvent l’impression d’être si près de Marie Clark que j’entendais sa
respiration, le mouvement de son stylo sur le papier quand elle décide d’écrire
avec son corps.
Un
moment d’arrêt, de tendresse et aussi le bonheur de partager. Comme si
l’écrivaine nous invitait à faire le tour de sa vie et nous laissait entrer
dans l’intimité de ses effarouchements. Le carnet ne pardonne pas : il
dévoile l’être, ce que personne ne peut voir à l’œil nu.
Petites leçons d’orientation apprises dans le désordre de Marie Clark a été
publié chez Lévesque Éditeur, collection carnets d’écrivains dirigée par Robert
Lalonde, 124 pages, 15,00 $.
http://www.levesqueediteur.com/petites_lecons_d_orientation_apprises_dans_le_desordre.php
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