Certains écrivains, ici comme ailleurs, éprouvent le besoin de revenir aux textes fondateurs, à des poèmes et des épopées qui sont considérés comme les assises de l'imaginaire des grandes cultures de la planète.
Michel Garneau et Alain Gagnon ont aussi trouvé le temps de fréquenter «Gilgamesh» pour notre plus grand bonheur.
Jean Marcel, dans «Sous le signe du singe», renoue avec un texte qui remonte à mille ans avant notre ère. Un récit mythique du Ramakien qui met en scène Hanouman qui aurait inventé l'écriture. Un long poème où les cultures du Sud-Est asiatique prennent racines.
Ce récit foisonnant et luxuriant fait défiler des centaines de personnages, m’a entraîné dans le monde aérien, au fond des mers ou descendre dans les entrailles de la terre. Un univers où les géants gardent les montagnes, où des singes sèment la guerre et s'unissent aux humains pour engendrer des êtres à la fois humain et animal. Tout est possible dans un tel récit. Comme si les dieux n'avaient pas complété leur oeuvre et que, un peu fatigués, ils avaient abandonné le chantier. Un monde grouillant, suintant, étonnant, toujours en train de muter et où les humains n'hésitent jamais à se mêler des affaires des dieux.
Jean Marcel témoigne bien de ces glissements dans sa poésie, son style contenu qui nous pousse dans la démesure de ces grandes guerres qui ont, semble-t-il, été de tout temps.
Abandon
Le lecteur doit oublier ses références et braver un monde magique, un monde que la Renaissance a définitivement ligoté en Occident. Ici, un singe blanc culbute une armée d'un souffle, plonge toute une cité dans un profond sommeil, se change en femme pour séduire un guerrier, utilise toutes les ruses pour parvenir à ses fins. On se fait la guerre comme on fait l'amour, on se tue pour les yeux d'une femme ou encore par goût tout simplement. Les grandes confrontations seront celles où s'opposent les magies qui tiennent lieu d'armes. Une mythologie grouillante, folle, pleine de trouvailles et d'inventions que bien des cinéastes ont retrouve et fait revivre.
Je n’ai même pas sourcillé quand quand je me suis retrouvé devant un géant à plusieurs têtes et un guerrier à sept bras. Dans cette dimension tout est possible, tout se transforme. Il est possible de construire un pont sur l'océan, de culbuter une montagne d'un revers de la main. Le merveilleux flirte avec la réalité, l'immortalité toujours possible.
«Aucun poète ne saurait chanter les mille beautés de cette fée, fille de Monto ; Rama en fut plus qu'aucun autre ébloui. Son visage brille en plein jour comme mille étoiles la nuit, ses yeux ont la modestie du daim, sous des sourcils aussi clairs que les horizons du monde ; sa chevelure est un bouquet de fleurs odorantes en même temps qu'un buisson de flammes ardentes ; tout son corps luit dans la lumière comme un fruit de la saison. Lorsqu'il leva enfin les yeux sur elle, Rama l'aima. Et Sita, comme si elle le connaissait depuis toujours, l'aima à son tour.» (p.55)
Il faut s'abandonner au plaisir et se laisser bercer par des images qui glissent l'une dans l'autre et nous décrivent une terre en gestation, un monde où le visible et l'invisible se confondent. Comme si nous étions à la naissance de l'invention et que tous les devenirs étaient là en friche.
Une lecture de ressourcement et un baume sur notre imaginaire qui est si bien ligoté dans les genres et les formes maintenant. Jean Marcel a le grand mérite de nous rappeler que l'art et l'écriture étaient, au commencement, une porte qui donnait sur un vaste espace de découvertes. Aucunes barrières, aucune limite! Nous retrouvons là le sens premier de la création qui a permis que l'Univers soit.
«Sous le signe du singe» de Jean Marcel est paru aux Éditions de L'Hexagone.