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lundi 14 août 2000

Abla Farhoud cherche à reconquérir son passé


Abla Farhoud, dans «Le bonheur a la queue glissante» nous présente une vieille femme. Dounia a quasi une vie derrière elle et en a fait du chemin depuis son Liban natal. Il y a si longtemps qu'elle est née cette dame un peu frêle... Elle a connu l'exil, le déracinement et s'est plus ou moins adaptée à ce pays qu'est Montréal. Comment croire que ses petits-enfants ne comprennent pas sa langue... Elle a appris à parler si peu qu'on la croirait muette. Pourtant elle bouge les lèvres, elle a des choses à dire. Il faut s'approcher et écouter. Nous nous laissons prendre par ce filet de voix qui devient musique, ces phrases qui se bousculent et que sa fille, une écrivaine ivre de questions, aimerait bien pouvoir attraper. Nous aimons Dounia, dès les premiers moments du roman.
«Mes mots sont les branches de persil que je lave, que je trie, que je découpe, les poivrons et les courgettes que je vide pour mieux les farcir, les pommes de terre que j'épluche, les feuilles de vigne et les feuilles de choux que je roule.» (p.14)
Le véritable exil c'est quand il n'y a plus de mots mais des gestes, des habitudes qui étourdissent...

Une vie

De confidence en révélation, nous apprenons la vie de la petite analphabète qui a épousé Salim, un beau parleur qui possédait l'avenir et qu'elle a suivi. Les femmes alors n'avaient que le droit d'obéir. Les enfants sont arrivés, différents, emportés par une façon de vivre qu'elle a du mal à comprendre.
Petit à petit, nous entrons dans l'intimité de Dounia. D'abord Salim, cet époux écartelé entre son lieu d'origine et ce nouveau pays qui lui a permis de vivre. Hâbleur, sûr de son droit de mâle, il comprend mal le monde qui l'entoure. Il préfère le passé aboli, ruminer, incapable d'avouer qu'il a été largué par son propre passé et la vie. Ses fréquents retours au Liban ne permettront jamais non plus de cicatriser la blessure. Il souffre du mal du déraciné.
Abla Farhoud montre magnifiquement bien les déchirements, les affres que vivent les émigrants qui débarquent avec tout juste des mains et qui se creusent un nid avec une patience admirable. Le récit de Dounia révèle une femme qui a subi la violence et la domination de son mari. C'est peut-être le plus terrible des exils que celui qui isole Dounia et Salim qui l'a frappée d'un coup de botte au visage alors que la vie était encore au matin.
Dounia confie ses secrets avec une économie de mots remarquable. A commencer par ce père qui prêchait l'amour et le partage mais qui n'a pas su la protéger contre le despote qu'était son mari. Lâcheté, abandon, isolement, domination des mâles sur les femmes. Tout cela est dit. La tyrannie s'installe toujours avec la lâcheté des uns et la complicité des autres. Et si c'était le propre de tous les pays où le politique repose sur une domination ethnique, religieuse ou sexuelle?
Myriam, la fille romancière, n'entendra jamais ces secrets, ne connaîtra jamais la violence de son père envers son frère Abdallah. Dounia ne pourra jamais avouer. Les tyrans se nourrissent du mutisme des victimes. Myriam devra mettre des mots dans les silences si elle veut écrire un livre sur sa mère.
Récit émouvant, parsemé de belles réflexions sur la mort et le vieillissement, une écriture fine qui ne cherche jamais à épater mais qui trouve son chemin. Abla Farhoud décrit une réalité que l'on ne voit jamais à la télévision, évoque un Québec peu familier.
Un roman d'odeurs, de soupirs, de gestes contenus, de regards qui s'attardent à la fenêtre quand le jour devient gris avec le soir. Oui le bonheur file et bien malin qui saurait le retenir.

«Le bonheur a la queue glissante» d’Abla Farhoud est paru aux Éditions de L'Hexagone.

samedi 12 août 2000

Évelyne Voldeng ne se livre pas facilement

Dans «Moi Ève Sophie Marie» Évelyne Voldeng entreprend de raconter ses pérégrinations. Naissance en Bretagne, vie en Provence, mariage et installation au Canada. Pas facile d'abandonner son pays, une enfance et de se créer d'autres racines dans un ailleurs différent et semblable. Évelyne Voldeng parvient mal à larguer les souvenirs, les images et les odeurs qui surgissent de l'enfance. Comment peut-on y échapper? Est-il possible de couper vraiment avec son passé? C'est tout un monde que l'on transporte en soi.
L'entreprise est sympathique. Peu d'écrivains migrateurs s'interrogent sur les difficultés de l'émigration. Abla Farhoud l'a fait avec justesse dans «Le bonheur a la queue glissante» mais le plus souvent, ces auteurs basculent dans la nostalgie ou tentent d'effacer leurs origines. En seize chapitres, Évelyne Voldeng nous fait valser entre l'enfance et la vie présente. Oublions les remarques souvent primaires qui houspillent le syndicalisme, le monde universitaire et les collègues. Passons...
«Page blanchie à la chaux, prête à recevoir tous les codes de la médiocrité. Je pourrais écrire dix livres de recettes pour destruction. Mais dans toutes les cliniques américaines (lapsus calami, je voulais dire canadiennes, mais j'ai cédé à l'impérialisme américain, paramécie géante dont les cellules politiques, économiques et culturelles envahissent tout le continent au rythme des marées galopantes), dans les cliniques canadiennes donc : cliniques pour autos poussives, cliniques pour fauteuils rongés, cliniques pour vieilles bottines, j'ai cherché en vain la clinique où cautériser les échecs.» (pp.24 25)

Occasion ratée

Évelyne Voldeng rate une belle occasion de mieux nous faire comprendre cet arrachement et les difficultés d'adaptation. Son questionnement reste pertinent, ses remarques souvent justes mais ce qui fait obstacle dans ce récit, c'est l'écriture même. L'auteure a cru bon de dresser une véritable muraille entre le lecteur et elle, multipliant les mots, les phrases et les images. Elle se comporte en auteure boulimique qui ne sait quand s'arrêter.
«La neige est pure, belle. Elle est le duvet de cygne qui recouvre les plaies de la nature. Elle est l'aile du goéland qui fleurit la lande du cap des Tempêtes. Elle est le cristal ébloui. Le sacrement qui rafraîchit la lèvre gercée de gel. Elle dessine mille ombelles sur les arbres radieux. Lanterne magique, sa blancheur emprisonne le prisme ocellé. Elle est la bouse blanche où sommeillent mille métamorphoses. Elle est le blanc repoussoir d'un vol de geais bleus. Dans le roulis des raquettes sur l'océan blanc, je respire la neige, je la bois, je la mange, je la transsubtantie.» (p.68)
La lecture devient une véritable épreuve et ce n'est que par entêtement que j’ai réussi à me frayer un chemin. A la toute fin, à la dernière phrase, j’ai eu l'impression de vivre une libération. C'est peut-être ce que voulait Évelyne Voldeng mais quelle épreuve ! Dommage...

«Moi Ève Sophie Marie» d’Évelyne Voldeng est paru au Nordir.

vendredi 14 avril 2000

Marc Boileau abandonne souvent son lecteur

Marc Boileau en prend large avec la réalité et qui peut lui reprocher de tout oser et de tout se permettre. Il le faut quand l'auteur entend mener ses lecteurs par le bout du nez, leur faire emprunter des sentiers nouveaux et inconnus. Dès les premières pages, il nous plonge dans un monde qui tient à la fois du conte fantastique et de la légende. Cette histoire on la croirait pigée dans les contes de la chasse-galerie. Une vraie tempête de neige, un chevreuil magique, des loups qui bondissent dans la poudrerie, les hurlements du vent, le chien qui ne sait plus dans quelle direction bondir.
Marc Boileau nous tient et puis il nous laisse tomber juste avant de nouer tous les fils. Il coupe court, se laisse entraîner par un personnage féminin et s’égare dans son récit. Un peu la caractéristique de ces onze histoires d'ailleurs. L’écrivain a réussi à m’entraîner dans une aventure parfaitement anodine, m’a fait m’avancer sur un fil ou encore m’a poussé au coeur d'une toile d'araignée et puis tout s’est effrité à chaque fois. J’ai perdu pied pour basculer dans l'anodin et le simplisme. Un peu frustrant.
«Elle était d'une beauté éthérée qui paralysait le regard. Son teint de porcelaine était parfait. Un tout petit grain de beauté sous sa lèvre inférieure ajoutait du relief à son visage, et une fine cicatrice sur son front amplifiait la profondeur de son regard. Ses yeux transparents étaient presque irréels. Ils étaient comme une mosaïque de bleu et de vert. De longs cheveux d'un blond sauvage caressaient ses joues. Sa tendresse pouvait se respirer.» (p.36)

Pirouette et cacaouette

Au lieu de creuser son sujet, de foncer dans une direction précise, l'auteur s'en tire par une pirouette. Il rabâche, glose et a réussi à m’énerver à chacun des textes. Toutes les fictions de Marc Boileau auraient eu intérêt à être élagués et ramassés. 
«Finalement, elle se fit prendre à son propre jeu. Elle s'élança pour sauter par-dessus un tronc couché à travers le sentier. Mais, la fatigue jouant contre elle, l'obstacle s'avéra trop haut. En tombant, la femme se brisa quelque chose à la cheville. La blessure se mit instantanément à rugir dans tout son corps pour la paralyser de douleur et de peur. Étourdie, elle leva les yeux et elle vit le fou devant elle. L'homme était dégoûtant. Son sourire graisseux racontait tous les détails de ses appétits sordides,» (p.127)
Que de phrases inutiles, que de détails et d'images forcées. Les maladresses et les incorrections finissent par rebuter. «Anne-Marie accepta l'invitation sans hésiter et avec un sourire qui goûtait bon aux yeux de Morin. Un sourire de désir.», «... entendre ses poumons sur le point de hurler leur mort», «L'image lui glaça le sang d'un seul coup». Je pourrais accumuler quantité de ces phrases qui font hausser les épaules. Marc Boileau devra corriger cette manie et cette quête d'images gonflées aux hormones.
«Entre chien et chat» nous fait sombrer dans le loufoque et l'extravagant. Là, nous atteignons les bas-fond.
Marc Boileau semble capable du pire comme du meilleur. Il devra apprendre à maîtriser ses élans et son enthousiasme, à discipliner son écriture, à choisir le plus simple pour donner toute la place à l'action et aux personnages.
Une langue souvent boiteuse qui gâche vraiment le plaisir. Dommage parce que cet auteur a une façon de transformer la réalité, de jouer avec le possible et l'impossible qui peut étonner.

«Histoires fantastiques du Saguenay» de Marc Boileau est paru aux Éditions JCL.

mercredi 12 avril 2000

Un monde qui a le souffle un peu court

Jean-Paul Filion vient du monde de l'oralité et de la tradition du conte. Ah! ce monde d'avant la télévision où la parole faisait surgir le merveilleux et des personnages qui pouvaient tout dire et tout inventer. Jean-Paul Filion est demeuré fidèle au monde magique des conteurs et des menteurs.
Le hic, c'est qu'il est difficile maintenant de se laisser prendre par cette parole qui a un goût un peu suranné. Jean-Paul Filion, surtout dans «Les conteries de Jean-Bel», ne transcende pas cet univers et se laisse happer par le plaisir d'inventer des images. Jamais il ne se donne le souci de ramener son récit vers notre époque. Nous avons l'impression de fouiller dans un vieux coffre plein de boules à mites. Jamais non plus il ne concède à l'écriture, s'en tenant à l'oralité.  
Il y a bien quelques petites étincelles mais l'intérêt s'émousse très rapidement.
«Comme dev'nues paralysées, les mains de M'sieu Bach ont lâché l'piano. La bouche de M'sieu Bach s'est ouverte sans être capable de parler. Enfin, y m'a r'gardé dans le blanc des yeux. Comme j'me sentais drôlement crinqué pour faire valoir mon violonage à son meilleur, le grand artiste se r'pencha su' ses notes à lui et se mit à m'suivre, d'abord tranquillement, pis... de plus en plus vite, jusqu'à pouvoir r'joindre la frénésie d'mes doigts. Tous les deux, on a fini par s'envoyer un sourire d'enfant à travers les sons dansants, heureux de s'être rencontrés au bour d'la nuit.» (pp. 51 52)
Rencontres

La rencontre avec Jean-Sébastien Bach tourne court. Une belle occasion de ratée. C'est le problème de cette suite de contes qui surgissent comme des bulles mais ne vont nulle part.
Que dire de plus? Le monde magique de Jean-Paul Filion a les ailes roussies. Peut-être aussi que Jean-Bel est un peu fatigué malgré ses prétentions.
«La vie est une respiration qui sait pas s'fatiguer. Avec elle, en vrai migrateur, j'suis donc d'équerre pour toujours me r'commencer.» (p.108)
On voudrait bien y croire...
«Les conteries de Jean-Bel» de Jean-Paul Filion est paru aux Écrits des Hautes-Terres.

mardi 4 avril 2000

Qui réussira à saisir le monde et à l'exprimer?

Certains préfèrent inventer le monde, le fantasmer ou le rêver. D'autres passent une vie à essayer de comprendre les agitations et les migrations qu'ils vivent, tant dans leur tête que physiquement. La littérature restera toujours ce regard, cette manière de se creuser un nid. Parfois, c'est réussite, souvent nous en revenons déçus.
Alix Renaud nous entraîne dans un monde à la fois familier et étrange dans «Ovation». Les trois nouvelles rassemblées ici, déjà publiées dans des revues, demeurent des modèles du genre. Bien sûr, il s'agit de science-fiction. Sans être un initié, il est possible de goûter à cette littérature quand l'auteur sait surprendre au détour d'une phrase ou d'un paragraphe. Alix Renaud sait très bien le faire. Il maîtrise bien son récit et retient le lecteur, s'amusant à l'égarer avant de le ramener. Et quel imaginaire!
«A vrai dire, il avait déjà trouvé la solution. Il aurait pu se lever, quitter son bureau sous le regard ahuri de ses quatre collègues et se rendre directement au bureau du grand patron, Hoku Koto. Il aurait annoncé sa victoire et se serait fait remettre illico une plaque de promotion et un permis de séjour pour Londres, pour Rio ou pour Shanghai. Mais Mashi ne voulait ni quitter l'ambiance familière de la Kumishawa, ni se séparer de Kern, son ami, ni passer quinze interminables nuits loin de Norma.» (p.17)
Mashi semble bien adapté dans cette ville moderne et pleine de surprises. Pas de compétitivité, d'obligations et de devoirs. On travaille pour s'amuser, pour passer le temps peut-être et pour se réaliser. Le «meilleur des mondes» pour Mashi sauf qu'il fait preuve d'infidélité en retardant de livrer sa découverte au maître suprême qu'est Hoku Koto. C'est là que tout commence. Le doute s'installe et Mashi, tout autant que le lecteur, cherche à savoir ce qui grince. Nous réalisons aussi que nous sommes dans le plus incroyable univers totalitaire.

Expérience

Dans «Exanoïa», une équipe de savants s'est suicidée après une expérience pour le moins mystérieuse. Tous sont morts sauf le responsable qui dit avoir survécu parce qu'il est athée. Est-ce une raison pour échapper à la mort? Fernand Trottier, journaliste, dirige l'enquête et nous découvrirons que dans ce laboratoire secret, l'équipe de Claxton a recréé le système solaire à une échelle miniature. Ils ont reconstitué la terre, le soleil et des hommes et des femmes sont apparus, refaisant les découvertes et les bêtises de leurs créateurs.
«Car c'était bien notre Globe qui tournait lentement sur lui-même, à quelque deux mètres de moi. Je ne distinguais rien dans le détail, mais je savais. Rien n'était absolument pareil à ce que j'avais vu à la télévision ou dans les encyclopédies. J'avais ma certitude. Je vis des continents disparaître peu à peu dans la nuit, d'autres émerger sans hâte de l'ombre environnante.» (p.108)
Avons-nous un créateur? Est-ce là le vrai visage de Dieu? Vieille question qui demeure sans réponse.
Enfin la dernière nouvelle nous fait vivre une mutation où les femmes deviennent des oiseaux. Peut-être la moins intéressante, la moins fouillée aussi, même si elle donne son nom au recueil.
Dans un style alerte, sans bavure, un peu sec même, Alix Renaud sait nous faire bondir sur les phrases et nous tient en haleine jusqu'à la dernière page.

«Ovation» d’Alix Renaud est paru aux Éditions Planète rebelle.

Julie Stanton reste consciente du monde

Dès ses premiers écrits, Julie Stanton a fait preuve d'une constance admirable. Poésie, prose ont démontré ses exigences. Elle risque tout à chaque fois dans un chant, dans un roman même si le jeu de «l'amour et du hasard» a été très souvent exploré en littérature. Encore une fois, elle entraîne son lecteur dans un récit exigeant, un univers où vie et mort s'emmêlent, s'enlacent dans une incantation fascinante.
Avec «La passante de Jérusalem», récit poétique, chant plutôt qui se divise en six stances, le lecteur accompagne une femme qui, dans un dernier souffle, tente de rejoindre l'homme qui l'a quittée, incapable qu'il était d'ignorer la tragédie du monde. Comment oublier l'horreur qui a éventré le siècle en envoyant des millions d'hommes et de femmes au bûcher?
«Douleur rouge de coquelicot.» La triste aventure de l'humanité suinte des murs, bloque le passage à l'amour et à l'abandon. Chant d'amour et de mort, Kamouraska ou Jérusalem, l'appel monte avec le gonflement de la poitrine. A peine un souffle, une brise qui caresse le rideau, ou encore ce vent imbibé des neiges du Saint-Laurent, le lecteur se courbe sur la couche de la gisante qui murmure son amour comme on le fait dans une prière.
«À trop entendre on n'entend plus, cependant que l'oreille collée sur le prochain siècle il y a peu d'espoir d'en finir avec la barbarie. Mais vous toujours n'avez cessé de placer sa tête exsangue parmi les tableaux profanés de l'univers. Bien qu'ici vous suiviez là-bas sa trace brûlée vive.
Ô ce fantôme incessant autant que réel!» (p.16)

Avenir

L'amour est-il possible quand l'humanité tue, viole et pille? L'amour est-il acceptable quand nous regardons la barbarie des siècles? L'amant n'a pas su, n'a pas voulu de l'amnésie. Il ne pouvait se livrer au bonheur quand il y avait Jérusalem et toutes les horreurs. «Ça n'aura été qu'une halte.» Il est parti. L'amour devenu impossible pour cause de mémoire.
Julie Stanton nous emporte dans un souffle qui monte du Saint-Laurent lourd de ses brumes, pétrie l'être et moule le paysage. Par la magie de l'évocation, du souvenir, nous retrouvons les extases et les angoisses de cet homme obsédé par la mort. Nous cheminons à rebours sur ce qu'a été une passion sans compromission.
 «Dans vos bras aux multiples détours j'insistais : pourquoi questionner le monde et ses désastres quand quelqu'un meurt chaque nuit additionné à l'infini ? Mais pour vous, où que soit la cible, dans le crépitement des fusils, sous l'arme sous un blouson, entre deux poings coup après coup, au bout du sabre femmes et enfants, les hommes pendus, il ne faut pas qu'on oubliem.» (p.30)

Ne pas oublier

Chant sensuel qui nous repousse au bord de la vie, au seuil de la mort alors que l'univers n'est peut-être qu'un battement de paupière. Ne jamais oublier... Le corps garde la mémoire des gestes, des matins heureux de Kamouraska. Le corps sait encore l'ivresse mais n'ignore pas les atrocités des barbares.
Grandes marées d'équinoxes qui secouent les continents en se retirant, l'écriture de Julie Stanton, à la fois charnelle et incantatoire, nous plonge entre l'extase et l'agonie. L'amante lance l'appel et le tocsin effrite la glace devant Kamouraska. «L'hiver règne sous la Terre, amour où sont tes bras?...» La dernière parole se replie dans un chiffonnement d'aile. C'était la vie, c'est la mort. Le chant est bu par le silence. Et jouez le jeu, lisez les stances de Julie Stanton à haute voix pour en saisir la musicalité, le phrasé et l'ampleur. Un véritable bonheur!
Livre superbement illustré par l'artiste Gernot Nebel, tableaux aux teintes chaudes et aux titres comme des poèmes, c'est là un travail d'édition à signaler. Une véritable fête pour l'oeil.

«La passante de Jérusalem» de Julie Stanton est paru aux Éditions Les heures bleues.
http://www.heuresbleues.com/heures_bleues_auteurs.htm