Suzanne Jacob s’intéresse au langage et aux mécanismes qui font que nous pouvons nous entendre entre individus qui vivent sur un même territoire. Elle a mené sa réflexion dans un essai remarquable «La bulle d’encre» et dans «Écrire» paru aux Éditions Trois-Pistoles où les écrivains tentent de cerner leur univers et le pourquoi de l’écriture.
Elle revient sur le sujet dans «Histoire de s’entendre», s’inspirant de l’expérience qu’elle a vécue à l’Université d’Ottawa où elle a été écrivaine en résidence. Elle avait accepté ce séjour à la condition de donner un cours que les étudiants devraient suivre. Histoire de ne pas parler dans le vide, j’imagine. Elle a choisi d’y questionner la langue, le langage, la pensée dans ces rencontres en explorant le monologue intérieur.
«À partir du fait que c’était le dialogue avec ces œuvres qui m’avait le mieux mise à l’abri de la désintégration, qui m’avait fait le mieux entendre ma propre voix intérieure, j’ai décidé que j’allais proposer aux étudiants une exploration du monologue intérieur, c’est-à-dire une exploration du monde là où il commence et finit pour chacun des individus de l’espèce humaine. Le monde n’est nulle part ailleurs que dans le monde des pensées de chacun.» (p.24)
Un angle qui peut prendre toutes les couleurs et peut aussi emprunter toutes les directions. Bien sûr, il y a des balises, des lois, cette grammaire qui réjouit certains et qui peut en faire damner d’autres. Un ensemble, un consensus qui fait que l’on a domestiqué le langage et qu’il est possible de communiquer entre des individus. Des codes aussi si l’on veut.
Communication
Ces règles permettent l’expression et aussi un regard sur le monde qui nous entoure, de livrer une pensée. Elles règlent aussi, policent et censurent dans une certaine mesure en mettant des balises partout.
Suzanne Jacob s’intéresse particulièrement à ces règles, à ce qu’elles permettent et aussi empêchent. Peut-être aussi se demande la romancière, qu’en se livrant à certains exercices, il est possible de faire tomber les masques, de faire entendre une voix qui est étouffée au plus profond de sa conscience. Que peut-il arriver quand on se met en situation d’écoute et que l’on ouvre toutes les valves pour ainsi dire. Bien sûr on reconnaîtra certaines approches et Suzanne Jacob montrera bien la différence entre l’examen de conscience, l’écriture automatique ou encore l’association libre que l’on pratique en psychanalyse.
«Il peut seulement faire prendre conscience que le silence, l’attention, la concentration font jaillir dans l’esprit des brouillons, des bredouillements, des amorces, des filaments de pensées, d’histoires, de récits qui paraissent n’avoir aucun sens, aucune utilité, aucun destin ni destinataire ; il peu seulement faire prendre conscience que le silence, l’attention, la concentration ont parfois pour effet de vider l’esprit de ces manifestations de l’activité de la machine narrative, sans perdre de vue que le vide, le silence, le mutisme figure parmi ces manifestations.» (p.28)
Nous basculons dans une forme d’expression hybride qui tient de l’improvisation, de la spontanéité et de libération du flux verbal. Cela permet surtout de défaire les blocages, certaines craintes qui empêchent de descendre au plus intime de soi. L’écrivaine y rencontrera des craintes, des refus et aussi des colères même dans cette approche. On ne s’ouvre pas comme on le fait de la porte d’un placard.
Suzanne Jacob tout en questionnant ses étudiants, le fait tout autant avec elle, explorant ses propres blocages, ses réticences, oscillant entre sa mère la Pianiste et sa sœur la Mouette. Elle ira rôder aussi du côté de certains écrivains qui l’ont marquée, de ses propres romans aussi. Un échange qui demande beaucoup d’ouverture et de générosité, d’humilité aussi et d’écoute.
Il en résulte un essai fort intéressant, souvent déconcertant. Elle arrive peut-être à cerner son univers, à déclencher des processus d’expression chez ses étudiants en approchant après plusieurs tentatives ce noyau dur, ce lieu où l’on cache des secrets que nous ne voulons livrer à personne, que nous ne souhaitons même pas évoquer. Pourtant, le travail de l’écrivain repose essentiellement sur cette quête, cette ouverture, cette plongée en soi qui fait que l’on dit ce que l’on ne veut pas penser même.
Un questionnement intéressant pour ceux et celles qui s’intéressent au pourquoi et au comment dans l’écriture, qui savent très bien que la langue les porte tout autant qu’elle les brime. Suzanne Jacob continue son exigeante quête.
«Écrire, c’est peut-être aussi décider d’en finir avec une histoire obsédante. Choisir son obsession et inventer l’oreille dormante qui aura raison d’elle, qui parviendra à lui donner un début, une durée, une fin. Et lire, c’est encore choisir d’entrer dans l’obsession d’une autre histoire pour exercer l’oreille dormante à trouver les issues de sa propre obsession.» (p.104)
«Histoire de s’entendre» de Suzanne Jacob est publié aux Éditions du Boréal.