mercredi 2 avril 2014

Alexandre Mc Cabe nous fait du bien

Étonnant et rassurant de découvrir un jeune écrivain et de trouver en lui une pensée qui fait écho à ce que l’on a toujours défendu dans ses fictions. L’impression de rencontrer un jeune frère en lisant Chez la reine d’Alexandre Mc Cabe. Voilà une entrée en littérature qui démarque un territoire, plonge dans l’enfance qui décide de tout, on le sait. Des modèles : un grand-père austère, un peu bougon, convaincu qui a fasciné le jeune garçon. Son décès fait basculer tout un pan de vie, évoque des rituels où l’amour, l’amitié et la solidarité familiale prenaient toute la place. Des personnages fascinants d’hommes et de femmes, un témoignage qui m’a ravi.

Le grand-père est atteint d’un cancer qui va le gruger peu à peu, l’aspirer pour ne laisser qu’une ombre. Un homme sévère, têtu, un peu grognon qui a marqué sa famille et les gens autour de lui. Le petit-fils, après des nuits de veille à l’hôpital, va se reposer chez sa tante, à la campagne. Une grande demeure qui a été le cœur de toutes les rencontres et de toutes les fêtes familiales. Particulièrement pendant la période de Noël et du Jour de l’An où la tribu se retrouvait pour festoyer, s’amuser, manger jusqu’en avoir mal au ventre. Toute la mythologie des fêtes y passe. Les décorations, les petites ampoules qui illuminaient la maison, l’arbre de Noël que l’on décorait avec plaisir, les cadeaux, la messe de Minuit où tout le monde se retrouvait malgré la place de plus en plus diffuse de la religion. On le faisait pour faire plaisir à la grand-mère, pour suivre la tradition, pour retrouver peut-être cette magie qui fait écarquiller les yeux de l’enfant.
Des personnages défilent, viennent surprendre comme dans toutes les familles. Proteau qui s’annonçait un matin, un rieur, un beau parleur, un amuseur à son meilleur quand il pouvait échapper aux regards de son épouse. Ou encore Pierre qui débarquait à l’improviste. Un personnage coloré, un peu bohème, ivrogne sur les bords, mais possédant des qualités étonnantes. Il aimait la musique et l’a fait découvrir au jeune garçon sensible qui ira étudier la littérature à l’université.

Retour

Un retour sur soi pour savoir d’où l’on vient, la route parcourue par ceux et celles qui ont ouvert le chemin de la modernité.
Chez la reine porte un monde qui s’est dilué avec la Révolution tranquille ; un monde traditionnel que le grand-père et la grand-mère illustraient, marqué par les rituels, les rencontres, des fêtes, de chaleureuses amitiés qu’il fallait entretenir et cultiver. Une pensée tribale je dirais comme il en existait partout au Québec à l’époque des grandes familles de mon enfance. Un monde ponctué par la nature, les cycles des saisons et les intempéries ; un monde magique pour le jeune garçon qui surveillait son grand-père, écoutait ses propos, les retournait pour en extraire toute la saveur.
La rencontre du grand-père, un nationaliste convaincu, grand partisan de l’indépendance avec un oncle, organisateur libéral et fédéraliste, est une pièce d’anthologie. Des points de vue irréconciliables. Quelle dignité du grand-père, quelle grandeur ! Absolument magnifique.
Il y a aussi la mort de Jérémie à l’hôpital. Toute la famille l’accompagne jusqu’au dernier souffle. Un moment formidable, d’une justesse et d’une force singulière que l’on ne retrouve guère chez les jeunes littérateurs.
Le tout se termine en France. Un voyage pour rencontrer la fille d’Albert Camus, écrivain sur lequel il a rédigé une thèse. Une rencontre brève qui fait prendre conscience au narrateur qu’il a tout croche, tout de travers. Un voyage pour retrouver sa ferveur, la fierté d’être Québécois lors d’une nuit bien arrosée, une fête où l’on parle de ce Québec possible et imaginaire. L’espoir luit.

Société

Un roman étonnant, que l’on n’attend pas du côté de quelqu’un qui fait ses premiers pas en littérature. Les nouveaux écrivains nous plongent souvent dans des univers sordides, désespérants, surtout du côté des garçons. Ils suivent des héros à la dérive, qui n’arrivent pas à s’accrocher à quoi que ce soit. Comme si le monde s’effritait et que la vie n’avait plus aucun sens. Alexandre Mc Cabe parle du clan, du bonheur de son enfance, des personnages qui l’on marqué, de ses grands-parents qui lui ont montré un chemin à suivre et à explorer.
Voilà un roman qui fait du bien, donne de l’espoir en cette période morose, cette fin de campagne électorale qui fait ressortir les peurs et toutes les aliénations. C’est vivifiant de lire un roman comme ça. De quoi faire oublier le cynisme qui nous étouffe de plus en plus.

Chez la reine d’Alexandre Mc Cabe est paru aux Éditions La Peuplade, 20,95 $.

Ce qu’il a écrit :

Une suite d’images avait défilé dans mon esprit. Je m’étais rappelé une date : le 25 juin 1999. C’était le jour où j’avais appris que mon grand-père était malade et qu’il allait bientôt mourir. Le même jour, quelques heures plus tôt, j’avais perdu ma virginité. (p.18)
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Pendant que j’observais des écureuils s’affairant à subtiliser les graines de tournesol destinées aux oiseaux dans les cabanes accrochées aux érables, grand-père fixait le lointain. Je me demandais à quoi il pouvait réfléchir en regardant cet arbre, ce champ, cet oiseau ou ce ciel. Était-il possible de se réjouir à la vue de ce royaume qui avait été si longtemps pour lui le lieu du labeur et de la pauvreté ? (p.51)
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Concentré sur les êtres plutôt que sur leur statut, il jaugeait les femmes et les hommes à la qualité de leur intelligence et de leur cœur. Il était exceptionnel à force d’humilité. Il n’avait pas cette grandeur qui écrase, mais plutôt celle, inverse, qui appelle la grandeur insoupçonnée des autres. Toutes ces qualités m’avaient convaincu très tôt de l’élire comme modèle. (p.82)
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— Tu sais, elle est bien belle la France, mais parfois elle est morose. C’est pour ça qu’on a toujours adoré le Québec. Vous avez cette joie de vivre… André, tu peux me passer ce crayon. On te donne notre adresse. Quand tu te seras pris pour Camus et que tu auras écrit un livre, on voudrait que tu nous l’envoies. On aura l’impression de tenir un petit bout du Québec dans nos mains. (p.149)
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Ce n’est pas tout d’écrire. Ce n’est pas tout de raconter de belles histoires. Ce n’est pas tout de parler de soi. Il faut savoir se situer. Se placer là où on doit être. Au péril de la littérature, s’il le faut.
Écrire un roman ? Jérémie ?
Si j’écris, ce ne sera pas de la nostalgie, mais de la fidélité.

2 commentaires:

  1. Quel émouvant commentaire Yvon. Suis en train de lire ce récit, il m'enchante...

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  2. Merci Dominique et belle et bonne lecture.

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