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dimanche 24 février 2013

Et si René Descartes avait écrit de la poésie


Michaël La Chance, avec «Le cerveau en feu de M. Descartes», propose un livre inclassable que j’ai lu en soupesant les mots, évaluant les phrases qui ébranlent la vie et les jours, la pensée qui, souvent, nous pousse dans les plus étranges excitations. Une réflexion comme il ne s’en fait plus et qui permet de se calmer dans un siècle où l’avalanche d’informations fait de nous des analphabètes. Une entreprise vivifiante.

René Descartes, le 11 novembre 1619, a fait des rêves singuliers qu’il note dans un petit registre en parchemin. Rappelons pour la petite histoire que Descartes est soldat et qu’il sert dans les troupes de Maximilien de Bavière à cette époque.
«L’esprit enflammé par l’excès de tabac, le jeune philosophe est tombé dans un sommeil profond, pourtant il se réveille dans son rêve et interroge celui-ci tout en rêvant. Il interroge cette nouvelle existence entre la vie et la mort, entre la réalité et l’illusion: son corps entre-deux n’est qu’un reflet qui glisse parmi les reflets, une incarnation fantomale, qui tire ses énergies de l’affolement des images.» (p.9)
Deux de ces songes ont été reconstitués par Adrien Baillet en 1691 dans «Vie de M. Des-Cartes» et un troisième a été perdu. Une expérience qui a traumatisé le philosophe et changé sa manière de voir le monde et de l’expliquer.
«Cette nuit de 1619, quelque chose a été entrevu, que le philosophe n’aura de cesse de refuser; ce refus a décidé du destin spirituel de l’Occident. Nous voulons le rappeler aujourd’hui, alors que s’annonce un nouveau tournant et qu’éclôt, par petites éclaircies, le rêve d’une nouvelle façon d’occuper le monde.» (p.9)

Méditation

Michaël La Chance, avec sa manière personnelle d’aborder les choses, engage une méditation poétique des songes de M. Descartes, bouscule le philosophe, tente d’aller plus loin dans la réflexion, l’illumination qui met «le cerveau en feu» et fait plonger dans un monde où la raison s’étiole.
Bien plus, l’écrivain imagine un troisième songe. Une reconstitution en quelque sorte en s’appuyant sur les écrits de Baillet. Et pourquoi ne pas inventer un quatrième songe?
«Imaginons qu’il ait fait un quatrième rêve, qu’il ait trépassé d’un excès de fièvre, ou bien encore, qu’il se soit détourné des sciences pour écrire de la poésie.» (p.10)
Pour terminer, La Chance décrit un voyage qui s’amorce «par une robuste prise de tabac» dans les forêts de l’Équateur. Une forme de communion avec la terre, les plantes, les animaux, l’air et l’eau. Une vision guidée par l’Uwishin, un chaman qui entraîne les curieux dans des dimensions et des sensations méconnues.

Transformation

René Descartes, après ces illuminations, comment ne pas se tourner vers Rimbaud, a eu peur et il s’est accroché à la raison. Le «je pense, donc j’existe» vient de ce refus et explique «Le discours de la méthode». Ce que l’on nomme logique a pris le dessus sur tout depuis quatre cents ans et a fini par éliminer toute autre forme d’appréhension du monde. Le cartésianisme, malgré les séductions de cette réflexion, a fait en sorte d’éliminer toutes les autres formes de connaissance. La raison imposa sa dictature.
Cette approche nous pousse maintenant vers une catastrophe planétaire avec la prolifération des machines qui formatent l’homme. L’informatique étant peut-être le dernier virage de cette conception binaire de la réalité qui occupe toute la place sans pour autant apporter plus de liberté, de bonheur ou de temps à l’être humain pour le rêve et l’imaginaire.
«M. Descartes, c’est moi et c’est vous lorsque je m’accroche à une compréhension désincarnée du monde, lorsque je ne veux pas quitter une pensée de fer qui fait l’impasse sur une dimension de folie qui est en reste dans l’humain.» (p109)
À l’heure des changements climatiques et du réchauffement de la planète qui s’accélère, la consommation folle d’énergie fossile, il serait peut-être temps, avec M. La Chance, d’explorer de nouvelles pistes pour surprendre d’autres manières de penser, d’être et de vivre. Nous voilà devant les abîmes du cartésianisme qui prend le visage, de plus en plus, d’un délire rationnel et d’une fuite en avant. Une expérience de lecture assez unique que propose Michaël La Chance, une méditation nécessaire. Un baume pour ceux et celles qui ont mal à la pensée.

«Le cerveau en feu de monsieur Descartes» de Michaël La Chance est paru aux Éditions Triptyque.

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