Certains livres sont faits pour être lus et relus. C’est le cas de la trilogie de Pierre Gariépy. J’avoue! Autant j’avais été envouté par «Lomer Odyssée», autant j’ai hésité devant «Blanca en sainte» et «L’âge de Pierre». L’enchantement du premier volet s’était amenuisé et le dernier opus m’avait un peu rebuté. Je n’en avais pas fini avec Gariépy pour autant.
Autant profiter de l’été pour relire sa fresque.
Malgré des lieux sordides, le lecteur s’attache aux personnages dans «Lomer Odyssée». Le couple vit dans un port où grouillent des marins en quête d’amour et de tendresse. Ils ont de l’argent pour s’empiffrer et surtout pour se saouler. C’est grinçant, violent, étourdissant, mais Lomer et La Gueuse vivent un amour qui permet de triompher de tout. Une forme de romantisme où des fleurs d’une beauté fascinante poussent dans les ordures.
Dans «Blanca en sainte» le monde est ravagé par la peste, le sida peut-être. Les hommes et les femmes sont des bêtes. La seule façon de survivre est de trouver refuge dans une meute. Alors il est possible d’affronter tous les dangers.
Blanca, la Démone, a perdu Lomer dans un incendie. Elle fait marquer son nom sur son front. Elle s’affiche, elle est sa femme. Il n’y aura jamais d’autre homme. L'amour chez Gariépy est total et pour la vie.
Dans ce monde gangrené et sauvage, Blanca met au monde un garçon. Il porte l’avenir si avenir il y a. Tous perdent la mémoire ou sont éliminés par les bandes rivales. Les humains en sont réduits à se dévorer.
Jungle
Blanca est emportée par la peste au début de la vingtaine. Pierre est enfermé dans un orphelinat. Une jungle où les enfants sont utilisés comme marchandise sexuelle. Il s’occupe de l’Enfer, là où l’on garde les livres interdits. Il y découvre la littérature.
Il entreprend alors d’écrire sa vie rêvée, celle du Christ Jésus. Une parabole placée sous le signe de la sexualité et des miracles. Un Christ moderne que la télévision suit dans ses moindres gestes. Il y aura même une crucifixion en direct devant les caméras. L’écrivain en herbe doit quitter l’orphelinat pour aller faire des enfants. Une fiancée l’attend. Il demande un sursis pour terminer son roman où son alter égo séduit les foules.
L’ensemble
Les personnages de ces trois romans sont liés dans le temps et l’espace. Les histoires se construisent l’une par rapport à l’autre. Le monde s’est défait à la mort de La Gueuse. Lomer l’a vengée par le feu en brûlant le bar. Il mourra dans un incendie. Qui utilise le feu périt par le feu. Blanca vit dans un monde similaire à celui de «La route» de Cornac MacCarthty. Que peut-être la vie quand l’avenir est une menace? Il reste la parole pour se défendre, une langue que la jeune femme utilise comme un fouet. Une parle carencée où les mots vacillent et prennent plusieurs sens. Pierre héritera de ce pouvoir de tout transformer par l’écriture. Ses phrases résonnent telle une musique sauvage. C’est le propre d’une langue contaminée par une autre que dire une chose et son contraire. Il y a un aspect ducharmien chez Gariépy.
Barbarie
L’humanité est retournée à la barbarie au temps de Blanca. Pierre, qui a une certaine parenté avec Jean Le Maigre de Marie-Claire Blais, le héros inoubliable de «Une saison dans la vie d’Emmanuel» oublie sa misère par l’écriture.
Un monde de violence, exacerbé, dangereux. La sauvagerie est de retour. Pourtant, il subsiste une sorte de lumière chez Pierre Gariépy qui fait qu’il peut y avoir un demain.
Voilà des romans à nul autre semblable dans la littérature québécoise. L’amour et la souffrance aspirent, retournent et vous secouent. L’amour transforme et permet de s’élever au-dessus de la cruauté du monde.
C’est souvent déroutant et rebutant. Une véritable expérience où l’on perd ses repères. Une jungle où la langue bondit de tous les côtés et menace votre équilibre. Tout est décadent, équivoque, incertain dans un univers souillé et détruit.
Il faut relire Pierre Gariépy pour aller au-delà des apparences, là où la vie palpite et lutte pour être simplement. Bouleversant et étonnant. S’il y a une espérance chez cet écrivain, elle vient de l’écriture qui dit tout et se permet tout.
«Lomer Odyssée», «Blanca en sainte», «L’âge de Pierre» de Pierre Gariépy sont parus chez XYZ Éditeur.