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jeudi 24 mai 2007

Quel monde auront les enfants de demain?

Aucune époque n’a été aussi contradictoire que la nôtre. Les océans se dégradent, les forêts sont saccagées et le réchauffement de la planète provoque des tornades de plus en plus destructrices. Chaque geste a des effets un peu partout dans le monde. Le futur n’est plus assuré et le passé ne peut plus être une référence. L’individualisme est glorifié quand il faut modifier des habitudes qui mettent la planète en danger.
Dans «Lignes de faille», son dernier roman, Nancy Huston présente quatre générations d’hommes et de femmes. Elle explore le passé trouble de ses personnages, entraîne le lecteur dans une véritable saga familiale. L’histoire débute en 2004 avec Sol ou Solomon, un enfant de six ans qui croit être génial.
«Dieu m’a donné ce corps et cet esprit et je dois en prendre le meilleur soin possible pour en tirer le meilleur bénéfice. Je sais qu’Il a de grands desseins pour moi, sinon Il ne m’aurait pas fait naître dans l’État le plus riche du pays le plus riche du monde, doté du système d’armement le plus performant, capable d’anéantir l’espèce humaine en un clin d’œil. Heureusement que Dieu et le président Bush sont de bons amis.» (p.16)

Héritage

Pour Nancy Huston, les hommes et les femmes portent un héritage souvent difficile à cerner, une identité marquée par le vécu des parents et des grands-parents. Chaque être est un maillon dans l’aventure de la vie qui ajoute une page à un récit qui s’amorce, on ne sait trop quand. Comme si le présent était la partie visible d’un formidable iceberg.
Cette recherche d’identité est au cœur des ouvrages de cette écrivaine prolifique qui a donné des œuvres remarquables. Pensons seulement à «Professeurs de désespoir».
Le pire comme le meilleur est en latence et peuvent ressurgir des décennies plus tard si on cultive l’oubli ou l’indifférence. Les folies meurtrières ne cessent de se multiplier pour nous le rappeler.
L’enfant-roi de maintenant tourne le dos à l’histoire et laisse présager les pires horreurs, celles vécues par son arrière-grand-mère en 1944.
«D’ici ma majorité, il faudra que tous les habitants de la Terre se mettent à parler anglais et s’ils ne le font pas c’est une des premières lois que je passerai quand je serai au pouvoir. Le caractère étranger de ce pays me donne la chair de poule…» (p.108)

L’enfance

Randall, Sadie et Erra ont vécu des ruptures vers l’âge de six ans qui ont bouleversé leur existence. Ces tremblements, ils passeront une vie à les masquer ou à chercher à les cerner. Sadie, la grand-mère de Sol, veut tout connaître de l’enfance secrète de sa mère, une fillette adoptée par un couple d’Allemands lors de la Deuxième Guerre mondiale. Nous touchons là le secret qui marque quatre générations. Peu savent que les Nazis enlevaient des enfants dans les pays occupés et les plaçaient dans des familles d’accueil pour repeupler l’Allemagne. Ils auraient été des dizaines de milliers à être ainsi déracinés...
«Elle a grandi au Canada, c’est vrai, et elle ne parle jamais des premières années de sa vie mais le fait est qu’elle les a passées en Allemagne. C’est vraiment important pour moi d’apprendre tout ce que je peux là-dessus. Je le fais pour toi aussi, tu sais… On ne peut pas construire un avenir ensemble si on ne connaît pas la vérité sur notre passé.» (p.157)

Quête identitaire

Nancy Huston explore les secrets de cette famille, glisse dans des silences qui marquent de génération en génération. Une question sans réponse peut être un terrible héritage pour un enfant. La vie permet de cerner ces secrets et de les transcender. Il n’y a pas d’autres manières de devenir adulte.
«Lignes de faille» est un roman passionnant, troublant, une œuvre littéraire de première force. L’écriture dense, à la fois proche du langage des enfants et d’une remarquable concision, nous aspire dès la première phrase. Encore une fois, Nancy Huston tente de cerner cet animal étrange qu’est l’humain. Elle démontre ici que nos gestes orientent l’avenir d’enfants qui naîtront dans vingt ans. Quel héritage transmettrons-nous et dans quel état livrerons-nous la planète?

«Lignes de faille» de Nancy Huston a été publié chez Actes-Sud/Leméac.

jeudi 17 mai 2007

«Port-Alfred Plaza» laisse un peu perplexe

André Girard est un ami, comme un frère. Nous partageons des moments où il a été question de livres, des bibliothèques ou de sensibilisation des publics à la lecture. J’aime cet écrivain, ne ratant jamais une chance de louanger «Zone portuaire» ou «Deux semaines en septembre». Des portraits inoubliables de La Baie, cette ville du bord du fjord qui s’ouvre telle une fenêtre sur le monde. André Girard connaît le grand souffle des marées, l’appel du lointain, l’arrivée des étrangers, les déchirements des départs. Ses tableaux impressionnistes sont toujours d’une remarquable justesse.
«Port-Alfred Plaza» vient de paraître. Un ouvrage que j’aurais voulu aimer par-dessus tout mais qui me laisse perplexe. Comment dire à un ami que l’on hésite devant son dernier-né.

Un peu d’histoire

Un groupe de l’Université Laval vient à La Baie pour trouver une nouvelle vocation au Musée du Fjord. On doit questionner des intervenants du milieu. Barham, celui qui doit faire le travail, enregistre à leur insu quatre personnages qui hantent la taverne de l’hôtel Port-Alfred. Pourquoi ce choix? Pourquoi ce détournement d’enquête… Où est l’intérêt? Étienne, le narrateur, s’explique, mais reste un peu flou.
«L’intérêt de la chose, c’est que Barham s’était appliqué à toujours enregistrer les mêmes clients, c’est-à-dire quatre habitués qui se retrouvaient jour après jour à la même table, quatre personnages attachants qui racontaient d’une certaine façon l’histoire de leur ville et dont l’authenticité avait fini par m’émouvoir. » (p.17)
Ces témoignages deviennent la pierre angulaire du roman. Lili, Jean-Claude et Monsieur Fernand ont du bagout et de l’élan. Elle rêve à son Miguel du Portugal et Jean-Claude aime raconter ses conquêtes, décrire les femmes qu’il lorgnait par les miroirs de son taxi et de l’autobus. Chacun y va de ses anecdotes et de ses fantasmes. Les «macalous», ces étrangers qui débarquent des bateaux, sont au cœur de ces enregistrements. Tous ont eu des contacts avec eux. Le barbier, le chauffeur de taxi et le travailleur du port, la prostituée pour des raisons particulières.
Il y a aussi Johanna, une invraisemblable femme de chambre, étudiante à l’Université du Québec à Chicoutimi, sujet d’un site porno et gérante de cette entreprise. Elle gagne bien sa vie à ce jeu, mais travaille aussi comme femme de chambre dans cet hôtel de passes. Pourquoi? Peut-être qu’elle est là pour nourrir les fantasmes d’Étienne, tourner certaines scènes et ramasser ses serviettes sales pendant son séjour à l’hôtel Plaza.

Uniforme

«Port Alfred Plaza» est de l’ordre du fantasme. Une obsession des vêtements que l’on taillade et déchire. Le lecteur rôde à la limite de l’agression. Tous sont emportés par un désir de transgression et de détruire un uniforme qui représente l’ordre et un conformisme social.
«J’avoue que j’ai pris un plaisir pervers à bien te serrer les poignets alors qu’elle s’appliquait à insérer dans le cadre les manches bleues de ma propre chemise. Clin d’œil au drapeau tricolore, disait-elle. Une fois tes poignets attachés, dressé derrière toi, je me suis amusé à t’effilocher la manche droite à petits coups d’Exacto. Après coup, j’ai à peine hésité avant de relever tes cheveux pour t’empoigner le chemisier. Ici, nuque dégagée, pointe de l’Exacto à la racine des cheveux, la lame effleure ton col. Parfait, répétait Julie, c’est parfait. » (p.141)
Tout au long de la lecture, on se demande où André Girard nous mène dans cette aventure où il masque l’exploitation de la sexualité et la pornographie.

Le vrai roman

Le plus beau du roman d’André Girard, le plus senti, nous ramène dans la zone portuaire qu’il sait si bien décrire et rendre vivante. C’est ce qui m’a retenu dans cette lecture.
«Non seulement ça fait réfléchir sur l’art, mais surtout sur soi-même, sur le mensonge, sa propre vie, sur plein de petites choses qu’on n’ose jamais dire. Peut-être que moi, dans la vingtaine, j’écrivais pour dissimuler, pour me cacher, peut-être que je n’avais rien à révéler. Peut-être aussi que je n’avais pas envie de les révéler, mes penchants.» (p.168)
Une «révélation» qui donne souvent l’impression de regarder par le trou de la serrure. En plus, André Girard promet d’autres histoires de chambres à Moscou et au Japon. J’usqu’où le pousseront «ces penchants» et cette fascination pour la pornographie et le voyeurisme…

«Port-Alfred Plaza» d’André Girard est paru chez Québec-Amérique.

jeudi 10 mai 2007

Que faire du temps qui nous reste…

Manque de temps, perte de temps, pas le temps. Tous nous courrons derrière une ombre qui s’éloigne de plus en plus. Tous happés par un métier ou une profession qui occupent les semaines et les mois. La carrière, les promotions et, parfois, un malaise dans le surmenage. Mais il faut continuer, faire comme si... La vie pourtant ne lésine pas sur les leçons. Il y a eu le décès d’un père, d’une mère ou d’une soeur. Un collègue de travail souvent. Ce fut le temps d’un arrêt, un pas hors du quotidien. Ensuite, il fallait retrouver la cadence folle des semaines. Jusqu’à ce que l’inévitable se produise. Le cœur ou pire encore, le cancer qui retourne le corps. Le temps se recroqueville, la respiration devient haletante, les minutes résonnent comme des coups de marteau.
Le terrible rendez-vous se profile, celui que nous avons tout fait pour oublier. Les gestes deviennent hésitants et demandent de plus en plus d’efforts. Il faut les calculer. Ce sont peut-être les derniers. Comme si nous étions expulsés des agitations des contemporains et qu’il n’était plus possible de faire confiance aux forces qui nous soulevaient.

Un sens à la vie

Esther Croft, dans «Le reste du temps», entraîne le lecteur dans ces espaces qui rétrécissent quand la maladie marque le rythme des jours. Tout ce que nous pensions futile devient l’essentiel. Ce que nous avons ignoré dans les rires et les excès s’impose avec une force difficile à imaginer. Ne reste que l’ici et le maintenant. Le soleil sur le dos des mains, la pluie qui tombe au bout de la galerie, la tasse de café qui réchauffe, le sourire de la personne aimée qui vous accompagne.
Tous les personnages du «Temps qui reste» se butent à cette heure fatidique. Ce peut être un moment d’une douceur remarquable quand une femme encore jeune, fascinée par Virginia Woolf, trouve le goût de l’existence quand sa fin devient palpable.
«Oui, elle a soudain envie de se retenir à deux mains pour s’empêcher de disparaître au bout de sa dérive. Comme elle l’a fait pour ses enfants. Avant de revenir sur ses pas, Manon jette au loin les derniers cailloux qu’elle avait encore au fond de sa poche.» (p.78)
Les personnages d’Esther Croft trouvent toujours le mieux face à l’inévitable. Ce peut aussi être une libération ou un moment de grâce. Ce «temps qui reste» permet de trouver le vrai et ce qui constitue l’essence de la vie. Chaque souffle devient un moment qui peut racheter une existence.
«Elle apparaîtra dans tous ses âges, à la fois semblable et différente, mais toujours forte et fière. Elle lui tendra la main comme elle l’a souvent fait, et lui apprendra comment on peut faire d’un seul instant de vie un pur moment d’éternité. Elle l’entraînera malgré lui hors de ses doutes et de ses inquiétudes et saura dissiper la tristesse qui l’a si souvent empêché d’exister. Pour lui, elle ne cessera de grandir à sa pleine mesure jusqu’à devenir à ses côtés la femme qu’il n’aurait pas osé espérer.» (p.101)

Recueillement

Les dix nouvelles d’Esther Croft sont une quête qui veut contrer l’absurde de la mort. L’agitation, l’insignifiance et les affolements s’éloignent. Ce peu de vie qui résiste permet de remettre l’être sur ses rails et de continuer avec une certaine sérénité. Curieusement, la mort semble vouloir calmer les vivants qui font tout pour s’en éloigner. Cet affrontement oblige les humains à se dépasser pour atteindre le meilleur d’eux. Bien sûr, il reste la douleur ou le bonheur qui mène vers le dernier soupir. Certains choisiront d’y faire face et d’autres préfèreront en finir rapidement.
Chacun des textes devient une méditation, une occasion de se retrouver et de connaître une forme de résilience.
Le lecteur touche à la dernière phrase avec l’envie de se tourner vers ses proches, de goûter à l’existence qui va de soi au temps des insouciances et des extravagances. Une réflexion qui fait du bien malgré la gravité du sujet. Avec Esther Croft, il n’est jamais trop tard pour s'ancrer dans la vie.

«Le reste du temps», d’Esther Croft est paru chez XYZ Éditeur.

jeudi 3 mai 2007

Robert Lalonde est un cueilleur d’étoiles

J’ai découvert Robert Lalonde avec «Une belle journée d’avance», en 1986. Je ne m’en suis jamais remis. Depuis, je suis un accroc qui attend avec impatience chacune de ses publications. À chaque fois, c’est la fête et une rencontre.
J’aime folâtrer, de temps en temps, dans certains de ses ouvrages pour glaner une phrase ou un paragraphe. «Une belle journée d’avance» bien sûr, «Le Diable en personne», «Le Fou du père», «Le Petit Aigle à tête blanche», «Le Monde sur le flanc de la truite» et «Iotékha» me permettent de renouveler le plaisir.
J’aime assez ce comédien devenu «souffleur de mots» pour relire l’ensemble de son œuvre en une seule et longue chevauchée. Chaque livre devient une aventure physique et existentielle, une expérience où tous les sens sont happés. Peu importe si l’équipée nous pousse du côté du roman, du récit ou du carnet, l’écriture de Lalonde nous fait explorer des sentiers négligés, se moque des balises, tend des collets à l’amour et à la mort.

Dix-neuvième livre

Avec «Espèces en voie de disparition», il revient à la nouvelle. Onze moments où l’on retrouve un monde familier et toujours renouvelé. L’adolescence qu’il a explorée dans «Que vais-je devenir jusqu’à ce que je ne meure», un ami qu’il accompagne vers la mort, une disparition inexpliquée du père. Peu importe les lieux, l’homme se laisse happer par les déchirures qui blessent l’âme et le font grandir. Partout, tout le temps, le lecteur vit des moments de vérité.
Et quelle occupation singulière de l’espace! Parce que l’auteur de «Où vont les sizerins flammés en été» est l’un des rares écrivains du Québec, avec Louis Hamelin, à arpenter le territoire américain, à intégrer la nature dans ses «histoires».
«Appuyé des deux mains à la rampe de la véranda, il était, si possible, plus mince encore que la veille. Derrière lui, j’apercevais les épinettes, la route de sable et le ciel chargé de neige. Il était nu comme un arbre mais ne tremblait pas, ne grelottait pas. La lumière s’allongeait sur l’herbe, du doré chaud de la croûte de pain. Plus loin, dans le pâturage, on apercevait des stries vertes d’été, d’autres roux sombre d’automne et, plus loin encore, au pied des arbres, des nébuleuses de givre. Le ciel était violet, l’horizon chargé de neige.» (p.31)

Métissage

Robert Lalonde porte en lui une culture à la fois américaine, amérindienne et européenne. Ce métissage en fait un être à l’écoute des forces que l’homme moderne menace par ses agitations et ses lubies guerrières.
J’aime mettre mes pas dans les siens, suivre ses longues enjambées, me glisser avec lui dans des marées d’odeurs, me grafigner aux fardoches et courir comme un halluciné à travers les pins qu’il sait si bien décrire. Son écriture tamise les neiges en janvier, colle aux orages et aux mains chaudes du jour, nous arrête devant le chant d’un oiseau ou l’envol d’une outarde qui «froisse l’air».
«Il a plu toute la journée. Je me penche sur l’eau et tends la main pour saisir un diamant de la Grande Ourse, une pâle émeraude de Mars. Mon cœur bat. J’ai de nouveau vingt ans et le droit, le devoir de faire ma vie. Une flaque de pluie, et voilà que se remet en marche au fond de moi la veille machine du rêve. Pinçant un scintillement entre mes doigts, je pense : « Quelle étrange place nous tenons dans l’univers, où nous sommes à la fois indispensables et de trop…»» (p. 91)

Un frère

À chaque lecture, je retrouve le frère qui me parle à l’oreille, me pousse dans des recoins et me fait aimer ce pays. Il me force à me brancher à l’univers, à déployer des antennes qui permettent de ressentir les frémissements de l’humanité.
Robert Lalonde est l’un des grands écrivains contemporains qui sait être juste, attendrissant et toujours questionnant. Ce terrible lecteur du monde invente la fête à chaque fois qu’il offre l’une de ses œuvres. Un capteur solaire, un cueilleur d’étoiles toujours à l’écoute, capable des plus belles escapades.

«Espèces en voie de disparition» de Robert Lalonde est publié aux Éditions du Boréal.

mercredi 25 avril 2007

Claude Jasmin sait aussi être émouvant

Claude Jasmin signe un cinquante-septième livre avec «Chinoiseries». Une forme d’exploit pour ce touche-à-tout qui a tâté de la télévision et été de toutes les aventures où la controverse et la provocation sont la norme. Il a aussi animé une émission littéraire au tout début de la télévision Quatre-Saisons. Cette station, tout comme la télévision en général, a largué les écrivains depuis pour céder la place aux amuseurs publics, aux justiciers et aux démagogues.
Récits, romans, journaux, correspondances, essais et téléroman marquent la carrière de cet écrivain. «La petite patrie» rassemblait bon nombre de fidèles lors de sa diffusion entre 1974 et 1976. Le pamphlétaire aime aussi envoyer des lettres aux journaux qui ne passent jamais inaperçues et a même voulu être député à une certaine époque.
Il était à «Tout le monde en parle» récemment, visiblement heureux comme un lézard au soleil devant les caméras. Jasmin n’a jamais refusé une occasion de se présenter dans un studio de télévision. Il aime la lumière des projecteurs, s’y sent dans un cocon et peut s’enflammer, s’indigner, pourfendre et plonger dans une controverse pour le plaisir de soulever des vagues. Pensons à ses dires sur les régions et la campagne lors de sa dernière apparition à la grand-messe du dimanche soir de Guy A. Lepage.
Dans un essai publié aux Éditions Trois-Pistoles, il affirme écrire «pour la gloire et l’argent». Espérons que ce ne sont plus ces illusions qui le poussent à signer ce roman. Si Jasmin est un personnage connu, il faut l’attribuer à «ses passages» à la télévision et à ses coups de gueule.

Le poids du temps

Ce roman, ce pourrait aussi être un récit, suit un homme de 77 ans qui voit l’avenir se recroqueviller. Beaucoup d’éléments sont puisés dans la vie de l’auteur. Le personnage vit dans les Laurentides, écrit dans un journal local où il ne donne pas dans la dentelle et a signé aussi plusieurs livres où il se permet des écarts avec la ponctuation et les majuscules.
«le vieil homme se souvient de tant de rencontres-séminaires ici-même, de journalistes ou d’écrivains, ces réunions étaient appréciées par de farouches solitaires, ce que sont souvent écrivailleurs et écrivaillons
réunions de «week-ends subventionnés», pas toujours pédantes, parfois avec des conférenciers savants, de vrais «illustres», parfois avec de «célèbres» inconnus, des happy few, des méconnus avec, bien entendu, du talent extrafort, des docteurs au sein de coteries de «bien branchés», mais aussi séminaires appréciés, animés par de vraies «vedettes» en belles-lettres, venues de Paris, Rome, New York» (p.97)
Le vieil homme nage à la piscine, regarde le monde s’agiter, voit son enfance revenir en grosses vagues. Il a été heureux près de sa grand-mère «fragile du cœur» et de ses sœurs, avec son père qui l’amenait sur les quais du port de Montréal pour s’adonner à la pêche à la ligne. Il y avait aussi les excursions dans le quartier chinois et les lettres attendues de cet oncle missionnaire à Szépingkai, en Chine.
Le roman oscille entre le présent du narrateur qui reprend goût à la vie grâce à Rolande et les lettres de l’oncle Ernest qui étaient une ouverture sur le rêve et l’aventure pour le petit garçon.
Nous retrouvons des personnages de «La Petite patrie», le restaurant de son père où les jeunes du quartier dilapidaient les heures et redessinaient le monde, un enfant qui découvre la prostitution, la violence, l’alcool et les tares du monde adulte. Un univers et une époque où Jasmin aime s’attarder.

Réinventer la vie

Jasmin devient émouvant quand il oublie les facéties et l’esbroufe, quand il montre le visage du vieillissement sans complaisance et sans apitoiement, la fragilité d’un homme qui se croyait immortel.
L’écrivain attentif et amoureux que nous retrouvons dans «Chinoiseries» est celui que je préfère. J’aime l’homme qui ne triche pas avec les mots. À souhaiter qu’il continue dans cette veine. Claude Jasmin sait être juste et percutant quand il cherche un sens à cette vie qu’il faut sans cesse réinventer.

«Chinoiseries» de Claude Jasmin est paru chez VLB Éditeur.
http://www.edvlb.com/claude-jasmin/auteur/jasm1000

jeudi 19 avril 2007

April explore le côté sordide des humains

En m’aventurant dans «Les Ensauvagés »de Jean-Pierre April, j’ai eu du mal à ne pas voir se profiler l’ombre de Moïse, cet hurluberlu, ce prophète autoproclamé qui s’est installé dans une commune, au cœur de la forêt gaspésienne, pour imposer ses volontés à son harem. Gabrielle Lavallée, dans «L’alliance de la Brebis», a raconté cette histoire particulièrement sordide.
Où se situe la frontière entre le civilisé et le barbare? Qu’est-ce qui nous empêche de sombrer dans l’horreur? L’histoire se répète. On l’a vu en Bosnie, au Rwanda, en Irak et au Darfour. Une nouvelle page sanglante s’écrit à chaque soir à la télévision. Le vandale frappe partout. Dans les villes modernes, la brute se manifeste dans des bandes de jeunes qui se livrent des guerres de trottoirs. Elle peut emprunter aussi les chemins de la politique et larguer des bombes sur les pays qui refusent une certaine façon de voir.

Utopie et barbarie

Dans le roman de Jean-Pierre April, Abraham dit Raham, le fils bâtard d’un Capucin et d’une servante, se proclame prophète de l’Ancien Testament. Il prétend régénérer la société en se réfugiant dans la forêt. Nous sommes au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale. Il pousse la folie jusqu’à inventer un jargon pour les enfants qu’il a eus avec sa sœur.
«… Abraham croit qu’Éva est la seule femme qui convient à son plan supérieur. S’il le faut, il l’emmènera de force bien au-delà de tous les lots renversés du monde pour fonder sa propre communauté, purement de son sang. La voix de Yahvé le lui a prédit. La voie de Yahvé s’exprime par lui. Yahvé est sa folie. Amen.» (p.251)
Bras d’un Dieu vengeur, il effectue des tournées, emprunte différentes identités, deviendra moine prédicateur au village de Longmal, dans l’arrière-pays. Là, il réussit à faire se repentir le clan des Pelletier, des hommes et des femmes plus ou moins incestueux. Comment ne pas penser à ces figures inquiétantes qui ont marqué leur époque, à Raspoutine qui a subjugué la famille du Tsar, en Russie.
Alexandre Paradis, jeune médecin, trouve «deux enfants sauvages» et les interroge. Avec sa nièce Vanessa, il découvre l’existence d’une société primitive, un secret de village dont personne ne veut parler. Sensualité, inceste, violence, mysticisme, pulsions animales s’affrontent et se confrontent. Nous culbutons dans des furies qui aspirent les humains quand ils rejettent les balises sociales, transgressent tous les tabous. Le docteur Paradis y découvrira sa propre histoire familiale et, peut-être, des aspects de sa personnalité qu’il ne souhaiterait pas secouer.

L’envers du monde

Jean-Pierre April perce des frontières, explore des obsessions qui font glisser dans des espaces que nous n’aimons guère fréquenter. Il suffit qu’une trappe s’ouvre pour se perdre dans l’enfer du monde. Raham donne une version du christianisme dans des prêches qui font sursauter.
«Parce qu’ils pensent connaître la Vérité. Mais les papes ont trompé tous leurs fidèles. Le Christ a failli à sa tâche, il a lâché, pis il est parti avant la fin. Il a pas pu laver tous les péchés du monde. Le monde est trop sale. Il est pas lavable. Faudrait un autre déluge pour nettoyer tout ça! Le seul vrai et unique Dieu, c’est celui du seul vrai et unique Testament. Le Nouveau Testament, c’est juste des menteries. Le pseudo-dieu des papes est venu faire trempette sur terre pis il est reparti avec le péché au cul. Moé, le péché, je l’abats! À grands coups de hache dans mon royaume des bois. Au nom de mon seul Seigneur et Maître, le Dieu d’Abraham, de Jacob et de Nabuconodor ! Chus pas rien qu’un missionnaire, chus prophète en mon pays!» (p.222)
April crée des personnages qui hantent et subjuguent. Il ne peut en être autrement quand on flirte avec la démence. L’horreur sommeille. Il suffit d’une occasion, d’une étincelle pour que le barbare en nous se redresse au milieu des quartiers résidentiels en semant les cris et la fureur. Et quand la passion se réveille, plus aucune littérature ne tient le coup. La sensuelle Vanessa et Alexandre finiront par le découvrir.

«Les Ensauvagés» de Jean-Pierre April a été publié chez XYZ Éditeur.
http://www.editionsxyz.com/catalogue/426.html

dimanche 15 avril 2007

Des images comme un mantra ou une prière

Charles Sagalane a voyagé aux Indes et en a ramené des carnets bourrés de notes. «Quand j’ouvre le vingt-neuvième de mes carnets, un carnet bleu à la couverture meurtrie, aux marges pleines, chaos de traits et de notes, c’est pour retrouver une recette, un exercice de yoga, un dessin ou une adresse.» (p.8)
Il reste bien peu de «ce chaos» à la lecture de «29 Carnets des Indes». Le voyage initiatique bondit en une seule et même phrase on dirait qui essaime sur plus de deux cents pages en suggérant le mouvement ou la quête.
Des images scandées comme un mantra ou une prière, des regards aussi, des questions où Sagalane cherche une direction à la vie et une manière de respirer dans le fouillis des jours. Rabindranath Tagore surgit ici et là, tel un maître ou un guide qui montre la direction, suggère un arrêt ou une réflexion. L’ensemble pourtant reste un peu difficile pour celui qui, comme moi, n’a jamais mis les pieds dans ce pays singulier.
Écrire en se dépouillant de ses vêtements et de sa culture, s’avère particulièrement difficile. Parfois, l’auteur oublie ses hantises et se laisse porter par une impression ou la couleur du jour. C’est le plus heureux du carnet ces moments où j’ai eu l’impression d’entendre une comptine.
«Sabots du chameau/dans la dune vont sautant/bottines d’enfant» (p.48)
Une efficacité de haïku et une certaine naïveté fort intéressante. Le meilleur de ces «Carnets des Indes».
«Là, il n’y a ni corps ni esprit,/et où serait l’endroit qui étanche la soif de l’âme» (p.150)
Après plusieurs lectures, je cherche encore où les pas de Charles Sagalane le portent dans ces pays fascinants. L’aventure voudrait que l’on s’égare en soi pour retrouver, peut-être, le fil de l’événementiel. Des textes hermétiques qu’il n’est pas facile de percer, comme si le poète avait lancé quelques mots sur les pages et qu’il laissait au lecteur le soin de reconstituer un univers.

«29 carnets des Indes» de Charles Sagalane est paru aux Éditions La Peuplade.

L’imaginaire peut-il inventer ses propres lois?

Nicolas Bourbaki est un mathématicien fictif, un prête-nom inventé en 1935, qui remettait en question l’enseignement des mathématiques. La supercherie a fait parler pendant des décennies. Un beau canular qu’André Weil et son groupe a su parfaitement orchestrer.
Alexandre Bourbaki, le signataire de «Traité de balistique», pourrait être le petit-fils de ce célèbre mathématicien virtuel. Dans les communiqués, on explique qu’Alexandre est né en Gaspésie, en 1973. Une chose est certaine, il est tout aussi fictif que son illustre ancêtre et permet à trois imaginatifs, Nicolas Dickner, Bernard Wright-Laflamme et Sébastien Trahan, de s’en donner à cœur joie et de sauter toutes les clôtures.
Le collectif garde des liens avec l’ancêtre Nicolas en flirtant avec les sciences, des principes et des phénomènes qui échappent aux lois qui orchestrent l’univers et la galaxie. Comment expliquer qu’un grand-père bafoue les lois de la gravité ou qu’une jeune femme provoque un dérèglement des lois physiques par sa seule présence.

Autres univers

Dans cette suite de textes, on ne peut parler de nouvelles, les auteurs ouvrent des portes et passent de l’autre côté de la logique et de la vraisemblance. Tout semble pourtant normal. Les faits respectent une certaine logique, mais il y a toujours un petit quelque chose qui fait que le lecteur bascule dans un univers invraisemblable.
«C’est ainsi que je perdis mon grand-père pour la seconde fois. Il ne pouvait plus être le compagnon de nos jeux, il s’était transformé en un petit oiseau qui se déplaçait en nageant dans l’air comme si celui-ci lui offrait une véritable prise. Un conseil de famille fut convoqué. On décida que Grand-père ne devait plus sortir. Dehors, le vent pourrait l’emporter.» (p.85)

Exigences

Non, tout n’est pas égal dans cette aventure. Certains textes tournent court, comme si les auteurs refusaient de pousser l’équation dans les derniers retranchements. D’autres, les plus élaborés, osent inventer un monde cohérent qui colle à une logique interne. Le genre a des exigences que les auteurs ne respectent pas toujours.
S’il n’y avait que ces plongées dans des univers parallèles, le lecteur se lasserait rapidement. L’aventure repose sur une écriture vigoureuse et efficace, simple, étonnante jusqu’à un certain point. Ce qui importe, ce sont les faits et ce ton pseudo-scientifique. On se laisse prendre.
Et pourquoi bouder son plaisir? Alexandre Bourbaki est encore jeune et il pourrait étonner si le trio garde le goût de l’accompagner sur les chemins de l’inusité et de l’étrange.
Amusant, moqueur et tendre, «Traité de balistique» est une belle manière de secouer certaines certitudes et d’élargir les frontières de l’imaginaire.

«Traité de balistique» d’Alexandre Bourbaki est publié aux Éditions Alto.

L’enfance demeure le terreau du créateur


La mémoire pousse vers le plus lointain comme au plus près de la vie. Claude Beausoleil, dans «Alma«, un récit constitué d’une soixantaine de très courts textes, arpente son enfance pour mieux évaluer sa vie actuelle.
Des milliers de Québécois, nés à la ville ou dans un village, ont fréquenté une même géographie physique et humaine sans, pour autant, devenir des écrivains et des poètes. L’enfant Beausoleil, dans un monde assez proche de celui de Michel Tremblay, se laisse séduire par les livres et les mots. Avant même de savoir lire. Une fascination physique, presque.
«Les lettres sont des personnes vivantes. Tout s’éclaire d’un coup. Dans cette obscure forêt de fumée blanche, des signes me parlent.» (p.12)

Univers

Qu’est-ce qui forge un homme ou une femme? Pourquoi un enfant se tourne-t-il vers la poésie, l’écriture qui le retiendra à l’âge adulte? Tout ce que Claude Beausoleil retient de son enfance aurait pu aussi l’éloigner des mots.
Les souvenirs s’accrochent à des odeurs, des couleurs et des sonorités, des chansons à la radio que l’enfant apprend par cœur; des voix d’hommes et de femmes qui plongent dans des drames et esquissent des mondes, quand il revient de l’école le midi. Des voisines, un propriétaire se démarquent et retiennent le regard. L’enfance se nourrit aussi des vacances à la campagne, de longues flâneries, d’un livre ou d’une seconde qui éclate comme une bulle et rejoint la mémoire. La sensation parfois qu’un grand espace se creuse dans le temps.
Le parcours a été possible grâce à un ange qui a surveillé ses pas et l’a poussé doucement dans les grandes boucles de la vie. La vie aurait été autre sans sa grand-mère Alma. «Memère Alma», l’âme comme on dit en espagnol, a eu l’intelligence de sentir que son petit-fils était différent sans vouloir le changer ou le faire entrer dans le moule.
«Premiers poèmes qui parlent d’amour et de bouleaux sur papier bleu pâle, ronéotypés à l’école. Écrits comme les chagrins d’adolescence, la mélancolie des espaces nouveaux qui tournent et tournent le hi-fi acheté par ma grand-mère malgré sa crainte, dit-elle, que je mette la musique trop forte.» (p.36)

Conscience

Pas de révélations ou de traumatismes qui font que le passé échafaude toute une vie. Beausoleil a glissé vers les mots tout doucement, naturellement, même si les arts visuels ont bien failli le happer.
«J’aime être seul. Dessiner, inventer des paysages, amas de traits, lignes précises qui s’ajoutent à d’autres. Toujours, construire des forteresses, des donjons, des tours, des enfilades de murs, des découpages crénelés. Derrière les liasses de grandes feuilles maculées de pointillés verdâtres que mon père me rapporte sans dire un mot, régulièrement, de son bureau, je reprends et modifie le même dessin pendant des heures sans jamais me lasser.» (p.55)

Machine à mots

La domestication de l’écriture passe aussi par l’apprentissage de la dactylographie, cette «machine à mots» qui permet à l’adolescent d’apprivoiser la phrase qui mène vers soi.
«Ce clavier rutilant sous les feux des néons, je veux lui faire écrire ce que je veux dire. J’ai l’impression qu’il va me permettre d’être à l’aise avec quelque chose en dedans de moi que je ne sais pas nommer.» (p.27)
Une gymnastique physique et mécanique, au début, qui dessine une géographie intime, un art de fouiller en soi qui le retiendra à jamais. Toute une vie s’amorce en tâtonnant.
Beausoleil retrace le geste, l’odeur et le mot qui ramènent les visages des proches largués par la vie. L’écriture permet de retrouver ces «moments de vie» que l’on examine comme un album de photos.
«Dans un instant qui n’en finit plus, des sons et des images se télescopent : les litanies des vendeurs, un air ranchero, le chapelet en famille, les « événements sociaux » à la radio de mon enfance, le regard plein de compassion de l’Indienne, celui de ma grand-mère, ses lèvres murmurant quelque chose que je ne saisis pas, quelque chose comme des conseils, une conjuration du sort, qu’elle me tend, les mains jointes dans son tablier fleuri, au matin de mon départ.» (p.97)

Aquarelles

Claude Beausoleil arpente les avenues du poème et de l’écriture, les grands tournants qui en feront un écrivain prolifique. Toujours avec discrétion et générosité.
Des récits comme des aquarelles qui soulignent des petits moments qui font surface, marquent les bonheurs et les peines. Ces flashes permettent d’aller d’un bout à l’autre de la vie du poète, de comprendre ce désir d’écriture et de voyager.
Surtout, nous savons en refermant ce petit livre que Claude Beausoleil, à Paris, à Mexico comme à Montréal, reste un vivant, un curieux et un inventeur de langages.

«Alma» de Claude Beausoleil est paru chez ZYZ Éditeur.

Des départs difficiles pour Mylène Bouchard

Mylène Bouchard lançait la maison d’édition «La Peuplade», en mai 2006, avec un titre séduisant : Ma guerre sera avec toi.
Ce roman, ce pourrait être un récit, oscille entre la poésie, l’évocation et la narration plus conventionnelle.
Une jeune femme est appelée à participer à un projet pour jeunes défavorisés au Liban, à Beyrouth. L’aventure, la découverte, le plaisir de voir le monde, bien sûr, mais tout n’est pas si simple. Elle vit un amour tout neuf et a du mal à s’éloigner.
«Un jour, je m’enivrais. J’étais dissuadée de gagner le lointain. Le lendemain, je ne pouvais plus concevoir de partir comme ça, comme une sauvage. Et chaque jour, une optique nouvelle. Et la nuit, plus sommeil. Je vivais alors un amour tout neuf, propre comme un sou neuf. Et il y avait la guerre qui s’ébruitait.» (p.58)

Le départ

Malgré l’amour, les larmes, Léo, elle finit par s’envoler pour Beyrouth. Le début de la narration devient une ode à l’écriture, aux mots qui gardent l’amour au chaud du cœur et du corps. Il faut tisser les liens et protéger la flamme. La solitude éclate en éclats que la prose n’arrive pas à contenir tellement le désir est fort, l’éloignement difficile. L’amour draine la vie et les pensées. «J’étais aveugle de tous gestes extérieurs.» (p.67)
Beyrouth s’impose, les rumeurs de guerre et le bruit des canons s’intensifient. Peu à peu la vie relève la tête. Il y a les amis, des artistes, surtout Natalia, comédienne et femme magnifique. La ville prend la couleur de certains visages.
Le texte s’adoucit et s’étire en récit plus évocateur. Les formes et les teintes de Beyrouth s’imposent. Le lecteur découvre une ville attachante et des jeunes qui veulent se redresser pour être quelqu’un dans la vie.
Et l’ordre arrive, comme un coup de canon. Il faut rentrer. La mission est terminée. S’il avait été difficile d’abandonner Léo, deux mois auparavant, quitter le Liban s’avère tout aussi difficile. La narratrice revient vers l’amoureux, mais son esprit et ses mots sont restés dans Beyrouth, la magnifique, quelque part dans une rue, dans le regard d’un enfant.
Un texte qui prend une signification particulière avec la guerre que ce pays a vécue au cours des derniers mois.
Un livre attachant. Mylène Bouchard jongle à la frontière de la poésie, du récit et du roman. À lire pour la respiration, le regard, la voix et la musique.

«Ma guerre sera avec toi» de Mylène Bouchard est paru aux Éditions La Peuplade.

samedi 14 avril 2007

Pour comprendre les chemins de l’écriture

Les Éditions Trois-Pistoles et Victor-Lévy Beaulieu, les deux sont indissociables, lançaient, il y a quelques années, la collection «Écrire» avec l’écrivain François Barcelo.
Une fresque où les écrivains et les écrivaines, «révèlent pourquoi ils écrivent, comment ils sont devenus écrivains, où ils vont chercher leur inspiration, ce qu’ils aiment (ou détestent) de leur métier», précise l’éditeur. On compte une trentaine de titres jusqu’à maintenant. Une édition solide, soignée qui ne craint pas les manipulations et les mauvais traitements.
Tout n’est pas égal dans ces témoignages. Il faut se rendre à l’évidence. Plusieurs écrivains sont peu portés à questionner l’acte d’écrire ou ce qui les pousse à jongler avec les mots dans la fureur des jours.
«La gloire et l’argent», claironnait Claude Jasmin dans son essai. Il n’en est pas à une pirouette près et à une provocation. Il est aussi étonnant que cette collection ne compte pas sur les écrivains Yves Beauchemin, Marie Laberge, Michel Tremblay, Larry Tremblay ou Michel Marc Bouchard. Les hommes ou femmes de théâtre ne semblent guère attirés par l’aventure. Il faudrait savoir pourquoi.

Louis Hamelin

Louis Hamelin a joué le jeu. «L’Humain isolé» explore le métier d’écrivain et les chemins de la littérature. Égal à lui-même, il emprunte les sentiers peu fréquentés, lance des flèches à ces auteurs qui prétendent bouder la lecture par crainte de voir leur génie s’oxyder par l’œuvre de l’autre. Drôlement bien envoyé et percutant. L’écriture commence par la lecture. On ne le répètera jamais assez. Écrire, c’est apprendre à lire le monde et son environnement.
«Trop de chefs, pas assez d’Indiens. Trop d’écrivains pour de moins en moins de lecteurs. Les facultés de lettres devraient fabriquer davantage de bons lecteurs et un peu moins de prosateurs dûment identifiés, le sceau de l’institution imprimé dans le front au sortir de la chaîne de montage. Car, à défaut de m’apprendre à écrire, l’université m’aura au moins appris à lire.» (p.49)
Hamelin regarde son enfance, secoue les rêves qui l’ont menés à écrire «La Rage» qui devait le propulser à l’avant-scène du monde littéraire au Québec. Il ne donne pas dans la dentelle et formule des questions fort pertinentes. Surtout, il s’élève au-dessus de ses textes et de la production des collègues.

Générosité

J’aime qu’un écrivain soit généreux, ouvre son univers et vous emporte dans ses premiers écrits, dévoile les obsessions qui ne cesseront jamais de le bousculer. Et quand un auteur, comme Hamelin, possède une vision de l’écriture et de la littérature du Québec et de l’Amérique, cela s’avère un festin.
Le romancier tient des propos plein de santé et de vigueur. Il ne craint pas de mettre le poing sur la table et de parler juste. Pas de mièvrerie ou de compromis.
Voilà le propre des vrais écrivains. Ils ne sont pas si nombreux au Québec et, surtout, ils ne font que rarement les manchettes.

«Humain isolé» de Louis Hamelin est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

François Turcot démontre son sens de l’image

François Turcot, en publiant «Miniatures en pays perdu», inaugurait la collection poésie de La Peuplade.
Un recueil porté par six mouvements ou six élans. Si «Suffit du dehors» et «Autour, commencements» s’avèrent plutôt anodins, «Mansarde» propose une poésie qui suggère, évoque un monde tel un dessin à l’encre de Chine. Et dans «Isba» et «Taïga», le poète nous entraîne au Nord, à Churchill, le bout d’un monde et l’antichambre du rêve. Les images s’imposent alors, vous forcent à vous arrêter pour respirer et vous laisser imprégner par cette poésie évocatrice, plus sentie. La strophe n’est plus un jeu où les mots s’accumulent comme des blocs legos.
«Le visage carnavalesque de l’hiver / s’articule / tel un sémaphore / il ne reste que des miettes de l’été / de vieux tisons / une fumée  froide qui s’élève » (p. 31) « Le train arrivé à la gare est une ligne sur l’horizon» (p.57)
Évocation du pays qui devient un trait qui fend le monde. Turcot démontre son sens de l’évocation et de l’image alors. Le poème s’ancre dans l’immensité où les horizons bougent et peuvent éclater. C’est le plus senti du recueil. On découvre aussi comme un récit en filigrane.
Mais cette volonté de fragmenter le poème m’a agacé un peu, la multiplication des points de vue et les parenthèses. «Miniatures en pays perdu» permet surtout à François Turcot de démontrer de très belles qualités. Il devient pertinent quand il oublie les effets pour dire, voir et témoigner. C’est encore le rôle de la poésie, il me semble.

«Miniatures en pays perdu» de François Turcot est paru aux Éditions La Peuplade.