Que voici un livre étonnant que ce «Petites géographies orientales» de Mélanie Vincelette! Une jeune écrivaine, vingt-cinq ans à peine, nous pousse vers l'Asie mythique et réelle. Quinze récits pour apprivoiser cette femme-narratrice qui va d'amour en amour, de départs en retrouvailles sur une planète trop grande et si petite. L'Asie et le Moyen-Orient servent de prétexte et de décors. Elle travaille comme journaliste mais ce n'est pas là le sujet des récits. Oublions les grands reporteurs qui prétendent expliquer la confusion politique d'un pays aussitôt qu'ils y mettent les pieds. Nous basculons dans l'ambiguïté, le flou, la mouvance des choses et de la vie.
«Je t'ai dit que je ne voyageais jamais avec espoir. Quand je partais, c'était toujours par désespoir. Quand plus rien n'allait. Quand l'air devenait irrespirable. Je quittais. Je fuyais. À voir le nombre de tampons sur mon passeport, j'étais souvent malheureuse. Ailleurs, j'étais autre. Un changement s'opérait en moi. J'avais une conscience plus claire de ma liberté.» (p.64)
Ce qui importe c'est ce là-bas, l'arrachement à ce qui blesse, la marche devant soi. Vincelette nous accroche par un détail et une image. Quelques mots et nous sommes ailleurs. Nous sentons ces fleuves parfumés qui glissent dans la lumière d'une fin de journée trop chaude. Les fleurs embaument, les pagodes luisent et les chants des moines agitent l'âme. Nous sommes envoûtés par cette lenteur et la douceur de l'air. Faut pas s'y fier. Tout n'est qu'apparence!
L’homme
Au creux du ventre, le désir persiste, l'amour que cette narratrice ne peut fuir et qui retourne le corps et les sens. Il y a celui qu'elle va rejoindre pour l'épouser même si elle ne l'aime plus, celui qu'elle suit, celui qu'elle va quitter. Il y a tous les autres, partout. Amants, amours éphémères comme une ombre qui plane loin au-dessus du désert. Le but du voyage reste incertain, peu probable. Ce n'est pas la fin qui importe mais ce poids de soi que l'on transporte comme une valise trop lourde.
«Je suis en train de rejeter mon corps comme on rejette un poumon fraîchement greffé. J'ai le spleen de Singapour car je t'aime. J'ai honte. J'ai honte car je sais qui tu es. Je sais que tu es mon ami depuis quelques années. Je sais que tu es aussi l'ami le plus fidèle de celui que je vais épouser. Tu m'accompagnes dans les rues de Singapour, tu m'accompagnes à travers la Malaisie, la Thaïlande et le Laos où celui que j'épouserai m'attend. Nous attend. Tu seras à la cérémonie de mon mariage.» (p.13)
Toujours la mort, le désir qui font fuir et partir droit devant. Voyager, c'est s'arracher à un lieu et à soi, couper et nouer des liens. Mélanie Vincelette esquisse des pages magnifiques quand sa narratrice suit un photographe dans le désert où le silence devient objet d'écriture. Peut-être le récit le plus réussi de l'ensemble.
«Parfois son silence était tellement profond que sa personne toute entière se dissolvait dans le grand désert de sel et c'était comme si je m'y retrouvais seule. Sans lui. Comme si je ne le voyais plus. Je marchais à reculons pour observer mes pas dans le sable. Pour ressentir ma propre présence. Mes empreintes avaient un tout petit peu modifié le grand désert où les fleurs sont sans parfum et la beauté est dans les yeux des nomades. Seule, je m'étais évadée de toi et de la Jordanie. Seule, j'étais libre. Ou presque.» (p.19)
Des récits où la quête de soi prend forme dans l'espace, au creux du temps.
«Petites géographies orientales» de Mélanie Vincelette est paru aux Éditions Marchand de feuilles.