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vendredi 16 juillet 2021

VICTOR-LÉVY BEAULIEU BRISE LE SILENCE

VICTOR-LÉVY BEAULIEU ne nous a pas habitués à un si long silence, publiant à un rythme effréné depuis 1968, allant même jusqu’à annoncer ses ouvrages à venir, laissant entendre que tout était en chantier et en voie de réalisation. À douze pieds de Mark Twain, en 2016, une «cabotinerie» marquait sa dernière sortie publique. Depuis, une absence, une disparition, comme si l’écrivain des Trois-Pistoles avait été happé par un trou noir. Effacement total dans les médias sociaux et des Éditions Trois-Pistoles qui n’ont plus offert un nouveau titre. Cinq ans, c’est court, c’est long, peut-être une éternité. Je me disais que son Nietzsche avait ratissé trop profondément et vidé sa réserve de mots. Un ouvrage de 1390 pages aspire tout ce que vous pouvez avoir de vitalité et de volonté. D’autant plus que l’on a parlé d’un testament littéraire. Mais, ce n’est pas parce qu’on signe un papier devant un notaire et des témoins que l’on cesse d’avoir des projets. Beaulieu revient donc dans l’actualité avec Ma Chine à moi, un texte qu’il qualifie de «candiderie». L’écrivain nous a habitués à ces fantaisies qui viennent donner une teinte particulière à certains de ses ouvrages. Il est l’inventeur d’un «essai-poulet», d’un «cantique», d’une «épopée drolatique», d’un «roman plagiaire» et d’un «roman comédie», un «pèlerinage», un «vaudecampagne», un «essai hilare» en plus d’un «dithyrambe beublique». Il faut se débattre avec ces qualificatifs que l’on ne trouve pas dans le dictionnaire et en tirer une signification. Et c’est peut-être une pirouette comme l’auteur de Race de monde aime en faire pour nous lancer sur une fausse piste.

 

Ce silence, avec plusieurs de ses fidèles lecteurs, j’imagine, m’a inquiété. Les rumeurs ont circulé. Maladie, retour du bacille de la polio et bien d’autres choses. Donc, Ma Chine à moi arrive à point. Un soulagement, bien sûr. Mais, il y a cette «candiderie» qui me chicote. Le sens premier du mot nous parle d’une grande ingénuité allant jusqu’à la crédulité. Il y a aussi Monsieur de Voltaire que l’écrivain a fréquenté, ce Candide qui fait preuve d’un optimisme à tout prix malgré les catastrophes qui pleuvent sur lui. Même en secouant ces définitions, je ne suis pas rassuré. Beaulieu cherche peut-être à nous prévenir de la futilité de la vie et de nos entreprises quand arrive le moment de glisser dans un âge certain et que le corps devient un refuge pour la douleur et que la gravité nous écrase. 

Alors j’ai pris mon temps, flairant l’ouvrage, m’attardant à la quatrième de couverture, effleurant le jaune, la couleur que seul l’empereur chinois pouvait porter, l’image de cette jeune femme à l’ombrelle dans un «jardin des délices». Et j’y suis allé tout doucement, retenant ma respiration entre chacune des phrases, pour m’imbiber du texte, en saisir «toutes les grosseurs», pour savoir où en est l’écrivain que je lis depuis plus de cinquante ans.

 

RÉCIT

 

L’impression de m’aventurer dans un envers du monde qui ne colle plus à celui que nous retrouvons en ouvrant les yeux au moment où l’aurore va pieds nus dans la rosée. Comme si ce qui faisait la belle saison avait perdu sa saveur et sa quintessence.

 

L’eau de la mer Océane ne sent plus l’été. Les arbres derrière la Meson ne sentent plus l’été. La terre tout autour de la Meson ne sent plus l’été. On en est pourtant qu’au tout début du mois d’août alors que les citrouilles ne ressemblent encore qu’à de petits poings verdâtres sous le bleu du Ciel — et les tomates, sous les tringles de fer, sont pareilles à des œils d’orignal que les guêpes mexicaines auraient remplis de pustules pestilentielles. (p.13)

 

Les saisons ont été émasculées et Beaulieu ne retrouve plus le monde qui était le sien. Le voilà à peine capable de s’arracher à sa grande chaise, s’accrochant aux tables encombrées de livres et de papiers, réduit à l’état d’impotent. En recourant aux fragments de sa fabuleuse «mémoire photographique», il songe à la Chine, au pays qui a bercé l’imaginaire du petit garçon qui courait partout sur les hauteurs du rang Rallonge.

C’était alors la «sainte enfance». Je me souviens. Une opération commerciale où l’on achetait un jeune Chinois pour l’aider à survivre dans cet autre univers où l’on crevait faute de pain et de ragoût. Un lieu si lointain, où des Canadiens français, tous des saints et des saintes, allaient se sacrifier dans les misères de la privation pour avoir un ticket pour le paradis. On collectionnait nos Chinois dans une sorte de marché public à l’école de rang où nous faisions la course. Qui aurait le plus de ces enfants chinois? J’étais prêt à dévaliser le bocal où ma mère entassait ses vingt-cinq sous pour attirer les regards.

Il doit bien y avoir quelques centaines de Yvon en Chine qui commencent à se faire vieux. Des Yvon Wong que j’ai achetés comme des petites bêtes. Du moins, c’est ce que je croyais à l’École numéro Neuf. Il doit y avoir autant de Victor-Lévy Wang. Mais Beaulieu, le chanceux, pouvait compter sur une tante missionnaire dans ce pays de dragons et de rizières où les paysans déambulaient dans l’eau qui leur montait aux genoux en suivant des bœufs.

Je savais si peu de choses alors du monde, lisant tout ce qui me tombait sous la main. Et les écrits n’étaient pas nombreux à la maison. J’ai dû me faire ambassadeur pour convaincre notre voisin, monsieur Poirier, un homme que ma mère trouvait étrange. Il passait une heure avec le journal Le Soleil tous les matins avant sa besogne aux champs, de me prêter les tomes de son encyclopédie. Ces gros livres me permettaient d’échapper aux frontières de La Doré. 

 

SILENCE

 

Le bacille de la polio a frappé le jeune homme, Beaulieu nous l’a souvent raconté, et le voilà ce virus qui pointe le nez pour lui enlever sa main d’écriture et ses jambes. Il a dû se défaire de ses bêtes qu’il dodichait jour après jour, négligé le vaste terrain qui déboule doucement vers le fleuve. Il entretenait aussi à peu près toutes les variétés de plantes qui résistent à notre climat sur son domaine qu’il arpentait avec sa bande d’oies et de canards. 

Il s’arrache à son fauteuil après des efforts inimaginables, rampe pour voir ce qu’il advient de son coin de pays. L’étang est envahi par la vase et les grenouilles y copulent furieusement, l’étable est vide comme un grenier plein de courants d’air. Reste peut-être des familles de chats qui errent ici et là dans la jungle qui entoure le manoir French que l’écrivain a réchappé de la décrépitude. 

Lors de mes visites, je me sentais si bien dans cette maison vaste comme un bateau lesté de livres. C’était toujours au cœur de l’été, quand Beaulieu préparait ses confitures de fraises. Ça sentait bon le sucre dans la cuisine, les fruits rouges qui mijotent doucement. Il nous accueillait dans son grand domaine sur lequel flottait un drapeau de pirate, où se multipliaient les fleurs et les arbres, où les animaux allaient en suivant leur nez. J’aimais le soleil sur le fleuve qui prenait feu parfois et immanquablement, nous allions faire le tour de son pays, empruntant les rangs de son écriture, nous arrêtant ici et là pour parlementer avec les chevaux, leur offrir une pomme juteuse. Beaulieu avait l’art de parler aux bêtes. J’avais l’impression d’accompagner un seigneur qui rendait visite à ses sujets qui le saluaient avec déférence. C’était avant, dans un autre temps, un monde différent, quand le mois de juillet se drapait de toutes les odeurs. 

 

MALADIE

 

Le besogneux infatigable, le travailleur acharné, le collectionneur de meubles anciens, l’amateur de belles voitures, le lecteur vorace a perdu ses moyens. 

 

Quand je me redresse, ça craque de partout, non pas parce que le vent soufflé avec force par la mer Océane se rend jusqu’ici, mais parce que mes chevilles, mes genoux, mes coudes et mes poignets sont pareils à du verre de Limoges et se cassent comme tel, sans équipollence, comme autant de petits marteaux se frappant les uns les autres. Devenir aussi vieux, ô Douleur! Ô Misère! (p.16)

 

Le voilà lésionnaire collant au plancher, l’un de ces personnages qu’il a interpellés si souvent dans sa recherche du «pays qui n’est toujours pas un pays», le «pays incertain» de son mentor Jacques Ferron. 

Floué par son corps, l’invincible qui dormait à peine quelques heures, debout bien avant l’aube aux doigts de rose, œuvrant jusqu’à la nuit qui allume des étoiles sur le fleuve pour guider les marins. Celui qui savait découper le jour entre le travail d’écrivain, d’éditeur et de lecteur se perd dans les brumes du sommeil. Échoué dans cette vaste maison de la paroisse Notre-Dame-des-Neiges, recourant à sa «fabuleuse mémoire photographique», il secoue ces moments où sa tante «Lumina, Fille de la Défunte Florence» lui parlait de ces pays qui avaient pour nom Mandchourie et Val d’Or. Tout lui revient quand il bourre sa pipe et qu’il suit les vagues de la fumée qui l’emporte dans une rêverie apaisante, avec la présence de Samm qui est là de temps en temps.

 

Malgré mes mains tremblotantes, j’allume la longue pipe, tire dessus avec force, ce qui, pour tout avouer, est à peine suffisant pour que mes poumons défaillants pompent la fumée par brindilles d’éternité. Ah cet air frais, si semblable à celui du matin aux Trois-Pistoles — aurore aux pieds de rosée, cette bruine venue de la mer Océane par minuscules paquets si tant odoriférants, si tant ravigotants, si tant ensoleilleurs! Quelques pipées encore et je ne saurai plus ce que signifie le corps vieillissant et pas davantage la terre vieillissante et encore moins le cosmos vieillissant. Ce sera bientôt là : si tu écoutais autant que moi, tu le saurais aussi, toi qui as peur même de l’ombre de Sa Voie! (p.28)

 

C’est dans cet état de grabataire qu’il questionne l’Agir, cette époque où il pouvait tout se permettre entre les premières lueurs du jour et la bascule de la brunante, quand il pouvait écrire dans les petits soupirs de l’aube, lire, brasser des affaires pour la télévision, discuter avec les imprimeurs ou des auteurs, s’occuper des bêtes et trouver son bonheur avec les oiseaux qui nichent dans ses arbres. Les abeilles butineuses aussi allaient partout, explorant les fleurs. Les colibris aussi, ces oiseaux qui ont tant effarouché les premiers Français à se risquer en sol québécois.

 

SOUVENIRS

 

Peut-être qu’avec le temps, surtout quand le corps se dérobe, qu’il ne reste qu’à ressasser des souvenirs et à revenir sur la pointe des pieds dans cette enfance qui nous a permis de nous élancer dans le pays des adultes.

La Chine, l’une des plus anciennes civilisations de la planète, l’endroit le plus peuplé au monde, l’espace de la démesure qui a fasciné tant d’écrivains. Je pense à Gilles Jobidon, entre autres, qui suit les traces de Jacques Trévier, dans Le tranquille affligé, un missionnaire français qui deviendra plus Chinois que les Chinois et s’incrustera à la cour de l’empereur.

Comme à son habitude, Beaulieu a empilé les ouvrages et semble avoir tout lu sur ce pays qui garde ses mystères. Que d’époques méconnues! Celle de l’empereur jaune qui sera l’instigateur d’un mausolée qui dépasse les frontières du possible. Cela nous a donné, des milliers d’années plus tard, l’une des plus importantes découvertes archéologiques qui soient. À couper le souffle cette armée de combattants en terre cuite plus grande que nature. La muraille aussi et des palais considérés comme des merveilles du monde que les Français et les Anglais ont pillés dans une guerre pour le contrôle de l’opium.

Les humains n’en sont pas à une horreur près.


Victor-Lévy Beaulieu se voit contraint de s’installer dans le Non-Agir. Il se souvient des grands textes des sages chinois. Confucius, Tchouang-Tseu et de bien d’autres, tente d’apprendre à vivre dans l’instant, dans l’être qui se complaît en soi. Il médite les réflexions qui ont formé la planète chinoise depuis des milliers d’années.

Tout cela avec les retours de sa mère et de sa tante «Lumina, Fille de la Défunte Florence». Leurs propos reviennent comme un mantra qui s’incruste dans la mémoire.

 

AVENTURE

 

Ma Chine à moi demande encore une fois de s’abandonner à la langue vertigineuse de Victor-Lévy Beaulieu, son humour particulier où il se permet de culbuter les mots pour leur donner une couleur nouvelle. C’est revenir encore et toujours (un écrivain peut-il faire autrement) sur les lieux de l’enfance qui ont fait l’homme qu’il est «deviendu».

 

S’il m’est dorénavant presque impossible de marcher à moins que je ne me surpasse dans l’imitation du Manchot empereur, ce n’est pas si grave que ça : depuis que j’ai cessé de publier des manuscrits, je n’ai plus besoin de me faire aller les harlapattes, ne serait-ce qu’à Sainte-Rose-du-Dégelé; depuis que mes bêtes vivent sur les hauteurs du Bic, ce ne sont plus les miens animaux et leur rendre visite ne leur apporterait pas grand bien, tout comme à moi d’ailleurs. Je ne mange pas toujours ce que j’aimerais me délecter avec comme c’était le cas avant, mais le vieillardissement québécois est ainsi fait que plus personne ne s’intéresse à ce que vous êtes une fois qu’on vous croit à la veille de débouler de votre billot. (p.181)

 

De la démesure de la Chine à celle de l’écrivain, de la vaillance infatigable à ce présent où il sent son existence se déliter, il apprend le flottement des jours, sans l’euphorisant des réalisations et des projets.

Peu souvent, j’ai lu un texte aussi bouleversant sur la maladie et le vieillissement. L’auteur nous pousse dans nos dernières résistances où toutes nos folies, nos étourdissements et nos croyances se font futiles. Nous gardons une Chine en nous, une tendance à l’extravagant, au grandiose et au spectaculaire. Pourtant, tôt ou tard, arrive ce temps où le monde se replie dans un grand fauteuil, où l’horizon prend la largeur d’une fenêtre, où nous devons naviguer en nous laissant ballotter par le clapotis des heures, n’étant plus qu’un témoin de la course des hommes et des femmes qui défilent au loin, comme sur un écran.

L’image de mon père, tout recroquevillé dans son corps, ratatiné par la maladie de Parkinson, me revient. Il vivait ses jours devant la fenêtre, surveillant les gens du village qui s’agitaient de l’autre côté de la rue. Tous allaient au garage des Asselin pour faire réparer des moteurs et des mécaniques qui servaient à traverser les semaines. Il était dans l’impuissance du Non-Agir et ne s’est jamais résigné à être un simple regard sur le monde.

Victor-Lévy Beaulieu, heureusement, replace les balises de l’écriture pour redevenir le prosateur que j’aime. Il m’a terriblement secoué cependant. Bientôt, plutôt tard que tôt, je l’espère, je devrai m’installer dans le Non-Agir, quand mon corps qui a couru tant de kilomètres et de marathons ne pourra plus supporter son poids et que mes jambes ne sauront plus retrouver la foulée apaisante et euphorique.

Ma Chine à moi est un récit bouleversant et peut-être une forme de résurrection pour le romancier des Trois-Pistoles. Ça effleure l’âme et c’est toute ma vie que j’ai senti me filer entre les doigts avec ce Beaulieu affaibli. Nous avons pourtant le même âge et c’est lui qui m’a inspiré depuis mon entrée en littérature en 1970, ne me laissant jamais indifférent.

Heureusement, il a pu lire l’hommage que je lui rends dans Les revenants, mon dernier roman, lui qui a été mon premier éditeur, celui par qui la grande aventure de l’écriture a commencé. Ce retour risque d’avoir des suites, puisque selon son habitude, Beaulieu annonce la parution de deux ou trois nouveaux ouvrages. Je l’attends avec impatience.

 

BEAULIEU VICTOR-LÉVYMa Chine à moiÉditions Trois-Pistoles, Trois-Pistoles, 2021, 45,00 $.

 

https://caveau3pistoles.com/produits/ma-chine-a-moi/

mardi 13 juillet 2021

L’AVENIR SERA COLLECTIF OU IL NE SERA PAS

NOS LENDEMAINS DE FEU de Julie Stanton nous plonge dans le sujet de l’heure, soit les bouleversements climatiques, la pollution qui met en danger toutes les espèces vivante. L’avenir se referme comme un coquillage devant les nouvelles générations. Il est plutôt rare que la poésie s’aventure de ce côté-là du monde, s’ouvre aux horizons de la planète et à son sort. On est habitué au terrible «je» qui enfle et prend toute la place sans jamais se préoccuper de l’environnement qui n’en peut plus de nos folies, nos angoisses et nos pillages. Bien sûr, il y a eu le courant identitaire et nationaliste dans les années 1970 avec Gaston Miron, Gilbert Langevin et Yves Préfontaine, mais avec l’échec du référendum de 1980l’individualisme s’est installé dans les champs de la poésie et peu nombreux sont ceux et celles qui ont osé emprunter les chemins de la collectivité pour imaginer le territoire improbable qui n’a cessé de fuir et d’être saccagé.

 

Deux temps dans Nos lendemains de feu dédié aux petits-enfants de la poète. D’abord Les paradis perdus où madame Stanton se souvient d’un éden qui lui a glissé entre les doigts par distraction ou par manque de conscience, peut-être aussi, comme beaucoup de notre génération, qu’elle a été happée par l’avenir, se laissant séduire par le chant des technologies qui avaient réponse à tout.

 

Délestée

de l’aura des années-lumière, tu imaginais

ce qui te conduirait aux années-

charnières. Un signe peut-être surgirait de

la Symphonie du Nouveau Monde, de la

relecture de George Orwell ou de

Nostradamus. Et si demain se réduisait au

néant?

 

Vois

La fonte du Groenland

Le Brésil sous la boue

Le déchaînement de l’Etna

 

Tends le cou au-delà de ta béatitude. En

Californie, Paradise a cédé à l’enfer, le

Portugal retient son souffle, la Grèce

flambe, l’Amazonie se meurt. Jusqu’aux

ruines qui s’ajoutent aux ruines. (p.15)

 

Nous subissons des dérèglements terribles. Une canicule meurtrière frappe la côte Ouest de l’Amérique, particulièrement la Colombie-Britannique, déclenchant des incendies qui détruisent tout sur leur passage. L’enfer, le véritable, sans Lucifer. Et les scientifiques prévoient que le phénomène va se reproduire de trois à quatre fois par année. Tout se déglingue et les terres fertiles sont maintenant des déserts. Pourtant, il n’y a pas si longtemps, la poète respirait dans le bonheur, s’abandonnait à des instants d’extase dans son île cernée par une luminosité qui lui coupait le souffle et la laissait sans mots. Des moments où elle pouvait imaginer que l’avenir était juste là, un peu en dessous de l’horizon, dans l’étal de la marée et que la vie était inépuisable de surprises et d’éblouissements.

 

Le soir s’égrenait en éternité. Âme à nue

dans l’opalescence de la plage, tu cherchais

le meilleur angle pour accueillir le vertige. (p.13)

 

Un repli sur soi, une méditation où Julie Stanton constate que les humains ont été des prédateurs insatiables. Tout ce qui était enchantement n’est plus qu’illusion. Tout ce qui faisait soupirer devant un soleil qui se noyait dans la mer étale risque de s’évanouir à jamais avec la fonte des glaciers, les ouragans qui mordent les côtes de l’Amérique, le smog comme un bâillon sur les villes. Et que dire de cette pandémie qui ne cesse de s’inventer des variants de plus en plus féroces? Qui aurait prédit, il y a quelques mois, que nous déambulerions partout au Québec avec un masque?

 

Les petits-enfants

des enfants de tes enfants, que sauront-ils 

de la forêt boréale naguère opulente, de la

taïga du Grand Nord, de ses tapis de

bruyère, de son lichen, de ses mousses? (p.18)

 

Constat, crainte, regrets, angoisse devant l’avenir, l’aveuglement planétaire qui n’a jamais voulu lire les signes de la catastrophe et qu’il était primordial et nécessaire de modérer nos appétits.

 

APPROCHE

 

Questionnements dans un premier mouvement, constats alarmants et au cœur du poème, une voix qui s’impose, celle de la conscience peut-être, pour tirer les choses au clair. Ce peut être aussi d’autres compagnons que Julie Stanton fréquente qui viennent à la rescousse. René Lapierre, Nicole Brossard, Jack Kerouac, Walt Whitman, Michaël Trahan, Suzanne Jacob, Léonard Cohen, Paul-Marie Lapointe et Jean-Marc Degent. Des allumeurs de réverbères qui se joignent à elle, murmurent et tissent une communauté de pensée et de paroles. 

 

Incontestablement

 

ta désinvolture n’aura servi qu’à élargir les

zones de faille. Tu n’as pas su freiner la

montée des aubes meurtrières, pas su

épargner la vulnérabilité de la tortue des

bois dans le clairières des Appalaches.

 

Si loin si proche

L’exode des animaux sans feu ni lieu

Celui des réfugiés climatiques

Pèsent sur tes épaules

 

La couche est dure lorsqu’on se bat seul,

son village à bras-le-corps. Qui dort où? (p.26)

 

Conscience des ravages d’un appétit de modernité insatiable, de nos aveuglements crasses devant la mort qui circule dans les rues au volant de grosses cylindrées, se roule dans les fleuves et les rivières, voyage avec les vents et assèche les terres les plus fertiles.

 

PAROLES

 

La poète pourrait s’abandonner à la désespérance, répéter que tout est consommé, qu’il n’y a plus rien à faire. Ce serait trop facile. Julie Stanton a toujours cru au pouvoir des mots. Non. Les enfants de nos enfants sont là. Ils s’imposent et inventent leur parole dans Résistants de l’ombre, la deuxième partie du recueil. Ils parlent haut et fort et c’est non. Jamais. Pas de compromis. Ils ne seront pas nos héritiers, surtout pas de l’aveuglement des prédateurs que nous sommes et qui ont étranglé la planète.

 

Merci pour ce que vous avez bâti entre

courage et mégalomanie mais non merci

pour les tas d’immondices si gigantesques

que nous sommes incapables d’atteindre

l’interrupteur nous refusons à seize ans

d’hériter du fatal boomerang de votre

splendide désastre les deux pieds dans la

gueule du cratère! (p.68)

 

Ils vont le défaire ce monde, le secouer aux quatre vents et le retrouver dans sa quintessence. Ils rêvent d’une autre beauté, d’autres villes, d’autres regards. La parole se renverse. Ils sont partout, porteurs d’un langage différent et d’une poésie régénérée. Ils s’éloignent avec l’avenir dans leurs sacs à dos, n’acceptent pas la mort que nous avons fini par domestiquer.

 

… nous sommes nés

sans notre consentement mais nos ailes

farouches nos crises d’anxiété des instants

paradisiaques des bonheurs atroces il y va 

de notre survie de dérégler vos boussoles

pour parvenir à l’imprévu. (p.81)

 

Il y a l’espace pour des lendemains qui chantent et Julie Stanton fait confiance à ces jeunes. C’est à eux de rejeter l’héritage et de faire une aventure de leur vie qui dépasse les limites de notre entendement. «L’espoir luit comme brin de paille», mais pour cela il faut un autre langage et un regard neuf sur ce qu’est le monde.

 

 … oui oui de

nouvelles racines tirées du vieux nous

sommes abonnés au recyclage. (p.89)

 

Terrible legs que nous laissons à ces jeunes, comme si nous leur demandions d’inventer le futur parce que nous avons courtisé la mort en nous abandonnant à nos bonheurs égoïstes. L’avenir sera collectif ou il ne sera pas. «… nous n’irons pas plus loin que la prochaine génération pas de panique c’est demain.»

 

STANTON. JULIENos lendemains de feu, Éditions Écrits des forges, Trois-Rivières, 2021, 16,00 $.

 

https://www.ecritsdesforges.com/produit/nos-lendemains-de-feu/ 

mardi 6 juillet 2021

UNE BARBARIE QUI NE VEUT JAMAIS SE CALMER

VOILÀ UN TEXTE que j’ai mis du temps à lire parce que je savais que ça me bousculerait. Le livre a traîné ici et là dans la maison pour me rappeler que j’avais ce rendez-vous et que je ne pouvais me défiler. Le coeur en joue d’Hélène Lépine touche les femmes qui vivent la guerre et toutes les violences. Cette démence des attaques et des bombardements revient jour après jour dans l’actualité. Une fatalité contre laquelle nous demeurons sans voix. Le barbare n’est jamais loin et renaît de ses cendres chaque soir dans les bulletins de nouvelles. Immanquablement, nous finissons par détourner le regard. Le cœur en joue nous plonge dans la réalité des femmes de la Syrie, pays dévasté par la folie des hommes et une tragédie sans nom. Des roquettes, des cris, des assauts que subissent ces victimes impuissantes qui fuient comme des bêtes.

 

La poète a vu les murs troués, les ravages causés par les bombes. Elle a écouté et entendu les pierres qui peuvent parler, les hurlements de ces enfants qui ne savent plus où se terrer. Des femmes la hantent la nuit et viennent la secouer dans son corps et son esprit.

 

elles se glissent au plus près de ma couche, me croient endormie

 

leur fatigue s’allonge sur mon corps, pèse de tout son poids, je garde les yeux fermés

 

mes visiteuses dédient leurs silences, me confient des peines infinies (p.13)

 

Je me suis buté à la carapace de ces vers avant de me faufiler dans les failles. Les strophes flottent sur la page, se répandent pour former le recueil, résistent. J’ai secoué chaque mot pour en surprendre toutes leurs facettes. Dialogue improbable qui se fait entendre comme une prière, un chant qui monte de la terre.

Les hommes en armes ne cherchent que la mort, le sang et la destruction. Ils traquent la vie à coups de mortiers et les bombes tombent avec la pluie. Les femmes évitent ces guerriers pour protéger les enfants et leurs corps. Parce qu’elles sont d’abord les victimes des avancées de ces militaires. Toujours errantes, dépouillées, impuissantes, elles fuient la peur au ventre dans des jours et des nuits qui s’étirent comme des siècles. 

 

LONG POÈME

 

Les murs de Damas vus par Dima Karout lui servent de guide, des éclats de voix ici et là et des visages s’imposent. Les assiégées s’éloignent avec les petits, fuient dans l’exil, toujours à la merci des guerriers qui s’embusquent partout.

 

gros plan sur la mer à l’écran, les barques tanguent, les vagues 

lèchent leurs flancs

 

des frères migrants ont pris le large pour une odyssée sans poète

 

elle suit des yeux leur flottille de misère (p.30)

 

Ces âmes errantes vont et viennent sans savoir où elles échoueront, sans avoir de destinations. Y a-t-il un demain au-delà de la mer et des images qui défilent sans cesse dans les bulletins télévisées? Comment vivre et survivre dans un pays où la mort colle à la pluie, où les gaz rampent sous les portes pour sauter à la gorge des petits

 

hier, sa jeune voisine ligotée à un arbre, dos vierge que râpe le

tronc, seins criblés de crachats

 

Myriam violée au glaive moite

 

elle n’a pas su se faire bouclier, n’a pu la secourir

 

et Mina terrassée sur le toit plat

 

elle a vu les yeux de Miryam, désormais pierres d’onyx (p.28)

 

La peur, jour et nuit, le mari disparu, les maisons détruites, les toits crevés. Les ruines s’accumulent, et un arbre en fleurs résiste. La vie est encore là, il y a les saisons et une autre réalité malgré l’horreur. Des visages, des appels hantent la poète et toutes s'approchent dans son sommeil. C’est plus encore. Elle accompagne ces fuyantes, dialogue avec elles pour faire entendre leur angoisse, l’exil et la dépossession totale.  

 

Mina

Nour

Fadi

 

elle tourne le miroir

vers le mur

 

ne veut plus croiser

son reflet 

 

Mina

 

Nour

 

leurs noms

en guise

de garde-fou (p.36)

 

Et la poète s’attarde devant les murs noircis et les toits effondrés, témoigne de cette écriture faite de chair et de sang. 

 

CHANT INTOLÉRABLE

 

Les appels et les hurlements, les pleurs et les râles de la petite fille violée, les sanglots des enfants dans la nuit et les larmes qui tissent un lien qui fait le tour de la planète, deviennent une douleur qui se répand dans tous les corps des victimes qui tendent la main. Ces réfugiées dépouillées de leurs mots et de leurs cris attendent qu’on les prenne dans nos bras pour les bercer, les rassurer même si on ne partage pas leur langue et leurs phrases.

 

les océans le fleuve

n’ont pas tout avalé

 

le long de la rive

des objets

 

lunettes d’écaille

escarpins brodés

une fiole d’encens

 

ce sourire

sous la vitre ébréchée

 

ultime portrait

 

je les aligne

devant les rochers

 

garder bien vivantes

les traces (p.63)

 

La poète examine ces artéfacts pour redonner une voix à ceux et celles qui n’arrivent plus à fermer l’œil, se débattent avec des images terribles et des scènes qui ne cessent de se répéter dans leurs cauchemars. 

Travail saisissant que celui d’Hélène Lépine qui navigue entre la désespérance des victimes et l’empathie, prend la parole pour garder en mémoire les horreurs que vivent ces femmes violées, tuées et écartelées par les bombes. Dialogue qui va au-delà des mots et des phrases. Le lien se tisse peu à peu entre l’ici et l’ailleurs, avec ces victimes qui voient la mort coller à chacun des gestes de leur quotidien. Admirable effort de la poète qui nous pousse dans un état de conscience qui permettra peut-être un jour de mettre fin à cette barbarie qui se répète depuis des millénaires.

 

LÉPINE HÉLÈNELe cœur en joue, Éditions de LA PLEINE LUNE, Montréal, 2021, 20,00 $.

 

https://www.pleinelune.qc.ca/titre/577/le-coeur-en-joue

jeudi 1 juillet 2021

CAROL LEBEL CONTINUE SA FASCINANTE QUÊTE

CAROL LEBEL VIENT de publier le sixième volet de Carnet du vent, avec en sous-titre une question qui m’a intrigué : «Comment sauver la lumière qui se noie». Cette aventure s’est amorcée en 2016 et cette fois encore, il s’attarde à des dimensions qui ne cessent de se dérober et que le poète saisit lors de moments de fulgurance et de lucidité. Le rêveur, dans la pensée de Carol Lebel, doit éviter les trompe-l’œil, explorer ce qui se trouve derrière le réel, toucher ce que cache le langage. Les mots n’étant toujours que la surface visible de l’iceberg dans l’univers de ce poète-philosophe qui pousse la réflexion dans ses derniers retranchements, allant peut-être dans un effort ultime, jusqu’à s’avancer dans le silence le plus exigeant.


Tout le travail de ce chercheur de lumière consiste à retourner les images et les apparences comme on le fait des pierres pour surprendre les larves et les lombrics. Il faut percer la carapace du vocabulaire, se faufiler dans la partie cachée du monde pour saisir la vibration qui porte l’être et le savoir.

 

Quand deviendrons-nous

plus vivants que nos croyances (p.12)

 

 

Apercevoir une réalité qui ne se livre que dans une lueur ou le clignement des paupières, refuser les dissimulations et le factice, s’accrocher à l’êtreté comme il l’écrit, cet état qui permet de devenir un vibrant dans toutes ses dimensions et ses possibilités. Être là, les yeux ouverts, tout droit dans les continents de sa conscience où le corps vibre et devient immanent. 

 

Quand notre vraie naissance

nous trouvera-t-elle (p.18)

 

Jamais il n’est question de fuite, de tourner le dos au vécu pour s’égarer dans une dimension où seuls quelques élus ont accès. Lebel est conscient de l’état du monde même s’il a choisi avec le temps de se faire plutôt discret dans la cité des hommes et des femmes, ne s’éloignant guère de son refuge, cerné par de grandes vignes sauvages et des arbres.

 

Les opinions se transforment en dogmes

 

Chaque mot devient suspect

 

Les inepties nous piègent

de tous bords tous côtés

 

Dans quel néant nos dernières lucidités

nous abandonneront-elles (p.21)

 

On ne saurait mieux décrire une époque où la pensée se meurt dans les médias sociaux, où l’on jongle avec des faussetés qui se transforment en dogmes pour les nouveaux prophètes du selfie. Une lente érosion de la réflexion qui s’est longtemps vautrée dans la fange d’une certaine radio et maintenant qui fleurit dans les réseaux où tout le monde se vante d’avoir des opinions sans vraiment fréquenter les idées.

 

CHERCHEUR

 

Le poète demeure ce chercheur qui tente de s’ouvrir l’esprit, de décadenasser les portes rouillées et de trouver des moments phosphorescents dans les eaux troubles qu’il ne cesse de remuer. Il doit s’avancer au-delà des miroirs pour respirer dans le réel. C’est à l’horizon, tout près, très loin, ici et là-bas, que la lueur jaillit dans une nuit calme. L’être aspire à cette dimension, ce nouvel état qui dessille les yeux et déverrouille le cerveau qui se contente souvent des apparences et de formules plus ou moins rassurantes. 

 

Et si l’impossible

n’était qu’une fenêtre à ouvrir

 

Soulève tes silences

c’est dedans (p.47)

 

Le poème devient la clef qui permet de passer dans une autre réalité qui ne cesse de fuir, se dissimule dans ce qui constitue les jours. Le souffleur de mots cherche cette étincelle qui le fait bondir dans un monde différent.

 

Le poème

fait exister

ce que nous cherchons (p.41)

 

Quel périple que de se laisser aller dans Carnet du ventJ’ai toujours l’impression de partir sans savoir quelle direction emprunter, de risquer de m’égarer tout en étant ignorant si je vais revenir. Ses poèmes, comme des sentences ou des aphorismes, nous plongent dans le vivant, nous poussent dans une réalité invisible et impalpable. Nous devenons le souffle rôdeur, celui qui fait vibrer les cordes à linge, se faufile sous les robes et défait les cheveux, nous étourdis avec le parfum des lilas. À la fois l’aérien et le granite, la conscience et l’immuable, nous participons au langage des pins et des épinettes dans les matins lumineux, la charge des nuages qui se déversent dans des orages, le vent fou qui emporte la tornade de l’être.

Le poème, d’une simplicité exemplaire, retient l’essentiel, le souffle qui échappe aux mots et aux images. Dans l’immensité de la page, les strophes deviennent des lieux de repère, des crochets d’ancrage qui nous permettent d’escalader la muraille. J’ai toujours l’impression qu’il manque des lignes et que le poème repose autant sur ces vers invisibles, que sur ceux que l’on peut lire et méditer. Le texte est à la fois palpable et immatériel, présent et absent. Je rêve dans ces espaces mouvants, flotte sur des images qui se font se défont. Je ne peux résister aux méandres de la réflexion de Lebel qui ne retient que la «substantique moelle» comme écrit l’ami Victor-Lévy Beaulieu.

 

QUÊTE

 

Bien sûr, cette aventure demeure plus un questionnement qu’une réussite et ne s’appuie jamais sur des réponses qui rassurent. Ce qui se laisse voir dans un instant sans cesse convoité, arrive comme une ombre à la fenêtre. Il n’y a que ce mouvement vers un moment qui embrase l’être. C’est le propre de la vie et de la réflexion que de ne jamais parvenir à s’accrocher au concret et à des certitudes.

 

Nous marcherons

dans autant de hasards que de nécessités

pour rejoindre l’inespéré

avant de perdre pied tête et cœur (p.27)

 

Lire Lebel, c’est foncer dans un sentier aride et progresser sans savoir où nous aboutirons. C’est désirer la réflexion et les espaces qui font danser autour de l’être, le pourquoi et le comment de l’aventure de respirer dans son corps et sa tête. Le poème permet au chercheur de s’approcher de ces petites lueurs, de retenir des révélations dans la nuit sombre qui s’ouvre parfois. C’est jongler toujours et encore avec deux ou trois incertitudes sans jamais basculer dans la désespérance même si la lassitude et l’épuisement guettent. Il faut écrire en gardant les mots à distance et les enrober de silence, s’attarder aux joies comme aux déceptions. C’est prendre la direction de l’être pour aborder le pays de l’êtreté, dans la toute-puissance du vent au corps de la tempête.

 

COMPAGNONS

 

Lebel fait une place aussi à certains poètes, des compagnons. François Charron surtout, ce formidable poète méconnu et oublié à qui il demeure fidèle. Parce que la quête de cet explorateur demande la présence des autres et n’est jamais une ode au je immanent.

 

Cette voix qui persiste chaque nuit

 

Va à ce qui te convoque

Va à ce qui t’ébranle

 

Il n’y a que nos fragilités

qui peuvent comprendre

ce que veut notre cœur (p.44)

 

Je reçois ces carnets avec une belle émotion, comme s’il me conviait à faire un petit bout de chemin avec lui, ou à passer des heures dans la balançoire de son jardin par une nuit chaude et barbouillée d’étoiles en évoquant les toiles de notre ami Jean-Guy Barbeau. Tous deux recroquevillés, sur des morceaux de phrases, que nous dégustons à petites gorgées avec une coupe de vin blanc. 

Même si Lebel est particulièrement discret dans ses publications et dans ses apparitions publiques, préférant l’ombre à la lumière, le silence aux bruits des trottoirs, il reste un poète essentiel. Las de l’industrie de la littérature, il tire une cinquantaine d’exemplaires de ses recueils qu’il numérote et signe avant de les envoyer à des amis comme des pigeons aux ailes grises qui viennent nous rassurer et nous bousculer. 

 

Chaque fois que le vent passe il nous redit

Quitte les chemins familiers

Risque les grandes métamorphoses

Ne cherche que les tremblements d’être

Désormais tout se gagnera là (p.85)

 

C’est un privilège de pouvoir l’accompagner, le temps du vol du colibri sur un massif d’hémérocalles et de se faufiler dans des chemins parallèles qu’il ne cesse d’arpenter avec ses mots et ses couleurs qu’il répand sur de petits tableaux. Des carnets rares qui me font toujours progresser dans l’aventure du vivant.

 

LEBEL CAROLCarnet du vent 6, Comment sauver la lumière qui se noie, Éditions de L’A, Z., Québec, 2021.