Une version de cette chronique est parue dans Lettres québécoises, printemps 2016, no 161 |
Il fallait peut-être Marc-François Bernier pour me faire comprendre
que je suis passé à côté d’une prouesse journalistique unique au Québec. Ça
peut arriver que je sois aveugle et sourd. Les deux souvent.
Pierre Foglia a écrit 4300 chroniques que La Presse a publiées entre 1978 et 2015, soit pendant trente-sept
ans. C’est unique dans les médias si changeants de maintenant. Une formidable réussite de durer si longtemps et de garder des
lecteurs qui ont fait un grand bout de chemin avec lui sans jamais le lâcher.
Foglia l’Insolent a réussi à me
réconcilier avec ce journaliste pas comme les autres. Avec le recul, je me
demande pourquoi j’ai eu cette attitude. Il avait tout pourtant pour
m’accrocher. Un ton, une écriture différente, un point de vue original. Souvent,
il prenait un malin plaisir à aller dans le sens contraire des autres, ce que
j’aime bien. Il pouvait être baveux et provocateur, surtout quand il partait
pour les Olympiques. Foglia savait raconter les mémoires d’une femme de chambre
ou encore du pauvre homme qui balayait la piste du stade avant la course du 100
mètres. Il allait où on ne l’attendait pas. Si tous les journalistes se
précipitaient dans une direction, on pouvait être certain qu’il regardait
ailleurs. Plus j’y pense et plus j’ai du mal à comprendre mon attitude.
L’HOMME
Marc-François Bernier présente l’homme, le chroniqueur, le
provocateur, le moraliste, l’idéaliste et l’humaniste qu’il était. Ses origines
modestes, le milieu des émigrants qui ont dû quitter l’Italie devant la poussée
du fascisme pour s’installer d’abord en France. Ses études et la découverte du
métier de typographe. Une façon de faire qui existait encore à mes débuts dans
le journalisme. Ces casiers débordants de lettres m’ont toujours fasciné et ce
fut le coup de foudre pour Foglia. Véritable magie que de pouvoir monter un
texte avec ces petites pièces qui s’emboîtaient les unes aux autres. Les
écrivains quoi qu’ils disent, les journalistes, ne font pas autre chose. Bâtir
un texte, c’est être dessinateur, architecte, charpentier et savoir manier le
rabot et le marteau.
Il parle toujours avec nostalgie et respect de ce métier pratiqué
une dizaine d’années, de ces gestes répétitifs de puisement des lettres une à
une dans des casseaux. Quand ils étaient vides, on défaisait les textes
composés les semaines précédentes, de nouveau lettre par lettre, pour terminer
les pages à imprimer quelques heures plus tard. Faire et défaire des mots,
c’est une première leçon de réalisme sur la nature éphémère de
l’écriture : « C’est ce métier-là qui m’a appris que les mots n’existaient
pas » (1980), du moins qu’ils n’avaient que le poids et la portée que veulent
bien leur octroyer les lecteurs. (p.33)
Ce métier permettra à Pierre Foglia de travailler à Montréal, lui
qui ne souhaitait qu’amasser un peu d’argent avant de poursuivre l’aventure en
Australie. Il restera ici, aimant le pays sans doute, la liberté qu’il y a
trouvée, les petites routes de Saint-Armand qu’il a parcourues en pédalant.
Et il a pu parler du sport, l’une de ses grandes passions. Particulièrement
de l’athlétisme, du cyclisme et du ski de fond. Il y avait là de quoi me
rapprocher du chroniqueur. J’ai pratiqué la course à pied et couru plusieurs
marathons. J’adore le vélo et le ski de fond a fait mes délices pendant bien
des hivers, me risquant même à faire le tour du mont Valin, là où on a inventé la
neige. Vraiment, je ne sais pas ce qui m’a tenu loin du chroniqueur de La Presse.
Foglia travaillait à la manière d’un tireur d’élite qui intervient
dans les situations délicates. Un solitaire qui se manifestait quand quelque
chose le heurtait, le bousculait ou quand il voyait la meute de ses confrères bondir
du même côté du voilier, risquant de provoquer le naufrage.
Pendant que les grands journalistes racontent les grands
bouleversements, il raconte de « petites histoires de rient du tout » (1989)
que d’autres ne raconteront pas. Il ne s’intéresse qu’à « des univers beaucoup
plus modestes » (1992). Quand il couvrira le Tour de France, ce qui arrivera
souvent, c’est davantage la France, ses paysages, ses habitants et ses
pâtisseries qui retiendront son attention, bien davantage que le Tour. (p.93)
INDIGNATION
Tant de choses peuvent indigner un homme qui croit au travail bien
fait, au savoir et aux livres qui se lisent doucement, à une écriture lisse
comme le poil d’une chatte qui ne ménage pas ses ronronnements. Surtout, il se
méfiait de la rumeur publique, des consensus qui font souvent déraper. Si les
agitateurs à la radio ressassent sans fin les préjugés, les clichés et les imbécillités,
Foglia faisait tout le contraire. Il pouvait pourfendre, mais respectait une éthique
à laquelle il dérogeait rarement. Il n’oubliait jamais qu’un journaliste est un
témoin.
Le chroniqueur de La Presse
ne l’oubliera pas malgré certains préjugés et certains aveuglements. L’affaire
Geneviève Jeanson par exemple. Il saura le reconnaître. Le journaliste voit,
regarde et raconte. On l’oublie malheureusement en entendant les bulletins de
nouvelles de maintenant. Tous y vont de l’opinion, du commentaire en oubliant
l’événement. Jean Paré dit dans l’un de ses livres, qu’il y a deux sortes de
journalistes. Ceux qui rapportent les faits et ceux qui veulent
prédire l’avenir. Nous avons malheureusement de plus en plus de journalistes qui
travaillent avec une boule de cristal.
LECTEURS
Foglia sera aussi l’un des premiers chroniqueurs à dialoguer avec
ses lecteurs, les provocants, les fustigeant la plupart du temps et à leur faire
une place dans son courrier du genou.
Il sera un précurseur en ce domaine, bien avant l’arrivée de Facebook ou de
Twitter où les je se heurtent à d’autres
je qui ne veulent pas laisser leur
place. Il les apostrophait en parlant du vélo, des conflits armés, des Jeux
olympiques, des chats et de sa fiancée. Les lecteurs de ses chroniques ont
souvent eu l’impression de connaître intimement l’homme, mais il a su protéger ses
secrets. Il avait une façon unique d’en dire juste assez pour donner
l’impression de vous recevoir dans sa cuisine. C’est certainement du grand art.
On comprend d’autant mieux sa consternation en se voyant lui-même
instrumentalisé par la publicité, même si c’est pour faire vendre un livre
qu’il a adoré et recommandé à ses lecteurs. Il trouve indécent que son nom, sur
la page couverture d’une réimpression, soit deux fois plus gros que celui de
l’auteur. C’est sans ménagement qu’il traite de conne du marketing l’éditrice
responsable de ce choix. Ce faisant, il est en cohérence parfaite avec sa
conception du marketing, à savoir qu’il est manipulateur, trompeur, abusif et
cynique. (p.237)
Marc-François Bernier a effectué un travail colossal qui permet de
découvrir l’homme qui a toujours pris la défense du plus démuni, a pris un
malin plaisir à écorcher les grands de ce monde tout en rêvant d’une vie
tranquille avec sa fiancée, son vélo et ses chats. Et un bon livre certainement
tout près d’un verre de rouge. Il est Italien d’origine après tout et ne peut
qu’aimer les vertus de la vigne.
Un véritable bonheur que cette biographie. Nous y découvrons un
humain, un artisan de la phrase, un travailleur, un honnête homme qui se
questionne sur la vie et ses turpitudes. Il témoigne d’une époque où les
journaux ne faisaient pas que courir après la recette pour piéger les lecteurs.
On misait aussi sur les idées, la culture et pas seulement sur des opinions qui
masquent souvent le manque d’idées. C’était avant qu’une vice-première ministre
du Québec ne commence à secouer le micro d’une radio non recyclable.
Un personnage fascinant que les lecteurs ont adoré ou détesté. Et
comme il l’a écrit si souvent dans La
Presse, il me dirait que je me suis comporté en petit con en négligeant ses
chroniques pendant toutes ces années. Je lui donne entièrement raison. J’aimerais
pouvoir relire ses textes qui gardent certainement toute leur pertinence et
leur fraîcheur.
Bernier Marc-François, FOGLIA L’INSOLENT, Montréal, Éditions Édito,
2015, 352 pages, 32,95 $.
PROCHAINE
CHRONIQUE : L’INVENTION DES FÊTES de Jacques
Boulerice, publié chez Le lézard amoureux.