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mardi 7 août 2012

Brigitte Haentjens effleure des tabous

Brigitte Haentjens, dans «Une femme comblée», aborde l’un des rares tabous de notre société. Si un homme peut initier une adolescente à l’amour, l’inverse est encore très mal vu.


Une femme rencontre un jeune homme qui a l’âge de ses garçons. C’est le coup de foudre. Elle est subjuguée par l’ami de son fils qui devient un familier de la famille. Une véritable torture pour l’artiste-peintre qui ne sait quoi inventer pour ne pas se trahir.
«Je l’ai aimé au premier regard
Pourtant je n’attendais
ni rien ni personne
j’avais deux grands enfants
l’homme de ma vie à mes côtés
une maison toujours pleine
une femme comblée disaient mes amies
qui savent toujours de quoi elles parlent.» (p.11)
Il y a aussi l’envers de la médaille. Une femme de seize ans à peine découvre le plaisir des sens avec un homme qui pourrait être son père.
«il posa négligemment sa main sur ma cuisse
la laissa remonter tranquillement
tandis que ses yeux me scrutaient attentifs
ses doigts passaient sous le rebord de la culotte
comme s’il en vérifiait l’élastique
touchant le tissu effleurant à peine la peau
l’humidité vint et au ventre cette soif
que les garçons de mon âge
n’avaient jamais déclenchée.» (28-29)

La jeune fille vit une aventure sensuelle marquante pendant que la femme culpabilise et cherche à oublier ce jeune homme qui la subjugue.

Récit

Un récit beau de nuances. Une musique minimale qui emporte. Une stance qui vous plonge dans les affres de l’amour assumé et l’autre, celui que l’on refuse.
Touchant, senti, toujours juste et d’une sobriété exemplaire. Comme quoi il est possible de tout dire sans multiplier les pages et les personnages.
«J’aurais dû détaler
plutôt que de laisser fleurir
cet amour clandestin
cet amour des caves
et des prisons
au regard oblique
à la tête baissée
amour sans-papiers
affolé à l’idée
d’être démasqué.» (p.146)
Comment ne pas être touché par ce récit qui prend la forme de courts poèmes qui s’interpellent, nous entraînent dans le désir, la passion qui brûle l’être et peut-être aussi l’âme. Un livre de braises qui effleure l’essentiel.

«Une femme comblée» de Brigitte Haentjens est paru aux Éditions Prise-de-Parole.

http://prisedeparole.ca/auteurs/?id=3258

dimanche 5 août 2012

Marcel Moussette visite l’histoire par sa famille

Marcel Moussette, dans «La photo de famille», réalise un rêve que j’ai caressé longtemps. Combien de fois j’ai fouillé dans la boîte de photos de ma mère pour m’arrêter devant des personnages étranges et fascinants. Les photos en noir et blanc et parfois couleur sépia m’attirent toujours. Les visages bien sûr, mais aussi les costumes qui témoignent d’une autre façon de vivre et parfois un bout de décor qui fait découvrir un monde qui a bien changé.

Une manière d’apprivoiser sa famille, des oncles, des tantes, des cousins en visite et souvent aussi des inconnus. Je suis souvent demeuré perplexe devant des hommes à grosses moustaches ou encore des femmes à l’air sévère. Qui sont-ils? Pourquoi ils sont là et quels sont leurs liens avec mes proches? Des jeunes femmes aussi aux cheveux bouclés, comme le voulait la mode de l’époque, sont devenues des grands-mères. Photos de mariages, de rencontres familiales, de chantiers où mon père a travaillé pendant des années.
Ma mère a fini, après mes demandes répétées, par écrire des noms derrières les clichés. C’est ainsi que j’ai retrouvé un grand-père maternel qui était demeuré un inconnu. Il est mort avant ma naissance. Les indications de ma mère demeurent très laconiques pourtant. Des prénoms qui, souvent, ne me disent rien. Comme si une partie de ma famille glissait lentement dans l’oubli.

Histoire

«Cette photo, je l’ai reçue à La Prairie, il y de cela une dizaine d’années, des mains de ma mère maintenant décédée, à un moment où elle avait pris la décision de mettre de l’ordre dans ses affaires. Elle m’a dit, sans plus : «Prend donc ce vieux portrait, emporte le avec toi : c’est ta grand-mère Moussette avec sa famille, celle du côté de Caughnawaga.» (p.13)
La grand-mère de l’auteur est assisse à droite, au bout de la première rangée, avec un bébé de quelques mois sur les genoux. Son père. Des gens âgés, des enfants, des jeunes hommes, des femmes qui semblent de la famille mais dont il ignore l’identité. Quels sont les liens avec sa famille et pourquoi certains sont absents. L’ancêtre, au centre, l’air sévère avec sa robe noire, apparaît comme le pivot du clan. Une famille particulière avec un côté métis. Presque tous vivaient à La Prairie, tout près de la Réserve de Kahnawake.
Recherche

Marcel Moussette, archéologue de profession, tente d’identifier les figurants de cette photo prise un beau jour d’été de l’année 1912. Sa grand-mère était alors une toute jeune femme au sourire un peu triste.
Il entreprend, c’est inévitable, de ressasser des secrets que l’on évoque avec difficulté dans toutes les familles.
Son arrière grand-mère, Charlotte Giasson, est née à Kahnawake et était Mohawk.
«Moi qui suis née ici, fille d’Akat Konwaronhiotakwen, petite-fille de Charlotte Tsionnona et arrière-petite-fille d’Agathe Anaiecha.» (p.169)
 Les affrontements entre Blancs et Autochtones sur la Réserve semblent récurrents. Certains veulent chasser les métis et les Blancs de la Réserve. Cela a mal tourné dans le cas de sa famille. Osias Meloche, l’époux de Charlotte Giasson, son arrière-grand-père, est mort de façon atroce dans l’un de ces affrontements en voulant sauver ses chevaux.
«C’est à ce moment exact qu’elle a vu, bien vu, deux ombres sortir de la nuit. L’une a refermé la porte de l’étable derrière pepère Meloche et l’a coincée avec un bout de bois, tandis que l’autre vargeait à grands coups de bâton sur Delvide et William qui ne comprenaient plus rien à ce qui se passait.» (p.160)
Marcel Moussette évoque la discrimination vécue par les femmes qui perdent leur droit en épousant un Blanc, exhibe des affiches qui donnent froid dans le dos.

Éclatement

Un oncle, après la mort de sa femme, migre aux États-Unis avec la moitié de sa famille. Il y refera sa vie et ses enfants deviendront des Américains. Jamais il ne voudra revenir au Canada pour voir ses filles qu’il a confiées à sa mère en partant. Montréal devient un refuge pour plusieurs. Des liens subsistent et d’autres s’étiolent.
Des drames, des amours malheureux, de grandes passions, du travail pénible pour survivre, des maladies, des déchirements comme on en vit dans toutes les familles.
Comme quoi la grande histoire, celle que l’on retrouve dans les livres, passe par les gens ordinaires. Une manière de revisiter le passé d’une façon particulièrement originale. Des témoignages touchants et émouvants.
Marcel Moussette m’a convaincu. Il faut revenir à mes photos de famille. J’y découvrirai des personnages et peut-être aussi des secrets que jamais personne n’a osé aborder lors de ces rencontres où tous se mettaient sur son trente-six pour le photographe. Une époque, mon histoire familiale et aussi celle du Québec et d’un village qui a bien changé.
Cette photo a été prise un beau jour d’été de l’année 1912. La grand-mère de l'auteur était alors une toute jeune femme. On la voit au bout de la première rangée, à droite, avec son père sur les genoux.



«La photo de famille» de Marcel Moussette est paru chez Lévesque Éditeur.

lundi 30 juillet 2012

Claude-Andrée L’Espérance aborde un sujet tabou

Un titre un peu étrange et une écrivaine que je ne connaissais pas. «Les tiens» est demeuré sur mon bureau pendant un long moment. Je l’ai retrouvé récemment en faisant du rangement. C’est toujours comme ça l’été. On prend le temps de classer, de faire de l’espace autour de soi, de regarder ce que l’on a oublié de lire pendant l’année. Certains ouvrages retiennent l’attention et d’autres se retrouvent sur les rayons de la bibliothèque.

Claude-Andrée L’Espérance vit sur les rives du Saguenay. C’était assez pour titiller ma curiosité. Les lecteurs le savent, je suis toujours prêt à débusquer un écrivain du Saguenay ou du Lac-Saint-Jean. Je n’ai pu résister à la tentation.
Une sorte de coup de poing amorce ce roman où un Blanc et une Autochtone se retrouvent dans une rupture amoureuse qui prend des accents de racisme. Une incompréhension à l’image des deux peuples.
 «Quatre petits mots assassins :
«Va rejoindre les tiens!»
C’est ainsi qu’une toute petite phrase décréta qu’il y aurait, désormais, une frontière entre nous deux.» (p.7)

L’histoire

Nous échappons à notre époque pour retourner dans ce temps où les Autochtones sillonnaient la Côte-Nord et une grande partie du Québec. Et un jour, les chasseurs et les pêcheurs ont vu des étrangers débarquer des grands navires pour s’avancer sur le sable quelque part entre Sept-Îles et Baie-Comeau.
«Ont-ils vu en ces hommes des envahisseurs?... Des messagers?... Les ont-ils fuis?... Les ont-ils accueillis comme des frères? Ont-ils été séduits par la richesse de ces voyageurs et, comme on raconte parfois dans les livres d’histoire, ont-ils attendu sur la rive dans l’espoir de troquer des fourrures contre des haches et des couteaux.» (p.15)
Est-il possible d’imaginer ce qui s’est passé alors? Claude-Andrée L’Espérance tente d’oublier les légendes et les clichés pour plonger dans ce temps pas si lointain où deux mondes se faisaient face pour une première fois. Il en est résulté ce que l’on sait.
Les Innus ont été dominés de la façon la plus dure qui soit. On connaît les histoires des pensionnats où des jeunes ont été séquestrés, coupés de leur culture, de leur famille et de leur manière de vivre.
«Avant de partir pour le pensionnat mes enfants étaient éveillés, curieux, heureux d’apprendre. Ils me sont revenus la colère au cœur. Ils ne connaissent plus rien au mode de vie des miens et n’ont même pas leur place dans ton monde à toi. Je les vois aujourd’hui errer sans but sur la Réserve.» (p.96)
La mémoire se reconstitue par fragments, allant de l’un à l’autre pour chercher à savoir ce qui est arrivé à ces peuples nomades. Un monde s’est évanoui. Qu’y a-t-il derrière les noms qui désignent des territoires et des cours d’eau?
«Le brouillard a avalé la montagne et une partie de la Côte. Trop de flou dans nos histoires. Floues à ne plus voir devant. Et moi j’avance mot à mot, sur la page écrite, j’hésite et je doute, pendant que tranquillement mon esprit s’enlise.» (p.49)

Mort lente

Une mort lente à l’image du Québec peut-être qui, dans quelques décennies, se perdra dans les brumes s’il ne change rien à sa situation.
«Ensuite, en classe, elle la traite d’insolente quand devant l’image d’un héron Malilush s’écrie spontanément Shashatshu. Évitant de justesse quelques coups sur les doigts, elle comprend. Depuis, elle mémorise tous les noms associés aux images, répétant en français: héron, baleine, canard, orignal, loup, renard, ours…» (p.74)
Le récit englobe plusieurs générations, s’attarde à des faits que l’on ne retrouve pas dans nos manuels. Cette autre histoire existe pourtant, même si elle n’intéresse que les marginaux comme Serge Bouchard. Heureusement des chercheurs de mémoire vont au-delà des clichés et des kiosques destinés aux touristes.
«Dans certains commerces, inutile de chercher quelque trace des tiens parmi ces petites choses sans âme que l’on vend aux touristes: poupées indiennes made in Taïwan and sold as an authetic Indian craft.» (p.85)
On comprend que Claude-Andrée L’Espérance ne puisse évoquer cette tragédie qu’en avançant à tâtons dans un brouillard qui enveloppe autant les Blancs que les Autochtones. L’écrivaine ose s’aventurer dans un territoire que l’on préfère souvent ignorer. Et comment ne pas imaginer les drames qui se préparent avec le Plan Nord? Même en 2012, il semble que nous n’ayons rien compris.
Un roman par fragments, comme des ilots, qui permettent de reconstituer une mémoire qui est redonnée à tous. Touchant et nécessaire.

«Les tiens» de Claude-Andrée L’Espérance est paru chez Mémoire d’encrier.

lundi 23 juillet 2012

Kim Thuy correspond avec Pascal Janovjak

Kim Thuy en compagnie de Pascal Janovjak
Kim Thuy a fait un malheur en 2009 avec la parution de «Ru». Ce court récit raconte le périple d’une jeune vietnamienne qui a dû quitter son pays suite à un conflit fratricide, son arrivée au Québec avec ses parents et l’adaptation à ce nouveau milieu. Sa seconde publication était attendue par nombre de lecteurs.

Elle revient avec «À toi», une correspondance avec l’écrivain Pascal Janovjak qui vit à Ramallah en Palestine. Oui, des écrivains vivent dans ce pays malgré une situation politique qui tranche de l’ordinaire.
Une rencontre lors d’un événement littéraire à Monaco provoque le déclic entre les deux littéraires. Un petit déjeuner qui s’éternise en somme avec le temps qui s’abolit grâce à Internet. Les deux poursuivent les échanges, s’écrivent à toutes heures du jour ou de la nuit, quand les occupations le permettent et qu’il y a un peu d’espace pour faire courir ses doigts sur le clavier.

Reconnaissance

C’est toujours un peu difficile de maintenir le contact au retour d’un voyage, quand le quotidien bouscule. Les deux font preuve d’une constance admirable, se confient, même s’ils se connaissent peu. Une belle manière de s’apprivoiser.
«Je t’ai écrit toute la nuit, dans un demi-sommeil. Tu connais cet entre-deux, où l’on a trop de mots pour dormir mais pas assez de conscience pour se lever, les coucher sur une feuille? Mais peut-être es-tu de celles qui ne laissent jamais durer les hésitations… Je t’imagine plutôt ainsi, ce matin, comme le matin de notre tête-à-tête. J’ai fini par me lever. Un anniversaire hier, dans un bar de Jérusalem… La musique était mauvaise, et nous n’avons pas dansé. Cela fait longtemps que je n’ai pas dansé, peut-être parce que la chaleur des soirs se prête davantage aux terrasses qu’aux pistes de danse.» (p.7)
Elle réplique : «Les Vietnamiens n’ont pas cette grâce quand ils dansent, car ils ne dansent que rarement, voire pas du tout.»
Chacun raconte ses faits et gestes, ses déplacements, son quotidien, retournent dans l’enfance pour mieux aborder le présent. Pascal Janovjak est né en Suisse, d’un père slovaque et d’une mère française. Il a beaucoup voyagé, travaillé au Bengladesh, dans une société difficile à comprendre pour un occidental. L’écrivain est sur le point d’être père pour la première fois.
Kim Thuy a ressenti le besoin de retourner au Vietnam au début de la vingtaine. Un choc. Combien de temps faut-il pour devenir étranger à sa propre culture? Il y a aussi ses enfants dont l’un est autiste, ses déplacements parce que la vie littéraire la sollicite beaucoup.
Janovjak montre bien le quotidien de celui qui vit dans une ville où Israël s’impose à tous les coins de rue. Pourtant la vie est là malgré les militaires. Il est possible d’y rencontrer des amis, de faire la fête, d’écrire, de partir pour l’étranger malgré toutes les difficultés pour traverser les frontières. Il fait preuve d’une retenue exemplaire même si on sent sa colère parfois. Kim Thuy a connu le Vietnam où tout était contrôlé par le gouvernement qui se méfiait de ceux du sud souvent identifiés à l’ennemi et aux Américains.

Confidences

Les échanges arrivent plusieurs fois par jour, en rafales. Les deux ont envie de tout dire. Kim avec son humour particulier, Pascal avec une sorte de gravité touchante.
Il y est question de certaines lectures, de la maternité et de la paternité, de souvenirs. On va à la découverte de l’autre avec une franchise remarquable.
La correspondance s’étire sur quelques mois. Les deux ont ce grand pouvoir de se moquer un peu de leurs travers, de se livrer sans arrière-pensée. On suit l’échange comme un match de tennis où chacun renvoie la balle avec dextérité. Cela donne des textes d’une fraîcheur qui ne se dément jamais. Deux mondes se confrontent, se livrent, montrent leurs différences et leurs similitudes. Touchant, émouvant à l’occasion et d’une justesse remarquable.
Une spontanéité où l’on sait être sérieux sans être grave, moqueur sans tomber dans la facilité. C’est humain simplement et démontre que les moyens contemporains de communication peuvent servir à autre chose qu’à écrire sur Facebook une autobiographie qui se perd souvent entre la salle de bains et le IPad.

«À toi» de Kim Thuy et Pascal Janovjak est paru chez Libre-Expression.

lundi 16 juillet 2012

Marie-Claire Blais fait vivre une véritable aventure

Marie-Claire Blais me fascine depuis son entrée en littérature. Je l’ai lue pour la première fois, comme bien d’autres, avec «Une saison dans la vie d’Emmanuel» en 1965 et ne l’ai guère lâché depuis.

Cette écrivaine m’a fait comprendre que l’on pouvait trouver ici des œuvres puissantes qui bouleversent et secouent nos certitudes. Elle est la principale responsable de mon virage, comme lecteur, vers la littérature québécoise. Que dire de mon enchantement à parcourir «Les manuscrits de Pauline Archange» ou encore «Un Joualonais sa Joualonie». J’ai même passé tout un été, il y a quelques années, à relire son œuvre pour m’imprégner de ces mondes qui déstabilisent souvent.
Depuis la publication de «Soifs», en 1995, ses façons de faire ont changé. En fait elle explore cette «nouvelle écriture» depuis «Un sourd dans la ville» paru en 1979. Le texte se densifie, devient opaque et se transforme en véritable jungle où le lecteur perd ses références. La phrase se love, va dans toutes les directions, réussit à nous égarer souvent. Je connais des lecteurs qui n’osent plus se risquer dans un Marie-Claire Blais qui tourne le dos à la facilité pour faire de son texte une aventure existentielle.

Jérôme Bosch

«Le jeune homme sans avenir» ajoute à une fresque qui me fait songer aux immenses tableaux de Jérôme Bosch. «Le jardin des délices» ou «Le jardin des plaisirs» en particulier. Chacune des parcelles de ces toiles se subdivisent en minuscules tableaux qui racontent une histoire propre qui s’insère dans le grand tout de l’oeuvre.
Il en est ainsi des romans de Marie-Claire Blais qui vous emportent dans un univers où la mort, la vie, la souffrance, la quête du plaisir et de la liberté soufflent les personnages. Le lecteur passe des drames individuels aux grandes spéculations de la physique quantique.
Des écrivains, des artistes, des rêveurs d’existence, des enfants abandonnés par des parents qui ne parviennent pas à dompter leurs démons ou qui croupissent en prison se croisent. Ces blessés de l’enfance affrontent la dureté des drogues et imaginent, peut-être, la grande famille dont rêve Kim. Ils confrontent les fléaux de l’époque, vivent avec la faim, la maladie et le racisme. Le sida emporte les plus téméraires. Certains se suicident pour échapper au harcèlement, d’autres deviennent des itinérants ou travaillent à sauver le monde dans des missions humanitaires avec Augustino l’écrivain en colère. La barbarie est toujours là, omniprésente et fatale.

Fresque

Daniel, un écrivain coincé dans un aéroport parce que son vol est retardé, réfléchit à sa vie pendant que Laure, une passagère, devient folle sans ses cigarettes.
Le poète Adrien ne sait plus ce qu’est son existence depuis que sa compagne atteinte d’un cancer a choisi de mourir volontairement. Il est tout aussi perdu qu’un adolescent en cavale.
Petites Cendres refuse de sortir de son lit, ne danse plus et ne fait plus tourner les têtes. Fleur, un musicien prodige, traîne dans les rues et rêve d’écrire la grande symphonie qui prendra les couleurs et les intonations du roman de Marie-Claire Blais à s’y méprendre. Robbie rêve de son couronnement et un vétérinaire s’occupe peut-être mieux du chien de Brillant que des humains…
J’ai eu l’impression de m’avancer dans une jungle en suivant Kim et sa peur quotidienne, l’extravagant Robbie ou encore Brillant qui s’égare dans ses romans oraux en racontant le drame des inondations en Louisiane, Mabel, la femme aux perroquets, victime d’un tireur fou qui abat son plus bel oiseau.
Le vieux marin donne une chance à ceux qui font un faux pas ou connaissent des moments difficiles. Il sera victime de sa générosité en étant battu à mort par deux garçons qu’il cherche à aider.
Peu d’écrivains réussissent à me déstabiliser ainsi, à me perdre dans un monde où les phrases poussent comme des plantes grimpantes, un texte qui se dresse tel un mur.
Plonger dans un Marie-Claire Blais, c’est vivre une aventure déstabilisante, basculer dans un monde complexe, affronter des horreurs, des folies dans une société qui se désagrège.
Marie-Claire Blais est de cette race d’écrivains qui demande à son lecteur de risquer son entendement et sa compréhension pour explorer un univers de violence et de colère, d’exploitations et d’obsessions meurtrières. Elle appréhende le monde dans toute son horreur et peut-être s’accorde l’espoir aussi que tout peut changer malgré les atrocités.

«Le jeune homme sans avenir» de Marie-Claire Blais est paru chez Boréal Éditeur.

lundi 9 juillet 2012

Marjolaine Bouchard fait revivre Alexis le Trotteur

Il faut du courage pour se lancer dans l’écriture d’un roman portant sur la vie d’Alexis le Trotteur. On a tout dit ou à peu près sur cet homme capable des exploits les plus étonnants. Comment démêler la légende du réel, l’imaginaire des faits vécus? Comment éviter les pièges de la fable et du mythe?

Marjolaine Bouchard récidive en quelque sorte avec «Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval du Nord». En 1999, elle écrivait un livre pour les jeunes intitulé «Le cheval du Nord» qui présentait le personnage chez JCL Éditeur.
Alexis Lapointe, fils de François Lapointe et Adelphine Tremblay, est né en 1860, après un événement dramatique qui lance sa légende. Le Rouquin, un cheval qui devait conduire sa mère bien sagement à l’église, prend le mors aux dents, traverse presque tout le pays de Charlevoix à belle épouvante.
«En chemin, dans le détour qui traversait le bosquet, quelque chose bougea dans le bois. Une forme blanche, un animal étrange. Poils ou plumes? Adelphine n’eut pas le temps d’en juger que la bête avait déjà disparu dans le feuillage. Un soubresaut, un hennissement, le Rouquin, habituellement très calme, s’emballa. Adelphine tira les cordeaux, mais au lieu de ralentir, le cheval accéléra. Elle tira encore et encore en criant des «Wo! Là! Wo!» Il n’entendait rien et redoubla la cadence, le mors aux dents, les sabots martelant le gravier, la poussière volant en l’air.» (p.14)

Enfant différent

Enfant prématuré et fragile. Alexis ne sera jamais comme les autres, deviendra surtout le sujet de moqueries parce qu’il n’apprend rien à l’école, préfère courir, jouer plutôt que d’effectuer les tâches qu’on lui confie. Son père prendra en grippe ce garçon roux qui n’en fait qu’à sa tête et qui vit le nez dans les nuages.
Une mère aimante le protège, le couve même. Heureusement! Il grandit ainsi face à l’hostilité paternelle de plus en plus grande, effectue des petits travaux, surprend par ses courses contre les chevaux, des exploits qui s’embellissent à mesure qu’on les raconte. Alexis ne s’éloigne guère de la maison familiale jusqu’à trente ans. Toujours prêt à rire, à s’amuser et à danser dans les soirées où il fait le pitre.
A la mort de sa mère, des pages particulièrement émouvantes, le fils mal-aimé est chassé de son village.
«Près de lui, il entendit des pas.
- Va faire ta vie, astheure, dit la voix rude de son père, dans son dos. Tu reviendras quand t’auras une femme pis un avenir.» (p.169)
La blessure ne se refermera jamais.

Nomade

Débute alors une vie d’errance. Les chantiers en Gaspésie où il n’arrive pas à suivre les bûcherons. Pas qu’il ne soit pas capable physiquement. Alexis se lasse rapidement de tout, aide ici et là, raconte des histoires et joue de la musique à bouche. Il devient le cœur du chantier et permet aux hommes de garder le moral.
Voyage aux États-Unis où il découvre la ville, une femme pas mal délurée, retour au Québec, dans Charlevoix où il amorce une carrière de constructeur de fours à pain. Un travail qui lui convient. Il passe ainsi d’un village à l’autre, découvre du pays, se retrouve au Saguenay et au Lac-Saint-Jean, tombe en amour souvent, évite de justesse un mariage arrangé. Toujours il doit se méfier de la cupidité des gens qui veulent faire de l’argent avec son talent de coureur. Il relève des défis un peu partout. Sa course la plus mémorable reste peut-être celle contre le train entre Jonquière et Chicoutimi. Il l’emporte cette fois, mais le train aura sa vengeance sur les chantiers d’Isle-Maligne en 1924.
Époque

Marjolaine Bouchard, par le biais de son personnage, brosse un portrait d’époque et de la vie campagnarde. Comme si Alexis incarnait la tradition qui se dresse devant la modernité. Elle excelle à décrire les gestes du quotidien, des manières de faire, de vivre, de s’amuser qui sont disparues avec la construction des barrages.
Elle s’attarde à l’homme, ses émotions, ses peines et ses chagrins. Même dans ses courses, elle montre les limites physiques de cet athlète exceptionnel. On se prend à aimer cet homme qui refuse de vieillir et qui toute sa vie rêve de tendresse et d’amour, d’une famille et de nombreux enfants.
Le roman de Marjolaine Bouchard est particulièrement touchant, bouleversant même. Je songe à la mort d’Adelphine et celle où François, le père, tue le poulain qui s’est cassé une patte. Elle aime son personnage et nous le fait aimer. Une histoire pleine de tendresse, un tableau d’époque. Une belle lecture d’été pour redécouvrir un personnage attachant, une légende et aussi un passé pas si lointain.

«Alexis le Trotteur ou les trois mourures du cheval du nord» de Marjolaine Bouchard est paru aux Éditeurs réunis.

lundi 2 juillet 2012

Maurice Soudeyns scrute la société avec humour


Bien sûr, j’ai négligé des publications au cours de la saison. Les nouvelles parutions arrivent par vagues et souvent des titres sont oubliés ou délaissés. Manque de temps, écrivains incontournables qui bousculent les projets de lecture et les chroniques s’accumulent. C’est un peu ce qui est arrivé avec «Qu’est-ce que c’est que ce bordel!» de Maurice Soudeyns paru l’automne dernier. Heureusement, l’été est là pour combler nos lacunes.

Voilà un ouvrage étonnant et original.
Les seize récits reposent sur des dialogues qui abordent des sujets sérieux ou encore un peu plus légers. Comment déjouer la mort quand elle se présente un matin au moment de déguster son premier café? L’échange est savoureux et ce n’est pas celle que vous pensez qui aura le dernier mot. Ou encore les échanges entre une machine à distribuer des récompenses et les postulants qui souhaitent une médaille, un prix ou une forme de reconnaissance. Belle occasion de se moquer d’une société qui méprise plus souvent qu’autrement le travail des intellectuels et la réflexion. Et pourquoi pas s’amuser d’une réalité de plus en plus fréquente. Qui n’a pas affaire à une machine dans ses tentatives de communiquer avec une entreprise, un ministère ou une institution bancaire. D’un système aussi où les écrivains se transforment en mendiant pour avoir droit à quelques sous.
Dix tableaux colorés de Johanne B. Sawyer s’imposent. L’artiste visuel et l’écrivain s’interpellent en se penchant sur les mêmes sujets. Chacun nourrit le travail de l’autre. Qui est l’inspirant ou l’inspiré ? Difficile à savoir. Il faut «lire» les toiles pour laisser courir son imagination sur les couleurs, les formes et les personnages qui s’imposent petit à petit. Un monde inquiétant s’esquisse, incertain et fascinant.

Questionnement

Maurice Soudeyns aborde des sujets graves en multipliant les sourires. C’est peut-être la meilleure façon de survivre dans un monde en perte d’équilibre. L’écrivain ne se gêne pas pour bousculer.
Je me suis surpris à revivre la «nuit des longs couteaux» du 4 novembre 1981.        Qui se souvient de cette rencontre qui a mené à l’exclusion du Québec lors du rapatriement de la constitution concocté par Pierre Elliott Trudeau. Cette fois, heureusement, René Lévesque tient le gros bout du bâton.
«- Ne joue pas au plus malin avec moi, René
- C’est pas moi qui décide. Tu sais qu’on est 10 ici. J’ai soumis ta proposition hier soir, et devine un peu, pendant que tu dormais, on a voté majoritairement contre. On ne modifie pas Montréal pour Trudeaugrad, désolé.
- Espèce de petit minable de mes deux. Mangeur de hot-dogs!
- Mais, accommodements raisonnables obligent, on va y aller pour un aéroport.» (p.17)
Ou bien encore ces insectes qui se retrouvent dans la neige et le froid devant un père Noël qui en a plein les bras et la barbe.
« - Qu’est-ce qui est marqué, là, sur l’écriteau?
- J’ai pas mes lunettes, tu peux me le lire?
- Y a écrit : «Mon pays, ce n’est pas un pays, c’est l’hiver…»
- Eh ben, voilà pourquoi ils ont tant de mal à le trouver.
- T’as tout compris!» (p.66)

Un art

Parfois ça grince un peu. Maurice Soudeyns a l’art de mettre le doigt sur nos travers, nos espoirs et nos grandes et petites déceptions. Je pense à cet agent qui intercepte le taxi de la langue française et qui émet des constats d’infraction.
« - Les bruits anormaux sont masqués par la radio sans compter les nombreuses pièces trafiquées qui sont barbarismes et anglicismes.
- Barbarisme et Anglicisme? Connais pas ces deux «tuits».
- Moi, je vous dis que, pour l’instant, la langue est alanguie, délinquante et paresseuse. Le français jetable, ce n’est pas pour demain je vous signale.» (p.99)
Madame la ministre Christine Saint-Pierre devrait lire ce court texte au lieu d’agiter les carrés rouges.
Amusant, sérieux, dérangeant, parfois grinçant, Maurice Soudeyns reste fort pertinent.
Une belle finesse, une subtilité qui ne se dément jamais. Je me suis amusé, oui, mais le réel s’impose, les travers de notre société font surface. C’est tout à fait ce que je demande à une aventure du genre, ce regard qui fait du bien dans une période où toutes les révoltes et les frustrations passent par le concerto des casseroles.

«Qu’est-ce que c’est que ce bordel!» de Maurice Soudeyns est paru chez Lévesque éditeur.

http://www.levesqueediteur.com/soudeyns.php

lundi 25 juin 2012

Nicole Filion explore son quotidien avec bonheur


Nicole Filion est l’auteure d’une dizaine d’ouvrages et mes excursions de lecteur n’ont jamais traversé ses territoires pour des raisons que j’ignore. Elle publie pourtant régulièrement depuis une dizaine d’années aux Éditions Trois-Pistoles. Son dernier titre, «Œuvres incomplètes», m’a intrigué. 

Des chroniques, des récits et des nouvelles. Des «bouts d’essais» aussi comme il est écrit en page couverture, des arrêts sur ses lectures la plupart du temps. Je me suis laissé entraîner par le rythme de cette écrivaine, son humour noir, sa façon de raconter en suivant les chemins les plus longs. Un sourire, disons, qui vous happe et vous entourloupe.

Lectures

L’écrivaine, ses lectures le démontre, aime les écrits intimes, les heurts qui marquent le quotidien. «Souvenirs» d’Anastassia Tsvétaéva est l’exemple le plus frappant de cette manière de dire. Une phrase qui se dépouille pour s’attarder aux occupations de l’auteure et, surtout, celle de sa sœur Marina. Une description des blessures qui marquent des êtres qui s’aiment. Ce livre deviendra une référence pour Nicole Filion.
 «Je me demande parfois si quelqu’un d’autre a emprunté ce livre, ce qu’il ou elle en a pensé, si la séparation s’est avérée aussi difficile qu’elle l’a été pour moi. «La séparation d’avec Marina ! écrit Anastassia. Même aujourd’hui, je n’y crois pas. C’est quelque chose que je ne peux me mettre dans la tête, qui n’entre pas dans mon cœur, qui va le déchirer, là, maintenant.»
En route pour la bibliothèque, je songe aux beaux os de Marina enterrée dans le cimetière Petropavlovsk d’Elabouga, à ceux si frêles, d’Anastassia morte le 5 septembre 1993 à près de 99 ans, des petits os secs, poreux, s’effritant au regard, à peine de quoi remplir un porte-poussière. «J’ai quatre-vingt-huit ans et Marina en aurait eu quatre-vingt-dix, l’automne prochain.» C’est ainsi que se termine «Souvenirs». Qu’adviendra-t-il de moi?» (p.109.110)
Elle raconte son plaisir d’étirer le temps le matin avec un café, ses espoirs, certains moments du voyage, une résidence d’écrivain à Lyon, les promenades, son dépaysement et la solitude. Des souvenirs refont surface. Des personnages de fiction s’imposent, comme madame Henri, une comédienne qui s’essouffle et a du mal à suivre le rythme. Un séjour dans les labyrinthes de la fonction publique nous plonge dans l’absurdité totale.
Les emplois se succèdent et rien ne la retient, ne la passionne. Heureusement, le désir d’écrire s’accroche. La peinture aussi et la musique.

Confidences
 
Nicole Filion livre des bribes de sa vie comme ça, des réflexions et certaines obsessions.
«J’aime les choses harmonieuses, les maisons propres et bien rangées, les paysages avec un champ à droite, un champ à gauche et une raie d’arbres au milieu, histoire d’éviter toute chicane entre le blé et l’oseille. J’aime que les ciels affichent franchement leurs couleurs. Un ciel avec plein de nuages qui roulent d’est en ouest ou d’ouest en est, cela devient chaotique et je n’aime pas le chaos. Une chose pour chaque place et chaque place pour sa chose, nous apprenait-on à l’école. Une âme faine dans un corset. Les médicaments doivent être gardés hors de portée des enfants dans des armoires fermées à clef.» (p.163)
C’est peut-être l’art de Madame Filion. Tout voir et tenter de mettre chaque chose à sa place.
Cette écrivaine possède un sens de l’observation singulier. Elle aime les images qui créent une atmosphère, une ambiance. J’imagine ses grandes toiles «qui ne ressemblent pas à celles des autres» ainsi. Toujours particulier, original et un peu dans la marge. Peu d’écrivains empruntent ces détours dans une forme de carnet intime.
Et ce sourire encore, cet humour, ce regard qui montre les travers de notre monde. Dieu sait qu’elles en ont des travers nos sociétés à bout de souffle et en mal de croyances.
Un livre que l’on voudrait lire lentement, paresseusement, le matin quand le soleil se dégourdit et qu’il fait bon sur la galerie à l’ombre des arbres. Tout un été tiens! Une flânerie, un bonheur qui se renouvèle à chaque page, à chaque jour qui décide de prendre ses aises. Juré! Je vais plonger dans les autres ouvrages de Nicole Filion pour le plaisir, pour cette intimité si rare et si fine.

«Œuvres incomplètes» de Nicole Filion est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

lundi 18 juin 2012

Stéphane Ledien nous fait redécouvrir notre pays de neige

Le regard de celui qui découvre le Québec est toujours fascinant. Surtout s’il s’agit d’un écrivain qui n’hésite pas à cerner ses émotions et à partager ses découvertes. Il arrive alors à nous faire voir un monde familier que nous ne prenons plus la peine de scruter ou d’admirer. Pascal Millet réussissait cet exploit dans «Québec aller simple», un roman qui tournait autour de Tadoussac.

Le titre des récits de Stéphane Ledien m’a fait un peu sourciller. En fait, il lui vient d’un compatriote qui lui a lancé cette boutade en apprenant qu’il migrait au pays du Québec, au Canada comme disent les Français.
«Le type, d’une bonhommie réellement attachante, simule une crise de froid, se frottant vigoureusement les bras comme un hurluberlu perdu sans anorak sur des pistes de ski de fond. «Bonne chance au pays des pingouins!» me lance-t-il, mi-hilare, mi-compréhensif face à la vague de froid que j’affronterai très bientôt.» (p.14)
Pas de quoi rassurer le plus courageux des aventuriers.

Pays de neige

Notre migrant sans peur et sans reproche débarque à Québec à la fin de l’automne. Ce n’est pas encore l’hiver mais l’automne a fait provision de gris, de nuages, de rafales de vent qui charrie les feuilles en rappelant vaguement que l’été existe. Il s’installe à Québec avec Chérie, la femme qu’il aime. Une bonne raison pour changer de pays.
Les comparaisons sont inévitables entre la France, Paris, la ville de Québec et les Québécois qui, de toutes les manières possibles et imaginables, parlent du temps qu’il fait, qu’il fera, que l’on espère ou que l’on souhaite.
Il doit endosser aussi l’armure du parfait guerrier du froid. Tuque, mitaines, vestes, grosses bottes doublées pour affronter le froid sibérien qui fait son nid sur le cap Diamant.
«Me voilà donc en plein saute-moutons de consommation à la recherche d’une veste canadienne et de chaussures conçues pour ces contrées. Fin de la séquence lèche-vitrines. Au fait: ici, préférez le terme «magasinage», du verbe «magasiner», dérivé autrement plus sympathique et acceptable que le mot shopping.» (p.15)
Et tombent les premiers flocons, cette neige qui met du blanc partout, transforme les rues et le décor. Notre explorateur aime la neige, ne se lasse pas de la regarder tomber sur les toits, dans la rue ou les parcs. La lumière change alors et le pays n’est plus le pays. Il adore la poudreuse qui donne l’illusion que la ville fait peau neuve à chaque nouvelle tempête même si certains automobilistes y laissent leur salut éternel.
Une neige qui maraude dans les rues et calme les frénésies quotidiennes en dressant des barrages un peu partout. Il est surtout fasciné par les camions et les souffleuses qui livrent une guerre sans merci à l’hiver. Un combat qui dure des mois, nous le savons.
L’aventure

Équipé pour faire face à toutes les intempéries, les tempêtes ont beau se succéder. Il chausse ses raquettes et s’aventure sur les Plaines d’Abraham en imaginant qu’il traverse le continent comme nos ancêtres l’ont fait à une époque pas si lointaine. Une randonnée dans la Vallée de la Jacques-Cartier devient une expédition, une fête inoubliable. Découverte aussi du sirop d’érable et de quelques traditions culinaires des Québécois.
Ledien aime la neige je vous dis, même quand elle fait preuve de mauvaise foi, s’enracine et repousse le printemps après avoir concédé une ou deux journées chaudes où les survivants que nous sommes surgissent en plein midi comme des marmottes aveugles. Il aime, même quand le froid s’incruste comme un invité qui a trop bu et qui ne comprend pas que la fête est terminée.
Un texte fin, plein d’humour qui montre les beautés de l’hiver et nos comportements parfois étranges. Une façon aussi de se moquer de soi et des autres avec justesse.
Stéphane Ledien secoue nos habitudes et fait voir ce «nouveau pays» qui est le nôtre. Toujours juste et amusant, j’ai lu ces récits avec le sourire aux lèvres. Belle aventure pour ceux et celles qui trouvent que l’été n’arrive jamais assez tôt ou que l’hiver n’a pas d’allure en s’imposant pendant des mois qui s’étirent indument. Ces courts textes font du bien.

«Un Parisien au pays des pingouins» de Stéphane Ledien est paru chez Lévesque Éditeur.