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vendredi 7 septembre 2007

Suzanne Myre a trouvé une bonne recette

Suzanne Myre a fait une entrée remarquée en littérature en plongeant dans des textes mordants, enrobés d'humour, marqués par un cynisme qui malmène ses contemporains. Un ton, un style qui plaît en ces temps où l'humour corrompt tout avec plus ou moins de discernement. Comme si elle avait dépoussiéré l'approche Saïa en tentant de lui donner une patine personnelle et plus raffinée.
Il suffit de soupeser son dossier de presse pour croire que nous avons trouvé l'écrivaine du siècle ou presque. Attiré par cette agitation, je me suis aventuré dans ces textes pour être déçu rapidement. Que ce soit dans «Humains aigres-doux» ou «Nouvelles d'autres mères».
Les commentateurs, il me semble, en ont trop fait avec cette écrivaine. Il arrive que des auteurs soient nettement surévalués par certains médias.
Bien sûr, au début, cette prose parsemée d'humour et d'humeur, un peu baveuse même, plaît. Elle butine sur tout ce qui fait mode et actuel. Des sourires dans les premières phrases mais après quelques pages, on s'impatiente. À la fin, on referme le livre en se demandant ce qui est arrivé.

Recette

Suzanne Myre a trouvé une recette qu'elle étale d'une nouvelle à l'autre. Un personnage revenu de tout, une femme dans la trentaine, un ton et un cynisme qui n'épargne rien. Jeux de mots qui tombent à plat très souvent. Comme si l'auteure faisait le pari de toucher à tout dans une sorte de goinfrerie un peu dérangeante.
«- Ça m'étonne que ta langue accepte de suivre ton cerveau et de dire autant de bêtises. À sa place, je me suiciderais en m'éjectant de ta bouche. Bon, il faudrait que j'ajuste l'appareil à ton poids, ça me prendra quelques minutes.» (p.138)
Comme cela dans toutes les nouvelles, peu importe le personnage qui nous pousse à le suivre. Des dialogues plaqués et gonflés aux hormones!

Le peignoir

Son dernier recueil offre six nouvelles. Le texte principal, «Le peignoir», coiffe le livre. Nous y retrouvons la narratrice qui râle sur la vie, l'amour, la bouffe, les hôtels, ses orgasmes, son chum, les jeunes, ses poils et les femmes mûres qui tentent une cure de jouvence. Un milieu propice à toutes les moqueries. Le propos est sans pitié. Une fois que l'on a saisi la manière Myre, on ne peut que hausser les épaules...
Bien sûr, il y a un certain effort pour donner du poids à ses personnages mais elle ne parvient jamais à les lester vraiment. Des hommes cartes postales et des femmes qui n'ont guère plus d'intérêt.
Madame Myre répète ses figures imposées sans vraiment prendre le risque de plonger dans le mal être de son personnage par crainte, peut-être, de se perdre dans le vide. Même les finales de ses textes, qui tentent de pousser le lecteur dans une dimension plus introspective, tombent comme un pavé dans la mare. Que dire de ce texte loufoque d'une excursion à la campagne qui reprend cliché après cliché. «Le moustique erre» a failli me faire abandonner ma lecture.
«Pour m'éviter d'interminables discussions post-coïtales, je poussais quelques gémissements dans le ton de ceux qui l'ont toujours rassuré sur ma faculté de m'abandonner à lui. L'utilisation de vocalises judicieuses en période de stress, si cela peut éviter la panique et ménager la sensibilité de l'homme, pourquoi pas?» (P. 59)
Voilà une habile technicienne qui lasse rapidement. Il faut plus de poids, plus de senti pour donner à ce genre d'entreprise une aura humaine, dérangeante et un peu déstabilisante. Suzanne Myre se contente de patiner à la surface.
Véritable littérature jetable, écriture qui ne lève à peu près jamais, images et jeux de mots prévisibles. Cette jeune auteure m’a déçu. Plutôt désolant.

«Le peignoir» de Suzanne Myre est paru aux Éditions Marchand de feuilles.

Le Canada et le Québec ont bien changé

La loi 101 a trente ans. Les médias ont souligné cet anniversaire qui faisait du français la langue d’affichage et de travail au Québec. Une étape qui ne s’est pas faite sans heurts. Plus de 200 000 anglophones ont quitté la Belle province après la promulgation de cet arrêt concocté par Camil Laurin. Des témoignages «des enfants de la loi 101», dans le dernier numéro de «L’actualité», montrent que le Québec a changé depuis 1977. Plus de quatre-vingt pour cent des anglophones sont devenus bilingues. Même que Montréal est maintenant une ville multilingue.
Graham Fraser, le Commissaire aux langues officielles du Canada, a publié un essai l’an dernier où il se questionne sur les effets du bilinguisme au Canada et apporte un éclairage intéressant sur la loi 101. Selon lui, cette législation qui devait constituer une étape vers la souveraineté du Québec a été si efficace qu’elle a eu l’effet contraire. Elle a rassuré les francophones et rendu l’indépendance moins nécessaire. Plusieurs témoignages dans «L’actualité» confirment cette thèse.
Pendant ce temps, le bilinguisme a fait des progrès au Canada même s’il a tendance à stagner chez les jeunes depuis quelques années. Mais les choses ont évolué là aussi. Qui peut imaginer maintenant un premier ministre canadien incapable de se débrouiller dans les deux langues officielles? La connaissance du français et de l’anglais est devenue obligatoire pour les politiciens et les ministres à Ottawa. On a vu, récemment, des ministres unilingues rétrogradés dans le gouvernement Harper. Pour le Saguenay, cela a voulu dire la visite de la plupart des leaders politiques des grands partis canadiens. Ils sont venus vivre en français au cégep de Jonquière.

Les référendums

Le commissaire se questionne également sur les réactions du Canada après la tenue des référendums sur la souveraineté du Québec. Particulièrement sur celui de 1996 où le oui a failli coiffer le non. Curieusement, rien n’a été fait pour diminuer les tensions. La réaction du gouvernement Chrétien a été de multiplier les drapeaux, «ces chiffons rouges» selon la formule de Bernard Landry et les commandites.
Graham Fraser se demande pourquoi il n’y a pas plus d’échanges entre les anglophones et les francophones, de traduction des productions littéraires et cinématographiques, d’immersion dans les universités, de voyages et de stages pour abolir les solitudes. Un mur sépare toujours les deux entités linguistiques du Canada malgré une politique de bilinguisme qui a particulièrement angoissé les fonctionnaires anglophones qui ont plus de mal que les francophones à apprendre l’autre langue.
Monsieur Fraser rappelle que la question linguistique est au cœur des débats au Canada depuis les débuts de la colonisation.

Fausse route

Si Pierre Elliott Trudeau pensait régler la question linguistique au Canada par le bilinguisme et le multiculturalisme, il semble bien qu’il a fait fausse route. La question nationale est toujours au cœur des débats politiques au Québec. Depuis trente ans, il y a eu deux référendums sur la souveraineté avec les résultats que l’on connaît. Et des partis politiques à Québec comme à Ottawa prônent l’indépendance du Québec.
Pourtant, une nouvelle approche semble se dessiner avec Stephen Harper à la tête d’un gouvernement minoritaire. Il a compris que pas une formation politique ne peut gouverner le Canada sans l’appui des Québécois. Il a changé la donne en reconnaissant le Québec comme nation, le déficit fiscal et en négociant des ententes avec les gouvernements provinciaux qui montrent plus de souplesse dans l’application du fédéralisme.
Graham Fraser a le grand mérite de s’interroger sur une problématique que peu de politiciens aiment effleurer. Il démontre que rien n’est réglé au Canada malgré l’ouverture de certains.
«Dans sa perception du Québec, le Canada anglais a constamment dix ans de retard sur la réalité : il le voyait encore comme une province empreinte de religiosité pendant que la Révolution tranquille battait son plein et il a réagi à l’élection du Parti québécois comme si celui-ci venait de procéder à un détournement d’avion.» (p.359)
Si la loi 101 a calmé le problème linguistique au Québec, il semble bien que le bilinguisme au Canada a eu des effets assez mitigés.

«Sorry, I don’t speak French» de Graham Fraser est paru aux Éditions du Boréal.

mercredi 15 août 2007

Un humaniste qu’il fait bon redécouvrir

Quelques années après le décès de Gilles Hénault, un poète important, les Éditions du Sémaphore ont entrepris de rééditer l’œuvre complète de l’écrivain et du journaliste. Une heureuse initiative et une belle redécouverte.
Au Québec, rares sont les écrivains et les poètes qui «survivent» à leur mort. Il faut une équipe attentive pour se pencher sur l’héritage de ces héros de l’écriture et garder leurs œuvres dans l’actualité. Gaston Miron a ce privilège. Des fidèles éclairent son œuvre importante. Qui s’attarde maintenant au poète Gilbert Langevin dans l’univers littéraire et médiatique? Qui entreprendra de le sortir de l’oubli?
Le second volet de la réédition de l’œuvre de Gilles Hénault, «Graffiti et proses diverses», reprend des réflexions écrites entre 1939 et 1989. Le lecteur fait la connaissance d’un jeune homme encore imbibé par ses études classiques et l’accompagne jusqu’à l’âge d’homme où il se questionne sur la vie et l’écriture. Un parcours remarquablement juste et pertinent.
Bien sûr, les textes parus alors qu’il avait dix-neuf ans ont pris des rides, mais Hénault a trouvé rapidement sa voix alors que le monde était déchiré par une terrible guerre.

Actualité

«D’Odanak à l’Avenir», un récit qui raconte l’histoire du Québec et de la famille du poète, se lit encore avec bonheur. Un texte fort juste, pertinent qui permet de survoler une époque que l’on a tendance à occulter de nos jours. Il n’y a pas si longtemps au Québec, on croyait que l’avenir se cachait au bout du rang. Il suffisait de rouler ses manches et de se mettre à l’ouvrage pour la forger.
J’aime particulièrement les textes courts, les réflexions d’une justesse que bien des écrivains de la post-modernité auraient avantage à lire.
«Il me faut des textes troués, spongieux, poreux dans lesquels le lecteur puisse s’infiltrer, s’embusquer. Je déteste les textes qui vous conduisent par la bride, comme si vous étiez un cheval ou un âne et les textes durs, construits, les murs de syllogismes, les paradigmes de l’enfermement comme diraient de savants confrères. Il me faut des textes où l’air circule entre les phrases. C’est le style à venir.» (p.149)
Une qualité d’écriture constante, que ce soit dans les textes écrits à vingt ans ou quelques années avant sa mort. Des textes qui témoignent de l’humaniste que fut ce poète qui a marqué certainement une génération et ouvert bien des fenêtres. Et quel œil pétillant, quel humour subtil! Un bonheur! La littérature a besoin de figures flamboyantes mais aussi de ces artistes qui travaillent dans l’ombre et la douceur des jours. Gilles Hénault aura été de ceux-là.

«Graffiti et proses diverses» de Gilles Hénault est paru aux Éditions du Sémaphore.

mardi 14 août 2007

Marguerite Duras continue de fasciner

Dix ans après la mort de Marguerite Duras, survenue le 3 mars 1996, des lecteurs, des amis du Québec et de la France, se souviennent.
Ils sont quinze femmes et dix hommes à jouer le jeu et à écrire une lettre à Marguerite Duras. Certains l’ont côtoyée ou croisée. Un moment qui s’oublie difficilement. D’autres ont fréquenté ses œuvres et ce fut tout aussi marquant.
Le lecteur n’apprendra rien de nouveau après les biographies et les textes qui ont à peu près tout dit des idées et de la façon d’être de Duras, cette écrivaine qui donnait tout à l’écriture et au texte. Une femme entière dans ses exigences, arrivant mal à séparer sa vie de son oeuvre. Pas étonnant que les hommes et les femmes qui l’ont approchée aient été marqués. Yann Andréas, son dernier «disciple», aura eu besoin de dix ans avant de redevenir un vivant à peu près autonome après avoir été subjugué par l’auteure de «L’Amant».

Fascination

Tous ces textes illustrent la fascination que l’écrivaine exerce encore. Elle reste vivante pour ceux qui l’ont entrevue telle une météorite dans la nuit ou été happés par son univers.
La voix de Duras, sa musique particulière, ce chant envoûtant porte peut-être aux confidences et à l’aveu. Duras, c’est le murmure, la petite musique, la voix qui souffle à l’oreille et effleure l’être. Peu d’écrivains peuvent se targuer de marquer les lecteurs de cette façon.
«Et comme pour beaucoup, parler de Marguerite Duras c’est parler de soi, de sa relation – forcément intense - avec elle. J’ai parlé de moi et je m’excuse si je vous ai ennuyée.» (p.51)
André Roy ne peut que le constater dans sa missive.

Magie

Certains semblent incapables de prendre leur distance. Danielle Laurin, par exemple, lui a consacré un livre dont je parlais dans le dernier numéro de «Lettres québécoises».
«Même si vous êtes morte et enterrée depuis dix ans, c’est plus fort que moi, j’ai besoin de vous savoir là. Même disparue, vous êtes encore là pour moi. Ça aussi, je vous l’ai déjà dit. Je crois bien vous avoir tout dit dans la longue lettre que je vous ai écrite il n’y a pas longtemps.» (p.121)
Duras, qu’elle a lue à dix-neuf ans, a donné un ton à son écriture. Comme si elle avait appris la respiration de son modèle et sa distanciation aussi.
«Lettres à Marguerite Duras» est une belle manière de rendre hommage à cette grande dame du cinéma et de la littérature. On se souvient et l’on se souviendra dans vingt ans. Il en est ainsi quand on effleure un mythe.

«Lettres à Marguerite Duras» de Danielle Laurin est paru aux Éditions Varia.

lundi 13 août 2007

Beaucoup plus de plumage que de contenu…

«De toute manière, la présente édition aura été, pour l’auteur, une occasion de donner un livre qui convient mieux à sa vanité. C’est un cadeau qu’il s’offre à lui-même ainsi qu’à quelques amis discrets ou disparus, qu’il remercie de leur connivence.» (p.91)
Magnifique recueil que celui de Jean-François Dowd. Papier ivoire, illustrations soignées, travail d’artiste. Un bel objet que les collectionneurs aiment feuilleter et toucher. Marc-Antoine Nadeau, dans des dessins et des aquarelles, allie couleurs et lignes pour créer un monde tourmenté. L’espace se défait dans ces tableaux où la femme occupe souvent le centre. Tous les objets gravitent autour d’elle, oublient les lois de la physique pour créer un monde étrange. Une belle transparence aussi, une sorte de légèreté et des «spirales» qui traduisent les peurs et les fantasmes. Fort intéressant. Malheureusement ou volontairement, on a omis d’indiquer les titres de ces illustrations. Peut-être aussi que Dowd était trop emporté par les méandres de sa prose pour s’attarder à ce genre de vétilles.

Romantisme

Les récits de Dowd nous plongent dans un romantisme où les sentiments imprègnent le monde qui devient le miroir des pensées qui agitent l’être. Comment ne pas penser aux textes de Marcel Portal où nature et amours soufflent l’âme et illustrent une forme de névrose.
Dowd esquisse des univers feutrés où le rêve et la mélancolie marquent l’écriture comme des points de broderie. Une contemplation et une méditation qui empruntent des sentiers trop fréquentés. Femmes, oiseaux, arbres et ruisseaux. Tout y est!
«Une femme, non loin, se signe avec son fard : c’est la même qui te laissait entendre, l’une après l’autre, les extrémités de sa voix, ses cheveux de pure pluie relevés sur la nuque. Oh, cette surprise lorsqu’elle s’était approchée plus que de coutume – jusqu’à n’être plus qu’à un étirement de la main. Ce grain qu’elle désancrait de ses hanches ou tirait de sa chevelure… Les yeux d’un noir fou, d’abord, avaient frappé en toi, puis le corps méandreux, étrange, à explorer, puis la boutonnière livrant la gorge et l’éperon, et les seins précis avec leurs rites séparés!» (p.33,34)
On se lasse vite de cette écriture empruntée.

Question

Un recueil qui détonne dans le paysage de la poésie, une approche désuète. Le lecteur peut se demander comment un tel recueil peut se retrouver aux Éditions du Noroît, une maison renommée pour sa qualité et sa rigueur. On comprend mieux quand on lit dans la page des crédits que la société DesDowd inc y est allée d’une «contribution généreuse».

«Petites morts à fredonner» de Jean-François Dowd est paru aux Éditions du Noroît.

lundi 6 août 2007

Yolande Villemaire se perd en futilité

J’appartiens à cette génération pour qui le voyage était un mode de vie. Il fallait partir, quitter pays et amis pour voir le monde, vivre autrement, se plonger dans d’autres univers que celui que nous considérions comme trop douillet ou trop axé sur la consommation.
L’Inde, les pays de l’Asie, étaient et restent une destination appréciée et recherchée par ceux qui ressentent le besoin de vivre simplement, d’échapper à la quincaillerie qui est la nôtre. Certains y ont découvert l’amour, une manière de vivre, de penser et ne demandent qu’à repartir.
Yolande Villemaire a voyagé et revient à l’occasion sur un lieu qui semble l’avoir particulièrement touchée. L’Inde pays des contrastes, des extrêmes, de l’opulence et de la misère dans ce qu’elle a de plus terrible et de plus fascinant.
Dans «India India», elle nous entraîne avec son héroïne Miliana Tremblay, cette métisse de la Côte-Nord, artiste en art contemporain et mère d’une toute petite fille. Elle est en Inde pour exposer des photos et surtout pour participer au Kalachakra, une sorte de grande foire spirituelle où des milliers de personnes se retrouvent pour entendre des sages, des maîtres comme on dit. Miliana est particulièrement attirée par le Dalaï Lama.

Quotidien

Le lecteur pourrait s’attendre à un choc culturel, à des événements qui remettent en question la vie occidentale et nos façons de faire. Après tout, nous participons à une sorte de grande fête du bouddhisme. Il doit bien se produire quelque chose quand on souffre sur son petit coussin pendant des heures, sous un soleil qui vous transforme en fourmi.
Rien de tout cela. Yolande Villemaire se contente de nous raconter le quotidien de Miliana. Nous avons droit à une sorte de récit de voyage qui ne lève jamais. Pendant des pages et des pages, Madame Villemaire nous décrit les difficultés de son personnage à retrouver la tente où elle campe, comment elle se lave les cheveux, quel chauffeur elle va prendre pour se déplacer, ayant toutes les difficultés à se faire comprendre par des gens qui ne parlent pas anglais.
Le tout se complique quand Miliana devient toute chose devant le beau Khayal Khan, le propriétaire de l’agence qui s’occupe de son séjour. On croirait retrouver une adolescente qui soupire devant les beaux yeux d’un étranger.

Lecture

À vrai dire, je me suis demandé tout au long de ma lecture si je devais continuer. L’espoir peut-être d’être frappé par l’éclair qui changerait ma vie n’est jamais venu. Un récit d’une platitude incroyable. Peut-être parce que ce roman prend la facture d’un journal intime et que je craque pour les journaux d’écrivains.
Je m’efforce de lire Yolande Villemaire à l’occasion. J’ai assez apprécié «La déferlante d’Amsterdam», un récit qui raconte son séjour dans une maison d’écrivain. Cela m’avait fait oublier «Vava», le roman le plus désolant peut-être que j’ai lu.

«India India» de Yolande Villemaire est édité chez XYZ Éditeur.

jeudi 12 juillet 2007

La mémoire reste le fondement d’une société

Les humains croient souvent qu’ils marqueront leur époque, laisseront des encoches sur les siècles et qu’on évoquera leurs noms bien longtemps après leur mort. Pour ce faire, ils s’obstinent à édifier des villes, des empires et des machines indispensables à «la progression de l’humanité». Et puis, après quelques décennies, la trouvaille du siècle dernier fait sourire et semble futile. Même les plus grandes civilisations ont plié devant la marche implacable du temps.
Les continents sont devenus des immenses jardins de vestiges. Tous les paysages, de la plaine à la montagne, portent les cicatrices des activités humaines. Même les océans n’ont pas été épargnés. Tous les pays sont de vastes palimpsestes que très peu de gens savent lire et interpréter.
Heureusement, des individus font oeuvre de mémoire. Les archéologues, les anthropologues et les historiens agissent en détrousseurs de vies. Les artistes, à leur manière, secouent la poussière de l’oubli et se faufilent dans la durée. Un effort, peut-être dérisoire pour contrer l'amnésie collective. Biographies, sagas historiques et certains romans tentent de réactualiser des exploits et des aventures qui ont constitué l’esprit les nations.

Grands distraits

Pourtant, les humains sont terriblement distraits. Ils oublient souvent de regarder l’environnement, de saluer les «témoins» qui ont été les architectes de leur monde. Une clôture affaissée, une maison ouverte aux vents et à la pluie, des champs abandonnés à la végétation sont les pages d’un livre qui s’efface peu à peu. Il suffit de circuler dans le parc de Pointe-Taillon, par exemple, pour buter sur des vestiges qui rappellent les humains qui ont défriché cette partie de territoire, il y a un siècle. Ce peut être les fondations d’une maison ou un massif de roses qui semble s’être égaré au milieu d’une pinière.
Dans «Les rescapés du Styx», Jane Urquhart, une romancière canadienne anglaise, entraîne le lecteur dans une fresque à la fois contemporaine et historique. Jérome, artiste, se passionne pour les ruines qui balafrent le paysage et sa propre vie, Sylvia reconstitue son environnement en fabriquant des cartes tactiles pour une amie aveugle. Andrew, une sorte de géographe, explore la saga de sa famille, remonte jusqu’à l’arrivée du premier Woodman en Amérique, l’époque des grandes entreprises forestières qui coupaient tout autour des Grands lacs, du flottage du bois sur le Saint-Laurent et des immenses radeaux qui flottaient jusqu’à Québec. À la fin de sa vie, il est aspiré par la maladie d’Alzheimer qui grignote peu à peu sa mémoire pour ne laisser qu’une immense page blanche. Il est à l’image des sociétés qui s’effacent et se reconstruisent sur des ruines.
«La convergence de la vie. Je pense que ça peut vouloir dire que, pendant que tu restes stable, tu dois aussi accepter que le monde va changer autour de toi, et que tu dois demeurer ouvert et conscient de ces changements bien que ça suggère aussi que ta vie converge avec celle de Dieu, ou quelque chose de cet ordre.» (p.164)

Écrire le paysage

Madame Urquhart fait renaître des figures oubliées, des hommes et des femmes fascinants. Elle permet de voir vraiment et de comprendre l’écriture du paysage. Sans quoi, nous marchons comme des aveugles qui effleurent les objets, trébuchent sur des signes sans savoir d’où ils viennent. Parce que le présent n’est que la couche la plus récente du passé. Une société ne peut demeurer vivante sans avoir conscience de ses grandes époques.
«C’est étrange, maintenant que j’y pense, qu’on accorde toujours autant d’attention à la construction, alors qu’en réalité le processus de désintégration est omniprésent, inévitable.» (p.336)
En ce siècle où l’on néglige d’enseigner l’histoire, où l’on confie à peu près tout aux ordinateurs, le roman de Jane Urquhart dévoile un siècle, ses folies commerciales, ses soifs de profits et de richesses. Une vision qui a mené à l’épuisement des ressources, à une pollution de plus en plus terrifiante et au réchauffement accéléré de la planète.
De quoi tirer des leçons et cesser de se comporter en ignorant. L’avenir n’est possible qu’en tenant compte de ceux qui nous ont précédés. Le pire fléau qui menace l’humanité est de croire que tout commence et se termine avec sa génération.

«Les rescapés du Styx» de Jane Urquhart est paru en traduction française aux Éditions Fides.
http://www.fides.qc.ca/livre.php?id=10

dimanche 8 juillet 2007

L’éolien: un véritable scandale au Québec

Lire «L’Éolien, pour qui souffle le vent», un collectif dirigé par Roméo Bouchard, nous fait retourner à l’époque de Duplessis. Le gouvernement Charest, il s’agit bien de lui, a improvisé des normes faites sur mesure pour céder l’énergie éolienne à des multinationales sans que cela ne fasse sourciller les partis d’opposition. Même qu’ils se font complices de cette aventure qui tourne à la tragédie. André Boisclair, pendant son court mandat comme chef du Parti québécois, a même refusé d’appliquer une résolution du conseil national de sa formation qui exigeait la nationalisation de cette ressource.

Improvisation

Roméo Bouchard et ses collaborateurs Jean-Louis Chaumel, Pierre Dubuc, Steeve Gendron, Paul Gipe, Gabriel Ste-Marie, Gaétan Ruest et Isabelle Thériaul cernent bien la question. À chaque page, on se demande pourquoi un gouvernement responsable, ayant à cœur les intérêts des Québécois, improvise des lois qui tiennent à l’écart et dans l’ignorance les petits producteurs et des populations qui s’intéressent à cette forme d’énergie. Pourquoi tout est fait pour favoriser les pétrolières qui ne savent quoi faire des milliards qu’elles engrangent depuis le début de la guerre en Irak. Le Québec se comporte encore comme un pays du Tiers-monde qui donne ses ressources naturelles.
Les gens de Cap-Chat, Baie-des-Sables, Saint-Léandre et Murdochville, en Gaspésie et dans le Bas-Saint-Laurent, ont été laissés sans informations et sans ressources devant «des spécialistes» en communications venus vendre leurs projets. Ils ont fait naître l’espoir.
Quelques mois plus tard, ces mêmes citoyens sont cernés par des forêts d’éoliennes. Ils subiront bruit, pollution visuelle et autres inconvénients pendant vingt-cinq ans. Les MRC, avec les propriétaires des terrains, recevront des pinottes pour ces projets. Malgré les promesses, peu d’emplois ont été créés sinon une petite usine de montage. Les éoliennes sont fabriquées à l’étranger et les emplois se font attendre. Un scandale que la télévision de Radio-Canada a révélé.
Au Lac-Saint-Jean, dans la zone d’Hébertville, des gens tentent de se faufiler dans cette industrie, mais les obstacles sont difficiles à surmonter.
«Les municipalités, les groupes communautaires et les groupes autochtones peuvent y participer, mais ils ne sont guère avantagés dans la course par les règles établies. Les groupes locaux ne disposent toujours pas de quotas, ni de mesures de soutien technique et financier qui auraient pu compenser pour les moyens dont disposent de puissants promoteurs privés comme Trans-Canada ou SkyPower.»  (p.93)

Développement

L’éolien soulevait beaucoup d’espoir chez les régionaux. Ils ont maintenant le sentiment de s’être fait flouer par les grandes entreprises et le gouvernement.
Bien sûr, il est encore temps de proclamer un moratoire pour établir une véritable politique éolienne qui profitera à l’ensemble des Québécois. Cette ressource rapportera des milliards par année. Pourquoi l’offrir à des entreprises qui drainent les profits à l’extérieur?
«Il ne faut pas répéter avec l’éolien les erreurs passées qui  ont abouti au pillage et à la destruction de nos forêts, de nos réserves de poissons de fond, de nos mines, de nos sols et de nos rivières au profit d’entreprises étrangères, conduisant nos régions périphériques au bord de la ruine.» (p.12)
Le gouvernement de Jean Charest a démontré une incompétence et une insouciance révoltantes dans le secteur de l’éolien. Peut-on tolérer pareil aveuglement en 2007? 

Nationalisation

Hydro-Québec demeure l’entreprise idéale pour planifier l’exploitation de l’éolien. Québec peut devenir une puissance «du vent» comme elle l’est dans le domaine de l’énergie électrique.
 Il faudra cependant que les partis d’opposition demandent de nouvelles règles. Que les Trottier, Bédard, Côté et Gaudreault revendiquent une vraie politique pour les Québécois et la région. Il est plus que temps d’exiger du gouvernement qu’il respecte l’intérêt du Québec.
«Bernard Généreux exhortait le gouvernement à «ouvrir le débat sur la nationalisation» de l’énergie du vent. Avant que l’éolien ne se transforme en «filière rhodésienne» qui engraisse le «parc immobilier de Toronto», le gouvernement doit corriger le tir… «L’hydroélectricité est publique, pourquoi l’éolien nous échapperait?» (p.66)
Québec accordera de nouveaux contrats à l’automne. Les multinationales seront-elles les seules à profiter de cette manne à profits garantis? René Lévesque doit se retourner dans sa tombe.

«L’éolien, pour qui souffle le vent?», sous la direction de Roméo Bouchard a été  publié chez Écosociété.

jeudi 28 juin 2007

Carol Lebel se fait chercheur de lumière


Carol Lebel vient de lancer un dixième ouvrage, un recueil de haïku intitulé «Tout peut recommencer» aux éditions Le Loup de Gouttière. L'ouvrage est accompagné de sept toiles du peintre Jean-Guy Barbeau.
Carol Lebel, au cours des dernières années, est devenu un peu malgré lui un spécialiste de ce petit poème japonais qui connaît une popularité de plus en plus grande au Québec. Il est régulièrement sollicité pour donner des ateliers et sensibiliser les amateurs à un genre exigeant quand on veut respecter les règles de l'art. Carol Lebel aime ce défi.
«Parfois c'est une image ou une scène. Je regarde et le déclic se fait. Le haïku doit être rond, avoir une forme parfaite, être enrobé par une sorte de musique. Parfois, ça tombe comme un fruit mur mais souvent c'est plus difficile.»
Parce que le haïku, dans l'esprit de Carol Lebel, c'est la lumière, l'éclair qui illumine le ciel pendant quelques secondes. «Le haïku est un instant qui s'illumine ou une lumière qui brûle comme une fusée. C'est ce que je recherche. Pour ce recueil, j'avais à peu près 150 kaïkus et j'en ai gardé 82 exactement. Je voulais une certaine unité, un questionnement. Un recueil est aussi une construction», tient-il à préciser.
Certains lecteurs croient qu'il invente des situations ou qu'il construit dans sa tête. «Mes sujets de haïkus sont toujours réels. Je pars toujours d'une personne, de quelque chose que je vois. Toujours. Je n'invente rien. Je témoigne. Je regarde et quand le flash se produit, c'est parfait.»

Illumination

Dans ce dixième ouvrage, on retrouve sa manière, le questionnement qui est le sien depuis son entrée en poésie. Un univers toujours en évolution et en ébullition. Une thématique étonnamment urbaine. Des errances, des marches et des arrêts. Les haïkus figent comme si le temps s'arrêtait. Un ou deux haïkus seulement suivent un mouvement. Toujours le regard, la poussée vers le monde et la découverte.
Carol Lebel, dans ses ouvrages, cherche une forme de certitude. Cette fois, il effectue un pas. On trouve une fissure dans la dureté de l'univers, une possibilité de s'infiltrer au coeur du temps et de l'espace pour plonger au-delà, dans l'éclair qui fait appréhender le monde et la vie. C'est peut-être le philosophe qui a fini par s'imposer. «Je ne sais pas mais j'écris, je tourne autour du haïku pour le soupeser. Il y a mon jardin, les étoiles aussi. Je parle de ce qui est près de moi. Je suis comme cela. Je veux être un témoin.»

Démarche

Carol Lebel a du mal avec l'étiquette du poète noir et pessimiste qu'on lui  a collée. «Je sens maintenant qu'il y a plus de gens qui s'intéressent à ce que je fais. Comme si avec le haïku je venais de toucher un peu plus de lecteurs. Cela reste très relatif parce qu'en poésie, il n'y a pas beaucoup de lecteurs. Je questionne. Les étiquettes, on n'y peut rien.»
Et puis il faut se tourner vers ses petits poèmes pour les apprivoiser.

depuis sa maladie
il arrose plus souvent
la seule plante qu'il possède

Le heurt du questionnement et la forme poétique font les haïkus qui tombent comme une pierre dans un étang. C'est aussi le gong qui résonne longtemps et fait vibrer tout l'univers. Un recueil que l'on doit déguster avec parcimonie. Il suffit de prendre son temps et se laisser imprégner. La magie opère à chaque fois.

«Tout peut commencer» de Carol Lebel est paru aux Éditions Le Loup de Gouttière.

mardi 12 juin 2007

Hélène Rioux nous convie au restaurant

Malgré tout ce que l’on peut dire, malgré toutes les modes et les chapelles, le genre romanesque a très peu évolué. Roman traditionnel avec une intrigue et dénouement dans l’extase, roman contre le roman, roman anti-roman où toutes les expériences sont à peu près permises n’y change rien.
Il faut parfois s’y prendre à deux mains pour réussir à suivre certains romanciers dans les méandres de leur écriture. Je songe à Marie-Claire Blais. Ses derniers ouvrages, même s’ils sont époustouflants, demandent des efforts terribles au lecteur. Une sorte de lave qui emporte tous les personnages, abolit les lieux, fait voyager dans une fresque à la vitesse de l’éclair.
Hélène Rioux dans «Mercredi soir au Bout du monde» nous entraîne dans une aventure particulière. Le roman s’amorce dans un restaurant où les habitués se retrouvent à peu près tous les jours. Marjolaine la serveuse, Doris, Denise et Laura. On retrouve aussi Raoul, Boris et Diderot Toussaint. Le «Bout du monde», c’est ce restaurant ouvert vingt-quatre heures sur vingt-quatre qui est en quelque sorte le siège social des chauffeurs de taxi. Chacun de ces personnages nous embarque dans sa vie et nous mène dans son intimité, nous fait voyager dans ses obsessions et ses désirs.
Le lecteur se retrouve ainsi à faire son tour du monde, à passer par les Caraïbes et à faire escale en Europe en suivant chacun des personnages.

Fragments

Le processus est assez connu depuis la parution de Mrs Dalloway de Virginia Woolf qui a fait recette. Hélène Rioux sans plagier Madame Woolf emprunte un peu à cette formule et nous fait suivre les personnages indistinctement. Une sorte de lien se noue et se défait selon les chapitres qui sont autant de fragments du monde comme on l’écrit en surtitre de la page couverture. Des fragments ou des morceaux de vie qui nous désarçonne parce que nous ne comprenons pas tout de suite qui est qui dans cette histoire.
J’avoue que par moment, je me demandais bien à qui j’avais affaire et il m’a fallu revenir au début pour comprendre les liens de certains personnages entre eux.
La modernité veut cela. Au lecteur d’inventer son intrigue, de travailler et de construire si on veut la trame narrative du roman.
Hélène Rioux exige beaucoup de son lecteur. Je songe à ce chapitre sur le musicien qui a signé la trame sonore d’un film à succès et qui vient éclairer un peu le réalisateur. Parce que c’est aussi cela le roman de Rioux. Chacun des fragments nous permet de mettre l’éclairage sur un personnage et de faire progresser l’histoire.

Problèmes

Nous embarquons dans la vie d’un personnage et Rioux nous laisse en plan, sans tirer les fils. Je songe à cette jeune Fanny qui se sauve de sa famille sur un coup de tête et nous ne saurons jamais rien de ce qui lui arrive. A nous encore une fois d’imaginer le pire comme le meilleur. On la retrouvera dans la suite, j’imagine, parce qu’il y aura plusieurs volumes.
À la toute fin, quand on doit faire le point en quelque sorte, nous demeurons un peu perplexe. Une suite de personnage a fait son tour de piste sans trop en révéler, sans trop nous en dire. Une manière de nous attacher pour suivre Hélène Rioux au bout du monde.

«Mercredi soir au Bout du monde» d’Hélène Roux est paru chez XYZ-Éditeur.

jeudi 7 juin 2007

Simon Philippe Turcot invente un monde

Plonger dans l’univers d’un nouvel écrivain s’avère une aventure. Et quand il y a un regard, un ton et une musique, la lecture devient un plaisir.
Simon Philippe Turcot vient de publier «Le désordre des beaux jours», un titre qui évoque le monde de Boris Vian ou de Samuel Beckett. En plus, «Le paysage est un atelier», une suite poétique, vient de sortir quasi simultanément aux Éditions Heures bleues.
Un court roman qui entraîne le lecteur dans une auberge située à la limite de la forêt boréale. Un endroit où l’on échoue quand le monde devient intolérable et qu’il ne reste qu’à marcher jusqu’au bout de sa vie.
«C’est en faisant mille détours, en défrichant des kilomètres de sentiers, jusqu’à se perdre soi-même, que l’on arrive au Désordre des beaux jours. L’endroit n’est indiqué ni dans les livres, n’a pignon que sur l’étendue et se cache bien loin des routes.» (p.9)
Nathan tombe sur cette auberge quand il touche la limite de ses forces, de la vie presque. Il a marché vers le Nord dans une sorte de transe qui lui a fait tout oublier. Ce refuge semblait l’attendre. Madame et Monsieur D accueillent les éclopés. Tout y est fourni. Tabac, vin et lectures. Un lieu pour créateurs en perte de sens, pour se refaire une santé de l’âme peut-être.
«La solitude s’infiltre dans les inspirations, se loge dans la gorge, enserre le cou et fait paniquer. On sent la mort de soi, la mort des idées folles, la fin des grands trajets, des voyages. Vient l’anxiété puis l’angoisse, l’impression d’être coincé entre deux eaux froides, qu’il faut nager vite, se débattre pour atteindre la berge et crier pour que viennent les secours.» (p.30)
La vie s’installe dans la petite communauté. Chacun trouve ses habitudes. Nathan écrit et dessine, garde un attrait pour les longues promenades où il a l’impression d’échapper à l’attraction terrestre. Filipov effectue des traductions et Madame colmate les fuites de l’être. Une forme d’harmonie marque les jours, une complicité belle de respect.

Le pays

En lisant ce roman, j’ai souvent eu l’impression de me retrouver dans les steppes de Gogol ou «La gare» de Sergio Kokis. Un univers où la vie devient une quête, une recherche où le superflu s’efface. 
«Imaginer son corps devant soi. Du paysage, derrière, ne conserver que l’essentiel. Retirer l’horizon délicatement. Enfreindre quelques lois physiques. Du corps, retenir les contours. Soustraire les peaux, les muscles puis les organes. Les os. Et peindre, dessiner ce qu’il reste de nous, là, dans l’exemplaire simplicité de l’étendue, à ce moment précis de l’histoire.» (p.36)
Turcot a le don de faire ressentir la solitude, le froid et la neige. Quelques couleurs et un pays vibre. De la même manière, dans «Le paysage est un atelier», il décrit l’ailleurs et le fjord du Saguenay avec juste un minimum de teintes. C’est suffisant pour faire surgir un monde singulier.

Dépouillement

Simon Philippe Turcot aime les espaces où le haut et le bas se confondent. L’horizon alors s’ouvre comme un gouffre, sur «un ailleurs» où l’on peut à la fois se perdre et se retrouver. C’est le risque de la création et de la vie peut-être, le défi du peintre qui crée un monde avec un crayon et un peu de couleur.
«Dehors le monde ne va pas bien/ des contrées à relever/ à construire/ il faut peindre/ encore/ jardiner peut-être», affirme-t-il dans «Le paysage est un atelier».
L’écrivain croit changer le monde par l’écriture et la poésie. Il a raison. Le monde prend les teintes et les dimensions que l’on veut lui donner. Il faut juste de la patience et pas mal de persévérance.
Une lecture qui donne envie de fréquenter «Un désordre des beaux jours» pour les soirées de poésie et les lectures, pour écrire et prendre un verre de vin quand le soleil couchant fait craquer la croûte terrestre et plonge dans toute la gamme des rouges.
C’est peut-être ce que Mylène Bouchard et Simon Philippe Turcot cherchent à inventer à Saint-Henri-de-Taillon en ouvrant une librairie-buvette qui jouxtera la maison d’édition «La Peuplade».

«Le désordre des beaux jours» de Simon Philippe Turcot est paru à La Peuplade.

jeudi 31 mai 2007

Nelson-Martin Dawson présente son Saguenay

Nous oublions souvent qu’il a fallu moins de deux cents ans, depuis l’installation des premiers défricheurs à Grande-Baie, pour quasi raser les immenses forêts du Saguenay-Lac-Saint-Jean et construire des barrages qui ont modifié tout le bassin hydrographique de la région. Heureusement, les négociations de l’Approche commune rappellent que des peuples vivaient dans ce vaste territoire avant la «Société des Vingt et un». Les activités alors s’articulaient autour de la chasse et de la pêche. La traite des fourrures devait modifier bien des habitudes et l’installation des premiers colons a été un point de non-retour pour ces nomades.
Nelson-Martin Dawson, historien, garde cette conscience du passé. «Les Battures», sa première tentative romanesque, nous pousse dans une époque où les Blancs convoitaient les fourrures des Autochtones, créant des remous en offrant de produits nouveaux, des outils de métal et des poisons comme l’eau-de-vie. L’autre volet nous ramène à la période contemporaine.

Deux points de vue

Pierre, journaliste, s’installe au Saguenay. Il entraîne dans cette aventure sa fille Élyse et sa femme Lily, une pianiste qui joue régulièrement avec les orchestres symphoniques de Montréal et Québec. Ils trouvent une maison de rêve sur les battures, un véritable paradis qui semble avoir été abandonné par les anciens propriétaires. Ils apprendront rapidement qu’un halo de mystère entoure le «ruisseau maudit». Il existe bel et bien une malédiction. Plusieurs tragédies ont frappé les différents propriétaires et les ont fait fuir.
Dans un autre temps, une jeune ilnue, à peine sortie de l’adolescence. Oucheiashte s’initie aux tâches quotidiennes auprès de sa mère. Sa tribu vit des jours paisibles dans le secteur de La Baie depuis des générations.
«L’esprit du Fjord, qui conserve la mémoire de la terre et des eaux du Royaume de Saguenay, se souvient de, petite eau claire jaillissante. Son nom rappelait aux siens qu’elle était née aux jours chauds et doux, près d’un lac aux eaux transparentes qui coulaient des entrailles de la montagne, où son père, Ekhennabamate, avait établi son tentement.» (p.28)
On se croirait au cœur de «La Fabuleuse histoire d’un Royaume» où «l’esprit planait sur les eaux». Une toponymie différente, un pays nouveau surgit alors. Le lecteur vit un parfait dépaysement. La vieille Kurtness agit comme lien entre les deux époques et hante le territoire comme ses ancêtres autochtones auparavant. Pierre n’aura qu’à l’écouter et à suivre ses conseils pour contrer le mauvais sort.

Le Saguenay

Le véritable personnage de ce roman, qu’importe les époques du récit, demeure le fjord, les humeurs du Saguenay, les vents, ses colères et les fortes marées d’automne, le silence aussi quand viennent la neige et les glaces.
«Les grands vents étaient tombés et le Saguenay les avait emportés. N’en restait qu’un souffle porteur d’un air tendre. Une chanson d’amour, c’est sûr. Le clapotis des vagues berçait nos premiers rêves éveillés. Le bruissement des feuilles chuchotait des mots que nous ne comprenions pas, pas plus que nous ne saisissions ceux coassés par les grenouilles qui bénissaient le congé du soleil. Dans le boisé, des ombres s’agitaient. Tout à notre bonheur, nous tournions le dos, et au boisé, et aux ombres, et au vent. Nous fermions nos oreilles, et au chuchotement  des feuilles, et au susurrement de l’eau, et au murmure du vent. Le nez planté dans les étoiles qui perçaient entre les nuages, nous contemplions un ciel qui se laissait saisir par la noirceur.» (p.41)
Nelson-Martin Dawson aurait cependant avantage à retenir ses élans lyriques. Il en met trop quand il veut atteindre une forme de poésie. Quand on trébuche sur une phrase comme «Je risquai un regard vers la fenêtre qui frissonnait du rideau», on perd son élan. Et que dire devant cette argutie: « Pas une boîte. Trop légère pour être une boîte. Quelqu’un d’autre aurait dit qu’elle était vide. Trop légère pour contenir quelque chose, aurait dit quelqu’un comme Solange. Mais pas Lily. Sa légèreté n’indiquait pas le vide. Elle démasquait son contenu. Ce n’était pas parce qu’elle était légère, qu’elle était vide…» (p.169)
Un roman sympathique malgré tout qui fait découvrir un Saguenay porteur de mythes et de légendes, une nature éblouissante.