Nombre total de pages vues

jeudi 14 décembre 2006

Grandeur et misère de l’enfant Mailloux

Hervé Bouchard, citoyen de Jonquière, a remporté le Grand prix de la Ville de Montréal avec «Parents et amis sont invités à y assister». Lettres québécoises s’y attardait dans son numéro hiver 2006. Cet ouvrage a aussi raflé le prix roman du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
«Mailloux, histoire de novembre et juin» a été réédité par les éditions Le Quartanier. La première mouture était parue à l’Effet pourpre en 2002. Comme on s’en doute, il ne s’agit pas d’une biographie du célèbre Doc Mailloux.
Le roman présente une famille de Jonquière. Tout est vu et filtré par Jacques, l’aîné de la tribu, qui décrit différents moments de sa vie. Un petit garçon qui combat de terribles carences. Il ne peut s’empêcher de perdre sa mère dans les magasins et de mouiller son lit.
«Tu demanderas à ton mari de mettre de l’huile aux poulies de ta corde à linge car elle est plus bavarde qu’une vieille femme et attire sur les draps que tu laves les regards des passants et de tout le voisinage. Un pissou loge en ce lieu, disent-ils, cette maison est maudite.» (p.78)
Les similitudes sont grandes entre ce premier ouvrage de Bouchard et le second roman qui l’a propulsé à l’avant-scène de la littérature québécoise. Même langage éclaté, même regard halluciné sur le monde et l’environnement, même rap rugueux qui explose dans un débit verbal étourdissant. Tout est abordé sans discrimination: l’amour, le pipi et le caca, les premiers baisers ou la première érection. Une même manière aussi de tordre le cou au langage et de retrousser la phrase qui bascule dans une stance haletante.

Moments intenses

Le roman offre des pages exceptionnelles. Celles par exemple où la famille Mailloux part fêter Noël à la campagne dans une voiture «sans chaufferette», aussi froide qu’une banquise.
«La maison du parrain était seule au bord de la route, nue, comme arrêtée au milieu du champ. Elle n’était même pas éclairée, il n’y avait même pas son char dans la cour au parrain. Le père Mailloux est sorti, il est revenu, personne dans la maison. Probablement partis à la messe. On a attendu dans le noir. Avec l’hiver de Noël qu’il y avait dans la nuit. On s’est mis à geler plutôt sérieux et à se plaindre, surtout le Jacques de quatre et sa mère, des plaintes juste ce qu’il faut pour embêter le père Mailloux, pour qu’il se sente bien coupable de l’inconfort qu’on vivait.» (p.142)
Ici et là, dans ce premier ouvrage, Bouchard se laisse emporter par le plaisir de jongler avec les mots et s’égare dans des phrases ou des segments qui deviennent incompréhensibles. Un excès d’enthousiasme qu’il a maîtrisé dans «Parents et amis sont invités à y assister».
Il s’avère obligatoire de lire «Mailloux, histoire de novembre et juin pour se familiariser» avec l’univers d’Hervé Bouchard, un écrivain particulièrement original qui va marquer la littérature au Québec et nous entraîner dans des mondes que l’on attend avec la plus grande impatience.

«Mailloux histoire de novembre et juin» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier.
http://www.lequartanier.com/auteurs/bouchard.htm

jeudi 7 décembre 2006

L’incroyable histoire d’Alice Morton

Au confluent des rivières Saint-François et Magog, dans la ville de Sherbrooke, sur un rocher que les Indiens appelaient Mana’sen, une croix s’accroche. Partout au Québec, des indices du genre perdent leur signification. Après des décennies, plus personne ne sait pourquoi on a planté une croix ou dressé une stèle. Mylène Gilbert-Dumas, par le roman «1704», ravive une légende et des faits historiques.
«À l’aube du 29 février 1704, Jean-Baptiste Hertel de Rouville attaquait Deerfield, petit village frontalier du Massachusetts. Plus d’une centaine de colons anglais étaient alors capturés et amenés en Nouvelle-France pour y être vendus, rançonnés ou adoptés. C’est une partie de leur histoire qui est racontée dans ce roman». (p.7)

Histoire guerrière

L’histoire de la Nouvelle-France est guerrière. Les Français, avec la complicité des Amérindiens, sillonnaient l’Amérique du Nord. Les explorateurs avaient suivi les rivières et des fleuves, gardaient plus ou moins le contrôle du continent en élevant des forts aux endroits stratégiques.
Les Français étaient alors imbattables dans les escarmouches où ils avaient appris la manière indienne de faire la guerre. Des méthodes qualifiées de barbares par les biens pensants de l’époque et indignes des hommes civilisés.
Les colons anglais subissaient attaques et vendettas à la frontière, n’hésitaient pas non plus à massacrer des villages autochtones, y semant des haines héréditaires.
Pourtant la vie sauvage fascinait les Européens et attirait les aventuriers qui coupaient presque avec leur éducation. Même que certains écrivains ont vu dans «une approche commune», le métissage du Blanc et de l’Autochtone, l’idéal de l’homme futur. On retrouve cette idée dans les œuvres du romancier américain Fenimore Cooper, particulièrement dans «Le dernier des Mohicans».

Histoire

Nous sommes à Deerfield, bourgade située à l’ouest de Boston. Au nord, le lac Champlain permet d’aboutir chez les Canadiens. Alice Morton, jeune Anglaise peu sûre d’elle, attend que son fiancé se manifeste tout près du fleuve Connecticut.
L’attaque des Canadiens et des Abénaquis, qu’on n’attendait plus, a lieu. Elle est brutale. La jeune femme est capturée avec des membres de sa famille, obligée à marcher dans la neige et le froid. Nous sommes au cœur de l’hiver. Les plus faibles succombent ou sont abandonnés en chemin. Alice résiste avec ses neveux et croit que sa vie vient de basculer dans un trou noir.
Au cours de cette marche forcée qui la mènera au Canada, Alice découvre des forces inconnues en elle, apprend à voir ces sauvages, ces démons tant décriés dans son ancienne vie. Ils se transforment en hommes au fil des jours.
«L’homme a ouvert son manteau et Alice distingue le lin blanc sous la laine brute. C’est, après tout, un être humain qu’elle a devant elle. Pas seulement un Sauvage. Il ne craint ni l’arrivée des Anglais ni la fuite de sa prisonnière. Pas davantage que la pluie ou le froid. Il ne fait qu’apprécier le moment et le bien-être se lit sur son visage.» (p.175)
Alice devient amoureuse de Mamôtkas, le chef qui fait preuve d’une grandeur d’âme peu commune, apprend à vivre sans les corsets de la civilisation. Elle épousera l’Abénaquis et vivra à l’Indienne au grand désespoir de son fiancé qui a pourcouru le continent pour la ramener à la vie civilisée. Alice découvre une liberté de corps et d’esprit qu’elle n’a jamais éprouvée dans son village si réglementé. Les carcans et les sangles de la religion s’évanouissent. Elle ne peut imaginer retourner à son ancienne vie. Tout se terminera dans une fin digne de Tristan et Yseult.
Une belle manière de raviver une légende et un pan d’histoire. Il y a là matière à un film qui montrerait des valeurs essentielles et combattrait les préjugés. Un roman tout simple mais passionnant.

«1704» de Mylène Gilbert-Dumas est publié chez VLB Éditeur.

jeudi 30 novembre 2006

Adrienne Clarkson a un parcours exceptionnel

Adrienne Clarkson s’explique dans «Le cœur au poing», les mémoires qu’elle vient de publier à la fois en anglais et en français. Elle rétorque aux accusations qui ont marqué sa présence au poste de Gouverneur général du Canada pendant six ans, soit de 1999 à 2005.
On se souvient des voix aux Communes qui accusaient la Gouverneure générale de dilapider les fonds publics à Rideau Hall et d’effectuer des voyages princiers au Canada comme à l’étranger. Madame Clarkson choisit d’expliquer le rôle et les mandats du Gouverneur général en guise de réponse.
«Dans le cas de mes visites officielles au Chili, en Argentine, en Allemagne et dans les pays circumpolaires, mon bureau a reçu une lettre du premier ministre Chrétien demandant qu’en tant que gouverneure générale, j’effectue ces visites officielles afin de faire progresser les objectifs de la politique étrangère canadienne dans ce pays. Le scandale a été nourri par des ignorants de mauvaise foi qui voulaient faire croire que j’avais voyagé à l’étranger sur un coup de tête.» (p.260)
Autrement dit, les lanceurs de questions auraient dû se tourner vers le premier ministre Jean Chrétien pour avoir des explications.
Adrienne Clarkson s’était donné comme mission d’être partout au Canada et de créer des attaches entre les composantes du pays. Elle et son mari, John Ralston Saul, étant particulièrement sensible à la dimension nordique et culturelle du Canada. De quoi faire les manchettes plus souvent qu’autrement.

Histoire

La famille d’Adrienne Clarkson a fui Hong Kong quand le Japon a envahi la Corée. Elle embarquera sur le «Asuma-Maru» à l’âge de trois ans, un navire-prison, qui passera par Saigon, l’Afrique, le Brésil, les États-Unis avant de les laisser au Canada, en 1942.
Les Poy s’installent à Ottawa, dans un quartier francophone. Adrienne y étudie pour devenir enseignante avec la complicité de son père, un homme brillant qui a toujours cru que la réussite suit les efforts. Une mère fascinante et un peu dépaysée en Amérique.
La jeune professeure découvre la télévision et le journalisme par accident. Ce sera le coup de foudre. Elle gravira les échelons et animera «Take Thirty», «The fifth estate» et «Adrienne Clarkson Presents», de grandes émissions à la CBC. Elle y questionnera les grands de ce monde, de Baby Doc Duvalier, dictateur d’Haïti, au Shah d’Iran.
Sa capacité de travail phénoménale la conduira à Paris où elle sera déléguée générale de l’Ontario. Elle y croisera Lucien Bouchard, entre autres. Peu importe les idées que l’on peut avoir sur le Canada et le Québec, la vie d’Adrienne Clarkson est un véritable «succes story» comme on aime bien en Amérique.
Jean-François Lisée s’est un peu moqué de l’importance que se donnait Madame Clarkson comme gouverneure générale à l’émission «Bazzo.com». On ne peut certainement pas reprocher à Madame Clarkson d’avoir fait de la figuration et elle a assumé cette fonction avec passion et dignité. Michaëlle Jean devrait en faire son modèle. Peut-être qu’elle aurait hésité, lors de son dernier voyage en Afrique, à s’agiter comme une fillette devant les caméras de Radio-Canada.
La région

Adrienne Clarkson est venue dans la région à plusieurs reprises lors de son mandat. Elle a voulu écouter le milieu culturel à deux reprises et tenait particulièrement à se rendre à Mashteuiatsh. Elle a été impressionnée par le chef Clifford Moar.
«Quand nous avons annoncé à notre personnel de Rideau Hall, peu après le début de mon mandat, que nous voulions effectuer une visite prolongée au Saguenay, il y a eu comme une hésitation et une certaine inquiétude – la région étant à 95 pour cent souverainiste, a-t-on dit, «peut-être que vous n’y serez pas la bienvenue.» Nous avons la conviction viscérale que les gens que vous touchez sur le plan intellectuel et personnel sont capables d’établir une relation qui échappe au cadre de la politique.» (p.223)
La petite Adrienne Poy ou Ying Choi a connu un cheminement exceptionnel qui l’a mené un peu partout dans le monde. «Le cœur au poing» décrit une personne curieuse, capable d’écouter et d’explorer «des vies différentes». Un livre vrai qui montre que l’aventure est possible. Peut-être que pareille péripétie n’est concevable que pour ceux et celles qui arrivent de loin et qui ne peuvent regarder en arrière. Une belle leçon de vie.

«Le cœur au poing» d’Adrienne Clarkson est paru aux Éditions du Boréal.

jeudi 23 novembre 2006

Hervé Bouchard réalise un véritable exploit

Hervé Bouchard raflait le Grand Prix du livre de Montréal la semaine dernière avec «Parents et amis sont invités à y assister». Quelques mentions ici et là, trois petits tours et puis le silence. Les médias du Saguenay-Lac-Saint-Jean ne semblent pas avoir réalisé l’importance de cet événement et l’exploit que vient de réaliser Hervé Bouchard. Remporter ce prix en étant «citoyen de Jonquière» s’avère un tour de force. N’importe quel médaillé sur patin aurait fait la Une. Il a pourtant été choisi parmi 200 ouvrages soumis par près de 50 maisons d’édition.
«Pour son audace, la magie à la fois lumineuse et ténébreuse de sa langue- pure invention, mêlant langue parlée et écriture forgée solide, ce roman-théâtre-poème, à la fois livre du jour le jour et construction mythique, a conquis le jury», lançait Robert Lalonde en commentant ce livre. Bien plus, il le comparaît à Réjean Ducharme, l’auteur de «L’avalée des avalés» qui ébranlait les années soixante en jonglant avec la langue française comme personne ne l’avait fait auparavant.
Il faut applaudir Hervé Bouchard, lui faire une fête et lui offrir les clefs de la ville. L’exploit de ce magicien de la langue «vivant en région», et non «écrivain régional», nous insuffle une belle dose de fierté.
Lise Tremblay, Pierre Gobeil, des écrivains de la région qui ont migré à Montréal, ont déjà remporté ce prix prestigieux. Nicole Houde, Jean-Rock Gaudreault, Gérard Bouchard et Daniel Danis ont aussi raflé un prix du Gouverneur général. Cinq écrivains de la région ont remporté le prix Robert-Cliche. Signe que les auteurs d’ici font preuve d’originalité et se distinguent dans une production nationale de plus en plus diversifiée. Plus de 4000 titres par année.
Hervé Bouchard remporte ce prix prestigieux en publiant dans une toute petite maison d’édition, Le Quartanier qui mise sur la qualité et l’originalité. Autre signe qui démontre les qualités exceptionnelles de «Parents et amis sont invités à y assister». Il reste à souhaiter qu’une troupe de théâtre ait l’audace de s’attaquer à ce texte et le fasse vivre sur scène.

Indifférence

Si on se pète volontiers les bretelles avec les chanteurs et les comédiens qui font carrière à Montréal, on accorde peu d’importance à ceux qui ont choisi de vivre dans la région. Combien de fois, j’ai dû faire face à des journalistes qui me qualifiaient d’«écrivain régional». De quoi avaler sa prose de travers. Comment réagiraient ces journalistes, les médecins et les gens d’affaires si on les qualifiait de locaux ou de «travailleurs de région»…
Les créateurs, qu’importe leur lieu de résidence, sont des Québécois à part entière et ceux qui vivent hors de Montréal ne sont pas affligés d’une déficience quelconque. Ils sont «assez bons» pour s’imposer à Montréal et partout dans le monde.
Heureusement, certains n’attendent pas que la «reconnaissance» arrive de l’autre côté du parc des Laurentides pour apprécier le travail des créateurs d’ici. Le Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean attribuait son prix du roman à Hervé Bouchard, en septembre.

Grande fierté

Larry Tremblay, Michel Marc Bouchard et Daniel Danis échappent au «ratatinement» en sillonnant le monde. Ce sont de grands créateurs qui fascinent à juste titre. Des écrivains d’ici, Élisabeth Vonarburg entre autres, sont traduits en plusieurs langues et portent une vision du monde qui captive Français, Anglais, Allemands, Italiens et autres.
Il faut développer un sentiment d’appartenance et une fierté en s’intéressant aux créateurs d’ici dans les quatre cégeps et à l’université. Qu’attendons-nous pour imiter l’Abitibi qui a cru bon de mettre «ses écrivains» au programme au cégep. D’autant plus que le nombre d’écrivains au Saguenay-Lac-Saint-Jean est plus grand et plus diversifié qu’au pays de Suzanne Jacob.
Pour mousser nos lauréats qui raflent des prix un peu partout, une sélection des ouvrages primés pourrait remplacer avantageusement ces «cadeaux fades» offerts par nos institutions, les villes et les villages lors de certains événements.
On pourrait aussi faire un petit effort d’achat chez-nous. Si seulement deux pour cent des résidants du Saguenay-Lac-Saint-Jean collectionnait les œuvres des écrivains d’ici, nous donnerions un souffle formidable à notre vie littéraire.
Les livres cultivent l’appartenance, décrivent des modèles et explorent des mythes nécessaires à toute collectivité. «Parents et amis sont invités» à lire les écrivains d’ici, à les promouvoir dans les institutions d’enseignement et toutes les bibliothèques. La région ne s’en portera que mieux.

«Parents et amis sont invités à y assister» d’Hervé Bouchard est paru aux Éditions Le Quartanier. 
http://www.lequartanier.com/catalogue/parents.htm

jeudi 2 novembre 2006

«Un lac, un fjord, un fleuve» réalise un exploit

Un numéro du collectif
La publication de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie-Côte-Nord, «Un lac, un fjord, un fleuve» existe depuis treize ans. Un véritable exploit pour ce collectif.
L’aventure débutait en 1994 et depuis, nombre d’écrivains ont exploré des «mythes et histoires personnelles», «la ville», «les voyages» et les «jardins secrets» en privilégiant la forme du texte plus ou moins bref. Certains ont participé à tous les numéros.
Cette année, les auteurs empruntaient la route de «l’essoufflement» comme pour répliquer à Lucien Bouchard qui avance que les Québécois ne travaillent pas assez. On pourrait bien se donner comme prochain thème: «Ces hommes qui parlent trop.»
Des invités prestigieux ont accompagné le noyau de la région au fil des ans. Songeons à Nancy Huston qui vient de remporter le prix Fémina, John Raslton Saul, Suzanne Jacob et Denise Desautels. Un spectacle s’est greffé rapidement à cette publication pour donner le «Festival Mots et Merveilles», une soirée de lectures et de musique. Il y a eu de grands moments avec Victor-Lévy Beaulieu, Aude, Marie-Sissi Labrèche, François Barcelo et quelques autres.
Publié aux Éditions JCL pendant une décennie, le collectif a fait un détour par «XYZ la revue de la nouvelle» en 2004 avant de trouver refuge aux Éditions SM de Céline Larouche et Yvon Leblond.

Dernier numéro

Les responsables lançaient le dernier numéro au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, fin septembre. Seize participants, dont les habitués Maurice Cadet, Gil Bluteau, Yvon Leblond et les derniers lauréats du prix Damase-Potvin.
Des textes qui ne sont pas d’un même calibre, mais il s’agit là du défi et de la difficulté d’une pareille entreprise. J’écrivais à peu près les mêmes propos l’an dernier. La «bonne nouvelle» n’est pas donnée à tout le monde.
À retenir de cette édition? Dany Tremblay qui plonge dans un univers de violence et de rupture, de fuites et de quête dans «En route». Reine-Aimée Côté qui signe là peut-être sa nouvelle la plus achevée et la plus percutante avec «Les marées d’octobre». La lauréate du prix Robert-Cliche en 2004 oscille entre les interdits qui cernent les enfants et une femme qui étouffe dans sa vie. Marjolaine Bouchard y va d’une miniature soignée et juste comme de la dentelle. Guy Lalancette s’amuse et multiplie un peu les effets quand Gil Bluteau, toujours pince-sans-rire, critique une société déconcertante qui n’en finit pas de titiller les écrivains. Maurice Cadet réussit encore une fois à déstabiliser avec son Haïti réel et mythique dans «Comme une mer qui se retire». Peut-on s’éloigner d’un pays où l’on a grandi et appris à être homme? Maurice Cadet visiblement n’a jamais su et il y retourne régulièrement.

Aventure

Pour le quinzième anniversaire, je croise les doigts et rêve d’un numéro spécial regroupant les meilleurs écrivains qui vivent dans la région et ailleurs au Québec. Un numéro qui cerne l’écriture du Saguenay-Lac-Saint-Jean. Quel bonheur ce serait de retrouver Daniel Danis, Michel Marc Bouchard, Larry Tremblay, Gervais Gaudreault, Pierre-Michel Tremblay, Élisabeth Vonarburg, Marie-Christine Bernard, Hélène Pedneault, André Girard, Alain Gagnon, Nicole Houde, Gérard Bouchard et Hervé Bouchard sur un thème explorant l’appartenance. D’autres noms peuvent s’ajouter pour faire de ce numéro une référence et un véritable passeport.
L’entreprise cependant exige beaucoup d’énergie. Je sais de quoi il retourne pour, avec Alain Gagnon et Élisabeth Vonarburg, avoir dirigé ce collectif à de nombreuses reprises.
L’aventure aura aussi permis à Élisabeth Vonarburg de puiser dans ses textes pour publier «Vraies histoires fausses» aux éditions Vents d’Ouest en 2004. Je n’aurais jamais eu l’idée d’écrire «Les plus belles années» s’il n’y avait eu ce collectif en 1997. Je signais alors «Le baiser volé» qui devait donner le ton à mes récits d’enfance.
Ce dernier numéro se distingue par sa présentation qui ne risque guère de séduire les lecteurs. Dommage! Il existe d’excellents graphistes dans la région et il n’est pas interdit de demander de l’aide pour présenter une publication attrayante… Souhaitons que l’aventure continue parce que le projet est original et qu’il a joué un rôle de catalyseur chez nombres d’écrivains de la région.

«Un lac, un fjord, un fleuve» est publié aux Éditions SM. 

jeudi 12 octobre 2006

Émilie Andrewes va à la recherche du père

«Les mouches pauvres d’Esope», d’Émilie Andrewes, entraînait le lecteur dans un imaginaire déroutant. Les images fusaient comme des feux d’artifices et crépitaient, empruntant des pistes peu connues. Ce n’était pas sans évoquer «L’écume des jours» de Boris Vian ou «Le souffle de l’Harmattan» de Sylvain Trudel.
Elle revient dans «Eldon d’or», son second roman, avec un long monologue, celui de Gratz qui explique le monde à son petit-fils Eldon. L’aïeul raconte sa vie et s’attarde aux pages familiales. Il a connu une enfance fabuleuse. Les parents aubergistes ne recevaient à peu près jamais de voyageurs, vivaient à la lisière du monde. Le père chassait et transformait les peaux dans une petite cordonnerie, le refuge du jeune Gratz. Un temps qui évoque les coureurs des bois, la nature sauvage et des aventures inquiétantes.
Gratz vivra l’amour total avec Mescée, une jeune voisine qui le quitte quand ses parents doivent partir. On croirait retrouver une chanson de Richard Desjardins.
Le jeune garçon se recroqueville dans une peine vaste comme l’univers. Il lui faudra des années pour cicatriser cette blessure, la rencontre de Flaune qui deviendra sa femme et un meurtre libérateur. Une histoire qui va au-delà de la mort et de la vie. Des passions qui embrasent et retournent l’être comme dans les fables et les contes.

Recherche du père

Le père de Gratz appréciait particulièrement la peau des «lies», un animal fabuleux qui vit au pays des femmes géantes. Gratz tentera de trouver son père disparu sans laisser de traces et apprivoisera ces femmes fascinantes. Il reviendra changé, avec plus de questions que de réponses. C’est le propre du voyage.
«Si j’étais là-bas, c’était pour me battre avec mon père, avec son absence en moi. Et quoi de plus biaisé et épuisant que de se battre contre des souvenirs. Valait mieux aller sur un nouveau territoire, idéalement où je n’avais pas à être, un lieu de son passage, par exemple, et chercher ce que lui, il y avait trouvé. Son absence, incarnée par un hululement, j’entendais un hululement humain, sa voix grave résonant dans le vide qu’il m’avait légué à sa mort.»  (p.70)
Émilie Andrewes ne s’enfarge pas dans le plausible pour mon plus grand plaisir. Elle suit les pulsions qui poussent la vie dans ses derniers retranchements, les élans où tout peut arriver. Une écrivaine qui aime les situations extrêmes, les dangers où un faux pas risque de tout gâcher.
«La réalité se transforma en un bloc opaque, un objet duquel nous étions expulsés. À trop vouloir éloigner la vie de la mort, nous étions en train de la tuer. En voulant contrôler ce qui se dérobait, nous étions sur le point d’incarner ce que nous nous acharnions à vouloir faire disparaître.» (p.33)

Écriture fluide

Si dans «Les mouches pauvres d’Ésope», Émilie Andrewes recherchait un peu trop les effets, dans ce second roman l’écriture devient fluide et plus sobre. Elle contrôle mieux ses élans et laisse l’espace à cet imaginaire qui suffit à dérouter le plus aguerri des lecteurs.
«Autour des poignets et des chevilles, les lies ont des poches de vide, des chambres d’échos. Au cours d’un combat, les fragments d’os brisés s’y accumulent très rapidement. Alors plus l’animal est mal en point, plus la musique s’élève. Quand ils s’assènent des coups, les fractions d’os s’entrechoquent sous la peau, dans ses réservoirs d’air. Ainsi, la mort est proche, la douleur devenant atroce pour eux quand la musique devient trop belle pour nous.» (p.82)
Une écrivaine qui a un ton, une voix, un souffle, une fraîcheur et un imaginaire qui nous entraîne dans un monde onirique, ramène les archétypes et certaines pulsions animales. Un vrai plaisir pour ceux qui ne craignent pas de plonger dans des mondes qui sommeillent en nous, peut-être. Il faut cependant accepter d’abandonner ses balises sinon la lecture devient difficile.
Le plaisir est décuplé quand on lit «Les mouches pauvres d’Esope» et «Eldon d’or» d’Émilie Andrewes, l’un à la suite de l’autre. Un voyage au pays de l’imaginaire.

«Eldon d’or» d’Émilie Andrewes est paru chez XYZ Éditeur.

Jacques Godbout continue de déranger

Jacques Godbout a soulevé la colère, récemment, en se demandant dans le magazine «L’actualité», si le Québec francophone et blanc ne disparaîtrait pas faute de combattants d’ici une cinquantaine d’années.
Il jonglait avec le comportement des arrivants et le taux de natalité des francophones de la Belle Province. Il ne faut pourtant pas être sorcier pour constater que beaucoup de nouveaux Québécois s’intègrent mal aux francophones et reconstituent ici les conditions qui prévalaient dans leur pays d’origine en s’installant à Montréal.
Jacques Godbout a été injurié dans les journaux montréalais. «Le Devoir», particulièrement, a publié des lettres hargneuses et myopes.
Moralité : les évidences ne sont pas bonnes à dire et autant enfiler des gants blancs pour parler de la nation québécoise et de son avenir. Demandez à Jacques Parizeau. Il est devenu un raciste pour une phrase malheureuse prononcée à la suite des résultats du dernier référendum.

Empoignade

Les questionnements au Québec tournent souvent à l’empoignade. On préfère les divagations de certains mentors, les vérités d’un Stéphane Gendron, maire de Huntingdon et gourou de service.
Plus inquiétant, l’âgisme règne de plus en plus dans les tribunes populaires. Les baby-boomers héritent de tous les travers et de toutes les tares. Pour plusieurs, le Québec est né en 1980. Ceux qui étaient là avant devraient se recroqueviller dans leur chaise berçante. Surtout, ils n’ont pas le droit de protester ou de réfléchir.
Ces stupidités servent à braquer les générations. Comme si un pays n’était pas constitué de nouveaux arrivants, d’enfants, d’adolescents, de travailleurs et de retraités.
J’ai même lu sur un blogue que Jacques Godbout avait tout orchestré pour promouvoir la vente de son dernier roman. C’est pousser le cynisme pas mal loin. Il ne faudrait quand même pas oublier qu’il est l’un de nos littérateurs importants au Québec. «L’aquarium», «Le couteau sur la table» et «Salut Galarneau» ont marqué une génération de lecteurs, y compris la mienne. Il m’a ouvert les portes de la littérature québécoise en quelque sorte. Et comment oublier son travail de cinéaste…

Réflexions

Jacques Godbout a toujours questionné notre «société marchande» et les médias qui jonglent avec des images usées. C’est peut-être pourquoi on aime tellement l’attaquer. Il ne faut pas oublier non plus qu’il demeure le fondateur de l’Union des écrivains et des écrivaines du Québec et qu’il n’est pas étranger au succès des Éditions du Boréal.
Nous avons la mémoire courte au Québec et les clichés nous plaisent en autant que tout le monde en parle.
Heureusement, Jacques Godbout n’abdique pas. L’écrivain s’amuse dans son dernier roman en suivant un Québécois à Paris, un jeune retraité qui croit changer la littérature. Godbout connaît bien le sujet. Les Québécois ont beau être édités en France, ils restent des écrivains connus au Québec avant tout. Tout le milieu le sait sauf les journalistes qui crient au miracle à chaque fois qu’un écrivain publie au Seuil ou chez Robert-Laffont. Il suffit de lancer un roman à Paris et il va faire la Une de tous les journaux d’ici. Ce cirque tient de la pensée colonialiste et sert à jeter de la poudre aux yeux.

Nouvelle jeunesse

«La concierge du Panthéon» est un roman vif, pétillant, plein de sourires et de bulles stimulantes. Jacques Godbout a gardé sa jeunesse et son humour propre. Il montre les tourments qui secouent certains littérateurs du Québec et questionne encore une fois notre identité si fragile.
«Je venais à Paris pour une métamorphose, une transmutation, j’avais laissé derrière moi ma vieille pelure, je croyais pouvoir m’adresser à mes confrères, un peu comme un Martien qui, tout frais descendu de son astronef, partirait à la recherche du chef des Terriens. Le chef me reconnaîtrait, me fournirait tout ce dont je pouvais avoir besoin pour mener à bien ma tâche et rentrer quelques mois plus tard au pays, avec la satisfaction du devoir accompli.» (p.16)
Oui, monsieur Godbout, continuez à nous montrer nos contradictions même si cela fait hurler les guichetiers de la nouvelle bienséance. C’est signe que vous demeurez pertinent et que vous êtes nécessaire au Québec. J’espère que vous serez, encore longtemps, le malcommode que vous avez toujours été. «La concierge du Panthéon» se lit le sourire aux lèvres. Vous m’avez procuré un vrai plaisir de lecture.

«La concierge du Panthéon» a été publié aux Éditions du Seuil.

Vaillancourt continue son étrange aventure


Marc Vaillancourt est peut-être l’écrivain le plus étrange et le plus déroutant du Québec. Ce Chicoutimien a étudié le latin comme beaucoup de Québécois et il ne s’en est jamais remis. Cette langue est la clef du savoir et de la connaissance pour lui. Hors du latin, tout n’est qu’ignorance et bêtise.
Il publie régulièrement depuis 1992. Poèmes, essais, récits, roman marqués par ce savoir et cette langue qui sont de véritables hantises.
Je dois être l’un des rares au Québec à posséder l’ensemble de ses ouvrages et à suivre son parcours qui échappe à toutes les normes. Je ne sais pourquoi je m’entête à voir où il en est, quelle direction il va prendre. Force est de constater qu’il piétine et se répète de livre en livre.
Ses essais sont des monstres de mauvaise foi, de certitudes, de mépris, de misogynie et de sexisme. J’ai lu «Les ailes de la sibylle» et ses aphorismes où il charge aveuglément tout ceux qui publient et écrivent au Québec. Les femmes surtout ont droit à sa hargne. Les écrivains au Québec, selon notre latiniste retardé, sont des ignares, des béotiens et des imposteurs. On croirait surprendre Mordecaï Richler quand il perdait les pédales dans les journaux américains.
Le propos est tellement grossier qu’il est impossible de le prendre au sérieux malgré ses sparages, sa rhétorique, les citations d’auteurs oubliés et son écriture nourrie à la cortisone.
Je me suis lassé rapidement de son roman «Un travelo nommé Daisy» malgré un bon départ. Un clin d’œil au dramaturge Tennessee Williams, vous vous en doutez. Une véritable hérésie si on se fie à la logique de notre latiniste fondamentaliste. Un bon début, quelques dizaines de pages et le fiel se répand sur toutes les pages.
Il revient avec le «La cour des contes», un titre qu’il a chipé à la poétesse Louise de Vilmorin. Il l’avoue.
Je croyais que Marc Vaillancourt avait compris, du moins dans les premiers récits. De bons textes. Voici que je suis du côté des crétins qui le louangent ou qui lui administrent des baffes. Les journalistes et les critiques sont des paltoquets et des rustres dans l’esprit de notre intégriste. «Note me tangere», In extremis ou le dernier Noël de Yann Moreault» tout comme «La Chine m’inquiète» sont agréables malgré cette volonté de toujours tout compliquer. Un humour se dégage, un monde, un univers qui peut séduire.
Rapidement pourtant, il retrouve ses obsessions et ses jugements à l’emporte-pièce. Il traîne tout le monde dans la fange et la boue.
Pourquoi alors lire Marc Vaillancourt? Il est rare de rencontrer un homme d’une autre époque, quelqu’un qui s’est réfugié dans ce Québec qui se complaisait dans les versions latines et les déclinaisons.
Pourtant quand il oublie ses obsessions et sa volonté de faire comme si, il peut être attachant et étonnant. Il y a ici et là, des phrases qui sont des embellies dans une sacristie couverte de poussière. C’est peut-être pour cela que je continue à le suivre tout en gardant mes distances de peur d’être contaminé par ses obsessions. Dommage! Marc Vaillancourt gaspille un talent immense dans une recherche frénétique d’attention. La littérature peut aussi mener à une sorte d’obsession qui fait que l’on coupe tous les ponts avec ses contemporains et même avec sa propre culture. Voilà peut-être la plus terrible des aliénations. 

«La cour des contes» de Marc Vaillancourt est paru aux Éditions Triptyque.

dimanche 1 octobre 2006

Henri Lamoureux questionne la fiction

La fiction ne semble plus capable de nourrir les fantasmes des spectateurs à la télévision. C’est peut-être pourquoi on fait appel de plus en plus au réel et au concret trafiqués. Peut-être, plus simplement, que les artisans de la télévision ont perdu la faculté de rêver et d’imaginer, mais c’est une autre question…
«Star Académie» mise sur les jeunes et la chanson. L’entreprise peut se défendre. Les participants qui rament dans cette galère ont du talent et plusieurs réussissent à faire carrière.
Il y a aussi «Loft Story». Des gars et des filles, assez exhibitionnistes, sont enfermés dans une cage dorée. Le jeu consiste à provoquer des conflits, des amours et des ruptures. Ils se cajolent, se repoussent, se trahissent devant des millions de spectateurs qui salivent en sauvant la tête de l’un ou éliminant l’autre. Belle façon de cultiver les préjugés et les instincts sadiques. Deux survivants s’en réchapperont mais qu’auront-ils gagné? Certaines filles et certains garçons ne s’en remettront sans doute jamais.

Autofiction

En littérature, l’autofiction a connu du succès au cours des dernières années au Québec. Le genre, semble-t-il, est à bout de souffle. Nelly Arcand et Marie-Sissi Labrèche, ont marqué cette écriture. Leur vie est devenue la matière du récit et leurs ébats sexuels font applaudir les voyeurs.
Cet automne, Stéphane Bourguignon pousse encore plus loin avec «Tout sur moi». Des comédiens et des comédiennes jouent leur propre personnage. L’auteur affirme travailler à partir du vécu de ses comédiens et ne pas reculer devant la fiction. Encore là, le spectateur ne peut séparer le vrai du faux. Et dites-moi comment un comédien ou une comédienne arrivent à jouer son propre personnage? Un comédien qui se prête à ce jeu a tout pour ne plus savoir qui il est dans la vie quand il s’évade des studios. Les psys vont avoir du travail.

Exploration

Henri Lamoureux, dans «L’infirmière de nuit», ouvre une autre porte. Il ne va pas jusqu’à utiliser les vrais noms, mais au moins un de ses héros, le Poète, est facilement identifiable. Gaston Miron plane sur cette fiction et l’homme d’affaires pourrait très bien être Pierre Péladeau.
Le roman nous entraîne dans une clinique où des hommes et des femmes atteints du cancer vivent leurs derniers jours. Le poète et le financier ont connu une prostituée au temps de leur jeunesse. Vérité ou mensonge? Réalité ou fiction? Bien sûr, Lamoureux demeure discret, mais le lecteur sait qu’il suit Gaston Miron dans cette aventure. Pas mal dérangeant.
«Le Poète sait d’un savoir absolu que cette rencontre a profondément marqué son destin. Cette femme l’a libéré d’un joug pesant, paralysant. Elle lui a ouvert la porte d’une liberté qu’il pressentait, mais qu’il ignorait être si facile. Elle l’a, pour ainsi dire, mis au monde. Il ne le lui a jamais dit, même lorsqu’il est revenu dans ce bordel. Elle fut son premier amour, sa muse, le premier vers de son premier poème. Un amour paradoxal. Un amour de misères, dominé par le désir primaire du corps. Un amour adolescent, en trompe-l’âme, érigé sur le sable des sentiments immédiats et sur les faux-semblants des printemps hâtifs.» (p.72)
Les personnages retrouvent les vraies valeurs, oublient leurs différences quand ils sentent le souffle de la mort. Ils comprennent alors ce qu’est l’amitié, l’amour et la compréhension. Voilà l’aspect le plus séduisant de ce roman.

Et le politique

Jusqu’où ira cette recherche du faux vrai ou du faux réel dans une société qui cherche ses valeurs, ne sait comment régler ses problèmes de violence, de pauvreté et de pollution... Ce mélange de fiction et de réalisme n’aidera certainement pas.
La véritable fiction s’est peut-être installée à Wall Street, dans les coulisses de la bourse et dans les bureaux du Fonds monétaire international qui provoquent des crises et des affrontements partout dans le monde. Georges W. Bush, Ben Laden et Stephen Harper ne deviendront-ils que des figurants dans un «World Story» diffusé sur tous les écrans du monde. Bien malin qui pourra démêler le réel de la fiction, la comédie et la vraie vie dans le vaste spectacle qui agite la planète. En attendant, la quête frénétique des cotes d’écoute ou d’une certaine forme de succès emprunte des avenues étranges pour ne pas dire inquiétantes.

«L’infirmière de nuit» d’Henri Lamoureux est publié chez VLB Éditeur.

jeudi 21 septembre 2006

Elena Botchorichvili évoque la dérive de l’URSS

J’ai laissé filer quelques jours avant de revenir à ce roman pour le parcourir d’un souffle, dans une journée de septembre qui fait espérer que l’été repousse le gel et la froidure. Pour le déguster en plein soleil, au milieu des cris des corneilles qui se disputaient une épinette avec un pic.  Je n’arrivais pas à me défaire de «Faïna» d’Elena Botchorichvili. Une véritable hantise.
Je l’avais lu, par petites bribes, à Notre-Dame-du-Portage. Je l’ai refermé une première fois devant le fleuve qui semblait épuisé, laqué comme le dos d’un béluga.
Le bonheur de la lecture, c’est cela. Des images qui hantent et ne veulent plus vous lâcher. Des personnages qui continuent à danser au bout des phrases.
Elena Botchorichvili décrit des femmes qui tissent l’histoire, des hommes cassés par les guerres qui n’arrivent plus à être des humains. La grande dérive politique de l’URSS est subie par cette famille qui veut marier Fafotchka, la plus belle fille du pays.

Dire le pays

Un écrivain dit le pays qu’il porte en soi, explore un espace avec des mots et des phrases qui bousculent comme les vagues qui poussent sur les rochers à marée montante.
«Ils vivaient à Tbilissi, dans une vieille cour du quartier des Sololaki – trois étages de balcons en cercle, comme au théâtre, et un robinet au milieu. Le matin, les hommes, torse nu, sortaient fumer sur le balcon communautaire. Les femmes allaient chercher de l’eau au robinet, échangeaient des potins comme si c’étaient des devises étrangères, puis se rendaient en trottinant aux toilettes communautaires qui empestaient. Les cuisines aussi étaient communautaires. Toute la vie était communautaire. À chaque étage, on se disputait.» (p.14)

Communisme

«Faïna» plonge le lecteur dans l’URSS, le communisme de Staline et de Gorbatchev. Toutes les réformes ne changent guère les vies de Fafotchka, de sa mère Oliko et de sa grand-mère Noutsa.
«Noutsa Tsereteli, veuve de seize ans, s’était assise dans son fauteuil et y était restée sans bouger une journée ou un mois, selon les légendes. Puis elle s’était mise à chanter d’une voix de velours, comme le fauteuil : «Ne t’en va pas, toi, mon rossignol, la vie est triste quand tu n’es pas là» et elle avait refusé de marcher. (p.21)
Rien ne fait reculer Nadia, la tante débrouillarde et infatigable qui provoque des miracles et connaîtra une fin atroce. Les produits manquent sur les tablettes des magasins, mais la vie a ses exigences. Parce qu’un pays est fait de ces femmes et de ces hommes qui ont le désir de vivre vissé au corps et à l’âme, de croyances que pas une réforme ne peut briser.
«Au cours de l’année, un des fiancés est mort, quelque chose à voir avec la drogue. Mais on disait qu’il s’était suicidé par amour pour Fafotchka. C’est pour cette raison que son troisième mariage est tombé à l’eau. Les parents avaient peur de faire entrer dans leur famille celle qui rendait les hommes fous.» (p.69)
Le système politique s’écroule, la glasnost a été une illusion. Les plus argentés fuient à l’étranger et ceux qui restent doivent bâtir le quotidien et faire semblant que demain est possible.
«Même l’épicerie de la place Lénine avait fermé ses portes, car il n’y avait plus rien à vendre. Lénine, l’omniscient, tendait le bras devant lui, mais tout le monde pensait qu’il montrait un avenir radieux. Brejnev, comme toujours, se couvrait de médailles, comme un collectionneur dingue, et se traînait jusqu’à la tribune pour prononcer ses discours. Avec lui, tout le pays se traînait dans l’existence.» (p.70)
Élena Botchorichvili écrit en russe, mais vit à Montréal depuis quelques années. Elle a été journaliste en Union soviétique et présente ici son troisième ouvrage. Elle a publié «Le tiroir au papillon» et «Opéra» depuis 1999.
La traductrice, Carole Noël, a fait un travail remarquable en donnant corps à ce texte dépouillé, cette langue limpide, évocatrice, imagée et forte.

«Faïna» d’Elena Botchorichvili est publié aux Éditions du Boréal.