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jeudi 12 août 2004

Aline Apostolska raconte franchement sa vie


«L’homme de ma vie» d’Aline Apostolska, est un récit audacieux. La journaliste et écrivaine a senti le besoin de revenir sur sa vie en regardant son père droit dans les yeux. Les autres hommes aussi, ceux qu’elle a aimés et accompagnés un certain temps. Elle a revu la petite fille qu’elle était, la femme rebelle et aventureuse qui jamais n’a su dire non, cédant à ses coups de cœur comme à ses coups de tête. Il faut du courage pour empoigner tous les bouts de sa vie et les examiner sans complaisance. Il y a toujours un pourquoi aux gestes et aux événements qui nous ont bousculés et profondémment marqués. Il y a aussi une direction même quand nous croyons que tout s’est arrêté et que plus rien ne peut arriver.
Aline Apostolska ne se défile pas. Tout est dit avec une belle intelligence et un bonheur d’écriture. Elle possède l’art de nous pousser dans les grandes tempêtes de sa vie tout en gardant une certaine distance. Elle y parvient par la distanciation, une phrase glanée dans un livre, un poème qui vient colorer l’événement qui nous est présenté. En s’accrochant à des textes, des écrivains, des livres qui sont là comme des bouées, elle apporte un autre éclairage. Cette écriture donne une justesse particulière et un poids à ce récit qui aurait pu basculer dans une suite d’aventures épidermiques plus ou moins épicées. Aline Apostolska évite le piège et garde un niveau réflexif élevé malgré les confidences les plus intimes, les descriptions les plus charnelles.
«J’écris pour ne plus être seule. Et quand je finis un livre, la seule chose que j’espère est que la personne qui va le lire se sente un peu moins seule. Qu’elle se sente importante, démasquée, rejointe, au plus secret d’elle même. Sinon, c’est que j’aurais dupé le lecteur en me dupant moi-même. C’est que je n’aurais pas écrit avec ma chair. Si le papier n’est pas la peau du cœur, la somme des mots gravés là ne fait pas un livre, ou bien ce livre n’est qu’un vulgaire objet.» (p.95 )

Un miroir

Et la voilà qui nous bouscule dans ce que nous avons cru bon de faire de notre vie. Elle dérange, respire et rejette toutes les contraintes. La grande aventure, c’est la vie, l’amour, le désir même au risque de s’y briser. Il ne faut jamais dire non sans avoir expérimenté, sans avoir plongé et connu.
«Rencontrer quelqu’un c’est retrouver la part la plus invisible, la plus inconsciente  de soi-même, à travers l’autre,» (p.171)
De sa naissance à son arrivée à Montréal, d’une aventure amoureuse à une autre, Aline Apostolska se tient sur la corde raide, fidèle à cet instinct qui l’a toujours protégée. Skopje, Montpellier, Madrid, Sydney et Alger. Il y aura aussi Paris, Orléans, Bruxelles et Montréal. Il y a les lieux et des hommes.

L’instinct

Aline Apostolska sent avec son corps, suit ses pulsions et trouve une pensée dans le désir. La rebelle, l’aventurière est une migrante. Elle aurait pu être danseuse, elle écrit. Elle a travaillé dans les médias et est devenue journaliste et éditrice. Elle se croyait arrivée, installée et elle a tout abandonné. La vie est mouvement, la vie est devant.
Bien sûr, elle insiste beaucoup sur la figure du père, l’homme qui a marqué la princesse qu’elle croyait être. Une figure, un modèle, un homme qui l’a poussée hors du nid sans jamais la juger. C’est le plus tendre du récit!
Malgré cette franchise, Aline Apostolska demeure mystérieuse et fascinante. Elle nous retient du début à la fin, nous livre des pages magnifiques sur ses fils qui lui apprennent tout à chaque jour. Elle touche ce qu’il y a de plus important, de plus vrai: l’amour et la vie.
«Qui suis-je finalement, si je ne suis plus la fille, sœur, amante, mère, épouse? Qui est la femme que je suis devenue? Qui est ce moi que je jette en pâture, comme on jette les choses au feu? Moi existe-t-il? Au fond, vous et moi n’avons guère plus d’importance que la feuille qui s’envolera avec le vent d’automne.» ( p.205)
Aline Apostolska est une Shéhérazade qui sait nous en dire juste assez pour nous retenir, qui dévoile presque tout de sa vie tout en préservant des mystères. Des récits captivants, sensuels et vrais.

«L’homme de ma vie» d’Aline Apostolska est paru chez Québec Amérique.

jeudi 17 juin 2004

Jean-Paul Desbiens, un homme du passé

Régulièrement, depuis des années, Jean-Paul Desbiens, publie des tranches de son journal en changeant souvent d’éditeurs. Il se retrouve aux Éditions Septentrion pour la publication des années 2002 et 2003.
Je n’ai pas tout lu le journal de Jean-Paul Desbiens mais j’y reviens à l’occasion. Et à chaque fois, je répète que c’est la dernière incursion. Oui, j’aime les journaux d’écrivains. J’adore ce genre peu pratiqué au Québec. Une écriture qui exige de la générosité et une franchise exemplaire. Comme si le lecteur se faufilait dans l’intimité de l’auteur. Jean-Paul Desbiens a au moins le mérite de continuer envers et contre tous.
«En fait, je ne tiens pas un journal intime. Certes, je fais parfois mention de mes états d’âme, mais j’enregistre plutôt mes réflexions sur l’actualité, mes lectures, mes rencontres, la vie religieuse et la vie spirituelle». (p.65 )
C’est ce qui rend la lecture de ce journal exigeante. Évangile du jour, réflexion sur un saint dont c’est l’anniversaire, considérations sur la liturgie et les petites occupations quotidiennes.
Il effectue sa promenade d’une heure, à chaque matin, le long du fleuve. Rarement, il va s’attarder ou s’extasier devant le panorama.
«Le temps est couvert, mais le ciel est plein d’oiseaux: goélands, étourneaux, corneilles, pluviers kildeers, merles, tourterelles tristes. J’entends, mais sans le voir, un pic-bois. Les goélands volent très haut. Ils ont leur raison. Je vois aussi un raton laveur, mais je ne réussis pas à m’en approcher». (p.218)
Jean-Paul Desbiens n’est pas un contemplatif et encore moins un poète. Des faits, rien de plus.
Il y a aussi Jean O’Neil avec qui il correspond, les rencontres avec Didier Fessou, des amis, les voyages dans sa famille au Lac-Saint-Jean mais il ne s’attarde guère. Pas d’atermoiements! Il y a bien des tentatives d’humour mais cela ne lève pas. Jean-Paul Desbiens est tristement sérieux, farouchement austère.
Ses lectures? Très rarement québécoises. Il grogne sur les nouvelles du jour et rabâche une pensée désespérante.
«Au Québec, on s’attache! On finira bien par être attachés! Oh! qu’advienne la sécession du Québec! On va-t-y se retrouver, se découvrir, en plein fascisme. À l’âge que j’ai, je me sens tout à fait capable de toffer la run.» (p.204)
Le bon frère Untel perd les pédales quand il est question de la souveraineté, des pacifistes, des péquistes, des syndicats et du féminisme. Il sort les gros mots pour ne pas dire les insultes. Comment cet homme à la pensée si étroite et archaïque a-t-il pu travailler pendant des années au ministère de l’Éducation du Québec, être éditorialiste au journal La Presse, frayer avec ceux qui ont fait le Québec moderne et contemporain? Il y a un malentendu que Jean-Paul Desbiens n’élucide jamais dans son écriture quotidienne.
«Mais le pire du pire, ce fut d’entendre une femme enceinte se plaindre d’avoir été bousculée et d’avoir respiré un peu de gaz lacrymogène. Seigneur! Quand on est enceinte, on commence par rester à la maison.» (p.35)
Il est question ici des hommes et des femmes qui ont manifesté lors du Sommet de Québec.

Sympathique


Jean-Paul Desbiens devient attachant pourtant quand il se moque un peu des manies de ses supérieurs, du renouveau liturgique ou qu’il voit mourir ses frères en religion les uns après les autres. Une communauté à bout d’âge. Il réussit à nous émouvoir alors mais quand il revient à l’actualité, tout se gâche.
«On retourne au chanoine Lionel Groulx, sur lequel Gérard Bouchard, le frère de Lucien, vient de publier un livre. Le jupon dépasse, on s’en doute. Gérard Bouchard n’est pas historien. C’est un péquiste. Mais il écrit sous le parapluie universitaire d’historien.» (p.205)
On pourrait multiplier les excès du genre. Il pourfend tout ceux qui contestent l’ordre établi. Il est pour l’armée, la politique américaine d’intervention. La loi et rien d’autre!
Le frère mariste est un homme d’un autre siècle. Il baigne dans une pensée qui en était à ses derniers soubresauts quand j’étais petit garçon et que je tremblais pendant les sermons du curé de mon village. Il n’a pas su accompagner le Québec dans sa marche vers la modernité. Il s’est réfugié dans des dogmes et une religion qui tombent en lambeaux. Un peu triste de l’entendre grogner au jour le jour. Jean-Paul Desbiens, bourru, souvent hargneux, s’accroche à une époque d’avant la Révolution tranquille.

«Comme un veilleur», journal 2002-2003 de Jean-Paul Desbiens est paru aux Éditions du Septentrion.

mardi 15 juin 2004

Alain Gagnon joue de tous les instruments

«Je ne suis pas écrivain, vous savez. Chez nous, c'est surtout la musique qu'on privilégiait. J'écrirai donc dans plusieurs langues de la terre et de toutes les façons, jusqu'à ce que je comprenne un peu ma vie.» (p.155)
Voilà qui pourrait très bien décrire l'entreprise d'écriture d'Alain Gagnon. Cet écrivain, natif de Saint-Félicien, à défaut d'écrire en plusieurs langues de la terre, explore différents mondes et plusieurs univers. Il nous a brossé des tableaux de la région, entraîné au sud des États-Unis, une incursion dans le monde de William Faulkner, pour nous pousser en Europe cette fois.
 Ce diable d'écrivain, qui écrit comme il respire, a toujours su se faire explorateur au fil de ses publications qui prennent toutes les directions. Alain Gagnon a exploré la poésie, la nouvelle, fait de la traduction et surtout du roman. Il a toujours aimé flirter avec le fantastique.
Qu'il suffise de mentionner «Le gardien des glaces» ou «La langue des abeilles» où il faisait carrément le saut dans un autre monde. Il devait, après un long cheminement, livrer des oeuvres particulières et remarquables. Il faut lire et relire «Sud», «Thomas K» ou «Le ruban de la louve». Sûrement «Le gardien des glaces», l'un de mes préférés.

Monde ou mondes

Alain Gagnon est fasciné par les pulsions profondes, animales je dirais des hommes et des femmes, ces élans qui font agir et qui brûlent une vie. Les marginaux, ceux et celles qui maîtrisent la vie ou qui plient, écrasés par des forces qui emportent tout le fascinent. Les grandes forces des sociétés, les glissements sociaux, lents comme les froissements des icerbergs ou des continents qui dérivent constituent la trame de son histoire. Comme si des pans de vie ou de société se heurtaient chez les individus et les broyaient.
Les plus forts s'en sauvent plus ou moins. Avec «Jakob, fils de Jakob», Alain Gagnon étonne et désarçonne. Il nous entraîne au siècle dernier, dans une période qui a inspiré nombre de cinéastes et d'écrivains. La Deuxième Guerre mondiale et l'empire nazi, les Juifs enfermés dans les ghettos et le génocide. De Günther Grass à Stephen Spielberg, le sujet a été visité à de nombreuses reprises.
La première partie nous entraîne dans l'Allemagne nazie. Jacob Eliyakim vit dans un camp, est arraché à sa famille et protégé par des Allemands. «Le pour et le contre» si on veut.
Toute la seconde partie se déroule au Québec. Deux mondes, deux faces d'une même vie. Parce que rien n'est limpide chez Alain Gagnon. Les survivants ne sont pas nécessairement les gagnants et les vaincus triomphent parfois.
«- les premiers contacts avec nos libérateurs avaient renforcé les commentaires négatifs du colonel et suscité en moi une aversion profonde pour leur civilisation de brutes et de tortionnaires, de la même eau que celle que les nazis avaient voulu imposer aux pays, pourtant civilisés de l'Europe.» (p.82)

Blanc ou noir

Un humain peut-il échapper ou survivre à l'horreur qui le défait et le brise dans sa tête et sa pensée? Jakob ne pourra jamais échapper à ses souvenirs, à son côté juif et l'autre, celui qui est devenu homme dans une famille allemande, qui a aimé «ses soeurs» pour ainsi dire. Deux côtés d'une vie qui fusionnent et se combattent, qui finissent par broyer Jakob.
Un regard sur le Québec qui se bute à l'Expo 67. Un moment fort, un aspect plausible et peu connu de notre histoire. Et une grande question à la fin: le suicide assisté est-il souhaitable?
Une histoire menée de main de maître dans une langue impeccable. Un roman qui se constitue et se défait dans un même élan, à l'image de la vie.  Alain Gagnon n'a pas fini de surprendre et il démontre qu'il est capable de jouer de tous les instruments de l'orchestre et de l'écriture. Du très bon Alain Gagnon!

«Jakob, fils de Jakob» d’Alain Gagnon est paru aux Éditions Triptyque.

mardi 1 juin 2004

Un troisième roman pour Hélène Potvin

Hélène Potvin vient de lancer un troisième roman aux Éditions JCL. Un gros bouquin de plus de 400 pages intitulé «Les Marchandes d'espoir». Cette auteure nous plonge dans un monde un tantinet ésotérique et étrange. Oui, certaines personnes peuvent avoir des dons de télépathe ou la faculté de «percevoir» ce que le commun des mortels ignore. Je ne discuterai pas cet univers. J'ai des amis qui ne jurent que par les anges et les entités qui accompagneraient les humains dans leurs périples. À chacun ses croyances!
Le roman permet toutes les aventures. On peut plonger dans le récit historique ou s'évader dans un monde de pure imagination. Toutes les routes sont ouvertes dans le merveilleux monde des mots. Le passé, le présent, l’avenir, tout peut être exploré.
J'avoue avoir arrêté ma lecture après une cinquantaine de pages. Je n'en pouvais plus de cette histoire qui se mord la queue et de cette écriture qui carbure aux hormones. En prime, un vernis poétique d'une mièvrerie navrante.
«Le regard de sa cliente, quoique encore alourdi par la transe hypnotique, suffit à lui couper net la parole. Non parce que celui-ci était méchant ou rageur ou même qu’il exprimait une vive déception – ce qui aurait été légitime dans les circonstances -, mais bien parce que le regard de la femme muette, aux yeux miroirs de l’insondable, habile à déchiffrer son impuissance, paraissait suppliant.» (p. 21)

Le retour


Et puis après avoir fait une longue promenade le long de la rivière aux Sables, je me suis répété qu'Hélène Potvin est une auteure professionnelle. Plus, elle semble vouloir s'installer dans l'écriture. J'ai repris ma lecture. Un cheminement pénible, un effort de tous les instants, il faut le répéter. La réincarnation, une histoire d'améthyste que l'on transmet de génération en génération, des âmes soeurs qui se reconnaissent au premier regard, je peux le prendre mais il y a la manière.
«Mal à l’aise dans son espace familier, égaré dans son antre connu, pris au piège de son cerveau gauche qui avait rarement donné libre cours au droit, le professeur se leva et se posta devant la fenêtre. Le temps boudait toujours le soleil. Par contre, bien qu’on fut en décembre, la température s’attardait paresseusement aux degré d’automne.» (p. 192)
Plus de 400 pages pour traiter de philosophie, de l'âme, de l'avenir de l'homme et de la planète sans jamais formuler une idée originale, c’est quasi un exploit. Hélène Potvin répète continuellement les mêmes clichés. La réflexion n'a rien à voir avec ce sentimentalisme primaire et éculé.
«Une eau étincelante se répandait doucement sur les joues de son amie.» (p. 122)
Ce roman tient bien mal la route et rebute le lecteur un tant soit peu exigeant. Et l'écriture? Ah, l'écriture... Que faire quand on s’enfarge dans des phrases semblables?
«Par conséquent, elle parlait peu, ce qui favorisait le silence, l’observation et l’attention.» (p.83)
«Elle la trouvait particulièrement belle dans ses silences ouverts, libres du temps, et surtout attachante par ses paroles vécues.» (p. 119)
«Pour la première fois cependant l’homme expérimentait un silence fécondant d’une intensité palpable, qu’il qualifia mentalement de vivant, porteur d’une doublure.» (p.221)
«Debout devant la fenêtre dévêtue, Janine, tout aussi dépouillée, se dit que son euphorie avait été de bien courte durée.» (p. 334)
Visiblement, Hélène Potvin n'a pas terminé son apprentissage.

«Les Marchandes d'espoir»; Hélène Potvin est paru aux Éditions JCL.

mercredi 21 avril 2004

Marcelle Racine réhabilite Éva Bouchard

«J'ai entendu parler d'Éva Bouchard par sa famille. Ma belle-mère est Jeannette Bouchard. Je suis de la famille en quelque sorte», explique Marcelle Racine.
La famille parlait de cette tante qui sortait de l'ordinaire. «J'ai été fascinée et c'est comme ça que tout a commencé. J'ai effectué des recherches. Les enfants de Gustave, son frère, gardait un souvenir un peu mythique de cette tante. Certains sont encore vivants mais ils sont âgés.» Mme Racine aura d'abord contacté Lynn Boisselle qui dirigeait alors le musée Louis-Hémon. «Ce ne fut pas facile mais j'ai eu accès à deux boîtes de documents après des négociations. Des lettres, des documents, de la correspondance. Il y a eu aussi la Société historique du Saguenay, le fonds Victor Tremblay. Peu à peu le personnage a pris corps et j'ai découvert une femme très attachante.»
Marcelle Racine a étayé son roman avec des lettres, comme si elle craignait un peu de se faire dire qu'elle fabulait. Elle a laissé une part à l'imaginaire mais tout repose sur ces documents qui éclairent le personnage et donnent de la consistance à Éva Bouchard.
«Je suis allée plusieurs fois à Péribonka. J'ai discuté avec les gens. Albert Roy a vraiment existé. J'ai retrouvé sa tombe. Ce sont les histoires des gens qui m'ont permis de parler de cette attirance. Un amour entre deux personnes fières et indépendantes. J'ai flotté un peu sur cette histoire.»
Le roman de Marcelle Racine esquisse une véritable fresque. Tout débute avec l'arrivée de Louis Hémon à Péribonka, son installation chez les Bédard et après son départ, nous suivons Éva Bouchard jusqu'à son décès en 1949.
L'écrivaine nous fait revivre la grande époque où l'industrie s'installe dans la région. La construction des barrages, l'inondation des terres et la disparition de Pointe-Taillon, la résistance des cultivateurs se profilent.
C'est le milieu dans lequel évolue Éva Bouchard qui assure sa survie en travaillant à attirer les visiteurs sur les lieux du roman de Louis Hémon.
Plusieurs personnages y défilent. On y suit Damase Potvin, Jean-Charles Harvey qui en prend pour son rhume, l'éditeur du roman en France, Bernard Grasset, Marie Hémon et la fille de Louis Hémon. Des figures connues et moins connues qui nous plongent dans cette première moitié du siècle dernier. En fait, Marcelle Racine reprend où Gérard Bouchard a abandonné dans «Mistouk». Ce n'est  pas peu dire.

Femme attachante


«J'ai rencontré des spécialistes. Aurélien Boivin au début se demandait pourquoi je voulais écrire sur Éva Bouchard mais il a accepté mon choix. Je ne sais pas ce que les gens vont dire mais c'était important de montrer cette femme qui sort de l'ordinaire. Éva Bouchard a fait quelque chose au début du siècle dernier que les femmes ne faisaient pas.»
Il faut lire le roman de Marcelle Racine et être attentif aux petits détails. Nous avons l'impression d'habiter le roman de Louis Hémon, de circuler autour de cette histoire qui aura marqué la région peut-être plus qu'on ne le croit. Marcelle Racine trace le portrait d'une femme attachante et vraie. L'intérêt est là du début à la fin. Comme si Marcelle Racine explorait une facette peu connue de l'histoire denotre région. Elle nous l'offre bellement et avec une grande justesse.

Mauvaise presse

Éva Bouchard a toujours eu mauvaise presse chez les spécialistes de Louis Hémon. Elle a été ridiculisée et presque toujours dépréciée.
La jeune femme y est présentée comme une usurpatrice et une imposteure. Pensons à l'étude de Nicole Deschamps qui se  penche sur «Le mythe de Maria Chapdelaine». Elle règle le cas d'Éva Bouchard en quelques lignes.
Il faut revenir un peu en arrière pour comprendre. Suite à la parution du roman «Maria Chapdelaine» et de son énorme succès, le journaliste et écrivain Damase Potvin se rend à Péribonka pour enquêter. Il veut identifier les personnages qui ont inspiré Louis Hémon. Il rédigera en quelque sorte la généalogie de chacun des personnages du roman. Certains diront à la blague qu'il n'y a que le cheval Charles-Eugène qu'il n'aura pas réussi à retracer.
 Damase Potvin fait d'Éva Bouchard la muse et l'inspiratrice de Louis Hémon. Elle a donné corps au personnage de Maria Chapdelaine. Potvin se récusera plus tard mais Éva Bouchard est associée irrémédiablement à Maria dans l'esprit des gens.
«Elle ne voulait pas être Maria Chapdelaine au début. Je ne crois pas que ce soit vraiment important de savoir si elle a inspiré Louis Hémon ou pas. Qu'est-ce que cela peut changer? Les lecteurs ont commencé à lui écrire. Ils voulaient rencontrer la vraie Maria, l'inspiratrice. Je ne sais pas pourquoi mais elle a commencé à répondre aux lettres. Peut-être par plaisir ou par désoeuvrement», raconte Marcelle Racine qui aura marché sur les traces de cette femme peu ordinaire pendant cinq ans.

Un mythe

Éva Bouchard est «poussée» vers Maria Chapdelaine et peu à peu elle endosse les habits du personnage. Elle signera des cartes postales, dédicacera des romans. Elle ne pourra jamais se défaire de l'ombre de Maria Chapdelaine. Le personnage romanesque deviendra le centre de sa vie.
Éva Bouchard accueille les gens et une foule de visiteurs viennent la rencontrer à Péribonka. Stimulée par son frère Gustave, elle réussira à sauver la veille maison de Samuel Bédard, construira une auberge en plus des chalets qui accueilleront les visiteurs qui débarquent pour se recueillir sur les lieux qui ont inspiré Louis Hémon. Madame Bouchard aura joué un rôle important dans ce qui constitue maintenant le musée Louis-Hémon et ses dépendances.
«Elle a fait beaucoup pour Péribonka en devenant une sorte d'ambassadrice du Lac-Saint-Jean. Elle a été une conférencière qui a sillonné le Québec et rencontré des milliers de personnes. Elle a même été en France à l'exposition universelle de Paris. Elle a contribué à attirer beaucoup de gens dans la région. Sur le plan touristique, elle a été une pionnière», croit Marcelle Racine.
«Je crois que le fait qu'elle ait été une femme et qu'elle ait vécu sa vie autrement que les autres a été très mal vu. Elle était singulière, avait certainement des défauts mais il fallait la montrer sous un autre jour», explique l'auteure qui a choisi le mode romanesque même si son livre demeure très près de la biographie.
Le gros roman de 576 pages de Marcelle Racine constitue une véritable épopée.Toute la région se profile derrière cette femme humaine et sympathique.
«Éva Bouchard», c'est le roman du roman de Louis Hémon. La réalité se superpose à la fiction et Éva Bouchard devient fascinante. C'est là que Marcelle Racine fait véritablement oeuvre de romancière. On y voit aussi poindre des idées qui donneront naissance à la Révolution tranquille quelques années plus tard. Avec ce travail, Éva Bouchard gagne le droit d'avoir une place au musée Louis-Hémon de Péribonka. Marcelle Racine lui ouvre la porte. 

«Éva Bouchard, La légende de Maria Chapdelaine» de Marcelle Racine est paru aux Éditions VLB.
http://www.edvlb.com/Eva-Bouchard/Marcelle-Racine/livre/9782890058262

lundi 12 avril 2004

Apprivoiser la mort pour mieux vivre

Daniel Danis ne cesse d’étonner au théâtre avec des textes d’une qualité et d’une originalité déconcertantes. Songeons à «Cendres de Cailloux» et plus récemment au «Langue-à-langue des chiens de roches» où la poésie porte la quête de ce dramaturge pas comme les autres. Une qualité d’écriture exceptionnelle, un pouvoir d’évocation qui a changé la façon d’écrire le théâtre au Québec et en France où il connaît du succès. Il ne fallait pas s’attendre à autre chose de sa rencontre avec la photographe Suzan Coolen.

Dans un récit qui tient à la fois de la réplique théâtrale, de la poésie, de la description pure et narrative, Daniel Danis nous plonge dans des émotions et des situations où la vie prend des dimensions insoupçonnées.
Antoine a adopté un garçon que l’on croit être un Haïtien. Il ramène ce poupon qui fera sa joie et celle de son épouse. Le bonheur se profile avec ses sourires et ses couches mais ce serait mal connaître Danis. Mireille abandonne Antoine quelques heures seulement après l’arrivée de l’enfant, le quittant avec le bébé pour un autre homme.

Dix ans après

Dix ans plus tard, le garçon frappe à la porte d’Antoine. Le jeune Gabriel est atteint d’un cancer incurable et n’a que quelques mois à vivre. Le récit de Daniel Danis s’amorce. Pas de place pour les dentelles et les faux-fuyants. Il faut trouver un sens où il n’y en a pas peut-être.
Antoine apprivoise ce fils qu’il n’a jamais eu et qu’il va perdre dans quelques semaines. Il doit recentrer sa vie, abandonner le monde artificiel du cinéma qui est le sien. Il faut tout vivre avec Gabriel, l’accompagner à chaque instant. Ils se réfugient chez l’oncle Dave, celui qui a recueilli Antoine il y a longtemps. La violence du père était meurtrière alors.
La vie alors donne de grands coups d’épaule, soulève des émotions qui retournent le corps et font oublier les agitations inutiles. Il faut vivre chaque seconde, chaque minute comme l’éternité.
Antoine découvre la tendresse, l’amour et le bonheur. L’oncle Dave, encore, se fait passeur, shaman et initiateur. La mort pourra être belle, fascinante, envol et Gabriel s’y entraîne avec ces «pères» qui cherchent tout autant que lui.
Daniel Danis offre un texte d’une qualité exceptionnelle. Ses phrases sont aiguisées comme des sabres. Il faut s’imprégner de la beauté de cette langue baroque et incantatoire. Daniel Danis surprend avec ses trouvailles, des images qu’il est le seul à oser.
«Il neige en ce onze des morts. Pourtant, il pleut sur mes os et mes viscères, une pluie incessante, froide. Chaque partie de ma peau me semble quadrillée au marqueur noir pour inscrire les jours du mois avec ses hauts et surtout ses bas, comme pour me tatouer une peau novembrienne. Il pleut des ennuis sur une peau d’ennui. Je déambule comme une statue de plomb, creuse et sans semelle aux pieds qui, derrière elle, trace la coulée des eaux d’un être sans mémoire. Quand surgit ce maudit mois, les pensées inondent tout le calendrier de noyade tentaculaire répétée.» (p.43)
Daniel Danis suit les difficiles contours qui font les liens entre les humains, ces élans souvent brisés et malmenés qui laissent des blessures qui guérissent si mal. Sans compromis, il pousse encore plus loin sa réflexion, sa tendresse pour ces êtres plus doués pour la fuite que la vie. Apprivoiser la mort, c’est accepter la douleur de la séparation mais aussi la grâce de vivre; se faufiler dans tous les lieux de son corps. Parce que la mort peut donner un sens à la vie.
«Toute en sueur, toute en souffle, elle va d’abord, comme je l’ai vue, s’accroupir en catcheur sur son pénis ramolli, elle va descendre ses genoux au long des côtes d’Antoine, s’étendre sur sa poitrine, déposer sa tête au creux de son épaule et appuyer sa bouche dans son cou. Ils vont reprendre leur souffle… … Plutôt comme une tortue! Elle pensera qu’elle est une tortue sur le sable chaud du Sud, avec du bon vent plein d’odeurs soufflées de la nature, elle se verra pondre des œufs dans un nid creusé à même la plage. De sa bouche rouge sortira un: Je t’amoure. Je t’amoure.» (p.86)

 J’ai lu et relu ce texte, m’avançant et revenant pour en savourer la justesse, la densité et toute la beauté. L’écriture de Daniel Danis devient une sorte de mantra, de prière qui nous dessille l’être, pour ne pas dire l’âme.
Suzan Coolen s’intéresse à des objets si familiers qu’ils en sont devenus invisibles. Des plumes, une feuille d’arbre, une balle. Avec ces sujets, elle crée un espace, un lieu, un univers où le sujet acquiert une force et une plénitude fascinante. Une nouvelle identité je dirais. Les photographies de Suzan Coolen inventent des espaces tout comme les phrases de Daniel Danis. Une belle collaboration. Un plaisir rare que ce «Terre océane».

«Terre océane» de Daniel Danis et Susan Coolen est paru aux Éditions  Dazibao.         

dimanche 4 avril 2004

Yves Dupéré visite la Nouvelle-France

Yves Dupéré, historien né à Jonquière, lance un roman qui plonge le lecteur dans les années qui précèdent la chute de la Nouvelle-France. Il couvre les années allant du 21 juin 1752 au 18 octobre 1760. Un auteur précis comme un horloger.
Huit ans qui font connaître la gloire de cette Nouvelle-France qui n’hésite pas à porter la guerre chez les Anglais de l’Ohio avec une audace qui effarouche les plus braves. Le roman se termine par la défaite et la capitulation des armées françaises en Amérique après la prise de Québec.
C’est surtout l’histoire d’une famille, celle de Jean Hébert de Courvais. Le père major de l’armée française et ses deux fils, François et Alexandre, militaires aux méthodes bien différentes ainsi que Catherine et Anne. Une famille qui incarne cette Nouvelle-France qui devra s’incliner devant les forces anglaises. Yves Dupéré mêle les personnages historiques, Montcalm, Bigot à des êtres de fictions qui sonnent juste.
«Le ton des deux jeunes hommes était courtois, sans plus. Non seulement François était-il le préféré de son père, mais il était celui qui lui ressemblait le plus physiquement. Ses larges épaules et sa mâchoire carrée annonçaient une certaine rigueur. De plus, l’éclat de ses yeux bleus révélait tout l’ascendant que François avait sur qui le côtoyait. Ses cheveux bruns étaient remontés vers l’arrière et descendaient jusqu’à la nuque, comme ceux de Jean, durant sa jeunesse.» (p.75)
«Quand tombe le lys» fait revivre avec précision ces années où les Canadiens, ces Français nés en Canada, sillonnent l’Amérique, sèment la terreur, se battent, commercent avec les Indiens quand ils ne vivent pas comme eux. À Québec on retrouve l’aristocratie française qui tente d’imposer ses manières et ses façons de faire. Entre les deux, les marchands et la noblesse ne reculent devant rien pour s’enrichir.

Belle réussite


Yves Dupéré réussit ce premier envol romanesque malgré la surabondance des descriptions un peu maniaques des robes, des maisons et des armes qui ralentissent l’action. Cette écriture a au moins le mérite de nous «montrer» les lieux et les manières des personnages. Rien qui n’empêche d’apprécier cette histoire passionnante pourtant. Surtout quand nous suivons Alexandre dans ses amours. Et l’attirance particulière qu’il éprouve pour sa sœur Catherine n’est pas sans troubler.
«Malgré tout, certains d’entre eux passèrent sous les lames tranchantes des tomahawks. Quelques soldats anglais tentèrent de leur échapper, mais les Amérindiens les poursuivirent et les scalpèrent sous les yeux ébahis des Français. Des officiers canadiens, François en tête, réussirent à contrôler la fureur de leurs alliés iroquois. Les officiers et les soldats français virent pour la première fois le sort réservé aux vaincus par les Amérindiens. Plusieurs en furent outrés.» (p.191)
Une fresque oubliée avec l’abandon de l’enseignement de l’histoire. De l’action et des machinations qui tiennent le lecteur en haleine jusqu’à la fin. Des scènes torrides, des grandes batailles et aussi des trahisons qui mèneront au départ de la famille Hébert de Courvais pour la France après la défaite.
Ce qui étonne, c’est la liberté de mœurs des habitants de la Nouvelle-France, le libertinage pratiqué dans la colonie et le peu de place que le romancier donne au clergé.
Un bon roman appuyé sur une foule de faits historiques et des personnages attachants. Yves Dupéré a réussi son premier roman.

«Quand tombe le lys» d’Yves Dupéré est publié aux Éditions Hurtubise. 
http://www.editionshurtubise.com/auteur/799.html

dimanche 14 mars 2004

Hélène Pedneaut est fière de sa constance

Je rencontrais Hélène Pedneault pour son tout dernier livre «Mon enfance et autres tragédies politiques», mais elle voulait écouter Louise Beaudoin à la radio. L'ancienne ministre du gouvernement péquiste commentait le scandale des commandites à Ottawa à l'émission de Marie-France Bazzo.
J'ai dû attendre que Madame Beaudoin en finisse avec ce fonctionnaire qui notait au jour le jour tout ce qu'il trouvait suspect autour d’un programme que personne ne connaissait. Après, nous avons pu parler de son dernier livre, une réédition de ses chroniques écrites entre 1983 et 2004. Vingt ans
de vie, d'humeurs, de «montées de lait» comme dit Hélène Pedneault. Elle est comme ça. Toujours à l'affût d'un bout d'information et après, elle pousse les hauts cris ou se réjouit.
Hélène Pedneault, malgré les détours de sa vie, demeure une journaliste, totalement dans sa façon de voir et de regarder les soubresauts du mondepolitique et artistique. Une journaliste qui ne se contente pas de regarderle train s'éloigner avec fracas. C'est plus fort qu'elle. Elle a besoin d'action, d'une cause. Impossible pour elle de jouer à l'indifférente. Elle n'a jamais su résister à l'envie de bondir dans la mêlée pour dire ce qu'elle pense ou pour secouer un événement.
«J'ai besoin d'écrire pour comprendre ce qui arrive et ce qui se passe en moi. C'est ma manière de me centrer, d'avoir une cohérence», explique-t-elle en allumant sa cigarette. Elle fume. Partout, tout le temps. C'est comme ça. Il faut la prendre avec ou sans.

Filiation

Hélène Pedneault par sa façon de faire reste fidèle à ces journalistes qui épousaient une cause et fondaient un journal pour défendre des idées. Elle cite Olivar Asselin et Arthur Buies pour trouver une cheville ou un point d'ancrage.
Elle est de cette race. Exigeante pour elle et pour le métier, sans compromis, toujours prête à s'indigner et à pourfendre la bêtise. Elle ne fait jamais de quartier. «Je n'ai  pas tellement dévié de ma trajectoire si on peut dire. Je l'ai constaté à la relecture de mes chroniques. Je regarde et je crois encore profondément à ce que j'écrivais il y a vingt ans», dit-elle.
Et s'il y a une constance chez elle, il faut se tourner du côté du féminisme. Elle est devenue militante spontanément il y a des années tout à en gardant sa voix singulière. On lui ramène souvent ses «chroniques délinquantes» de «La vie en rose», un magasine qui revendiquait les droits des femmes et montrait à grands traits les travers des hommes. Hélène Pedneault n'y faisait pas de compromis, se moquant même des travers du féminisme. Elle a le regard d'un aigle et sait trouver le grain de sable dans l'engrenage.
«Je suis peut-être plus exigeante pour l'écriture mais c'est normal. J'utilisais des expressions un peu excessives alors j'ai calmé mes ardeurs avant la réédition. Je parlais de génocide culturel par exemple. J'ai changé cela. C'est fort le mot génocide.»
Hélène Pedneault allume une autre cigarette et gesticule. Elle a choisi des chroniques de «La vie en rose», du magasine «Guide ressources», des textes lus à Radio-Canada et envoyés au  magazine «Voir». Un mélange qui illustre bien sa constance. Oui, Hélène Pedneault a changé souvent de véhicules. «Je ne fais jamais fait de compromis, jamais. J'ai quitté parce que ce sont eux en quelque sorte qui me quittaient. Il y a des principes que je ne peux renier.»
Elle parle de ses textes avec passion, dit qu'elle aimerait aller vers la fiction maintenant. Elle a même écrit un polar pour la jeunesse, une autre de ses grandes passions de lectrice boulimique. Il y a encore un roman. «Toutes les formes d'écriture m'intéressent», dit-elle. Hélène Pedneault a touché à tout cela dans ses chroniques. Elle s'amuse, rigole comme à une fête entre amis, répète qu'il faut croire à l'avenir. «Devenir un pitt-bull quand on croit et ne jamais lâcher», lance-t-elle dans un grand rire. Elle est capable de nous faire croire en demain malgré toutes les menaces.
Le livre

Hélène Pedneault a regroupé une centaine de chroniques pour constituer un livre où le lecteur y trouvera des questions aussi sérieuses que l'indépendance du Québec mais aussi des constats sur la vie des femmes et des hommes, leur évolution au cours des vingt dernières années au Québec. Nous ne sommes jamais loin de la vie d'Hélène Pedneault non plus. Nous la suivons dans son petit domaine de Saint-Zénon, près du lac Sébastien, qui deviendra le sujet d'un livre de réflexions et de méditation presque.  Elle ne rate jamais une occasion de retourner dans son enfance à Jonquière. Elle parle de son père avec tendresse, trace un portrait de sa mère. On y apprend le plaisir qu'elle a eu à découvrir le monde et à tout savoir. Les livres ont  toujours été au centre de sa vie.
«Je n'ai jamais été capable de tenir un journal au jour le jour et  je me suis aperçu en relisant mes chroniques que je racontais ma vie, que je la fouillais pour la comprendre à travers les événements politiques.»
Elle y explique sa passion pour la chanteuse Barbara, sa découverte des écrits de Simone de Beauvoir qui vont bouleverser sa vie. «Il faut parler de soi pour parler des autres», ajoute-t-elle. Oui elle bouscule, heurte, dérange et nous fait avaler souvent de travers. Elle n'a pas son pareil pour nous montrer nos travers, des habitudes, des façons de faire qui font que la planète se sent mal, qu'il y a des guerres à répétions.
« Plusieurs des textes que j'ai fait pour l'émission de Bazzo, je les ai repris en monologue sur scène et les gens qui écoutent croulent de rire à chaque fois. Ça passe très bien. C'était fait pour être dit.
Il faut lire ce gros bouquin plein de dénonciations, de charges et de réflexions pertinentes. Prendre son temps, laisser mijoter certaines chroniques pour bien les savourer. Il faut écouter Hélène Pedneault quand elle parle des analphabètes au Québec, sa hantise. On ne rit plus. C'est aussi  cela la manière d'Hélène Pedneault. On l’aime avec ses élans, ses colères, ses «montées de lait», ses charges. Une grande humaniste.

«Mon enfance et autres tragédies politiques», journal intime et politique d’Hélène Pedneault est paru chez Lanctôt Éditeur.

dimanche 7 mars 2004

Élisabeth Vonarburg regroupe ses nouvelles

Élisabeth Vonarburg n’a cessé de bousculer la société en se projetant souvent dans le futur ou en le ramenant à sa plus simple expression quand tout a été saccagé par la démesure humaine. Si elle a réussi des fresques époustouflantes avec sa série Tyranaël ou «Le pays des mères», elle sait aussi travailler des textes précis comme des bonsaïs. Toujours elle questionne l’évolution, la civilisation ou sur quoi peut reposer l’humanité. Des énigmes qui hantent ses grands romans de science-fiction où elle se fait chercheuse et tente de trouver ce qu’est l’humain, la culture ou la civilisation quand tout le superflu ou l’inutile a été balayé. Une manière de se plonger en situation d’urgence pour décrire la condition humaine et questionner l’histoire. Comme si elle poussait l’humain dans ce qu’il a de plus intime. Elle a trituré le langage, les rapports entre les hommes et les femmes, bousculé la civilisation, les mutations possibles ou imaginaires dans un monde dominé par la machine. Toujours elle a cherché l’étincelle, la petite flamme qui montre que l’humain est humain malgré toutes les folies et les expériences.
Parallèlement, Élisabeth Vonarburg a écrit des textes pour le plaisir de participer à une revue ou un collectif. Ici, dans «Vraies histoires fausses» elle regroupe vingt-trois nouvelles parues ici et là, surtout dans le collectif de l’Association professionnelle des écrivains de la Sagamie-Côte dont elle a été une animatrice pendant plusieurs années.

Question d’unité


Le lecteur trouverait-il une unité ou un fil conducteur dans ces textes qui s’échelonnent sur une vingtaine d’années. Elle explore son enfance, son adolescence, s’arrête à ses migrations, à sa venue à Chicoutimi et y décrit certains rêves. Elle se livre dans ses choix d’existence et ses décisions. Elle y parle du pays rêvé, du pays abandonné, de son amour de la neige, des voyages en autobus et s’abandonne un peu aux souvenirs pour y arracher des signes. Des textes d’une finesse remarquable et d’une belle unité. Peut-être parce qu’Élisabeth Vonarburg a décidé, dans ces récits de déchirer les masques pour parler d’elle et de son monde, d’aller vers soi en oubliant les maquillages.
«Alentour, hors de la ville, les repères de mes chemins se sont effacés, les champs n’existent plus, les maisons, à peine. Seulement la plaine, un grand corps endormi, immobile et pur, entre l’orée du Parc et les monts Valin – la montagne flotte au-dessus de l’horizon, rêve de nuage dans l’azur tranchant.» (p.57)
Elle travaille avec des petites touches précises et sait être une orfèvre attentive. Et quel don elle a pour nous faire sentir l’autre, l’étouffement ou une présence intolérable.
«C’était peut-être cela, l’enfer, un autobus puant plein de gens exécrables, fonçant à travers l’éternité des limbes en direction de nulle part.» (p.89)
Élisabeth Vonarburg ne perd jamais son mordant. Elle a le regard perçant de l’harfang à qui rien n’échappe. Des textes surprenants même quand on a eu le plaisir de la lire au cours des années. Regrouper ces textes leur donne une force et une justesse encore plus grande.

Précision

Élisabeth Vonarburg ouvre ici une porte à ceux et celles qui, au cours des onze dernières années, ont participé aux collectifs de «Un lac, un fjord, un fleuve». Ses nouvelles demeurent percutantes, justes et s’avèrent d’une remarquable uniformité.
«Je voyais d’immenses forêts profondes, enfouies sous la neige, avec des ours noirs qui dormaient roulés en boule entre des parois de terre veinées de racines. Et de grandes chouettes blanches au vol velouté dans le silence. Et de grands cerfs majestueux, dans la neige jusqu’au poitrail, qui avançaient comme des bateaux sans voiles.» (p.123)
Élisabeth Vonarburg sait rêver un espace et l’habiter. Elle nous le peint ici dans une langue d’une belle précision.

«Vraies histoires fausses» d’Élisabeth Vonarburg est paru aux Éditions Vents d’Ouest. 
http://www.ventsdouest.ca/Livres.asp?IDL=188

lundi 1 mars 2004

Daniel Boivin séduit avec son journaliste

Quatre ans après avoir lancé «À cause du train», un roman fort acceptable, Daniel Boivin récidive avec «Trois nuits au Colibri».
Encore une fois, cet écrivain plonge dans un monde un peu tordu et ne s’éloigne guère de son univers pour le plus grand plaisir des lecteurs. Pour ceux et celles qui ne l’ont pas encore deviné, Daniel Boivin est journaliste à CBJ, la station de Radio-Canada à Chicoutimi.
Simon Naud vient de se faire rattraper par la quarantaine. Avocat de formation, il n’a jamais pratiqué. Et comme bien des journalistes qui font le métier depuis un certain temps, il est cynique. Le chroniqueur judiciaire de La Presse campe au Palais de Justice et décrit la misère humaine à tous les jours.
Le reporter doit enquêter sur une histoire un peu sordide juste avant Noël. Un ancien maire de Repentigny et son épouse ont été assassinés à Saint-Fabien-des-Pins, une petite ville de l’arrière pays.

Enquête

L’intérêt se porte rapidement sur Alice, une jeune photographe d’allure punk qui accompagne Simon Naud dans sa mission. Va-t-il oui ou non baiser avec elle? J-H. le chef de pupitre et chef des nouvelles est particulièrement intéressé par la chose. Mais il y a Zoé, la serveuse qui zézaie et sait faire bien d’autres choses. Le temps file à Saint-Fabien-des-Pins  à moins trente Celsius. Simon fait un peu de jogging entre le restaurant, le bar et le dépanneur tout en élaborant les textes qu’il va expédier au journal. Après, l’enquête suit son cours et le monde tourne en rond.
Heureusement, Daniel Boivin revient vite aux hantises de son premier roman et c’est là tout le charme de ce second ouvrage. Le vieillissement, le sexe, l’amour, les humains si souvent tordus retiennent son attention. Il est toujours un observateur précis et mordant. Il trace le portrait d’une petite société à grands traits. La vie engourdie dans la routine, un bar de danseuses nues, le restaurant où tout le monde se retrouve, un estaminet minable où les ivrognes se saoulent avec application et dévotion.
«L’intérieur du dépanneur ressemblait à un entrepôt de bière. On ne voyait rien d’autre que des caisses de vingt-quatre empilées en pyramide parmi quelques étalages d’articles de pêche et de cassettes vidéo. Les bouteilles de bière remplissaient également une chambre froide toute vitrée qui répandait une lumière crue dans la pièce.» (p.59)

Un tendre


Simon Naud est obsédé par le sexe et les femmes mais c’est un tendre, un doux qui se protège comme il peut. Un humaniste et peut-être aussi un idéaliste.
«À deux occasions, il avait refusé de partir en Arabie Saoudite pour couvrir la guerre du Golfe. La première fois, au début du conflit, il s’était inventé une fausse bronchite pour refuser l’assignation. Quelques semaines plus tard, il invoquait des problèmes de couple pour se défiler… … c’était parce qu’il avait peur. Peur des bombes, des attentats, du terrorisme, des balles perdues, des armes chimiques. Peur de mourir, tout bêtement.» (p.40)
Voilà qui rend le personnage de Simon sympathique . Après cela, on peut bien lui pardonner son obsession du sexe.
«En attendant son rire joyeux, il éprouva une sorte de tristesse. Il ne pouvait s’empêcher de penser qu’il avait presque deux fois son âge. Il se sentait, non pas trop vieux, mais dépassé. Démodé.» (p.117)
Une écriture rythmée, efficace et un sens de l’humour qui fait avaler les pires outrances. Le talent de Daniel Boivin fait qu’on oublie un peu les problèmes de concordance du temps des verbes et certaines expressions boiteuses. Non, on «ne se laisse pas tomber dans sa chaise». Que dire d’un «elle laissa étirer le silence» et puis d’un «j’avais ma Nikon dans le cou.» Une autre pour terminer? « La 1er Avenue était déserte à perte de vue». Mouais…
Une lecture attentive aurait pu corriger facilement ces peccadilles.

«Trois nuits au Colibri» de Daniel Boivin est paru aux Éditions JCL.

samedi 28 février 2004

Marc Vaillancourt ou le suicide d’un écrivain

Marc Vaillancourt demeure un cas particulier. Après avoir publié de la poésie remarquée, des nouvelles fort intéressantes, voilà que notre Chicoutimien de naissance lance deux essais foudroyants. Des bijoux de hargne et de mauvaise foi contre la littérature et les écrivains du Québec. Il manie la phrase comme un lance-roquette et tire sur tout ce qui respire dans le monde littéraire.
Dans «Au poil et à la plume», il s’acharne à détruire ce qu’il avait pu négliger dans «Les feuilles de la Sibylle». On croirait se retrouver devant une réincarnation d’un ange vengeur fonçant sur l’Amérique pour exterminer tous les impies qui gravitent autour de l’écrit. Un véritable carnage.
«Des cuistres, des ploucs, des fumistes. Des benêts, des bélîtres. Des butors, des viédases, des microcéphales et des petits magouilleurs : bref des professeurs québécois. (p.65)
Et pour étayer son propos, il dépoussière les poètes grecs qu’il fréquente et ceux de la Rome d’avant Jésus-Christ. Des arguties sur des traductions, des précisions, des sentences, des citations à la douzaine d’écrivains français, bien sûr, et parfois des traits qui font hausser les épaules. Une prétention à nulle autre pareille.
«Quand je veux lire un bon livre, je l’écris,» (p.115)
Voilà de quel bois se chauffe notre prétentieux.

Tristesse

Il est rare de voir un écrivain se faire hara-kiri en pratiquant son art.
«Il paraît que je suis détesté dans le milieu littéraire. Mon cœur pépie de joie!» (p.173)
Après une cinquantaine de pages, j’ai commencé à me bidonner de ces dérapages et de ces extravagances. À trop en mettre, on finit par sombrer dans l’absurde. Il faut l’inviter à lire ses sentences au «Festival juste pour rire». Un écrivain est mort mais un humoriste est né.
«Un jour le chroniqueur culturel d’une feuille publique m’a dit avoir lu, compris et aimé un de mes poèmes. J’ai cru mourir de honte.» (p.161)
Des charges, des baffes qui frappent parfois dans le mille mais qui ne peuvent faire oublier la grossièreté des propos.
«Prend son cul pour mes choses, et son ombilic pour l’omphale. (Aggravation : poétesse québécoise : Le Torrent, de la gaupe Anne Hébert, la fait mouiller. Pour renfort de potage, la poétesse québécoise, lauréate du prestigieux Prix Tarattata Tsinsin, est le plus souvent professeure et a fait une poéthèse sur la poéterie, car «elle s’invente un langage et transgresse les interdits. (p.102)
Vous en voulez encore?
«Au Québec, pays d’ateliers d’écriture et de lécheurs conditionnés, on ne peut pas être sans avoir tété : voilà ce que vous devez comprendre chaque fois que vous entendez un des mâche-laurier de la tribu, parler de son inspiration.» (p.64)
«Celui qui ne possède pas sa syntaxe latine, son vocabulaire latin, sa grammaire du grec, et qui prétend écrire en français, sera tout au mieux un auteur estimable. Il ne sera jamais un écrivain accompli. »(p.106)
Et vlan! Autant réinventer le cours classique et les enfants de Duplessis.

Réactionnaire

Une certaine forme de société s’esquisse derrière ces galéjades et ces coups d’estoc. Il regrette les cérémonies religieuses latinisantes, serait plutôt papiste, réactionnaire et misogyne. J’ai rarement lu autant de mépris sur les femmes et les écrivaines.
«Au reste, existe-t-il des critiques dignes de ce nom au Québec? N’y aurait-il que des profiteurs et des fumistes, qui ne font jamais rien qu’en vue des intérêts de leurs complices, à charge de revanche, et sans souci de rien d’autre» (p.116) 
Alors pourquoi me priver? J’ai cru par moment me retrouver au XVe siècle.
Et pour terminer, je retiens cette sentence qu’il a puisée chez Voltaire : «Il se donna bien de la peine/Pour vivre pauvre et méprisé». Que Dieu ait son âme en latin de préférence.

«Au poil et à la plume» de Marc Vaillancourt est paru aux Éditions du 42e Parallèle.