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mercredi 20 décembre 2017

SYLVIE NICOLAS POURSUIT SA QUÊTE

SYLVIE NICOLAS nous convie à un voyage singulier dans Le cri de la Sourde, un roman polyphonique où la romancière s’aventure dans son histoire familiale pour y secouer des sédiments, retrouver des voix perdues et oubliées, des figures de femmes et d’hommes qui survivent malgré tout. Elle nous entraîne dans un jeu de marelle étrange, surprend les voix de la mer qui racontent peut-être le récit de l’humanité et aussi sa propre histoire. Une entreprise difficile parce que les pas des humains ne vont jamais en ligne droite. Un roman comme je les aime où l’écriture est une embarcation qui vous entraîne très loin, au large, dans des lieux que nous négligeons souvent parce que nous pensons les connaître pour les avoir visités pendant toute notre enfance.

Un morceau de pays, une fin et un commencement devant la mer qui se querelle avec l’horizon selon les jours et les manigances du vent. Les marins partent et reviennent, repartent pour aller plus loin encore, se faufilent derrière l’horizon et oublient de rentrer.
Tout cela dans un magma où les époques se confondent comme des alluvions que la narratrice retourne pour comprendre son passé et ses façons d’être.

Tu faisais ce à quoi les enfants excellent : tu n’écoutais pas, mais tu entendais tout. Tu ignorais à cette époque que les mots prononcés, les phrases échappées, les fragments de récit et les témoignages des uns et des autres pouvaient se déposer en toi comme sable au fond des rivières. (p.22)

Ce besoin de certitude qui hante les écrivains. Cette recherche dans le lieu de sa naissance, son pays, les propos des femmes et des hommes qui ont nommé des territoires et qui sont morts comme tous les vivants doivent le faire. Le territoire forge les humains avec ses regards, ses rires, ses histoires, ses mythes et toutes les descendances légitimes et illégitimes. Une terre vivante que certains, affligés d’une forme de clairvoyance, peuvent lire en affolant leur entourage.

Mais ce jour-là, à peine les premiers mots prononcés, le soleil, comme un témoin gênant, disparut, plongeant momentanément la pièce dans une étrange noirceur. Barthélémy sentit son cœur se déchirer, et les effluves du matin qui lui avaient légué l’impression d’un désastre envahirent la cuisine et prirent possession de son être. Affolé, il se précipita. Véra gisait sur le plancher, la main resserrée sur le tamis, le visage recouvert par la fine poussière de sucre. (p.20)

Avec son art des mots, Sylvie Nicolas arrive à mettre de la couleur sur des visages que le temps a presque effacés. C’est la magie de l’écrivain que de faire revivre le passé. Sans eux, que resterait-il de nos parents ? Que reste-t-il de ma mère et de mon père après toutes ces années ? Des images, des bouts de vie, des anciennes photos. Des visages que je n’arrive plus à reconnaître. Nos proches avec le temps deviennent des étrangers.
Une mère qui cultivait le silence. Le grand-père Louis-Harmel, barbier, était tout aussi discret. La légende voulait qu’il ait rencontré le célèbre Al Capone dans sa virée américaine. Il protégeait ses secrets avec le tranchant de son rasoir. Et ce garçon attendu, le septième de la famille, qui posséderait un don et cette jumelle inespérée…

Le garçon annoncé naquit à l’aube, à l’instant où la marée se retirait pour laisser derrière elle, dans la bouche béante de la baie, de négligeables traces d’une existence en allée et l’écho tonnant des premiers cris du nouveau-né. Accompagnée d’un violent coup de tonnerre, si puissant qu’il pénétra la mémoire des Surlilois, la venue du septième fils de la lignée fut suivie d’une seconde naissance. Quelques minutes plus tard, La Sourde, l’enfant insoupçonnée, fit son entrée au monde sans émettre le moindre son. (p.27)

Les écrivains se nourrissent souvent des silences de leur famille et ne les abandonnent que quand ils peuvent les exhiber devant un public. Ce n’est pas malsain, mais une curiosité qui permet de savoir qui étaient ceux et celles qui ont guidé nos premiers pas, ont semé en nous des mots et des façons de secouer les réalités de la vie. Un héritage de légendes et de mystères, de drames que les familles n’aiment guère évoquer pour se protéger peut-être d’une certaine honte.

Tu n’as pas encore conscience que la souffrance du monde trouvera ancrage en toi, qu’elle s’y fraiera un sentier accidenté que tu remonteras inexorablement, toi, fille, femme, mère, éternelle itinérante ; non, tu ne sais pas que les mots, égarés, perdus, tendus entre ciel et terre, constitueront le chemin te permettant de te rapprocher d’un territoire d’appartenance. (p.64)

ACCOMPAGNEMENT

Une mère dans sa vieillesse que la narratrice accompagne vers son dernier souffle. Une femme qui savait redevenir une petite fille quand l’orage approchait et que le ciel se barbouillait d’éclairs pour ébranler la charpente du monde. Ma mère craignait tellement les orages et le tonnerre. Fallait fermer toutes les portes et les fenêtres pour éviter les courants d’air. Souvent, elle allumait des bougies qu’elle déposait devant les fenêtres. J’ai pris du temps à chasser cette peur.

Assise sur la chaise noire jouxtant le lit, la tête vide, le corps engourdi près de ta mère morte, tu aurais voulu te retrouver dans l’une des berçantes de ton grand-père, devant la fenêtre aux orages, à crier à tous vent : allons jusqu’au ciel, bousculons les cauchemars, frappons de nos pieds ce qui pourrait faire de nous du même et du pareil, grimpons à l’échelle des vents, soulevons toutes les vagues et toutes les tempêtes, surtout celles dont nous ne connaîtrons jamais les noms, posons nos lèvres sur la nuit, abreuvons-nous de la Voie lactée et avalons les étoiles par milliers. (p186)
 
Sylvie Nicolas se laisse emporter par les ombres qui ont traversé son parcours et qui pouvaient inventer bien des légendes. Des héros qui savaient la langue des éléments et qui devinaient ce que l’avenir réservait à leurs proches comme Éluard et le vieux Barthélémy.

ÉCRITURE

Pourquoi ce goût des mots dans une famille où ce genre de métier n’intéresse personne ? Pourquoi j’ai tant voulu écrire dans ma tribu de quasi-analphabètes ? Qu’est-ce qui a poussé Victor-Lévy Beaulieu et Nicole Houde à entraîner leur famille dans leurs histoires ? Pourquoi ce silence tressé comme un tapis dans tous les villages ?

Tu t’es demandé si tu n’étais pas devenue écrivaine pour tenter de rejoindre la contrée d’amour de ta mère. Certains jours, tu serais prête à l’affirmer. (p.106)

Sylvie Nicolas, l’héritière, jongle avec les mots, la poésie des choses et des jours pour la placer au centre de la table comme un bouquet de fleurs sauvages.
Elle se faufile entre les rumeurs, les croyances, les grandes tragédies du monde qui débordent des mailles de l’histoire. La présence des sous-marins allemands par exemple dans les eaux du fleuve Saint-Laurent pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les navires torpillés, faisant naître bien des exploits, des rencontres peut-être vraies ou imaginées. Comment démêler tout ça ?

La mer t’ouvre les chemins menant à la mémoire, aux origines, t’impose de cueillir chaque image, chaque son, chaque odeur, dans une permanente sensation de découverte, de nouveauté, de « première fois », et de redonner à ce que tu as vu, entendu, humé une chance de retrouver son commencement. L’air que tu respires se transforme alors en promesse. En espérance. (p.227)

Des enfants naissent, grandissent, aiment, se marient, font des petits et racontent des vérités à leurs descendants. Plus tard, ils s’éloignent du port d’attache par temps de tempête ou de soleil. Tous héritent d’un grand coffre avec des regards, des façons de voir et de dire devant une épreuve.
Ce sont aussi ces lieux porteurs de secrets et de légendes, ce pays apprivoisé dans les premiers regards, la mer comme un grand livre jusque de l’autre côté de l’horizon ; les marées qui écrivent les saisons dans une respiration jamais fatiguée. Les joies, les repos et ce désir tenace de s’accrocher pour aller vers le dernier jour du dernier souffle. Il y a peut-être une chance terrible dans tout ça. Une absurdité aussi.
La plupart des écrivains mettent toute une vie pour classer les débris qui encombrent leur tête. Je suis certainement de ceux-là. Je me perds si souvent dans les lieux de mon enfance pour faire résonner les rires de mon père ou les monologues sans fin de ma mère.
La poésie porte le roman de Sylvie Nicolas. Ses phrases vous abandonnent dans la beauté des choses. Le cri de la Sourde est un magnifique récit qui s’offre comme une partition qui vous berce pendant longtemps, longtemps. Une lecture exigeante, mais tellement réjouissante. Un bijou d’amour et de tendresse, de fidélité aussi envers ses ancêtres.


LE CRI DE LA SOURDE de SYLVIE NICOLAS, une publication des ÉDITIONS DRUIDE.


  

lundi 18 décembre 2017

DONALD ALARIE ME FAIT DU BIEN

DONALD ALARIE nous offre un chapelet de nouvelles, je ne sais si l’expression convient, qui épouse le parcours de sa vie. Dans Puis nous nous sommes perdus de vue, il raconte son enfance et son adolescence, évoque ses déménagements, des amis qu’il a perdus et retrouvés, des études et la découverte des livres et de la littérature. Une passion jamais assouvie que  celle de la lecture et que nous partageons. Quand j’ai pu emprunter quelques romans à la bibliothèque de l’école (nous n’avions pas de livres à la maison), je passais des journées entières à lire. Cette activité faisait rager ma mère. Elle répétait que j’étais « ennuyant comme la pluie », que « j’étais muet comme le caveau à patates ». Peut-être que je lisais avec acharnement pour oublier qu’elle parlait tout le temps. 

Il y a quelque chose d’émouvant dans les textes de Donald Alarie, un aspect intime qui me touche. L’impression qu’il me fait des confidences et qu’il ne s’adresse qu’à moi et à aucun autre lecteur. Je m’avance dans les premières pages et je me mets à hocher la tête, comme s’il était devant moi et qu’il me parlait avec son sourire particulier. Cette écriture me touche même si on dirait que l’écrivain s’excusait d'attirer mon attention et de me déranger.
Pourtant Donald Alarie est loin de fuir ses émotions, sa vie, ses amours et ses déceptions. Il aborde tout ce qu’un homme affronte de regrets, d’échecs, de découvertes avec un petit quelque chose de singulier. La mort de sa compagne par exemple. C’est certainement pourquoi je suis un lecteur sur qui il peut compter. Il était mon ami avant même que je ne le rencontre dans un salon du livre. Et il a fallu quelques secondes à peine pour que l’on discute comme de vieilles connaissances. C’était peut-être ce que nous étions sans que jamais nos chemins ne se soient croisés.
J’ai toujours l’impression que je dois prendre tout mon temps, m’attarder à une phrase, la caresser comme je le fais avec ma chatte multicolore qui est une insatiable. Voilà ma manière de me laisser emporter par son souffle, sa façon d’effleurer les heurts de la vie sans pousser de cris pour ameuter le voisinage. Alarie possède un art particulier que je n’aurai jamais.

HISTOIRES

J’aime quand il me guide dans son enfance et me fait suivre le petit garçon curieux, vivre ses premiers moments à l’école et l’apprentissage des autres et de soi. Ces moments qui ont fait de nous des humains rebelles ou des hommes paisibles. L’enfance dit tout. Qu’aurait été l’écriture de Gabrielle Roy sans sa vie familiale au Manitoba ou encore l’œuvre de Victor-Lévy Beaulieu sans ce départ forcé pour la grande ville alors qu’il était adolescent. Il a eu la certitude alors que l’univers se fracturait.

Que deviendrait ma vie ? Je ne voyais pas comment modifier le cours des choses. On pouvait faire des stages dans des cliniques pour se libérer de la drogue ou de l’alcool. Consulter des psychologues spécialisés dans ces traitements. Participer aux réunions des AA et se trouver un guide. Mais pour quelqu’un d’accro à la lecture comme moi, on ne pouvait rien faire. Et c’était tant mieux ! (p.115)

Ces livres qui m’ont tellement fasciné quand je me suis assis pour la première fois dans une salle de classe. Et puis un jour, après des efforts, la surprise de se rendre compte que les mots nous livrent des secrets. Comme si on s’était acharné pendant des jours à faire glisser une clef dans une serrure. Et puis là, ça y est. La clef tourne et la porte s’ouvre sur un monde. Parce que savoir lire, c’est se permettre tous les voyages, toutes les aventures, devenir tous les personnages et de franchir les époques en un claquement de doigts. C’est comme ça que je me suis retrouvé en Russie à dix-sept ans, lisant Léon Tolstoï et son incroyable roman Guerre et paix, me prenant tour à tour pour un cosaque sur les champs de bataille ou encore un jeune soupirant qui n’osait pas bouger dans les somptueux salons de Saint-Pétersbourg, étourdi par le froissement des robes de soie. La lecture, la plus grande machine à voyager dans le temps.
Je suis certain que Donald Alarie aurait partagé ma joie quand le plus beau moment de la journée arrivait enfin à l’école Numéro Neuf de La Doré. Cette dernière heure de l’après-midi où Mademoiselle sortait le grand volume cartonné. C’était notre livre sacré. Parfois, c’était elle qui lisait, souvent un élève qui savait patiner sur les phrases et donner sa voix aux personnages. J’étais souvent l’un de ceux-là. Un gros roman qui nous faisait rêver et inventer des jeux dans la cour de récréation. Une de perdue, deux de trouvées de Georges Boucher de Boucherville paru en 1874. Ce livre m’a ouvert les gouffres de la lecture et a fait de moi un lecteur insatiable.

AVENTURE

Donald Alarie lisait des Bob Morane. Je n’ai lu que Le retour de l’ombre jaune. Tous les garçons de la classe se disputaient les exemplaires disponibles à la bibliothèque. J’étais un lecteur original. Il y avait une petite pochette à l’intérieur de la quatrième de couverture. Là se trouvait une fiche que l’on devait remplir pour repartir avec le livre. Écrire son nom et la date. Je regardais la fiche et quand personne n’avait emprunté le livre, c’était pour moi. C’est ainsi que j’ai lu une étude de Séraphin Marion portant sur l’œuvre d’Émile Nelligan. Je crois bien n’avoir pas trop compris de quoi il était question. Je choisissais peut-être un peu mes titres pour épater la classe et mes amis. Heureusement, cela a vite changé et j’ai appris beaucoup de la lecture de ces écrits ignorés.
 
Je suis allé saluer Michel. Il m’a promis de m’écrire. Il me donnerait sa nouvelle adresse plus tard. Il m’a offert deux bandes dessinées en cadeau. Puis il m’a tendu un autre livre en disant : « C’est de la part de ma mère. Elle en avait deux exemplaires et elle tenait à t’en offrir un. Tu pourras le lire un jour… » C’était Rue Deschambault, de Gabrielle Roy. Quelques années plus tard, en le lisant, j’aurais l’impression d’entendre une confidente me chuchoter à l’oreille des histoires pleines de tendresse. (p.28)

C’est ainsi que j’ai découvert La Minuit de Félix-Antoine Savard, Félix Leclerc, son magnifique Pieds nus dans l’aube, Léo-Paul Desrosiers et Les Engagés du Grand Portage, dans la belle collection Nénuphar de Fides. Ce roman m’a tellement fait rêver. J’ai dû le lire quatre ou cinq fois, copiant les passages où il était question des nations indiennes.
Je n’ai pas fait mon cours classique comme Donald Alarie, allant d’un bord et de l’autre dans un parcours scolaire plutôt sinueux. Heureusement, il y a toujours eu des livres. La poésie de Rimbaud et de Baudelaire que nous découvrions par fragments au collège parce que nous n’avions pas droit à l’intégralité des poèmes. La censure des frères Maristes n’était pas une rumeur. J’ai même failli me faire confisquer Les misérables de Victor Hugo par le frère bibliothécaire, le premier roman que j’ai acheté. Ce fut plus tard, à l’université que j’ai pu lire Les fleurs du mal et Une saison en enfer.

LA VIE

Les études. Un exil difficile pour moi que de passer du village à Montréal. Pour Donald Alarie, les migrations ont toujours eu lieu à l’intérieur des frontières de sa ville même si cela peut être bouleversant.
Les grandes amitiés que l’on était certain d’avoir pour toujours s’effritent alors. Et il y a le travail plus tard, les amours et nous perdons de vue des garçons avec qui nous étions du matin au soir. La mort, un accident et celui qui était comme votre bras droit n’est plus.

Un jour, durant la récréation, j’ai aperçu un garçon étendu par terre. Il y avait du sang près de sa tête. Il avait fait une mauvaise chute et sa tête avait heurté l’asphalte. Je me suis éloigné, effrayé. Le surveillant est intervenu. On a transporté le blessé à l’intérieur. Puis une ambulance est venue le chercher. Le lendemain, on nous a appris qu’il était mort à l’hôpital. Il n’avait que neuf ans. Il se nommait Pierre. J’ignorais qu’on pouvait mourir à cet âge. (p.16)

Les parents vieillissent, luttent contre la maladie ou encore foncent dans leur vieillisse avec une colère qui ne s’est jamais démentie chez ma mère.
C’est ce que j’aime chez Donald Alarie. Cet écrivain me porte à la confidence,  à parler de moi et de lui par ricochet. Son texte est comme une main tendue. Vous la prenez et vous allez dans un parc, vous asseoir sur un banc, pour mieux regarder le jour s’étirer et surveiller, le sourire aux lèvres, les agitations des hommes et des femmes. C’est cette intimité que je retrouve chaque fois dans un livre de Donald Alarie. Il m’entraîne dans son monde et me fait mieux voir le mien. Il me permet toujours une réflexion qui me pousse dans des sentiers que je ne cesse d’explorer. Peu d’auteurs réussissent cet exploit et c’est ce qui me fait dire que Donald Alarie est un écrivain important, essentiel, unique.


PUIS NOUS NOUS SOMMES PERDUS DE VUE de DONALD ALARIE, une publication des ÉDITIONS de LA PLEINE LUNE.


  

dimanche 17 décembre 2017

LA VOIX DE MONSIEUR ARCHAMBAULT

RETROUVER GILLES ARCHAMBAULT, une nouvelle publication de cet écrivain, c’est comme revoir un ami après une longue absence. Il est là, prend toute la place avec ses sourires, ses questions et ses hésitations. L’impression qu’il me parle tout bas, à voix pâle pour reprendre la belle formulation de l’écrivaine Nicole Houde. À peine un petit air de jazz, un recueil de nouvelles, un autre plaisir, une rencontre que j’ai fait durer. Il faut prendre son temps pour bien s’imprégner de ces nouvelles fort nombreuses. Trente-quatre textes. Certains font à peine une page, mais ce n’est pas cela qui importe. Je me suis livré à la lecture avec bonheur et retenue. Safrement, dirait Victor-Lévy Beaulieu.
  
Il faut patienter jusqu’à la fin pour trouver une certaine explication au titre. À peine un petit air de jazz coiffe la dernière nouvelle. On fait ça souvent dans le genre, prendre le titre d’un texte pour enrober l’ensemble. Ça peut être trompeur et ça peut tout dire. Ici, j’hésite. J’avoue avoir cherché un peu avec Stéfanie Clermont et Le jeu de la musique. Bien sûr, on fait référence à l’homme de radio, à celui qui a parlé du jazz qu’il n’a cessé de diffuser et d’explorer pendant une grande partie de sa vie.
J’écris cette chronique et l’écrivain est l’invité de Stanley Péan, à Quand le jazz est là à Radio-Canada. Une émission que je ne rate jamais. L’écrivain y parle des musiciens qu’il aime et une foule de souvenirs refont surface. Si je suis fidèle à Stanley Péan, je l’étais tout autant à Jazz Soliloque de monsieur Archambault. Et c’est bien le seul animateur radiophonique qui m’a fait passer des nuits à boire du café. Ses Grandes nuits qu’il consacrait à un musicien ou à un chanteur me faisaient basculer dans une autre dimension. C’était une immersion, une initiation parfois. Billy Hallyday, Lester Young, Count Basie, John Coltrane ou Duke Ellington. C’était toujours juste, avec ce qu’il faut d’information pour suivre la vie et la carrière de ces musiciens qui ont forgé l’âme américaine. Je devrais plutôt dire des États-Unis.
Et voilà qu’il parle encore avec enthousiasme de ses musiciens avec Stanley. Je peux l’appeler par son prénom, parce que je connais Stanley depuis longtemps, du temps qu’il était écrivain. Le jazz, la radio lui ont fait peut-être oublier sa première vocation.
Monsieur Archambault me semble plus spontané et moins sur son quant-à-soi qu’avant. Il n’hésite pas. Peut-être un effet de son grand âge, je ne sais pas. On dit qu’en vieillissant les barrières de l’autocensure, la retenue tombe. Je parle de son grand âge, parce que monsieur Archambault l’évoque sans gêne et en plaisantant. Quand la plupart des écrivains tentent d’échapper au temps en oubliant de mettre l’année de leur naissance dans leurs éléments biographiques, monsieur Archambault ne s’en gêne pas. Il a plus de 80 ans et qu’on n’en parle plus.
Pour tout dire, j’aimerais vieillir avec lui et garder ce petit sourire, cet air de jeunesse qu’il a toujours dans la voix. Cette chaleur aussi. Me voilà nostalgique. Cette parole m’a accompagné pendant tellement d’années.

PUBLICATIONS

Monsieur Archambault a publié plus de trente ouvrages. Des romans, des récits, des nouvelles et des chroniques. Et il continue. Son livre, je l’attends année après année. Je n’ai pas raté souvent l’une de ses publications. Je suis un fidèle. Quand j’adopte un écrivain, c’est souvent pour la vie. Même si certains m’ont donné du fil à retordre. Je pense au coriace Victor-Lévy Beaulieu qui m’a souvent étourdi avec ses hénaurmes volumes et ses publications qui arrivaient en rafales. Jacques Poulin, Donald Alarie, Robert Lalonde, Sergio Kokis et Nancy Huston sont de ma famille littéraire. Il y a encore de la place pour des nouveaux. Ma maison est ouverte et plutôt accueillante. Des jeunes viennent bousculer un peu le lecteur qui a tendance à se promener dans des sentiers qu’il connaît trop bien. Mathieu Villeneuve est le dernier arrivé.
Monsieur Archambault est à l’abri du temps dans ses écrits. Il retourne dans sa jeunesse, revient dans une époque récente ou encore bifurque dans une direction où il pensait secouer un peu la monotonie des jours. Son écriture n’a pas de rides. Elle est toujours aussi précise et sans fausses notes. Un écrivain qui a de l’oreille, à n’en pas douter.

Les rides commencent à apparaître. S’en désoler ? Pas question. Les jours de doute, il les regarde même avec sympathie. Elles sont les signes de la déchéance à venir, une déchéance à laquelle il pense de plus en plus souvent sans trop s’en alarmer. Il peut quand même compter sur quelques années de répit. (p.18)

Le lecteur que je suis retrouve ses questionnements. Il n’a jamais de réponse et c’est parfait. Si un écrivain finissait par donner des réponses à toutes les questions, il serait d’un ennui terrible. Et il cesserait probablement d’écrire.
J’aime ce narrateur un peu misanthrope, nostalgique, discret et toujours mal à l’aise de s’aventurer dans les confidences et l’intimité. Surtout, il sait écouter. Ce qui en fait un ami précieux qui reçoit beaucoup de confidences, surtout de la part des femmes.
Toujours là, fidèle, un peu grognon, mais tellement attentif. Cela ne l’empêche pas d’avoir ses humeurs et des propos tranchants parfois. De plus en plus, il me semble, il se permet des petites flèches qui peuvent écorcher, ce qu’il n’osait peut-être pas il y a un certain temps.
Tout cela est bien loin. Aucun projet d’écriture depuis longtemps. Il a cru qu’il lui manquait surtout la constance dans l’effort. Ce soir, le verdict est plus net. Il n’a pas écrit parce qu’il n’avait rien à dire. Est-ce une raison suffisante ? Des tas de livres paraissent qui témoignent d’une absence affligeante de nécessité, qui sont bâclés. (p.19)

Un promeneur discret qui aime folâtrer dans une jeunesse de plus en plus lointaine, le temps des amours qu’il ne croyait jamais oublier. Et cette vieillesse qui vient le bousculer. Comment échapper à son corps et aux petits trous de mémoire ?

TÉMOIN

Monsieur Archambault est témoin de son époque, de la vie ordinaire, des petits plaisirs d’une rencontre, d’un repas partagé, d’un air de jazz entendu ou surpris au coin d’une rue, d’un amour qu’il évoque discrètement avec une certaine autodérision.
Une voix, pas seulement à la radio, mais en littérature aussi. Ses livres suivent les grandes étapes de la vie, de ses pulsions et de ses déceptions. L’amitié toujours importante et parfois un peu dérangeante, des propos qui illustrent la vanité de certains, les hésitations et les petites lâchetés des autres. La vie est ainsi faite. Tout cela en sourdine, je dirais. Sans jamais être au-devant de la scène, monsieur Archambault a une voix que l’on entend et qui prend beaucoup d’importance dans ma vie de lecteur.

Ce matin, on a enterré l’urne qui contenait les cendres de ma femme. Je n’ai pas ressenti l’émotion prévue. Devant mon fils en larmes, j’ai dû donner l’impression d’être dénué de toute sensibilité. Je l’ai consolé comme j’ai pu. Rien ne te touche, me disait ma femme quand elle s’emportait contre moi. (p.79)

J’arrête d’écrire et écoute monsieur Archambault plaisanter avec Stanley. Il est question d’un musicien de Chicago qui n’a pas eu la renommée qu’il méritait. Ce pourrait être lui ce méconnu. A-t-il eu la reconnaissance qu’il méritait ? Ils sont tellement nombreux à courtiser la gloire dans le milieu de la littérature.
Oui, je m’ennuie de cette voix, de ses explications qu’il savait si bien variées entre la vie du musicien et son oeuvre. Je m’ennuie. C’est cette voix sans doute qu’il a su si bien glisser dans ses écrits et que j’aime tant.
Heureusement, il y a ses livres qui prennent une bonne place dans ma bibliothèque. Je n’ai qu’à tendre la main, à ouvrir un roman et il se confie, me berce un peu. Et je me dis que je néglige trop souvent les amis, emporté par des projets d’écriture ou de lecture. Heureusement, ils surgissent toujours à l’improviste et le temps s’abolit. L’amitié fait fi des rendez-vous et des horaires. Il en est ainsi avec monsieur Archambault.
J’espère qu’il va publier encore et encore. Je ne saurais m’en passer et pas question de basculer dans la relecture de son œuvre. Il a encore trop de choses à me murmurer à l’oreille et que Stanley Péan va encore l'inviter lors de sa prochaine publication.


À PEINE UN PETIT AIR DE JAZZ de GILLES ARCHAMBAULT est une publication des ÉDITIONS du BORÉAL.