DANS L’ŒIL DU HIBOU, André Major nous ramène aux débuts des années 2000. Pour les
fidèles, il faut se rappeler Le sourire
d’Anton ou l’adieu au roman qui s’attardait aux années 1975 à 1992. L’Esprit vagabond couvre 1993 et 1994 et
enfin Prendre le large nous pousse dans
les années 1995 à 2000. Qui dit carnet, dit fragments, réflexions qui
dévoilent la vie de l’auteur. Une belle façon d’accompagner un
écrivain, son écriture et ce qu’il ne cesse de chercher dans ses
lectures. André Major est un formidable lecteur et dans ce carnet, il revient aux
écrivains qui l’ont marqué. Le risque est grand, parce que l’œil du jeune enthousiaste
et celui de l’homme qui a tourné le dos à la fiction ne peut être le même.
À quoi s’occupe un
écrivain quand il renonce à la fiction et au roman ? Peut-il se murer dans le
silence, ou tout simplement prendre une autre direction. L’écriture peut
s’épanouir sur bien des terrains et nombreux sont ceux qui multiplient les
expériences. « Il est facile de devenir écrivain, difficile de le demeurer et
presque impossible de cesser de l’être », écrit-il dans son carnet.
Le quotidien l’occupe.
Surtout que c’est un bricoleur impénitent et les menus travaux au chalet ou à
la maison de la ville occupent ses mains et sa pensée. Je suis pareil. J’adore
me lancer dans des constructions ou des projets autour de la maison. À vrai
dire, je ne vois pas de différence entre échafauder une remise ou aménager une
galerie, m’occuper d’un potager ou m’entêter devant un texte qui résiste. En
écriture ou en menuiserie, il faut prendre son temps, penser à ce que l’on fait
et ne jamais hésiter à ajuster, sabler pour arriver à ce que l’on souhaite. Et
quelle satisfaction après !
J’aime
particulièrement quand il décrit ses longues promenades dans la montagne de La
Minerve et le plaisir qu’il ressent à marcher dans la forêt, à suivre un ruisseau,
à s’attarder sur un pic qui le fige dans la beauté du monde. Jean Désy explique
alors qu’il « sent son âme s’envoler ». Ou encore quand Major entreprend un
dialogue avec un oiseau et s’émerveille de son chant.
Il m’arrive d’abandonner
mon écriture pour m’intéresser aux mésanges qui fréquentent les mangeoires. Elles
me confient bien des choses, surtout par les jours de grand froid.
Toujours est-il
que, confiant ou pas, le hibou que je suis – ou prétends être – garde l’œil
ouvert, comme si le spectacle quotidien du monde pouvait encore lui apporter
matière à réflexion, comme si son détachement ne parvenait pas à l’en
détourner. Les choses de la vie, qu’on qualifie parfois de petits riens pour en
minimiser l’importance, prennent une plus grande place qu’auparavant. Les grands
de ce monde, je ne les regarde pour ainsi dire qu’en passant. (p.10)
Ces instants que nos
grandes préoccupations font oublier. Surtout quand un travail vous aspire et
que vous devez vous débattre avec des heures de tombée. J’ai passé des années à
courir comme journaliste et je dois dire que quitter ce travail, non pas
prendre ma retraite comme on le répète trop souvent, ne m’a demandé aucuns efforts. Je me consacre à la lecture et à l’écriture maintenant, à perdre mon temps devant les arbres, les nuages sur le lac devant la maison ou encore à
surveiller les jeux du soleil sur la neige.
REGARD
C’est peut-être le
plus important. Avoir le temps de s’attarder à tout ce qui vit et bouge autour
de soi, ne plus avoir à chercher son souffle dans la fin du jour. Il y a aussi ces
moments de recueillement sur un livre que j’ai lu alors que j’étais aux études,
que je m’accrochais à des écrivains comme à des bouées de sauvetage. J’étais
convaincu que la lecture allait changer ma vie et je le crois encore.
Je ne suis pas
encore rendu aux relectures, même si j’aimerais renouer avec Tolstoï et Dostoïevski.
Hamsun bien sûr et Jean Giono qui a été si important pour moi. Je ne manquerais
pas non plus de faire un détour par Faulkner et Steinbeck. C’est tentant, mais
la tenue d’un blogue me force à lire mes contemporains. Et ce n’est jamais une
corvée ou un devoir.
Si j’ai perdu le
goût de la nouveauté depuis que je ne lis plus pour des raisons
professionnelles, c’est au profit d’une bibliothèque idéale où sont rassemblés
les interlocuteurs dont la voix familière ne cesse de me dire quelque chose.
C’est une forteresse où je ne crains plus grand-chose, où je pourrais demeurer
enfermer un temps fou si je n’avais pas autant besoin de me dégourdir les
jambes et de respirer le grand air. (p.29)
Je me demande si c’est
sage aussi d’ignorer ses collègues. Un écrivain, même s’il a tourné le dos à la
fiction, doit rester en contact avec ses contemporains et surtout surveiller
ceux qui sont en train de le pousser vers la solitude et le silence. Que dirait-on
d’un homme qui aurait vécu pendant des années sur une île - comme Robinson Crusoé - en lisant uniquement L’intranquillité
de Fernando Pessoa. Que dirait-on de sa culture, de ses goûts littéraires ?
J’ai du mal à suivre André Major de ce côté des choses.
QUESTIONS
Et je bougonne devant certains de ses propos. Je le connais, je m’y attends. Il serait le
premier étonné si j’adhérais à tout ce qu’il dit. Je grince des dents quand il s’en
prend aux féministes. Il ne rate pas une occasion, éprouve un malin plaisir à
s’attarder aux exagérations ou aux déclarations malheureuses. Oui, même les
féministes peuvent déraper et les hommes ne sont pas prêts à leur laisser la
place dans ce domaine.
La langue parlée
et écrite au Québec le fait réagir souvent et je le sens de plus en plus
loin de notre société.
Il y a peu de
romanciers que je suis encore capable de lire avec joie. Ce sont ceux qui ne
racontent pas seulement une histoire, mais qui ont une voix dont les échos
retentissent en profondeur. Pour éprouver cette joie, il m’a fallu, ces
derniers mois, relire des pages de Flaubert et de Thomas Bernhard – ces
désenchanteurs qui me redonnent le goût de me remettre au travail. (p.148)
Bien sûr, je
prends souvent des chemins de traverse pour suivre un écrivain finlandais ou
norvégien quand ce n’est pas un voisin des États-Unis. Ou bien un Canadien
anglais qui m’étonne toujours. Boréal, Alto et La Pleine lune offrent
d’excellentes traductions.
Je reste fidèle à mes contemporains parce qu’ils me disent
qui je suis. Si je me retranchais dans les lectures de ma jeunesse, j’aurais
l’impression de refuser d’être ici, maintenant.
BONHEUR
C’est un réel
plaisir que de suivre Major dans ses promenades en montagne ou encore de rêver
avec lui devant son lac dans le calme du soir. Nous pourrions le faire
ensemble, en silence, n’ayant pas besoin des mots. Vivre alors est un simple regard.
Je m’égare souvent
aussi dans un carnet de Robert Lalonde qui plonge dans les fardoches, fonce à
grandes enjambées ou s’arrête devant les ravages d’un chevreuil. Je ne suis pas
certain que Major aime Robert Lalonde, son écriture généreuse et rebondissante.
Il préfère la phrase qui coule comme l’eau d’un ruisseau sur la mousse sans
faire de bruit. Une écriture invisible, parfaitement lisse. J’aime, mais
j’adore aussi les écrivains qui font des bulles et vous en mettent plein la
vue. Je ne lui conseille pas de lire Hervé Bouchard. Il s’étoufferait à la
première phrase.
« Du bel ouvrage »,
comme disait mon père. Je l’ai lu en prenant mon temps. Il le faut pour voir et
à respirer autrement. J’espère qu’il y aura d’autres carnets, je les attends. L’impression
de trouver un frère. Nous partageons un même amour pour les mots et la littérature,
ce qui devient de plus en plus rare dans notre société d’agités.
L’ŒIL DU HIBOU d’ANDRÉ MAJOR est publié
chez BORÉAL ÉDITEUR.
PROCHAINE CHRONIQUE : LA VIE EST DOMMAGE de JACK
KEROUAC est paru chez BORÉAL ÉDITEUR.