Bien sûr, j’ai négligé des
publications au cours de la saison. Les nouvelles parutions arrivent par vagues
et souvent des titres sont oubliés ou délaissés. Manque de temps, écrivains incontournables
qui bousculent les projets de lecture et les chroniques s’accumulent. C’est un
peu ce qui est arrivé avec «Qu’est-ce que c’est que ce bordel!» de Maurice
Soudeyns paru l’automne dernier. Heureusement, l’été est là pour combler nos
lacunes.
Voilà un ouvrage étonnant et original.
Les seize récits reposent sur
des dialogues qui abordent des sujets sérieux ou encore un peu plus légers.
Comment déjouer la mort quand elle se présente un matin au moment de déguster son
premier café? L’échange est savoureux et ce n’est pas celle que vous pensez qui
aura le dernier mot. Ou encore les échanges entre une machine à distribuer des
récompenses et les postulants qui souhaitent une médaille, un prix ou une forme
de reconnaissance. Belle occasion de se moquer d’une société qui méprise plus
souvent qu’autrement le travail des intellectuels et la réflexion. Et pourquoi
pas s’amuser d’une réalité de plus en plus fréquente. Qui n’a pas affaire à une
machine dans ses tentatives de communiquer avec une entreprise, un ministère ou
une institution bancaire. D’un système aussi où les écrivains se transforment
en mendiant pour avoir droit à quelques sous.
Dix tableaux colorés de
Johanne B. Sawyer s’imposent. L’artiste visuel et l’écrivain s’interpellent en
se penchant sur les mêmes sujets. Chacun nourrit le travail de l’autre. Qui est
l’inspirant ou l’inspiré ? Difficile à savoir. Il faut «lire» les toiles pour laisser
courir son imagination sur les couleurs, les formes et les personnages qui s’imposent
petit à petit. Un monde inquiétant s’esquisse, incertain et fascinant.
Questionnement
Maurice Soudeyns aborde des
sujets graves en multipliant les sourires. C’est peut-être la meilleure façon
de survivre dans un monde en perte d’équilibre. L’écrivain ne se gêne pas pour
bousculer.
Je me suis surpris à revivre
la «nuit des longs couteaux» du 4 novembre 1981. Qui se souvient de cette rencontre qui a mené à l’exclusion du
Québec lors du rapatriement de la constitution concocté par Pierre Elliott
Trudeau. Cette fois, heureusement, René Lévesque tient le gros bout du bâton.
«- Ne joue pas au plus malin
avec moi, René
- C’est pas moi qui décide.
Tu sais qu’on est 10 ici. J’ai soumis ta proposition hier soir, et devine un
peu, pendant que tu dormais, on a voté majoritairement contre. On ne modifie
pas Montréal pour Trudeaugrad, désolé.
- Espèce de petit minable de
mes deux. Mangeur de hot-dogs!
- Mais, accommodements
raisonnables obligent, on va y aller pour un aéroport.» (p.17)
Ou bien encore ces insectes qui
se retrouvent dans la neige et le froid devant un père Noël qui en a plein les
bras et la barbe.
« - Qu’est-ce qui est marqué,
là, sur l’écriteau?
- J’ai pas mes lunettes, tu
peux me le lire?
- Y a écrit : «Mon pays,
ce n’est pas un pays, c’est l’hiver…»
- Eh ben, voilà pourquoi ils
ont tant de mal à le trouver.
Un art
Parfois ça grince un peu. Maurice
Soudeyns a l’art de mettre le doigt sur nos travers, nos espoirs et nos grandes
et petites déceptions. Je pense à cet agent qui intercepte le taxi de la langue
française et qui émet des constats d’infraction.
« - Les bruits anormaux sont
masqués par la radio sans compter les nombreuses pièces trafiquées qui sont
barbarismes et anglicismes.
- Barbarisme et Anglicisme?
Connais pas ces deux «tuits».
- Moi, je vous dis que, pour
l’instant, la langue est alanguie, délinquante et paresseuse. Le français
jetable, ce n’est pas pour demain je vous signale.» (p.99)
Madame la ministre Christine Saint-Pierre
devrait lire ce court texte au lieu d’agiter les carrés rouges.
Amusant, sérieux, dérangeant,
parfois grinçant, Maurice Soudeyns reste fort pertinent.
Une belle finesse, une
subtilité qui ne se dément jamais. Je me suis amusé, oui, mais le réel s’impose,
les travers de notre société font surface. C’est tout à fait ce que je demande
à une aventure du genre, ce regard qui fait du bien dans une période où toutes
les révoltes et les frustrations passent par le concerto des casseroles.
«Qu’est-ce que c’est que ce bordel!» de Maurice
Soudeyns est paru chez Lévesque éditeur.
http://www.levesqueediteur.com/soudeyns.php