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dimanche 3 février 2013

Stéfani Meunier met des mots sur l’absence


Stéfani Meunier nous guide dans un labyrinthe dans «On ne rentre jamais à la maison». L’écrivaine met des mots sur l’absence, la peur, la terrible angoisse de ne pas savoir et de ne pas être capable de franchir une frontière. Une écriture forte, bellement maîtrisée, un roman de pulsions, de douleurs, d’amours égarés et perdus, de rêves étiolés au sortir de l’enfance.

Charlie, la grande amie de Pierre-Paul, disparaît après un jeu particulier. Les inséparables tentent de se faufiler dans le rêve récurent du garçon où, par un passage secret, il débouche dans une pièce impossible à retrouver dans la réalité. Comme s’il y avait une dimension autre dans la demeure familiale, un grenier qui n’existe que dans son rêve. Y a-t-il un passage secret, un autre réel?
Pierre-Paul s’endort auprès de son amie et quand il ouvre l’œil, le lit est vide. Charlie est rentrée chez elle.
«Je ne l’ai jamais revue. C’est une partie du problème. Que ça soit arrivé ce jour-là. Le lendemain matin, je suis parti pour l’école avec une vague angoisse mêlée d’espoir, je me disais que je descendrais de l’autobus, que je marcherais quelques minutes et qu’elle serait là, à m’attendre, assise sur le muret de pierres de ce vieux bâtiment étrange qui nous faisait un peu peur parce qu’il ne ressemblait à rien ni à une maison ni à un commerce, à quelques mètres de l’école. Puis je me suis dit qu’elle ne serait pas là, ni ce matin ni un autre matin, puis je me suis dit voyons, c’est impossible.» (p.57)
De quoi traumatiser un garçon d’une douzaine d’années. Que dire des parents de la fillette et de son entourage? Tous devront vivre avec cette absence, le doute, leur imagination. Il y a une faille dans leur vie qu’ils ne peuvent expliquer.
«Comme si, entre douze et quinze ans, j’avais été éteint, engourdi. Je mangeais, je dormais, je faisais ce qu’on attendait de moi. J’avais des fourmis jusque dans le cerveau, jusqu’au fond du cœur.» (p.110)

La survie

Le père et la mère de Charlie s’étourdissent de paroles et d’alcool avec leurs nombreux invités. Ils ont une autre fille, Clara, mais elle ne peut faire oublier sa grande sœur. Elle ne peut non plus prendre sa place.
«Mes parents m’ont faite pour remplacer ma sœur. Alors, forcément, ils sont déçus. Depuis mon premier souffle jusqu’à ma dernière coupe de cheveux. Parce que je ne suis pas ma sœur. Il m’arrive de les détester de m’avoir faite. Je hais ce combat que je sens en eux tous les jours entre les sentiments qu’ils devraient normalement avoir pour moi et ce qui se trouve en réalité dans leur cœur. Cet espoir triste et méprisable. Méprisable parce qu’inutile.» (p.71)
Les parents de Charlie portent une blessure qui ne peut guérir. Clara le sait, le sent et doit s’affirmer pour être.

Scénarios

Pierre-Paul écrit des scénarios. Avec les comédiennes et dans ses relations amoureuses, il tente de retrouver la disparue. Son enfance ébréchée, il voudrait bien la colmater avec ses histoires.
«J’écris des films. J’écris des films pour Charlie. Les actrices qui sont choisies pour jouer dans mes films sont souvent bonnes. Parfois très. Mais elles ne sont pas Charlie. Jamais elles n’atteindront la perfection de ce mélange de fiction et de vérité, de peau et de fantasme qui vit avec moi, là, dans ma tête. Mes films, c’est comme si j’avais lu le livre avant. Et tout le monde sait que le livre est toujours meilleur.» (p.141)
Comment expliquer l’inexplicable? Tout tourne autour de cette absence, de cette blessure sans nom.
«On n’a jamais retrouvé Charlie vivante. On n’a jamais retrouvé Charlie morte. Peut-être a-t-elle été engloutie, peut-être son corps a-t-il été emporté jusqu’au fond de l’océan par une de ces vagues scélérates. Peut-être nage-t-elle avec les sirènes. Peut-être aussi qu’un jour on la verra tourner le coin d’une rue, toute grande, tout adulte, avec ses cheveux bouclés et ses yeux jaunes.» (p.153)
Prendre de l’âge c’est peut-être chercher à secouer des rêves, s’inventer des scénarios pour faire revivre l’enfance. Reste le regret, le sentiment de culpabilité, la honte peut-être d’être vivant et d’oublier pendant ces jours où il possible de croire au bonheur. Des personnages terriblement séduisants.

«On ne rentre jamais à la maison» de Stéfani Meunier est paru aux Éditions du Boréal.

lundi 28 janvier 2013

Marie-Renée Lavoie lutte contre «la vis»


Tous se souviennent de «La petite et le vieux», le premier roman de Marie-Renée Lavoie qui a attiré l’attention lors de sa parution. L’ouvrage a remporté le combat des livres de Radio-Canada en 2012 en plus d’être finaliste au prix des Cinq Continents de la Francophonie et du prix France-Québec. Elle a aussi été lauréate du Grand Prix de la relève littéraire Archambault en 2011. Une entrée en scène remarquable. Elle revient avec «Le syndrome de la vis», un roman au titre un peu étrange.

Josée souffre d’insomnie. La maladie du siècle à ce que l’on dit. De plus en plus de femmes surtout voient venir la nuit comme une épreuve. À un point tel que le manque de sommeil finit par perturber le quotidien.
«Une fois dans la rue, je ne trouve plus ma voiture. Je regarde mes clefs pour que ressurgisse, à force de contemplation, un indice quelconque, n’importe quoi. J’essaie de ranimer l’image d’un lampadaire, d’une borne-fontaine évitée, d’un parcomètre, d’une enseigne. Rien. Même pas le souvenir d’être retournée la chercher rue Champfleury après la capitulation de la veille. Ce qui ne veut rien dire. Je reste calme. Ça ira, ça reviendra. Je me mets en marche dans l’espoir que «ça» me tombe dessus.» (p.50)
Des angoisses terribles pour l’enseignante et des «trous» qui en font presqu’une somnambule. Elle se couche tôt pourtant, mais après une heure ou deux, le carrousel se met en branle dans sa tête… Ou plutôt, la vis, peut-être une proche parente de celle d’Archimède, la pousse vers le matin comme une naufragée qui doit nager toutes les nuits jusqu'à épuisement.
«La vis repart, fait à nouveau défiler devant moi la scène. Quarante mains qui cessent de prendre des notes, quarante visages ahuris qui, plus tôt prêts à croire que la littérature élève l’âme et rend meilleur, réalisent en quelques coups de talon que la fréquentation assidue des auteurs peut aussi rendre fou. Pour cette scène d’autohumiliation, ils me gratifient de leur plus sérieuse attention, de la trempe de celle que je n’aurais même jamais souhaitée pour mes cours.» (p.25)

Épuisement

Sa vie se détraque. Comment respecter un horaire, donner des cours et retenir l’attention des étudiants? Elle plonge dans une autre dimension et surviennent alors des incidents plutôt embarrassants.
«Aujourd’hui, ma fatigue se traduit plus souvent en d’inquiétantes absences: je me retrouve parfois dans mon auto, sur la route, sans savoir d’où je viens ni où je vais, réintégrant mes esprits quelques sorties trop tard; d’autres fois, j’entre en crise de rage et j’ouvre les yeux, après quelques secondes de dissociation mentale, sur un tiroir à four récalcitrant à moitié arraché, un tableau de bord fissuré, un cellulaire en poudre; en des moments inopportuns, je fonds en larmes, en impatience, en intolérance, en haine de moi-même. Et des autres quand ça déborde.» (p.77)
Sa vie prend eau de toute part. Philippe, son amoureux, finit par en avoir assez et la séparation devient inévitable. Peut-être, que ce ne sont pas uniquement les insomnies de Josée qui sont en cause, mais cela n’aide guère.
Heureusement, il y a un petit garçon qui, comme dans «La petite et le vieux», réussit à lui faire un peu oublier ses problèmes. L’enfant passe son temps à attendre son père, un travailleur de la construction. Il devient le protecteur de l’institutrice en quelque sorte. On souhaite que la vie de Josée prenne un autre tournant avec le père de cet enfant attachant. Il y a aussi sa mère qui ne cesse de téléphoner pour des futilités. Presque du harcèlement.

Dérape

Cette carence de sommeil bousille tout. C’est parfois amusant, c’est surtout tragique même si Josée possède un bon sens de l’humour.
La professeure finit par halluciner. Dans sa fatigue, son épuisement, elle voit son père décédé avec qui elle dialogue le plus naturellement du monde. Comme si les insomnies vous empêchaient de faire la différence entre le réel et l’imaginaire. C’est peut-être le cas, je ne sais pas. Marie-Renée Lavoie plonge le lecteur dans un drame même si l’auteure tente de le traiter avec le sourire. Le tragique a beau se présenter dans ses habits d’été, il n’en reste pas moins dérangeant et inquiétant. Je remercie les dieux de ne pas m’avoir privé de belles et longues nuits de sommeil.

«Le syndrome de la vis» de Marie-Renée Lavoie est paru aux Éditions XYZ.

dimanche 20 janvier 2013

Mélissa Verreault aime bousculer le quotidien


Autant être attentif si vous décidez de vous aventurer dans «Point d’équilibre» de Mélissa Verreault. Une phrase, un mot crée un déséquilibre, provoque l’instant qui ébranle l’être et l’entraîne dans un chemin parallèle. Il faut de l’habileté, du talent pour aborder le pire sans avoir l’air d’y toucher. L’effet alors est décuplé et frappe le lecteur comme un boomerang. Voilà tout l’art de cette écrivaine qui a retenu l’attention avec «Voyage léger».

La première nouvelle a provoqué chez moi un certain malaise. Je ne savais trop quoi penser de Maryse et de ses humeurs. Je retrouvais un peu l’univers de «Voyage léger» où une jeune femme s’embourbe dans les gestes du quotidien, s’exile dans un quartier de Montréal, près de l’aéroport, pour vivre en étrangère. Ici, la danseuse se coupe du monde qui l’a aspirée jusqu’à maintenant. Elle décroche après une fracture à la jambe, comme un wagon largué qui s’immobilise peu à peu.
Heureusement, le second texte m’a happé et j’ai décidé de reprendre depuis le début, pour me rassurer peut-être, comprendre les signaux de l’auteure.

Constance

Tous les personnages de «Point d’équilibre» ont une parenté avec l’héroïne de «Voyage léger» qui débobine son fil pour mieux s’égarer en ayant la certitude de pouvoir revenir. Presque tous les protagonistes de ces nouvelles décrochent et «marchent à côté d’une joie» pour paraphraser le poète Saint-Denys Garneau. Tous deviennent des spectateurs de leur vie à un moment ou à un autre.
«Mon pays était loin, mais plus que cela, le problème, c’était moi. J’étais une terre étrangère. Depuis Barbara, mon corps était une maison vide, et mes mains étaient deux fantômes qui ne pouvaient plus toucher quoi que ce soit. Tout me glissait entre les doigts, me rappelait que j’étais mort.» (p.23)
Un accident, une rencontre, un voyage, une relation amoureuse qui tangue, un imprévu et c’est la glissade. «Étoiles de papier» par exemple. La narratrice apprend qu’elle est enceinte. Des triplets. De quoi s’évanouir ou courir partout pour le crier au monde. Tout bascule alors. Une belle illustration de l’effet domino qui emporte les protagonistes dans des situations imprévues. «Une culbute» à la Paul Auster sans les changements radicaux, sans basculer dans une autre vie.
À Rome, pour faire la connaissance de ses beaux-parents, une jeune femme plonge dans une société différente, une langue qu’elle comprend plus ou moins. Elle ne peut être que témoin de sa vie, se sentant en dehors de tout, une autre dans son corps.
Et cette terrible nouvelle, «Aux épaules d’Atlas», où une femme est sur le point d’éclater. Son mari, à son retour d’Afghanistan, est un étranger. Une querelle, un geste pour bousculer certaines choses et la tragédie se produit.
«Dans la voiture, la querelle se poursuit. Le moteur tourne depuis plusieurs minutes. La porte du garage est fermée. Les vapeurs d’essence saturent tranquillement l’air de la pièce, il devient de plus en plus pénible de respirer. Il fait chaud. Florence retire son foulard et son chapeau. Étrangement, les garçons semblent vouloir se calmer. Leurs cris sont moins insistants, leurs voix ramollissent, tout comme leurs jambes, leurs bras. Confuse, Florence ne fait que répéter sa dernière phrase en boucle.
— Arrêtez de vous chicaner, je vais le dire à maman sinon. Elle l’a dit, c’est comme ça que les guerres commencent.» (p.104)
La chute d’un ouvrier dans le jardin, une fête d’anniversaire, tout peut ébranler cette vie fragile et coriace. Le drame colle à vos pas et il ne faut surtout pas le provoquer. Le pire peut survenir pendant un moment de distraction. Le drame chez Mélissa Verreault se dissimule dans le quotidien. Il suffit d’un moment d’inattention et tout bascule. «Point d’équilibre», le titre est fort pertinent, flirte avec le tragique, l’amour et la mort qui semble toujours prête à sortir les griffes.
L’écrivaine, avec une belle candeur, un humour certain, parfois un peu forcé («Suspendue à dix mille pieds dans les airs, j’avais peur de ne pas être à la hauteur») vous pousse vers le drame et la tragédie.
Mélissa Verreault vous attire dans sa toile telle une araignée. Elle sait vous distraire pour mieux vous surprendre. Juste, étonnant souvent, assez pour vous faire prendre conscience que la vie est capable du pire comme du meilleur. Elle confirme ici son beau talent.

«Point d’équilibre» de Mélissa Verreault est paru aux Éditions de La Peuplade.

dimanche 13 janvier 2013

Vincent Thibault nous entraîne au-delà du réel


«Les bêtes» de Vincent Thibault m’a transporté dans un pays méconnu du Nord où chaque jour est un combat, où la moindre erreur peut être fatale. Voilà un lieu où les humains puisent au fond d’eux-mêmes, un envers du monde où les femmes et les hommes doivent retrouver une certaine animalité pour survivre. Parce que le Nord, dans sa beauté et ses humeurs, ne fait jamais de quartier.

Chisasibi, pays d’épinettes drues, de neige, de vents où le ciel déborde de partout. Un pays que les écrivains québécois explorent de plus en plus. Yves Thériault, le précurseur, et Jean Désy sont de ceux-là. Je signale «Coureur de froid» de ce médecin-poète. À lire. On peut aussi s’attarder à Paul Bussières qui étonne dans «Qui donc va consoler Mingo», un roman époustouflant.
«Ce n’est qu’une fois arrivée à Chisasibi qu’Amélie comprit la force de ces mots. Le ciel du Nord était vaste, sans limites, c’était un ciel, un vrai. Il était presque inconcevable qu’il s’agisse du même qu’ailleurs. En fait, elle allait bientôt utiliser cette phrase merveilleuse: «Ailleurs, c’est ici.»» (p.11)
La jeune femme s’exile pour retrouver des valeurs et un sens à sa vie. La dentiste est le prétexte qui permet à Vincent Thibault de plonger dans une communauté où les gens vivent, souffrent, affrontent une nature particulièrement rude qui réveille des démons intérieurs.
Le personnel médical, les enseignants, quelques commerçants, deux ou trois policiers, les Cris et les Inuits font leurs affaires en faisant en sorte de ne pas empiéter sur le territoire de l’autre. Tout cela dans un mélange de langues et d’habitudes, d’excès et de violence difficile à prévoir.

Confrontation

L’alcool et les drogues minent les autochtones et les poussent aux pires excès et à l’horreur.
«Ce père de famille, chaque fois qu’il vient chercher sa fille avant la fin du cours, je sais exactement ce qu’il fait. Il la ramène à la maison et il la viole. Ça me rend malade… Mais qu’est-ce que je dois faire, hein? Garder de force la fille qui ne veut rien savoir de moi? Barrer le passage à son père alcoolo et me retrouver avec une balle de carabine dans le ventre? Aller voir la police où travaille son oncle?» (p.62)
Comment retrouver un équilibre perdu, une vie de famille, redonner des valeurs aux jeunes dans un tel contexte? John, un alcoolique, part en excursion avec son fils. Ils se perdront dans la tempête. Ce peut aussi être un caribou qui met fin brutalement aux rêves en bondissant devant une camionnette.
«Des éclats de verre lui transpercèrent la trachée. Layna se brisa la clavicule sur sa ceinture; l’os brisé rentra loin sous la peau; elle s’assomma brutalement contre la fenêtre côté passager. Ses vertèbres cervicales reçurent un choc violent et elle perdit connaissance. Un silence d’une remarquable densité s’ensuivit. Puis, le caribou se mit à crier d’agonie. Ses lamentations emplissaient l’espace tout entier et ralentissaient la descente de la neige qui s’était mise à tomber. Si quelqu’un avait été là pour prêter l’oreille, peut-être, qui sait? peut-être aurait-il entendu Lenny Kravitz terminer sa chanson.» (p.105)
Les gens qui s’exilent dans ces communautés, souvent, tentent de fuir un certain malaise existentiel. Tous viennent au Nord pour prendre conscience de ce qu’ils sont dans leur grandeur et leur faiblesse, leurs peurs et leurs angoisses.
Tout est possible dans un tel univers, même le surnaturel… Amélie est attirée dans un cercle où elle passe dans une autre dimension. Nous n’en saurons pas plus. Certaines forces telluriques peuvent sauver comme vous perdre.

Recherche

La petite communauté cherche des ancrages, vit l’amour et l’amitié pour être, pour se réaliser dans une certaine harmonie et la tolérance dans ce monde dur et âpre. Pour cela, il faut faire face à tous les possibles et tous les imaginaires, tous les préjugés aussi. Un monde en ébullition qui mélange à la fois l’occulte et ce que nous nommons le réel.
«Les bêtes», le titre est révélateur, permet un voyage où le pire comme le meilleur font surface. Un roman initiatique pour ces exilés du Sud qui, devant une nature inquiétante, sont poussés au-delà d’eux-mêmes. Même les autochtones doivent vaincre leurs pulsions pour retrouver une réalité qui leur échappe avec l’arrivée du monde moderne. Un voyage qui m’a fasciné.

«Les bêtes» de Vincent Thibault est paru aux Éditions de La pleine lune.