«Le Saint-Christophe» de
Dany Leclerc m’a fait faire un voyage dans le temps, retourner au début des
années soixante-dix. Il m’a rappelé ma solitude aussi quand, jeune campagnard déraciné,
je me suis retrouvé dans la grande ville de Montréal, sans repères et sans
certitudes. Heureusement, il y avait quelques amis, des migrants venus de mon
village, qui permettaient de m’accrocher. Il y avait aussi les livres et la
littérature.
Avec Christian Gingras, j’ai
connu ces soirées où la fumée était à trancher au couteau, où l’on vidait des
bières en s’enivrant de mots, de musique jusqu’à tomber plus mort que vivant
sur un matelas de fortune. Avec des gars et des filles, nous avons expérimenté
la liberté qui passe par tous les excès. La pauvreté aussi, ayant tout juste
assez d’argent pour manger, se payer un taudis où nous nous entassions à plusieurs.
«Le Saint-Christophe» est
un appartement du centre-ville de Montréal où les copains se rencontrent pour
traquer les filles et renifler tout ce qui peut être reniflé. Un lieu de fêtes
perpétuelles où l’on s’initie aux jeux de l’amour sans trop de hasard. Un
refuge où les amis ont tous les droits.
Christian a grandi à La
Baie, au Saguenay. Il part à Montréal, au début des années 90, pour poursuivre des
études et retrouver Sarah, une fille qui l’a viré à l’envers pendant les
vacances d’été.
«Du fin fond de ma petite
ville tranquille où le monde tournait trop lentement à mon goût, où l’écho des
esprits trop étroits résonnait dans des espaces trop vastes, j’avais appris à
désirer Montréal. J’avais été envoûté par tous ces appas que je lui avais
découverts à travers mes lectures, à travers mes fantasmes. À ma première année
de cégep, le hasard m’avait fait découvrir «Vamp» de Christian Mistral. Le
style m’avait soufflé, le rythme fiévreux de la ville m’avait séduit. Ce roman
avait confirmé ma passion pour la littérature et, pour moi, la littérature
c’était désormais Montréal, Montréal l’envoûtante, Montréal la délirante.» (p.16)
La réalité le forcera à
descendre au fond de lui-même pour trouver une forme d’équilibre et donner une nouvelle
direction à sa vie.
Découverte
Tourmenté, hésitant malgré
ses fanfaronnades, déchiré entre la sécurité familiale et son envie de tout
bousculer pour écrire, Christian découvre la liberté, l’écriture, la vie dans
ce qu’elle a d’excitant et de troublant. L’amour aussi qui le transformera pour
le pire ou le meilleur.
«J’avais été élevé dans un HLM, mes parents
avaient enduré des boulots difficiles, précaires et minables pendant toute leur
vie pour essayer de nous camoufler autant que possible la pauvreté dans
laquelle nous pataugions. Pour moi, les études représentaient la seule façon de
ne pas emprunter la même route, la seule promesse d’un avenir meilleur. Je
voulais leur fournir une source de fierté qui leur ferait oublier toutes les
misères que la vie leur avait imposées, tous les sacrifices auxquels ils avaient
consenti pour nous élever.» (p.55)
Le jeune homme devra se
constituer une carapace pour survivre dans un monde où il a perdu ses balises,
où l’amour peut rimer avec tricherie et manipulation. Heureusement, les livres
lui permettent de tenir la désespérance à distance.
«J’écrivais comme je n’étais
jamais parvenu à écrire et je sacrifiais, sans aucun regret, presque toutes mes
fins de semaine à mes lectures ou à la rédaction de mes travaux de fin de
session. Jusque-là, j’avais rêvé d’être un écrivain sans jamais avoir vraiment
écrit, j’avais voulu avoir tout lu sans prendre le temps de lire.» (p.163)
Un roman excessif, impulsif
comme la jeunesse l’est toujours, mais avec plein de rêves, d’idéaux, de désirs
de faire autrement, de se réaliser en risquant tout.
Vivant, plein de
rebondissements malgré un narrateur qui se sent un peu coupable de tout, ce roman
parle particulièrement à une certaine jeunesse pour qui les études passaient
par l’exil. Ce n’est jamais facile d’être migrant dans son propre pays, de tout
laisser derrière soi pour s’inventer une autre vie.
Dany Leclair témoigne de
cette réalité avec un enthousiasme contagieux. Bien des bravades, des
provocations, mais aussi une belle tendresse, une fragilité qui va droit au
coeur. Toute la gamme des émotions est au rendez-vous. Un portrait juste et
combien humain.
«Le Saint-Christophe» de Dany Leclair est paru aux Éditions
Québec-Amérique.