J'ai toujours fait de mes vacances une aventure de lecture. Une plage avec du sable fin peut devenir un lieu de lecture incroyable. J'ai connu des étés inoubliables sur le granite brûlant de l'Ashuapmushuan avec Francine Noël et son formidable roman «La conjuration des bâtards». Une œuvre remarquable! Il y a eu Erskine Caldwell, Jacques Ferron et bien d'autres.
Il y a quelques années, je décidais de tout relire Marie-Claire Blais. Une folie parce que Madame Blais multiplie les titres depuis «La belle bête» paru en 1959. Pulsion, animalité et marginalité marquaient déjà l'œuvre de cette écrivaine qui entamait ses vingt ans. Anecdote intéressante, ce roman a été édité grâce au père Georges-Henri Lévesque, celui qui a donné son nom à la bibliothèque de Roberval.
Sous un large parasol, j'ai lu les vingt-trois romans de cette écrivaine éblouissante. Plus de quatre milles pages, une jungle où l'on s'égare avec bonheur, vivant toutes les émotions en passant de «La belle bête» à «Soifs».
Pareille aventure m'a permis d'emprunter les sentiers qui mènent vers le «Grand roman», celui dont rêvent tous les écrivains.
Découverte
Il a fallu «Une saison dans la vie d'Emmanuel» pour que Marie-Claire Blais s'impose comme une écrivaine à la voix singulière. Un portrait magistral avec grand-mère Antoinette et Jean Le Maigre, ce poète rêveur qui mourait de ses amours incestueuses et de la tuberculose. Un choc pour le Québec qui s'apprêtait à plonger dans la Révolution tranquille!
De roman en roman, je me suis étourdi par ces univers étranges, épousant les métamorphoses de l'écrivaine, figeant dans ses hésitations pour repartir sur une phrase rebelle. Parce que Marie-Claire Blais a l'art d'aller où le lecteur ne l'attend jamais avec son écriture ample et souvent somptueuse.
Toute son œuvre est une recherche et une quête marquée par un humanisme profond.
Quel délice de m'attarder dans les romans des «Manuscrits de Pauline Archange» où elle décrit la société québécoise avec justesse, évitant les clichés et le maniérisme. Il y a là tout le monde de Michel Tremblay, une écriture beaucoup plus sentie et surtout moins caricaturale.
J'ai reçu comme un coup de fouet «Un Joualonais sa Joualonie» où elle répond à une certaine volonté de créer une langue québécoise, se moque de certains ténors qui parlaient plus qu'ils n'écrivaient. Elle a toujours su prendre du recul et éviter les sentiers trop fréquentés. Il le faut pour faire une œuvre personnelle et se tenir au-dessus de la mêlée.
Tournant
Et vint «Le sourd dans la ville» où elle déboussolait son lecteur et plongeait dans une écriture nouvelle, cherchant ce souffle qui la ferait basculer dans un univers éclaté à la manière de Pierre Brueghel ou de Jérôme Bosch.
L'écriture perd les étriers de la ponctuation, se libère de tous les carcans. Le lecteur est happé par une phrase touffue comme «Le jardin des délices» de Bosch, ce tableau qui multiplie les personnages et les situations. Il faudra quelques romans avant qu'elle ne maîtrise parfaitement cette écriture. Cette recherche trouvait son accomplissement dans la trilogie qui débute avec «Soifs». Des romans incroyables, des œuvres qui nous noient presque dans les tourments du monde actuel! Un clin d'œil aussi à cette grande sœur qu'est Virginia Woolf. Ceux qui affirment que les grandes oeuvres littéraires n'existent pas au Québec ne connaissent guère Marie-Claire Blais.
J'ai pris tant de notes pendant ces semaines qu'un jour, peut-être, j'écrirai un essai de lecture et d'écriture, de soleil et de sable, prenant plaisir à m’égarer dans l'œuvre de Marie-Claire Blais.
Je devais, l'automne suivant, lors du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, avoir la chance de la conduire à Saint-Félicien. Je me suis retenu pour ne pas emprunter le chemin le plus long pour faire durer le plaisir. Nous aurions pu sillonner le Québec en interpellant ses personnages, les mots qu'elle ne cesse de bousculer.
J'ai ratissé un espace de sable, bousculé deux ou trois fourmis et c'est au tour de Robert Lalonde cet été. De quoi profiter des jours de nuages, des vagues calmantes et des averses de soleil qui mettent tant de cris dans la bouche des enfants.
Les livres de Marie-Claire Blais et Robert Lalonde sont publiés aux Éditions du Boréal.