LES INDIENS DU CANADA ET DU QUÉBEC ont fait les manchettes récemment pour de bien
mauvaises raisons. Femmes disparues qui semblent laisser les forces policières
indifférentes et des témoignages troublants de femmes en Abitibi sur le
comportement des agents de la Sûreté du Québec. Des propos qui ne semblent pas
trop inquiéter le premier ministre Philippe Couillard qui s’en remet à Ottawa. Et
encore dernièrement, un rapport qui démontre une discrimination certaine dans
l’aide financière aux autochtones. Pourquoi tant d’hésitations avant d’enquêter
sur des situations qui cachent une forme de racisme qui se perpétue à travers
les décennies ? Heureusement, le gouvernement Trudeau a entendu pour une fois.
La situation des
Autochtones a maintes fois été décrite par des écrivains québécois. Louis
Hamelin dans Cowboy, Lucie Lachapelle
dans Rivière Mékiskan et Histoires nordiques ou encore Jean Désy dans
ses nombreux ouvrages. Plus récemment, Juliana Léveillé-Trudel, dans Nirliit, brosse un portrait des Inuit qui
se débattent avec l’alcool, les drogues, une situation endémique qui ne cesse
de s’aggraver, laissant les enfants à la dérive et permettant aux Blancs du Sud
de perturber la vie des adolescentes. Richard Desjardins, dans Le peuple invisible, a réalisé un
documentaire-choc qui illustrait des conditions de vie inacceptables. Plus
récemment, Roy Dupuis, le narrateur du film L’empreinte
d’Yvan Dubuc, débusque la pensée autochtone dans notre manière de vivre, de
régler des conflits, de voir le monde et de l’habiter. John Saul abordait la
question dans Mon pays métis, quelques
vérités sur le Canada en 2008.
J’ai décrit cette
situation en 1982 dans mon roman La mort
d’Alexandre où des travailleurs forestiers, en Abitibi, se permettent toutes
les agressions sur les femmes autochtones et pratiquent le viol en toute immunité.
Cela fait plus de trente ans et la situation ne s’est guère améliorée. Je
pourrais m’attarder aussi à Uashat de
Gérard Bouchard. Ces auteurs dénoncent des situations depuis des décennies,
mais qui prend la peine d’écouter les écrivains de nos jours ?
John Saul n’a
jamais hésité à se déplacer partout au Canada pour écouter, discuter avec ces
populations qui semblent avoir perdu leur raison de vivre. L’arrivée des Blancs
a tout changé. Quand on pense que l’on a éliminé les chiens de traîneaux pour
sédentariser des Inuit on peut se poser des questions. Saul s’est rendu à
Mashteuiatsh pour y rencontrer Clifford Moar alors qu’il était chef de cette
communauté.
PENSÉE MÉTISSE
L’essayiste
démontre encore une fois que les contacts des arrivants avec les Autochtones
ont marqué la pensée des Canadiens. Un propos que Roy Dupuis reprend dans le
documentaire L’empreinte. Une manière
de voir la réalité et de régler les conflits par une approche où tous les
intervenants sont égaux pour discuter, penser et en arriver à un consensus.
L’implantation des Casques bleus, qui ont joué un rôle important dans des
processus de paix dans le monde, viendrait de cette manière de voir et de
résoudre les conflits.
Les Français de la
Nouvelle France ont eu beaucoup de contacts avec les nations indiennes, et ce
partout en Amérique. Les coureurs des bois ont exploré le continent en vivant
souvent à la manière des peuples autochtones qui habitaient ces territoires.
Une manière de voir, de vivre que le clergé et les missionnaires ont combattue
farouchement. La confrontation du nomadisme et de la sédentarité.
C’est dans les
quarante ans qui ont procédé la guerre civile européenne que les Canadiens
d’origine outre-Atlantique ont décidé que les « Indiens », les « sang-mêlé » et
les « Esquimaux » ne faisaient pas le poids devant notre supériorité, notre
destinée darwinienne. Dès lors, nous avons résolu de les conduire vers l’oubli
en mettant au ban leurs langues, leurs cultures, leurs rituels. Bien sûr, ce fut
bien plus compliqué que ça. Dans un pays qui se voulait fondé sur le primat du
droit, il fallait mettre en place des mécanismes respectables. Une pléthore de
lois, de règlements et de structures administratives constituèrent une
infrastructure juridique raciste et punitive dans les domaines social et
économique. Les pensionnats autochtones ne furent qu’une arme parmi bien
d’autres dans tout cet arsenal. (p. 23)
PORTRAIT
Thomas King esquisse
un portrait saisissant dans L’Indien
malcommode où il multiplie les exemples de spoliation, de manœuvres pour
déposséder les premières nations. John Saul en rajoute dans Le grand retour. On a défendu aux
Indiens de danser lors d’une grande fête en Colombie-Britannique où le partage déconcertait
les Blancs.
Que dire devant
les Métis du Manitoba et Louis Riel ? L’aveuglement du gouvernement Macdonald s’y
exprime de manière brutale. Il ne pouvait y avoir qu’un Canada blanc et
anglophone.
Une suite de vols d’immenses
territoires, de traités jamais respectés par des gouvernements qui mentaient
sciemment. Heureusement, la situation semble vouloir évoluer et les nouveaux chefs
sont particulièrement au courant des lois et des failles de ces traités qui ont
toujours tourné à leur désavantage. Chose rassurante, leurs revendications
semblent de plus en plus entendues par l’ensemble de la population et les
tribunaux. L’arrivée de Idle No More a changé bien des choses.
Résultat :
les peuples autochtones peuvent désormais s’engager dans des discussions
publiques vastes se déroulant à l’intérieur d’un cadre différent. Ils peuvent
affirmer avec confiance que les autorités canadiennes ne les ont pas écoutés
par le passé, qu’elles n’ont même pas essayé de comprendre la vraie
signification des propos que tenaient leurs interlocuteurs. Pire, il est
évident que nos gouvernements ont tenté d’imposer des interprétations étroites
et intéressées de tout ce qu’ils entendaient. Et c’est ce qu’ils ont fait
depuis la seconde moitié du XIXe siècle. (p.77)
Les Autochtones
ont réussi, avec une patience exemplaire, à contrer la mauvaise foi des
gouvernants, leur refus de mettre en application des jugements qui donnent
raison à leurs revendications et aux recours judiciaires qui s’éternisent.
L’opposition des gouvernements et des Blancs devient de plus en plus difficile
à justifier.
Puis vint la
commission royale Erasmus-Dussault, dirigée par l’ancien chef national
autochtone Georges Erasmus et le juge René Dussault. Les gouvernements ont
ensuite, l’un après l’autre, fait comme si elle n’avait jamais existé. Mais son
rapport de 1996 est un travail remarquable de recherche et d’analyse. Dans ses
4000 pages, le vrai rôle des Autochtones au Canada est défini et réaffirmé
intégralement. Ses recommandations sont
d’une importance capitale. Mais la recherche sur laquelle elles s’appuient,
avec ses recueils de textes historiques, à elle seule, fait que le rapport de
cette commission n’a pas de prix. Cent quarante ans de déni, de
tergiversations, de fausses représentations et de falsification historique, le
tout perpétré par chacun des gouvernements successifs, historien après
historien, un groupe d’intérêts après l’autre, tout cela se trouvait balayé.
Ces deux commissions d’enquête ont mis en place le cadre intellectuel social et
politique de l’actuelle renaissance autochtone. (p.86)
NÉGOCIATIONS
Le temps est venu
de négocier avec les Autochtones et de réparer le mal que des centaines
d’années de manipulations, de traités bafoués, de manœuvres pour les déposséder
ont causé.
Le Québec a
peut-être montré la voie en négociant La
paix des Braves avec les Cris du Nord québécois. Le gouvernement Landry a
accepté de parler avec les Cris de nation à nation, ce qui est arrivé rarement
dans l’histoire du Canada. Il serait temps, dit John Saul, de mettre fin à des
négociations qui n’en finissent plus et d’en arriver à une véritable entente
dans le respect et l’écoute. Il prône aussi des gouvernements pour les régions
nordiques et une université qui aurait pour tâche de redéfinir la vie dans ces
conditions extrêmes, de découvrir d’autres façons de faire, de construire des
habitations adaptées et particulières. Il est temps de conclure cette Approche
commune qui semble vouloir battre des records de négociations qui tournent en
rond.
Il est peut-être
temps aussi de réfléchir à ce que l’on veut faire du Nord. Le plan du
gouvernement québécois ne semble guère se distinguer de l’approche coloniale où
l’on impose des façons de faire sans tenir compte des populations.
Les politiques
d’assimilation ont échoué parce que les Autochtones ont le secret de la survie
culturelle. Ils sont conscients de former des peuples possédant un
patrimoine unique et ayant droit à la
continuité culturelle. C’est cela qui les amène à dresser des barrages
routiers, à protester devant les bases militaires et à occuper des terres
sacrées. C’est cela qui les fait résister au suicide culturel auquel les convie
la société eurocanadienne lorsqu’elle les pousse à s’assimiler au nom de
l’égalité et de la modernité. (p.257)
Peut-être que les
mentalités ont évolué et qu’il est possible maintenant de penser à une nouvelle
façon de se comporter et de vivre ensemble.
Espérons que la
voix de John Saul, de Thomas King et de plusieurs chefs va permettre
de régler une situation scandaleuse. Il est certainement temps de réparer les
dégâts que la présence des Blancs en Amérique a causés. Le Nouveau Monde a des
plaies à guérir et des situations qu’il doit avoir le courage d’affronter. La condition
des Noirs aux États-Unis et les Autochtones partout au Canada et en Amérique ne
peut plus être ignorée. Un livre qui arrive à point.
PROCHAINE CHRONIQUE : Un petit livre DE SERGIO KOKIS PUBLIÉ
CHEZ LÉVESQUE ÉDITEUR.
LE GRAND RETOUR de
John Saul est paru aux Éditions Boréal, 336 pages, 29,95 $.