Gaston Miron a eu droit à des funérailles nationales en 1996. Ce n’était que justice pour ce poète qui a consacré sa vie à ce pays qui n’arrive pas à se dire oui.
Voilà un homme, un poète à son corps défendant, un militant de l’indépendance du Québec qui n’a jamais fait de compromis, un chercheur d’identité qui jamais n’a hésité à pourfendre les politiciens et ses concitoyens. Particulièrement quand il s’attarde au «charabia ou le traduidu» pour qualifier la langue des Québécois. La publication de ces textes rédigés entre 1953 et 1996 nous plonge dans la pensée de Miron et illustre le combat de sa vie.
Je ne peux m’empêcher d’évoquer cette rencontre. C’était à Paris, en 1985. En plein Quartier latin, nous étions tombés sur lui. Il s’était mis à discourir comme lui seul savait le faire. Une demi-heure à s’attarder sur la pauvreté de la langue des Québécois. Il s’émerveillait devant les Français qui sortaient le mot juste, le mot exact pour décrire leur réalité. Il levait la voix en gesticulant devant les sourires des passants. Il parlait de «porte et de portillon».
J’ai retrouvé les mêmes expressions dans la conférence de l’Estérel que Miron prononçait en 1974.
«Attention au portillon. Au début, je ne saisissais pas, puis, tout à coup, la lumière s’est faite et je me suis dit : «C’est vrai : c’est un portillon, ce n’est pas une porte, car une porte, qu’elle soit petite, moyenne ou grande, elle bouche toute l’ouverture. »… Je monte ensuite dans un wagon de train et je lis : «Attention à la portière ». Une autre porte et cette fois-là c’est une portière!» (p.147-148)
Comme quoi Gaston Miron avait de la suite dans les idées et ne craignait pas de se répéter.
Accompagnement
Dans «Un long chemin», le lecteur découvre le militant, l’homme public et le poète. Nous remontons à l’enfance, à Sainte-Agathe-des Monts, à «l’illumination» où Miron prend conscience qu’il est un colonisé et un aliéné. Nous effleurons alors les assises de son combat, la charpente de sa poésie et le terreau de sa lutte. Miron restera toujours déchiré entre l’urgence de l’action politique directe et la poésie, cette souffrance existentielle.
«Ce constat d’aliénation de ma langue chez moi eut l’effet d’un choc. Je m’expliquais ma langue approximative, parlée et écrite. J’utilisais la dérision : quelle langue parlez-vous, Monsieur ? Je parle l’approximatif, je parle l’à-côté, je parle autre chose. Ce choc remit en question de fond en comble le rapport à ma langue tout court, puis le rapport du langage à la réalité et le rapport à mon travail poétique. Désinvestir ma langue de la langue de l’autre, redonner aux mots le sens de la tribu : je devins un obsédé, je le suis toujours, du mot juste et jusqu’au bout, de la précision absolue du mot, de la propriété des termes à tout prix.» (p.108)
Blessure
L’aliénation. Voilà une blessure «à l’esprit» qu’il est difficile de cautériser. Miron ressentait cruellement qu’il était d’avant l’affirmation de son peuple, un «homme archaïque». Une souffrance, une douleur qui le figeait devant le poème qui semblait toujours vouloir se dérober. Pourquoi s’armer de la parole quand le nous collectif n’existe pas? Écrire ou se rouler les manches pour faire advenir les choses?
«Un long chemin» présente ce grand poète, esquisse la démarche intellectuelle d’un homme qui a cherché la cohérence pendant toute sa vie. Juste pour cela, il mérite notre admiration.
Toutes les proses ne sont pas d’un même poids littéraire. Souvent nous plongeons dans des textes lourds, maladroits dans leur facture et leur argumentation. Il est vrai que nous lisons souvent la transcription de conférences. Cela explique bien des maladresses. Pensons aux lettres qu’il expédiait aux mécènes de l’Hexagone.
L’ensemble pourtant a le grand mérite d’esquisser la «carte géographique de la pensée» de Miron, de montrer l’étendue de son action. Il n’était pas qu’un théoricien. Jamais il n’a hésité à mettre la main à la pâte dans les tâches les plus humbles.
Reste que les mots ne venaient pas naturellement à ce militant qui devait varloper pour en arriver à un texte qui gardait son tonus. Il aura donné sa pleine mesure dans la poésie.
Des écrits qui, malheureusement, demeurent d’actualité. La situation n’a guère évolué dix ans après la mort de cet allumeur de conscience. Merci à l’Hexagone de garder les mots de Gaston Miron sur le réchaud. Ils nous rappellent notre devoir de Québécois. Un travail d’édition exemplaire. Une manière aussi de comprendre pourquoi la poésie de Gaston Miron a su rejoindre l’universel. Elle témoigne de ce qu’est le fait français en cette terre d’Amérique et ce qui menace son existence.
«Un long chemin, Proses 1953-1996» de Gaston Miron est paru à L’Hexagone.