Nicole Houde, encore une fois, ne donne guère de choix à son lecteur. Pas de fioritures! Cette écrivaine nous a habitués aux vrais questions, et depuis son entrée en écriture en 1983, elle se fait chercheuse de sens. Le vieillissement dans «Les oiseaux de Saint-John Perse», la lutte pour l’identité dans «La Maison du remous», la marginalité dans «La chanson de Violetta». A chaque fois, elle pose un sujet difficile, un univers que nous voulons fuir la plupart du temps. Qu’est la vie, comment affronter sa mort, quel héritage possédons-nous à la naissance et qui est resté gravé dans le corps et vous dépossède parfois? Comment survivre dans un monde plus grand que soi et qui aspire aussi à être notre corps? Comment assumer sa vie quand la société vous marque au fer rouge, quand les repères s’effritent; quand le temps creuse de grands trous dans la tête? Voilà autant de questions que cette écrivaine unique au Québec explore d’un livre à l’autre. Les mots deviennent des grenades et c’est la vie qu’elle fait exploser, l’existence qu’elle cherche à rapailler et à comprendre.
«J’observe mon corps, cet ami pour qui j’invente parfois Milan, Santiago, des champs de blé ou de l’angoisse, toutes ces formes d’alliance entre la conscience et l’univers.» (p.13)
Dans «Une folie sans lendemain», le lecteur se bute à Céline, une rebelle atteinte d’un cancer foudroyant qui décide de vivre sa mort sans l’aide des drogues. «Je veux mourir en plein midi beau soleil, pas d’hôpital, pas de morphine!» Céline s’aventure sur le chemin de la souffrance, revient à L’Anse-Saint-Jean, son pays d’origine, pour s’expliquer avec Edmée, sa mère qui s’est pendue alors qu’elle était fillette. Le tout est suivi du regard de Lise, l’amie qui a accompagné Céline et d’une lettre à Charlotte Boisjoli, la grande comédienne décédée d’un cancer. Trois temps d’une méditation pour comprendre et dompter la mort si c’est possible.
Œuvre forte
«Une folie sans lendemain» est marqué par tout ce qui caractérise l’œuvre de Nicole Houde. Le fardeau des origines, l’héritage qui gruge les femmes au corps et à l’esprit, l’obsession de l’écriture pour contrer la dérive et la folie. Le texte chez Nicole Houde se fait sédiments et permet d’espérer en l’avenir. La nature aussi, omniprésente, mémoire et porteuse des actes des hommes et des femmes. Parce que la Terre chez cette écrivaine est un corps et le corps une planète.
«Dans notre famille, plusieurs ont été atteints par des maladies mentales. Au village, on appelle ça «le châtiment de Dieu»». (p.29)
Bien sûr le sujet bouscule et dérange. Certains refuseront de suivre Nicole Houde. Il faut du courage pour accompagner Céline qui affronte la mort mains nues. Chaque mot devient un cri, chaque phrase porte une douleur qui ébranle la planète. L’écriture colle au corps et au dur désir de vivre chaque seconde comme si c’était l’éternité. Les phrases poussent comme des arbres, avec les fleurs, éclaboussent les pierres qui retiennent et empêchent la terre de basculer dans un cri qui avale tout.
«J’ai tellement mal! Est-ce possible que des os et des organes puissent éprouver de la détresse, est-ce possible de perdre son visage dans une tempête qui va aussi vous arracher le cœur? J’ai si peur!» (p.39)
Rarement trouvera-t-on une écrivaine ou un écrivain qui croit autant en la nécessité des mots. C’est l’air que l’on respire, la beauté au cœur du jour, le soleil qui se lève sur le monde. L’écriture permet aussi d’explorer et d’apaiser les souffrances originelles.
Exigence
Nicole Houde exige beaucoup de son lecteur. Elle le peut parce qu’elle donne tout d’elle. Son écriture est sans compromission. Lire un de ses ouvrages, c’est accepter d’affronter l’ange de Jacob, trouver un sens à son corps dans la grande dérive de l’univers. Il faut méditer ces phrases, soupeser ses peurs, effleurer ses craintes, danser avec son ombre et se coller au bonheur de l’herbe et des fleurs. Il faut faire face, puiser en soi et assumer l’héritage. L’expérience n’est jamais ordinaire. Quand je décide de lire Nicole Houde, je remets tout en question. Les mots se retournent, la phrase devient une vrille qui ébranle toutes mes certitudes.
C’est peut-être cela la quête de l’écrivaine qui veut mettre «de la conscience» dans le monde. Nicole Houde est une réveilleuse qui vous convie à une expérience initiatique à chaque fois.
«Je suis d’eau, de pierre, de bête et de brouillard dans cette chambre qui dérive vers la mort. Il n’y aura pas de miracle et je n’ai pas peur.» ( p.78)
C’est peut-être ce qu’il faut retenir de la course que l’on nomme la vie. Ne plus croire au miracle et ne plus avoir peur devant le mot fin.
«Peut-être nos carcasses retiennent-elles longtemps l’écho des murmures amoureux, des clameurs désespérées et des blasphèmes ? Peut-être la terre ne se remet-elle jamais de nos déchirements lâchés dans des phrases qui gravent des blessures dans les corps et dans l’espace?» (p.63)
La question est là.
«Une folie sans lendemain» de Nicole Houde est paru à La Pleine Lune.