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lundi 24 octobre 2011

Samuel Archibald subjugue son lecteur

«Arvida» de Samuel Archibald a créé une vague lors de sa parution en septembre. On parlait d’une découverte, de l’événement de la rentrée peut-être.
Je me méfie toujours de ces entrées fracassantes. À la lecture, peut-être que je m’attends à trop, je suis déçu. Souvent.
Ce n’est pas le cas avec «Arvida». Voici un roman étonnant de fraîcheur et d’originalité. Je suis passé par toutes les émotions en lisant ces histoires qui tournent autour de la ville de l’aluminium et de la famille Archibald. L’auteur explique parfaitement ses intentions à la dernière page de son récit.
«Des histoires d’Arvida et d’ailleurs. Des histoires épouvantables et des histoires drôles et des histoires épouvantables et drôles. Des histoires de roadtrip, de petits bandits et de débiles légers. Des histoires de monstres et de maisons hantées. Des histoires d’hommes mauvais comme le sont souvent les hommes et de femmes énigmatiques et terrifiantes comme le sont toutes les femmes. Des histoires vraies que j’écrivais sans demander la permission ni changer les noms, en donnait les dates et le nom des rues.» (p.315)
On ne saurait mieux définir son parcours. Archibald nous entraîne d’un bout à l’autre de la ville pour suivre sa famille et quelques originaux. Nous nous échappons aussi sur les monts Valin pour plonger dans des aventures que les hommes se racontent le soir après avoir suivi les traces d’un orignal et malmené sérieusement une bouteille.

Faits vécus

Samuel Archibald a glané ici et là des histoires, des faits vécus pour créer des moments époustouflants. Je songe à «Foyer des loisirs et de l’oubli», un match épique de hockey entre les anciens joueurs du Canadien et une équipe locale. Cette histoire aussi, ma favorite, celle de «L’animal» qui met en scène un ours apprivoisé et des jeunes filles qui découvrent la vie. Un texte magnifique.
«Il marcha pendant des jours et des jours. Il y avait dans son âme d’ours une connaissance ancestrale des points cardinaux et des exigences de la nourriture et du cycle des saisons et d’une certaine violence mais dans sa tête d’ours il ne connaissait pas la solitude et surtout il ignorait qu’il était normal pour un ours de ne pas avoir de maison.» (p.147)
Le contraire aussi. L’horrible avec «Jigai». Je me suis demandé ce que ce texte faisait dans l’ensemble. Une fausse note, un faux pas je crois. Impensable ces femmes qui se mutilent et finissent en pièces détachées. L’horreur!
Heureusement, la volonté de transcender le quotidien et de le mettre à sa main prend le dessus. C’est souvent truculent et étonnant. Archibald est un conteur imaginatif et un menteur incroyable comme disait ma mère. Le genre à pouvoir transformer un souvenir d’enfance en véritable épopée.
Petits truands qui ratent tout, demeurés qui planifient un meurtre qui tourne à la farce. Victime et agresseur deviendront des inséparables dans «Les derniers-nés».
«La soirée était douce et tranquille et on entendait les estomacs de Raisin et de Martial gargouiller dans l’air du soir. Au début, ils tétèrent tous les trois leur bière en silence, puis la conversation trouva son rythme. Ils parlèrent de la météo, des résultats des matchs et du décolleté émouvant d’une barmaid de la brasserie. Autant de sujets qui semblaient avoir été inventés, ce soir-là, tout spécialement pour eux, tous spécialement pour que les gens comme eux puissent parler de quelque chose.» (p.251)
L’impression de me retrouver dans un texte de John Steinbeck.

L’art de dire

Bien sûr, les résidents d’Arvida chercheront à démêler le vrai du faux. J’ai croisé deux ou trois lecteurs qui s’amusaient à ce jeu. Pas nécessaire pourtant d’avoir parcouru les rues et les parcs de cette ville pour apprécier le roman d’Archibald. L’auteur évoque des histoires qui se répètent lors de ces rencontres familiales où le ton monte après un verre ou deux. Tout cela avec une écriture sentie et belle de vigueur. Un savant mélange qui couvre toute une époque et la transcende.
Samuel Archibald sera certainement un sérieux candidat aux prix littéraires du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’an prochain. Vraiment une belle découverte et un écrivain plein de ressources. Un premier roman remarquable.

«Arvida» de Samuel Archibald est paru aux Éditions du Quartanier.
http://www.lequartanier.com/auteurs/archibald.htm

lundi 17 octobre 2011

Pierre Gobeil atteint un sommet

Peter a dix ans et fonce vers la catastrophe. Plus rien ne va à l’école. Les diagnostics tombent comme des couperets.
«Mon fils de Port-au-Prince. Diagnostiqué dyslexique et dysorthographique avec déficit d’attention dès sa maternelle, il a toujours des difficultés à suivre un programme scolaire et, parti comme ça, il devra sûrement reprendre sa cinquième année.» (p.22)
Pierre Gobeil, l’écrivain que l’on connaît, et son fils s’exilent aux États-Unis, vers Hyannis. Pendant l’hiver, ils vont tenter de reprendre le temps perdu. Les parents se sentent un peu coupable devant ce gâchis scolaire. Que faire? Comment s’y prendre pour que le garçon retrouve sa place dans la société des études?
«Non, à nos yeux, ce ne sont pas l’absence de performances scolaires ou la perte d’un diplôme qui importe, mais le fait que, dans le cas de Peter, il est maintenant malheureux. Pas très malheureux ou encore pas malheureux comme peut l’être quelqu’un qui perd tout espoir, mais assez conscient de ce qui se passe pour nous sembler chaque jour un peu plus triste que la veille et, qu’à seulement dix ans, ça lui arrive de broyer du noir comme ça arrive le jour où l’on commence à réaliser que la vie ne nous apportera jamais tout ce qu’on veut sur un plateau.» (p.23)
De quoi ressasser bien des idées.

Séjour

Ils louent une grande maison où ils vivront à trois. Ils ont apporté Nouky, une petite chienne, un jeune animal qui ne pense qu’à faire la vie difficile à ses maîtres. Tout est calme pendant cette période de l’année. La plupart des résidents sont partis pour le Sud. Les traversiers font la navette entre Martha’s Vineyard et Nantucket. Je connais bien le secteur pour y avoir passé des jours. Des navires réguliers comme les aiguilles d’une horloge.
Français, mathématiques et géographie. Il faut secouer ces matières dont Peter se détache de plus en plus.
«On révise le programme officiel. En tout cas, on se dit qu’on va réviser tout ce qui a déjà été vu en classe, mais je ne suis pas long à me rendre compte qu’on part de très loin et c’est une absence quasi totale de connaissance qui me saute aux yeux lorsque je tente d’élaborer avec mon fils une feuille de route pour les mois à venir.» (p.25)
À peine si le fils peut lire et compter. Il faut tout reprendre, répéter et expliquer. Il l’a suivi pendant des années pourtant. De quoi se questionner sur la société, l’école et tout ce que l’on exige des enfants de maintenant. Impossible non plus de ne pas se retourner pour comprendre l’enfant que l’écrivain était au même âge.
Avant et maintenant. Gobeil note dans son carnet, ne sait où il va avec son texte. Tout se déglingue dans cet hiver de bord de mer, de pluie et de nuages.
C’était mieux ou c’était pire avant. Le père tente de faire progresser le fils qui est de plus en plus «scotché» au téléviseur. Petit à petit, on en apprend un peu sur ce qu’est la littérature pour Gobeil, les sources de certains romans importants, surtout «La mort de Marlon Brando» et «Dessins et cartes du territoire». Et il y a l’histoire de Richard Ford, «Independance» qui le hante. La littérature se profile dans le récit. Le journal de Jean-Pierre Guay que Gobeil apprécie plus que tout.

Progrès
Le moindre progrès devient un exploit. Peter suit des cours de musique, se sent de plus en plus seul dans ce monde en attente. Et les parents de l’auteur vont de plus en plus mal dans ce Saguenay mythique. Le père surtout. L’âge. La vieillesse. Des réflexions sur la vie, la mort, la paternité, l’école, la société, l’écriture parsèment le carnet.
Tout est si fragile. Tout vacille. Si toute société était en déficit d’attention. Si tout était en train de s’effriter. Si on tentait d’en faire trop avec ces enfants.
Rarement Pierre Gobeil n’a atteint une telle émotion dans ses écrits. Avec l’art qu’on lui connaît de s’attarder aux glissements des saisons, des nuages, du temps qui passe et emporte tout, il fascine. Des pages senties et émouvantes. Un récit touchant et juste, vrai, discret aussi. On comprend. Le sujet est délicat. Une magnifique réussite.

«L’hiver à Cape Cod» de Pierre Gobeil est paru aux Éditions du Septentrion.

lundi 10 octobre 2011

Pascal Millet découvre le Québec

Pascal Millet nous emporte dans une lente et douce dérive dans «Québec aller simple». Un désir irrésistible de s’arracher à la monotonie, d’échapper à toutes les balises pour changer sa vie, la transformer et être un autre marque ce roman. Comment ne pas songer à Jack Kerouac... À Jack London aussi pour qui la nature est une présence qui pousse l’humain au dépassement. L’écrivain raconte peut-être aussi son arrivée dans le pays du Québec puisqu’il est Français d’origine. Bien sûr, le lecteur n’hésite jamais à le suivre.
Mal dans sa peau, Manu étouffe dans sa société. Incapable d’imaginer son avenir dans un tel contexte, il fuit, voyage, vit au jour le jour. Sans trop savoir où il pourra dormir, il se laisse bousculer par les rencontres et le hasard. Il y a d’abord les États-Unis qui fascinent tous les Français et Montréal où il croise un jeune homme qui pense faire le tour du monde en voilier, mais qui ne partira jamais. Une rencontre marquante. Il apprendra plus tard, que ce garçon s’est suicidé. Est-ce ce qui arrive à ceux qui tournent le dos à ses rêves?
Manu se retrouve à l’auberge de jeunesse de Tadoussac où des marginaux hibernent pendant l’hiver. Tous attendent les jours chauds en échafaudant des projets. Ce sont des déracinés qui s’étourdissent à la moindre occasion, vivent l’instant sans trop poser de questions. Une rencontre, un sourire et peut-être que l’avenir s’avance dans le lointain.

Nature

Manu est fasciné par ce pays de démesure, de froid et de glace qui recouvre la baie de Tadoussac. Il découvre les excursions avec les chiens, y trouve un apaisement, une forme d’engourdissement peut-être.
Quand il doit retourner en France (question de visa), il retombe dans les mêmes ornières. Il se heurte à son père qui devient l’image de ce qu’il sera dans quelques années s’il se laisse happer par le quotidien et l’amour. La femme devient un piège qui castre l’homme en le sédentarisant. Il retrouve Françoise qu’il a croisée à Tadoussac, séjourne en Bretagne, mais comprend vite que cet amour est impossible. Pourquoi pas l’armée! Un an à n’être personne, à n’être nulle part.
Il rencontre une artiste-peintre à sa libération, travaille dans une banque, au service des archives pour survivre. Le quotidien, malgré l’amour, malgré l’exultation des corps le rattrape. Manu n’arrive pas à chasser son mal à l’âme. Il doit se remettre en mouvement pour être pleinement vivant.

Tadoussac

À Tadoussac, plusieurs sont partis, d’autres occupent les petites chambres de l’auberge. Les projets d’André, le patron de la maison de jeunesse, happent tout le monde. Un bistrot, le ski dans les dunes de sable. Manu vit au jour le jour, travaille pour gagner sa bouffe et avoir une place pour dormir. Des filles arrivent et repartent. Il pourrait y avoir là une façon de secouer la grisaille mais le mal existentiel s’incruste. Toujours. Il revit quand il s’égare sur les routes, prend des photos. Son rêve de devenir reporter de guerre peut-être, d’être là où ça compte, où ça se passe s’éloigne un peu plus à chaque jour.
Manu sait que sa vie va dans toutes le directions et qu’il n’arrive pas à trouver une passion qui le pousse hors de soi. Il se sent comme le vieux bateau qu’ils ont radoubé et qui a fini par couler près du quai.
Il y a surtout cette plongée dans le petit monde de Tadoussac. C’est senti, vécu, vibrant. Un portrait saisissant de cette communauté qui respire à peine en hiver et qui s’éclate quand vient les premiers rayons du soleil. Une description minutieuse de plusieurs marginaux qui vivent sans trop regarder autour d’eux. Souvent émouvant et touchant.
Toujours juste, beau et bien senti. Manu devra reprendre la route parce que l’utopie, on le sait, attend au prochain détour, au creux d’une colline. Ce qui importe, c’est le mouvement, l’élan, l’espoir qui change tout. Peut-être qu’il n’y a que le nomadisme pour garder l’être en éveil. On peut le croire à lire ce beau roman de Pascal Millet.

«Québec aller simple» de Pascal Millet est paru aux Éditions XYZ.

lundi 3 octobre 2011

Jean-Paul Daoust évoque un monde pathétique

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust entraîne le lecteur dans un lieu où des originaux, des parvenus et des riches en mettent plein la vue. L’établissement est situé au nord du Michigan, dans un endroit de villégiature.
Le Neveu flirte avec l’adolescence et passe ses étés chez son oncle et sa tante. Un endroit où aucune personne censée n’aurait idée de garder un enfant. Tous boivent comme des éponges. L’Oncle navigue entre deux eaux et la Tante dirige l’établissement d’une main ferme. Elle cajole le Neveu, se confie, le dorlote peut-être parce qu’elle n’a pu avoir d’enfant. Il rend service, avale les verres que les barmaids lui refilent et pousse la chansonnette quand l’alcool lui fait oublier sa timidité. Il sert aux tables, est fasciné par ces femmes éblouissantes qui cherchent à échapper à la grisaille de leur vie. Il devient le regard qui guide le lecteur
«Lena a appris le piano par elle-même dans sa roulote où elle s’ennuyait. Elle arbore des tenues flamboyantes ornées de bijoux extravagants. Son répertoire comporte un catalogue de chansons américaines des années vingt aux années cinquante. Elle ressemble en fait à Sophie Tucker, celle qui revient de temps à autre comme un fantôme pailleté le dimanche soir au Ed Sullivan Show. Lena s’amène toujours avec une immense coupe qui a l’air d’un bocal à poissons rouges, dans laquelle le Neveu verse une shot de whishy offerte par les clients qui ont des demandes spéciales.» (p.19)

Défilé

Les réguliers et les régulières, les vacanciers, les militaires qui débarquent une semaine par année se retrouvent. On flirte, on se triche, on se réconcilie, s’oublie et on recommence le lendemain. Le Neveu voit tout, s’amuse avec sa tante, une véritable complice.
«Parfois, quand ils ont trop bu, ce qui est habituellement le cas, le Neveu et la Tante rient comme des fous dans l’escalier qui mène à l’appartement, s’obligeant à faire des haltes, en s’assoyant sur une des marches pour reprendre leur souffle. Après, ils vont chez Tony ‘s Pizzeria. Parfois, aussi, ils échappent un tiroir-caisse qui dévale l’escalier dans une pluie de dollars, de petite monnaie et de papiers annotés.»(p.26)
Que d’efforts pour nier une société en mutation. Les jeunes se laissent pousser les cheveux, portent des tenues colorées et les Noirs se révoltent dans les grandes villes. Ils veulent être des êtres humains. Tout simplement. Au «Sand bar» rien ne change pourtant. La vie est une chansonnette, une danse et un grand rire dévastateur.

Hors du temps

Seules les colères de la Tante brisent la monotonie. Le temps passe, le corps n’est plus aussi fiable, les rides se font un chemin. L’angoisse est palpable sous les maquillages, les tenues fantaisistes et les blagues usées. Tout pour ne pas penser, pour éloigner la dure réalité de la vieillesse qui s’avance à grands pas.
«En temps normal, Édith est une femme fière, mais ce soir c’est la catastrophe. Le Neveu a beau lui nettoyer les joues en la cajolant, son visage reste décomposé, l’âge la tatouant d’un masque féroce et indélébile. Tout le monde peut voir de quoi elle aura définitivement l’air quand elle sera vieille, et c’est assez effrayant. L’Oncle offre d’aller la reconduire. No way! Riposte d’un ton sec la Tante, qui les soupçonne d’entretenir une liaison. Pour lui changer les idées, le Neveu l’invite à danser. Il la porte quasiment jusqu’à la piste de danse où, par exprès, Pete entonne Let’s twist again like we did last summer. Alors ce qui devait arriver arriva, car en faisant toutes sortes de sparages, elle se ramasse sur le cul.» (p.39)
S’étourdir jusqu’à en perdre la raison, pour oublier les malheurs et les échecs du quotidien. Tous nagent dans la fumée des cigarettes pour se faire croire que l’éternité existe peut-être, que rien ne change, que rien ne changera jamais.
Un monde inquiétant malgré les vêtements seyants, la musique surannée qui emporte tout le monde. Un milieu qui s’accroche désespérément à une jeunesse qui s’éloigne de plus en plus. Jean-Paul Daoust a l’art du détail, de la description et il nous plonge dans un monde qui fait songer à Fellini. Pathétique.

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust est paru aux Éditions Lévesque Éditeur.

lundi 26 septembre 2011

Bertrand Laverdure bouscule les conventions

Intriguant que «Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure. Il faut quelques pages pour comprendre l’univers dans lequel l’écrivain nous entraîne. Que dire d’un personnage qui se fait grignoter une jambe par un écureuil dans un parc, se déplace d’un continent à l’autre comme ça, en claquant des doigts.
Et puis l’auteur nous ouvre une porte. Son héros est vraiment un être de fiction avec tout ce que cela comporte. Le lecteur se retrouve dans un monde où le réel et l’imaginaire se bousculent. Une fois que l’on comprend cela, tout nous parle et nous fait accepter  les situations les plus étranges.
Imaginons un récit multiplié à des milliers d’exemplaires. Ce texte connaît toutes les sévices et les aventures. Certaines copies seront enfermées dans des bibliothèques et d’autres seront déchirées, laissées un peu partout et en proie à toutes les humeurs du temps.
«Le malentendu plane. Le personnage au corps bleu perd connaissance et tombe sur les pavés. L’enfumé continue à battre l’air autour de lui. Il pagaie avec ses bras, comme s’il tentait de se sortir d’un tunnel asphyxiant durant un grave incendie. Lorsqu’il se rend à l’évidence qu’un seul de ses bras répond, il est sur le point de paniquer, mais préfère, lui aussi, perdre connaissance. Un nouveau manchot s’ajoute à notre histoire. Qui plus est, lui aussi a perdu son bras droit.» (p.46)

Quête

En fait, c’est un peu plus compliqué. Imaginons un personnage de roman égaré dans le monde. Il cherche peut-être sa fiction et risque de se défaire au moindre incident. Plus, une foule de personnages comme lui circulent partout, abandonnés à eux-mêmes et à leurs fantasmes. Les schtroumpfs farceurs se multiplient et répètent des gags usés, incapables de s’arrêter.
Comble de malheur, on organise des visites pour touristes littéraires. Après tout le lecteur est un intrus qui met ses doigts partout dans un livre. Un visiteur qui trouve ce qu’il veut dans un roman et y interprète à sa manière ce que l’auteur a tenté de raconter. Ces curieux bousculent tout et changent l’ordre des choses.
«La police ne vient pas, parce que la police ne se déplace jamais pour emprisonner un personnage. Les personnages ont la belle vie et je ne m’en plains pas puisque je fais partie de leur ridicule aréopage. En y réfléchissant bien, j’ai tranquillement appris à devenir un personnage. C’est un apprentissage de chaque instant. Je ne l’étais pas au début de ce livre et je le suis devenu.» (p.53)
Le personnage est amputé, écrasé, emporté par les passants. Quand on est un être de fiction, on est bien fragile.
Une belle occasion pour Bertrand Laverdure de réfléchir à la nature du héros romanesque. La vie réelle et imaginée aussi. Tout peut arriver. Même basculer dans La déclaration des droits de l’Homme.

Inquiétude

Le plus inquiétant surgit quand le lecteur apprend que des y copyrights existent pour tout ou à peu près.
«Je vous explique : tout fonctionne par la pensée… …La pensée est maintenant bel et bien reconnue comme la meilleure interface qui soit. Implications directes, réactions directes, résultats directs. Nous avons réussi à mettre au point la véritable communication instantanée, sans tiers parti. Je prends le temps ici de vous relire le libellé de notre mission commerciale : «Le Bureau universel des copyrights (B.U.C.) compte servir toute personne ou compagnie cherchant à récupérer, identifier, réclamer, ajouter, inventer ou retirer une licence de copyrights autorisée. Le B.U.C. est régi par les règlements de la loi 1255 du Code des brevets temporaires et par le ministère international de tous les types de Propriétés existantes, soit les intellectuelles, les biologiques, les naturelles, les artificielles, les spéculatives, les biens meubles, les biens immeubles et même les imaginaires.» (pp.101-102)
Assez terrifiant!
Tout en s’amusant Bertrand Laverdure aborde des questions pertinentes. Sommes-nous des personnages ou de véritables humains qui agissent et se comportent librement? Le lecteur ne trouvera pas de réponses. Il devra surtout se situer par rapport à ce qu’il vit dans la réalité. Inquiétant pour ne pas dire angoissant.
Un roman surprenant.

«Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure est paru aux Éditions de La Peuplade. 

lundi 19 septembre 2011

Marjolaine Bouchard explore les contes

J’attendais «L’échappée des petites maisons» de Marjolaine Bouchard, son premier roman pour adulte, depuis un certain temps. Rappelons que cette écrivaine s’est fait surtout connaître par ses incursions dans la littérature jeunesse.
Un peu d’histoire. C’était en 2009. Madame Bouchard ne savait plus trop quoi faire de son histoire et elle s’est inscrite au Camp littéraire Félix où je donnais une formation. J’ai donc eu la chance de lire une première mouture de ce roman et de me questionner avec elle. Le plus difficile aura été de convaincre l’auteure de se remettre au travail, d’aller plus loin, de pousser son écriture. Après, ce fut un plaisir que de bousculer ce texte qui déroute au début; un bonheur de plonger dans un monde truffé de références aux contes qui ont terrifié mon enfance. Parce que le conte est cruel, sans pitié et c’est pour cela qu’il fascine et qu’on l’aime.
Tout était là. Il suffisait que l’auteure trouve un ton, un rythme, une musique qui l’emporterait.

Sujet

Une femme seule dans une maison au milieu de l’hiver. La campagne, le froid, le blanc partout. Elle ne se souvient de rien ou presque. Sa fille est partie pour quelques semaines. Elle a laissé un étrange message, des dessins parce qu’elle n’aime pas les mots de l’écriture. Une douleur terrible lui vrille les entrailles à chacun de ses mouvements. Qui est-elle? Qu’est-ce qui lui arrive?
Un lutin se cache-t-il vraiment dans une fente du plancher de la chambre du haut? Elle s’accroche à cette fable pour exorciser le mal peut-être, dissiper le brouillard qui flotte dans sa tête. Une sorte de décompte nous pousse vers la véritable intrigue, celle que sa fille Moïra prendra plaisir à nous livrer.
Cette dernière est à l’hôpital, une jambe fracturée. Un bête accident. Des voisins ont retrouvé la mère dans un état lamentable. La police enquête. Un inspecteur interroge la jeune femme.
Le lecteur découvre le quotidien de la fille et de la mère. Elles vivaient en totale fusion, en marge de la société. Une vie de travail où les moindres corvées devenaient des contes et des légendes. L’enfant a grandi dans un univers où il y avait des fées, des princes changés en grenouilles, des lutins qui se faufilaient entre les planchers. Un monde magique où un arbre les protégeait des catastrophes.

Hommes

Trois hommes ont eu des contacts avec les deux recluses et sont disparus sans laisser de traces. L’enquêteur cherche à savoir. Moïra multiplie les détours, invente des détails, étire son histoire, devient une Shéhérazade qui tente par la magie des mots et des images de retarder le moment où la réalité claquera comme un coup de fouet.
Elle a beau inventer des chemins de traverse, charmer le policier, la jeune femme finit par aborder le sujet litigieux. Les amoureux de sa mère sont disparus quand Moïra a prononcé une certaine formule.
«J’ai compris qu’il me faudrait prononcer mon souhait avec plus de ferveur et de rimes… et peut-être donner un coup de pouce au destin. «Faites que Maurice Taché-Soucy, faux magicien et menteur, ne remette plus jamais les pieds dans notre demeure. Et puisqu’il est incapable de véritable amour, que le fil qui relie sa vie à la nôtre soit rompu pour toujours.»» (p.129)

Quelques phrases et les hommes se sont évanouis. Vérité ou mensonge? Qu’est-ce qui s’est passé? Moïra parvient à envoûter le policier avec ses histoires. C’est ce qui importe. Ils vivront heureux et auront beaucoup d’enfants.
Entre le conte et le roman, «L’échappée des petites maisons» est une immersion dans un monde enchanté. Tout y est! L’imagination, la manière de transformer la réalité et de l’habiter. La cruauté aussi.
Marjolaine Bouchard fait appel à de nombreux personnages, particulièrement à «Rumpelstiltskin» des frères Grimm qui devient la clef de voute du roman.
Quand Moïra raconte, la magie opère. Il faut seulement oublier ses balises et se laisser emporter par le talent de Madame Bouchard. Un premier roman pour adulte bellement réussi et je suis particulièrement fier d’avoir pu l’accompagner. A vous! Laissez vous raconter la plus terrible des histoires par l’enjôleuse Moïra Comté.

«L’échappée des petites maisons» de Marjolaine Bouchard est paru aux Éditions de la Grenouillère.