LES HUIT NOUVELLES de Préparation au combat de Mattia Scarpulla nous poussent dans
l’univers de nomades, de ceux et celles qui ont quitté l’Italie pour vivre un
moment à Montréal ou à Québec. Des jeunes qui veulent changer de peau ou viennent pour
une autre vie au Québec tout en ayant l’œil sur le pays d’origine. Des garçons
et des filles entre deux langues, deux territoires, un peu perdus, qui pensent
repartir, se replient sur eux pour le meilleur et le pire.
Certains retourneront dans la ville des commencements après leur escapade et rêveront
encore d’exil. Comme si le goût de la migration faisait partie de leur génétique
dorénavant et qu’ils ne trouveront la paix nulle part. Le mythe du Nouveau Monde
n’est pas mort. Tous le recherchent d’une façon ou d’une autre.
Ces textes nous entraînent dans une réalité peu connue, du
moins que je n’ai pas souvent croisé dans mes expéditions de lecture même si je
m’efforce, le plus souvent possible, d’emprunter des sentiers peu fréquentés.
Des jeunes d’origine italienne se retrouvent au Québec, particulièrement dans
la Vieille Capitale, boivent, se défoncent et deviennent une sorte de société
hermétique. Ils parlent d’un retour au pays, d’une ville sans pour autant monter
dans l’avion. L’entre-deux les avale, ce non-espace où toutes les règles s’effritent.
Tous basculent et on ne sait où ces personnages, comme des électrons libres, peuvent
se retrouver. J’ai eu du mal à m’accrocher à ces garçons et ces filles qui
perdent peu à peu contact avec le quotidien, se noient dans leurs excès. Des déracinés,
des indécis dans leur sexualité, des amours qui les entraînent dans des
culbutes de l’esprit et du corps. C’est bouleversant. Les comportements de ces
jeunes qui flirtent avec la mort m’ont
fait souvent frissonner et hésiter. Comme si c’était possible, de s’abandonner
dans cette poussée hors de soi où se confronte le plaisir et la souffrance.
L’inquiétude vit en Éric, brûle et se mêle à la rage. Non. Je
ne veux pas avoir peur. Éric ferme les yeux. La langue de Barbara
recommence son voyage, explore les joues imberbes d’Éric, traverse ses lèvres,
lutte contre les dents serrées, atteint sa langue. Éric cède à la douceur, puis
embrasse violemment chaque parcelle de son merveilleux visage recouvert d’eau.
(p.33)
Des ébats sexuels, je l’ai dit, des colères, des ruptures, des
dépendances affectives, beaucoup d’alcool surtout pour s’étourdir. Tous perdent
peu à peu contact avec leur réalité, se heurtent, se blessent et se retrouvent
comme des corps qui ne peuvent échapper à l’attraction terrestre.
AVENTURE
Voilà une expérience de lecture assez singulière et difficile. Mattia
Scarpulla utilise la répétition à outrance, scande les prénoms de ses
personnages qui retentissent comme des gongs et nous entraîne dans les situations
les plus folles et les plus irraisonnées. Une musique qui hypnotise. Les
contacts entre ces garçons et ces filles (je ne sais pas si on peut parler
vraiment d’amour) deviennent des confrontations qui justifient le titre qui
coiffe l’ensemble du recueil. Un affrontement.
L’écrivain suit une spirale qui donne un peu de cohésion à ces
textes où les jeunes circulent dans des fêtes particulièrement arrosées. Ils perdent souvent
tout contrôle, planent dans une dimension où tout prend un autre sens. Ils
combattent l’envie de vomir, comme s’ils cherchaient à sortir d’eux pour
oublier leur dégoût. Et nous voilà au milieu de corps en mouvement, de planètes
à la dérive. Comment s’accrocher aux fantasmes de ces explorateurs qui s’enfoncent
dans une forme d’inconscience. Comment dire ? Nous sommes dans un espace où l’identité
devient éphémère et où les pulsions dictent tout.
Depuis son arrivée à Sillery, elle a échappé au regard de sa
famille. Elle a pu choisir ses musiques, ses livres et ses amours. Elle a
découvert qu’elle pouvait commander. Sa Gênes et son Éric, pendant deux mois,
ont fait ce qu’elle voulait. Elle leur a enseigné le sexe, la cigarette, la
beuverie. Ici, au Québec, elle a découvert un pouvoir d’action qu’elle espère utiliser
à son retour à Venise. (p.48)
La liberté de tous les excès, les trahisons, les corps comme
des territoires que l’on s’approprie. La tête en Italie ou ailleurs, l’esprit en
transit dans une gare où toutes les directions sont là.
LECTURE
J’ai eu l’impression de lire une même nouvelle où les personnages
sont interchangeables. Peut-être est-ce le cas quand on s’abandonne aux diktats
de tous les sens et que l’on cherche à voir jusqu’où on peut aller dans la
consommation d’alcool et de substances illicites. L’apprentissage de tous les
dérèglements est exigeant et rares sont ceux qui réussissent ce parcours en demeurant
indemnes.
L’écrivain suit quelques figures, mais c’est la fête qui
retient son attention, les nuits folles, un milieu qu’il décrit avec une
précision étrange. Des petites touches d’abord pour finir par occuper un
tableau impressionniste où les personnages glissent les uns dans les autres pour
se confondre. Nous sommes dans une toile de Jérome Bosch où les corps bougent, s’égarent
malgré les grandes scènes de vie évoquées. Chacun se replie sur soi, bascule
dans une solitude terrible.
AVENTURE
L’écriture de Scapulla étourdit et cette spirale, ce typhon je
dirais ne peut que repousser bien des curieux. Les personnages se défont dans
des chapelets de gestes, une sorte de transe où les identités se confondent. Le
je ou le soi en prend pour son rhume.
Tous deviennent malgré eux de terribles prédateurs ou des
victimes plus ou moins consentantes. Surtout les femmes qui se servent et qui
s’éloignent quand elles ont obtenu une forme de plaisir ou qu’elles ont testé
leur pouvoir de séduction.
Je nous regarde. Nous formons un cercle, des corps impatients entre
la quarantaine et la cinquantaine. Nous avons besoin de nous remplir d’alcool
et de nous blottir contre une chair inconnue. Nous avons besoin aussi
d’étonnements et de découvertes. Si mon mari et mes enfants me voyaient. Je
suis devenue une autre, cela me fait du bien. (p.111)
C’est ce qui se produit quand on oublie les balises pour se laisser aller aux élans et aux pulsions du corps. Tout
bascule et dans le cas de cette nouvelle, une femme très sérieuse et respectée
dans son milieu se retrouve dans un colloque qui devient un prétexte. Elle secoue des instincts qu’elle refoule dans son quotidien. Comme si convoquer le
diable qui sommeille en nous était une entreprise nécessaire et libératrice.
Un portrait de société assez déprimant. Difficile ! Je n’ai pas
rencontré de personnages qui m’auraient permis de les accompagner un certain
temps pour me faufiler dans le texte. Est-ce dû à la phrase distante, haletante
et totalement neutre même quand il emprunte la voie du je. Scarpulla n’hésite pas à se tourner vers le fantastique avec des
enfants qui disparaissent pour se regrouper et attaquer les adultes, les
responsables du chaos. Parce qu’ils en ont assez du monde qu’on leur impose, de
cet univers pourri de l’intérieur.
Reste que cet écrivain nous entraîne dans un milieu étrange et
décrit des gens qui cherchent, pensent se libérer dans la danse des corps, mais
qui n’arrivent qu’à se faire mal. Comme si l’ailleurs, la mise en retrait de
son quotidien donnaient la permission de tout oser et de tout expérimenter.
Tous ainsi échappent aux règles pour se livrer à des gestes qu’ils seraient les
premiers à condamner dans leur vie professionnelle et familiale. Je n'ai pu que songer à ces hommes et ces femmes qui vont en vacances à l'étranger pour se permettre tout ce qui est interdit dans leur vie de tous les jours. Ça fait réfléchir.
PRÉPARATION AU COMBAT de MATTIA SCARPULLA vient de paraître aux
ÉDITIONS HASHTAG, 2019, 168 pages, 20,00 $.
http://www.editionshashtag.com/livres_194