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lundi 22 octobre 2012

Guy Lalancette n’a pas réussi à m’accrocher


J’ai lu et relu «Les yeux du père», «Un amour empoulaillé» et «La conscience d’Éliah» de Guy Lalancette à plusieurs reprises. Des livres qui nous plongent dans une autre dimension tout en gardant un lien avec le réel. Comme les cerfs-volants qui donnent l’impression de flotter dans les nuages tout en étant fermement retenus au sol.

L’écrivain m’a un peu désarçonné avec «L’épivardé». Paris Dumauriac, frère de Lisbonne, enfant d’une mère marin et de père de passage, rêve de devenir un écrivain populaire. Il lui faut un gros livre pour envahir les librairies et prendre les médias d’assaut.
«Pour bien faire, ça prendrait 400 pages comme Mary Higgins Clark. Comme ses romans, je veux dire. Ou 400 pages au pays magique d’une chevalerie désuète, ou chez les fantômes, ou chez les loups-garous et les vampires à la mode. Le tout avec le moins de littérature possible. De l’efficace et de l’artifice, des romans, des vrais, avec des suites qui n’en finissent plus. Tout cela qui m’est interdit, une allergie que je n’ai souhaitée, une infirmité d’auteur qu’il me faudrait vaincre si je veux atteindre la gloire et la richesse.» (p.19)
Il croit qu’en ayant un passé sulfureux, il deviendra une vedette recherchée et courtisée. L’écrivain se moque des émissions où la vie de l’invité est plus croustillante que l’œuvre.
Avec l’aide de ses amis, il s’invente une biographie sulfureuse, un amour incestueux avec Lisbonne, un enfant vendu à une barmaid pour quelques cafés et des repas. Il suffit de lancer la légende urbaine pour que l’argent et la célébrité viennent se prosterner à vos pieds.

Complications

Guy Lalancette ne peut se satisfaire de cette trame. Une jeune femme frappe à la porte de Paris. Il est subjugué par cette étrangère qui jongle avec de drôles de questions pour un recensement. C’est le début d’une aventure parallèle. Paris se retrouve en prison pour séquestration, entrave à la justice et faux témoignage. Il se confesse à ses avocats et aux enquêteurs, raconte à plusieurs reprises ses amours de jeunesse avec Lily Godin. Un amour passionnel avec «L’amant de Lady Chatterly» en surimpression. Le livre dans le livre. Lalancette multiplie les confidences, les personnages, tant et si bien qu’on finit par manquer un peu d’oxygène.
«Deux autres policiers, que je ne connaissais pas, ont suivi. Pendant que le matricule 617 — un moustachu de glace sculpté à froid — me passait les menottes, l’agent Bonneau, en raison des indices convaincants récoltés le mercredi 20 octobre, m’a accusé de l’enlèvement de la dénommée Noëlla Janvier et menacé d’enregistrer mes paroles si je ne gardais pas le silence. Il m’a offert un avocat de la cour par la formule usuelle, au cas où je serais sans protection aucune, étant donné l’évidente indigence de ma condition. Quand on est dans la condition humaine jusqu'au cou, on a des droits de la personne.» (p.143)
Cette Noëlla Janvier prend plusieurs identités et finira par être simplement France, la fille abandonnée de Lily Godin et Paris.
Distance

Pour tout dire, je ne me suis jamais senti interpellé par «L’épivardé». L’impression de surveiller un contorsionniste du Cirque du Soleil qui multiplie les virevoltes ne m’a jamais quitté. Comme si Guy Lalancette s’amusait à faire du Guy Lalancette. Avec les enquêteurs, rien à voir avec le matricule 728, je me suis un peu égaré dans une histoire qui tourne en rond en régurgitant ses mots.
J’ai éprouvé un certain plaisir par moments, souriant devant des facéties, m’amusant devant des descriptions étonnantes. L’auteur n’a pas son pareil pour faire voir autrement les scènes d’amour et les jeux érotiques. Peut-être que je n’ai pas vraiment embarqué à cause du personnage. Paris est un cynique convaincu et détestable. Il manque à ce texte la gravité qui hante ses autres ouvrages. Le narrateur, avec toutes les entourloupettes, éloigne malgré une blessure d’enfance qui le fait claudiquer. Souvent, j’aurais préféré suivre Lisbonne, sa sœur qui reste dans l’ombre malheureusement.
J’ai flotté sur le roman de Guy Lancette. L’écrivain est un prestidigitateur habile qui en met plein la vue. Il aime les jeux de mots, les allitérations, les images fortes, les revirements et il ne se prive pas. Il exagère même. Le vase déborde à plusieurs reprises. C’est peut-être ce qui manque. Un ancrage qui permettait de croire aux personnages comme dans «La conscience d’Éliah» ou «Un amour empoulaillé». Malheureusement, avec «L’épivardé», je n’ai jamais pu adhérer à ce récit protéiforme.

«L’épivardé» de Guy Lalancette est paru aux Éditions de l’Hexagone.

lundi 15 octobre 2012

Marie-Paule Villeneuve étonne encore une fois


Marie-Paule Villeneuve ne cesse d’explorer le monde du travail et les grandes questions sociales qui secouent notre société. L’exploitation, les luttes syndicales, les grandes manœuvres des capitalistes sont au menu de cette écrivaine. Je signale en particulier «L’Enfant cigarier» et «Les demoiselles aux allumettes» qui plongent le lecteur dans des univers que peu d’écrivains osent visiter.

Avec «Salut mon oncle», madame Villeneuve surprend par son humour caustique et son regard sans complaisance sur le monde contemporain.
Edgar, célibataire par conviction, ancré dans ses habitudes et ses manies, vit au milieu des orchidées et se gave des cotes de la bourse et de biscuits au chocolat. Il spécule, contribue à faire dérailler le système économique, semble-t-il. Un parasite qui ne crée aucune richesse, mais gonfle son bas de laine.
L’arrivée de son neveu change tout. Le garçon a vécu une peine d’amour, sombré dans la drogue au Saguenay et veut refaire sa vie après une cure de désintoxication.

Ménage

Edgar doit faire le ménage de son appartement pour accueillir ce jeune indésirable et secouer sa vie et ses manies. Véritable capharnaüm, il n’y arrivera pas et l’ours décide de faire appel à des «techniciennes sanitaires». Ces femmes vivent d’aide sociale et arrondissent leur fin de mois en travaillant au noir.
«De simple, calme et facile, la vie d’Edgar était devenue compliquée, bousculée et préoccupante en l’espace de quelques heures. Il n’aurait pas dû, non, il n’aurait pas dû dire oui. Mais il fallait quand même le faire, le maudit ménage.» (p.21)
Tout se précipite. La vie à deux et la bourse qui semble prise de vertige. Notre spéculateur voit son magot fondre à vue d’oeil. Il se résout à travailler comme spécialiste en placements après avoir «arrangé un peu beaucoup» son curriculum vitae. Le neveu entre à l’Université de Montréal, travaille dans un restaurant, aime la cuisine et les hommes. Un neveu homosexuel et un irascible macho. Beau couple!
La vie quotidienne donne lieu à des scènes cocasses quand elles ne sont pas hilarantes.
«Le lendemain, le réveil fut brutal pour Nicolas, encore dopé au Seroquel, le médicament qui devait chasser l’effet du cystal meth. La tête lourde, il reprit ses esprits en laissant couleur longtemps sur lui une eau fraîche, libératrice. Il garda un silence de moine devant son oncle muet, qui attendait devant la porte de la salle de bain, visiblement contrarié par sa présence.
— Je croyais que c’était un voleur, marmonna Edgar, peu habitué à partager ses matins.» (p.24)
 Un début de socialisation pour le tripoteur de chiffres, un dépaysement pour le jeune garçon protégé par sa mère. J’ai rigolé à m’en décrocher les mâchoires quand Edgar décide de secouer son corps en faisant du jogging et qu’il affronte le propriétaire d’une BMW. À se tordre!
Quête

L’oncle s’adoucit et même s’il ne l’avouera jamais, apprécie la présence de Nicolas, ce jeune homme délicat et plein d’attention. Le fils peut-être qu’il n’a jamais eu. Le neveu apprivoise le loup en lui préparant des plats. Un grincheux au ventre plein est déjà beaucoup moins irritable.
Un roman plein de tendresse, de bonheur malgré le ton ironique et sarcastique de Marie-Paule Villeneuve. Oui, je me suis amusé et l’écrivaine n’a pas son pareil pour décrire les travers des hommes et des femmes, leurs obsessions, leurs manies et leurs frustrations. Leur appétit pour le bonheur aussi.
Un roman plein d’humour, de situations rocambolesques parfois, de personnages sympathiques qui ont du mal à se faire une place dans un monde contemporain où les gadgets pullulent, où chacun ne pense qu’à soi.
Edgar est un tendre qui adore les orchidées, la musique et la lecture. Il ne lui en faut pas plus pour être heureux. Si, des profits à la bourse et la présence d’une femme. Il se laisse prendre aux jeux de l’amour avec Margo sans que le hasard se manifeste. Quant à Nicolas, il réussira à s’inventer une nouvelle famille.
Un roman sain, plein de rebondissements. J’ai eu un plaisir fou à lire Marie-Paule Villeneuve qui traite de graves questions en s’amusant. Une belle manière de pointer la violence faite aux femmes, l’exploitation des travailleurs affectés au débroussaillage, les intrigues et les luttes de pouvoir dans un milieu de travail, l’itinérance et la discrimination. Une écriture drôlement efficace.

«Salut mon oncle» de Marie-Paule Villeneuve est paru aux Éditions Triptyque.

lundi 8 octobre 2012

Nicole Houde retrouve le goût du bonheur


C’est nouveau chez Nicole Houde cet appétit pour le bonheur. Dans ses ouvrages précédents, les personnages sont presque toujours écrasés par le poids de l’hérédité, la folie, la maladie ou la violence. Pour une fois, l’espoir luit dans «Portraits d’anciennes jeunes filles». Tous refont surface et peuvent espérer des jours meilleurs. 

Madame Houde signe un treizième ouvrage en trente ans. Une belle régularité pour cette écrivaine qui n’a jamais choisi la facilité et qui démontre une constance admirable. Il faudrait peut-être parler d’un exorcisme pour cette auteure qui cherche à éloigner les démons pour se maintenir à la surface.
Ses héros confrontent des forces qui les broient, les soulèvent et les emportent souvent dans des «vies» qu’ils ne peuvent maîtriser.
Il reste la fuite, l’exil pour mettre une distance entre eux et cette fatalité qui germe dans le milieu familial et le village. C’est encore le cas dans «Portraits d’anciennes jeunes filles».
Josée fuit Saint-Fulgence où elle a été violée par un oncle. Sa sœur et son frère ont connu le même sort sans que les parents réagissent. Peut-être qu’ils ont préféré fermer les yeux sur ces horreurs.
«Pour l’instant, je n’appartiens pas encore à Montréal, je suis arrivée ce matin. Avec une tête d’automne, un sourire gris. Pendant deux mois, je vais être en visite, examiner du nouveau. Peut-être chanter quelque part. J’ai une jolie voix, j’ai apporté ma guitare. Peu de bagages, mais ma guitare, c’est un peu beaucoup mon cœur. Quand des couleurs me viennent à l’idée, je les dépose sur une toile ou, du bout des doigts, je pince les cordes de ma guitare.» (p.11)
La jeune fille fait la connaissance d’un homme étrange en arrivant à Montréal. Il marche la ville dans ses souliers pas lacés. Ses mèches de couleurs lui donnent une allure d’ancien hippie. Elle apprendra qu’il fuit une douleur terrible qui a broyé son existence.

Et Rose

Rose, une vieille dame, a pris Julien, c’est son nom, sous son aile. Ils constituent rapidement un improbable trio. Josée au début de la vingtaine, Julien dans la quarantaine et la vieille femme qui sent que son avenir se recroqueville.
«Une autre, au visage centenaire, s’approche de moi: «Vous êtes nouvelle dans le quartier?» Je lui souris: je suis une nouveauté, mais le quartier ne devrait pas avoir de misère à s’habituer à moi. Elle rit. Elle s’appelle Rose et réside dans le quartier depuis une éternité, ce qui ne m’étonne pas, il y a tellement de plis sur son visage.» (p.18)
Tous affrontent un ennemi intérieur. La «centenaire» n’arrive plus à se reconnaître certains jours. Julien est obsédé par la perte de sa fille, la scène où il l’a vu se faire renverser par une auto. Josée tourne le dos à sa famille, au village, aux gestes qui l’ont souillée, «défoncée».
«Depuis un peu plus d’un mois, nous sommes très proches l’une de l’autre, en demeurant toutefois des étrangères à bien des égards. Rose continue: «Ah! les souvenirs! Ce qui m’inquiète le plus, c’est maintenant. Je suis en train de me perdre. Dernièrement, Josée, c’est comme si on me découpait en morceaux. Je ne sens parfois que mes bras, juste ce petit bout de moi, puis, une autre fois, je ne sens que mes jambes, comme si le reste de mon corps n’existait plus. C’est terrible, ma petite fille!» (p.81)
Dotée d’une sensibilité peu commune, la jeune femme devine les êtres avec ses couleurs et ses pinceaux. Elle deviendra une intime de Julien, de Rose qui inquiète tout le monde et qui craint de ne plus être elle, d’être emportée par cette confusion qui l’habite.
L’amour, la tendresse, l’amitié les empêchent de sombrer.

Magie

Un roman porté par une langue à nulle autre pareille. L’écriture de Nicole Houde éclate comme les bourgeons dans un printemps de pommiers. C’est bon cette paix de l’âme et du corps après les atrocités.
Je me suis attardé dans les dernières pages, ayant du mal à abandonner Josée, Alexa, l’épouse revenue de Julien, Rose qui s’accroche à son amour de jeunesse. J’aurais voulu les accompagner encore, leur tenir la main peut-être pour faire un bout de chemin avec eux.
Un roman magique qui témoigne de la vie présente où les familles se constituent sans les liens du sang et les horreurs héréditaires. «Portraits d’anciennes jeunes filles» fait du bien. C’est rare. Il faut le lire lentement pour en savourer tous les bonheurs.

«Portraits d’anciennes jeunes filles» de Nicole Houde est paru aux Éditions de la Pleine lune.

lundi 1 octobre 2012

Alain Beaulieu : la vie est un boomerang


«Quelque part en Amérique» d'Alain Beaulieu nous emporte dans une société malade d’elle-même et de ses lubies.

Lonie et son jeune fils réalisent un rêve en se retrouvant aux États-Unis, là où tout est possible. Elle a quitté sa famille, ses amis et le Bélize pour se donner un nouveau destin. Elle suit ainsi les traces de sa cousine Liana qui a osé couper ses entraves pour vivre une vie différente. Du moins, c’est ce qu’elle croit. La réalité lui apportera bien des désillusions.
Elle se retrouve quelque part dans une petite ville du Sud et personne ne l’attend à la gare. Tout bascule. Seule avec son fils et quelques dollars, que va-t-elle devenir? Le destin frappe comme il ne peut le faire qu’au pays de Barack Obama.
Nick Delwigan, un policier, chapeau vissé sur la tête, mange dans le restaurant où elle se réfugie. Il décide d’agir. Cette femme, il le sait, va être avalée par un réseau de prostitution s’il ferme les yeux. Il sauvera la jeune mère et ce petit garçon curieux. Peut-être qu’il cherche à oublier sa lâcheté. Depuis un bon moment, il n’a rien fait pour contrer les proxénètes qui font la pluie et le beau temps dans sa ville.
Ils prennent la route, traversent presque le continent, changent de monde pour que les réfugiés soient à l’abri.

Prison

La jeune mère se retrouve dans une prison dorée où elle doit jouer à la servante. Bill, le mari de la sœur de Nick, est prédicateur. Il incarne pleinement le «rêve américain». Maison immense et voiture de luxe. Sa conscience à deux vitesses le sert bien. L’une pour ses fidèles et une autre pour sa vie privée. Il trompe sa femme tout à fait naturellement et se montre particulièrement raciste.
Maureen s’étiole dans ce nid douillet. Névrosée, dominée par son religieux de mari, elle fait face au vide de sa vie. Lonie et Ludo ravivent une grande frustration, celle de ne pas avoir eu d’enfant.

Fuite

Elle s’enfuit avec le jeune garçon. Ils vont d’une ville à l’autre, changent de noms, brouillent les pistes et finissent par se refaire une vie. Ludo, allias Koby, devient un adulte qui ignore tout de son passé. C’est peut-être aussi cela l’Amérique, la possibilité de devenir un autre, de se forger une existence en laissant son passé derrière soi. Devenir amnésique en quelque sorte. Ici, je ne peux que songer à Paul Auster où des personnages changent littéralement de peau.
Lonie épouse Nick. Le couple a des filles, mais la blessure ne se referme pas. Comment serait-ce possible? Le policier finit par retracer sa sœur et le fils kidnappé. Est-il possible d’effacer ce drame et tout recommencer?
Maureen a élevé Ludo seule et ce garçon est devenu le centre de sa vie. Comment organiser les retrouvailles avec la vraie mère sans bousculer le jeune homme? Une rencontre fait tout basculer. La voleuse d’enfants sera punie comme il se doit. Le bien triomphe en Amérique, du moins on aime le croire ou le laisser croire.
Monde

Alain Beaulieu nous emporte dans un récit polyphonique où chacun donne sa version des faits. Le lecteur noue les fils d’une histoire qui devient un véritable suspense. Je me suis laissé prendre par ces personnages qui ne sont jamais tout à fait mauvais ou bons. Une certaine zone d’ombre permet d’aimer ces hommes et ces femmes, de plonger dans un rêve qui se casse de toutes les manières. Maureen ne peut vivre sans faire face à ses gestes. Sa vie éclate un matin comme un miroir. Elle le prévoyait, elle l’a toujours su.
Beaulieu démontre que nul n’échappe à ses actes et qu’il est impossible de devenir un autre. Un jour ou l’autre, il faut assumer ses gestes et ses décisions. Tout revient vers soi pour le meilleur et le pire. La vie est un boomerang.
Une lente dérive dans une Amérique tourmentée qui vacille entre le rêve et l’utopie, la déception et le mythe.
Et Druide ne fait pas les choses à moitié. Cette nouvelle maison d’édition croit que le livre est un objet qui doit plaire. Comment être contre cela? Un début prometteur et une facture qui se démarque déjà.

«Quelque part en Amérique» d’Alain Beaulieu est paru chez Druide Éditeur.