L’intellectuel joue-t-il encore un rôle dans une société où l’économie dicte toutes les décisions? Yvon Rivard, dans «Une idée simple», lance la question.
«Mais si l’intellectuel (entendre : tous ceux qui pensent en écrivant, tous ceux qui vont aux choses par le détour des mots, des images et des chiffres) veut vraiment faire son métier qui consiste à découvrir le réel, s’il veut comprendre la complexité du monde, en mesurer l’opacité, épouser le malheur des mortels, il doit se rapprocher de ceux qui sont au fond du baril et du puits étoilé, tous ceux qui, étant exclus du monde par l’injustice, sont pour ainsi dire projetés au-delà, confrontés à l’infini des ténèbres qui les enserrent, condamnés, comme les malades, les pauvres et les agonisants, aux grandes questions dans lesquelles se rencontrent le métaphysique et l’éthique : comment et pourquoi se rendre jusqu’à demain?» (p.10)
Voilà des propos qui ont hanté les penseurs tout au long de l’histoire de l’humanité. De Socrate à Jean-Paul Sartre.
Qui cherche à donner un sens à l’existence par la réflexion et l’écriture, doit tenir compte des démunis pour jouer pleinement son rôle. Il doit se rouler les manches et quitter sa tour d’ivoire.
«Ce n’est pas tomber dans l’anti-intellectualisme populiste que d’affirmer la nécessité pour l’intellectuel de combattre son propre savoir, de l’assujettir constamment, et non pas seulement en temps de crise, à des exigences morales, à l’obligation de porter assistance à autrui.» (p.18)
Rivard ne demande pas à l’intellectuel de se changer en Mère Teresa, mais d’éprouver de la compassion et de l’empathie pour ceux que la société sacrifie souvent.
Vision
Comment «porter assistance à autrui» en écrivant et en combattant son propre savoir?
«C’est, au contraire, avoir de l’intellectuel la vision la plus haute que de lui assigner la tâche la plus difficile, double tâche qui consiste d’abord à se séparer du monde pour acquérir un savoir qui lui permettra de changer le monde ou en tout cas de ne pas accélérer sa destruction, et ensuite qui exige le sacrifice de ce savoir, que celui-ci soit un savoir d’allègement ou d’approfondissement, de création ou d’analyse.» (p.18)
S’isoler du monde pour acquérir des connaissances et se mettre au service des plus humbles plus tard en oubliant les acquis... Un peu étrange.
«Si nous avons un avenir, cet avenir ne peut être que le passé réécrit par ceux qui l’ont quitté et qui le réinventent, et ce passé c’est l’héritage québécois de la pauvreté, l’héritage d’un peuple qui a appris pour le meilleur et pour le pire à se méfier des pouvoirs.» (p.69)
Pas certain que Rivard va faire école avec des idées semblables. Le passé, depuis la Révolution tranquille, nous nous efforçons de le mettre en veilleuse ou de le nier,
Compagnons
Yvon Rivard s’attarde à des écrivains qui ont cherché une petite lumière dans les ténèbres. Virginia Woolf, Peter Handke, Gaston Miron, Gabrielle Roy, Marcel Proust et le cinéaste Bernard Émond. Des créateurs qui ont tenté de surprendre l’étincelle qui embrase une vie et indique une direction.
«Notre travail à tous, que nous soyons ou non peintres ou écrivains, c’est de parvenir à cette autre vie à l’intérieur de notre vie. L’œuvre parfaite, et peut-être n’y parvenons-nous qu’à la mort, serait l’instant où ces deux vies se rejoignent.» (p.136)
Voilà l’aspect le plus intéressant de ce questionnement.
«Si on ne lit pas attentivement et littéralement Gabrielle Roy, on peut penser que toute son œuvre procède de la nostalgie, que « la source vive de sa vie », comme celle de Martha, c’est son enfance, sa vie avant l’écriture, avant l’exil. Il me semble, au contraire, que cette œuvre vit de et dans l’instant où l’on peut reconnaître le passé, bien sûr, mais où surtout s’opère le recommencement perpétuel du monde, « une sorte d’enfance éternelle de la création.» (p.138)
Des textes exigeants qui soulèvent nombre de questions sans nécessairement fournir les réponses. «Une idée simple» s’avère particulièrement complexe. Le lecteur ne trouvera chez Rivard aucune certitude, mais une direction, un regard empathique sur le monde et les vivants. De quoi occuper nombre de jours et bien des nuits.
«Une idée simple» d’Yvon Rivard, aux Éditions du Boréal.
http://www.editionsboreal.qc.ca/catalogue/auteurs/yvon-rivard-615.html
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