ÉRIC C. PLAMONDON est l’un de ces jeunes écrivains encore peu connus. C’est vrai qu’il vient de publier son premier recueil de nouvelles, mais il ne semble pas avoir retenu l’attention. Il risque de demeurer dans l’ombre parce que les médias ne parlent jamais des auteurs des Éditions Sémaphore. Pourtant, ces littéraires présentent souvent des ouvrages qui mériteraient de rejoindre un large public. Et, leurs écrivains sont beaucoup plus originaux et intéressants que ceux qui font les manchettes et multiplient les stepettes à la télévision ou dans les salons du livre.
Treize histoires constituent Bizarreries du banal d’Éric C. Plamondon, des textes qui empruntent des chemins que peu de nouvelliers osent fréquenter. Des événements qui défient l’entendement, des personnages qui n’hésitent jamais à plonger dans l’inconnu, l’ésotérisme même.
Je pense à ce texte intitulé L’actrice. Une comédienne remporte tous les honneurs pour son jeu et la vérité de ses prestations à l’écran. Pas une collègue ne lui arrive à la cheville et les rôles qu’elle choisit sont toujours bouleversants et d’une justesse qui laisse pantois. C’est plus qu’une interprétation, mais une mutation de la jeune femme si on veut. « Or ici, en ce moment, c’était la vraie vie, et cette histoire était difficile à accepter. Si tout cela se révélait vrai, ce serait alors de la haute voltige en matière de paranormal ! Tout ça pour littéralement incarnerun personnage, lui souffler les répliques et les gestes à poser, et ainsi offrir un jeu d’un réalisme saisissant. Zombifier. Le terme était bien choisi. » (p.45)
Autrement dit, la comédienne fait appel aux esprits pendant la durée d’un tournage. Elle devient l’individu interpellé qui s’exprime en toute liberté. « Expérience émouvante que d’avoir, par planche Ouija interposée, une discussion avec Miss Marple ! Ce personnage n’avait jamais été si près d’une existence réelle, pas même dans le jeu des actrices l’ayant fait vivre au théâtre et à la télé, celles-ci n’ayant livré que leur interprétation de la vieille dame. Si seulement il était possible que cet esprit prenne corps ! Prendre corps… Une idée géniale. Il fallait essayer : Mary se ferait posséder par le personnage. » (p.51)
Mary deviendra la célèbre enquêteuse d’Agatha Christie dans une série dramatique. Ce sera un succès formidable.
Pourtant, rien n’est aussi simple. Si on peut attirer l’esprit d’un mort en soi, il n’est pas facile de le chasser de son cerveau. La comédienne doit simuler l’agonie, semble-t-il, tromper cette entité pour qu’elle prenne la fuite. Mais, comment être sûr de son départ ?
Ce texte permet des réflexions sur la vie, le jeu et la représentation, le vrai et la fiction. Une nouvelle saisissante.
POUVOIR
Les lunettes nous entraîne dans un tout autre univers. Des verres font voir des objets et des gens disparus. C’est comme ça que le narrateur élucide une partie du mystère entourant la mort de sa sœur, victime d’un meurtre inexpliqué. Il fait don de ces lunettes à la police qui résout nombre de crimes avec cet objet précieux. Pourtant, les fameuses bésicles ne fournissent pas toujours les réponses. « Je me suis souvenu des paroles que j’avais prononcées à l’enquêteur : “Ces lunettes permettent à la personne qui les porte de retrouver des choses perdues, peu importe où elles sont… tant qu’on regarde au bon endroit.” Mais quand toute la Terre a été scrutée et qu’on ne trouve rien, où diable peut bien être cet endroit ? » (p.83)
Éric C. Plamondon fascine par les strates qui recouvrent ses récits et nous font plonger dans les méandres du possible et de l’imaginaire. Il nous entraîne derrière les apparences et met le réel en joue. Ça nous sort des intrigues un peu simplistes. C’est comme s’il secouait les limites de l’esprit pour aller dans un ailleurs.
Je signale aussi sa nouvelle intitulée Le visage qui pourrait être une banale histoire de meurtres qui prend ici une tout autre dimension. Un beau questionnement sur l’identité, la figure et l’être, le miroir de l’âme, dit-on.
Cet écrivain réussit à nous subjuguer avec des textes étonnants. C’est le plus important. Un livre pour ceux et celles qui aiment l’étrange et les rebondissements inattendus. Des récits maîtrisés et surtout une grande originalité dans ses propos. Que demander de plus ?
PLAMONDON C. ÉRIC. Bizarreries du banal, Montréal, Éditions Sémaphore, 2022, 192 pages.
https://www.editionssemaphore.qc.ca/catalogue/bizarreries-du-banal/