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lundi 19 août 2019

ATTENDRE ULYSSE, CROISER ALICE


ON AIME QU’IL FASSE chaud, que l'humidité colle à notre peau. On fait fi des râleurs et râleuses qui n'ont qu'une hâte, que la neige recouvre maisons, trottoirs, plantes et pelouses. Pour nous, la vie se peint en vert et non en blanc. On n'y peut rien, de nos gènes coule un soleil ardent signifié par le désert aux dunes mouvantes, aux pierres assoiffées, aux puits vivifiants cachés dans la verdure paisible d'une oasis. On commente le récit de Yvon Paré, L'enfant qui ne voulait plus dormir. 

La période estivale permet de déroger à certaines règles le moindrement élémentaires quand il s'agit du choix d'un livre, qui fera notre délice en nous délectant de la chaleur. On revient loin en arrière dans la pile qui encombre l'une de nos bibliothèques. On est étonnée de tirer de l'oubli un ouvrage qu'on aurait dû lire des mois auparavant. Que s'est-il passé pour l'avoir relégué dans le lot des fictions qu'on finira par donner ? La question s'est posée quand notre index a incliné vers nous le récit de Yvon Paré, tout de blanc vêtu, offert par un ami écrivain aujourd'hui décédé. Émue, on a feuilleté les pages dans le désordre, nous interrogeant sur ce carnet littéraire, comme si l'écrivain allait nous répondre. Ce qu'il a fait, affirmant que le genre est une sorte de repos de l'écriture de la fiction. Sa réponse nous ayant satisfaite et titillé notre curiosité, on a nourri notre lecture de la poésie d'un homme qui vit dans l'entité d'une région réputée du Québec. Le Saguenay. Accompagné de ses deux chattes, chaque matin est un miracle qu'il décrit avec une sobriété épistolaire remarquable, laissant de côté des événements journaliers, pas toujours agréables, qu'ils soient publics ou d'ordre privé. Et que de métaphores emplissent la narration ! Les loups ont la part belle dans ce déballage de sentiments intenses, d'une sensibilité rarement rassasiée, comme si écrire s'avérait le suprême antidote à l'angoisse d'un passé partagé, quelquefois égaré, entre famille et amis.

FAMILLE

Une mère et un père aimants, silencieux, des frères éparpillés sur le territoire inexploré d'un avenir incertain. Anecdotes familiales abordées sur un air de regret qu'absorbe la musique de Bach, la présence d'oiseaux racoleurs, les jardinières de fleurs égayant les alentours de la maison. « Il y a tellement d'oiseaux dans l'haleine du jour, de parfums, d'odeurs fortes. » Toujours, le dernier mot obligeant revient au témoin-écrivain, avant de passer à autre chose. Cette autre chose nous ramenant à Ulysse, le roman que plus tard, on savourera avec émerveillement, son auteur décryptant avec ferveur la nature de son coin de pays, là où la silhouette d'un cargo au large se profile, là où volatiles et enfants s'ébattent. Pendant que le narrateur et sa compagne, Danielle, parcourent à vélo des paysages grandioses où tous deux s'arrêtent pour mieux s'en imprégner, à Montréal les étudiants et Québécois battent le pavé pour justifier le droit de s'instruire gratuitement. Manifestations qui prendront de l'ampleur, ancrées sous le signe de battements intempestifs de cœurs sincères et ceux des casseroles. Le récit possède un repère concret que l'écrivain, pragmatique, dirigera courageusement jusqu'à la dernière page, un brin désenchanté du résultat. Des propositions de politiques n'apportant que de piètres changements socio-économiques. Inlassablement, l'histoire se répète, ressassement inépuisable dans la tête d'hommes subjugués par le pouvoir.

SOUVENIRS

Mais là où demeure Yvon Paré, les souvenirs affluent, la révélation de l'enfant qui, très tôt, décide qu'il deviendra écrivain. L'enfant qui, pour ne pas dormir, mettait de la colle blanche sur ses paupières, voulant garder les yeux ouverts sur le monde nocturne extérieur. Les fabulations qu'il crée derrière la vitre obscure, se transformant en bêtes partageant ses insomnies. Dieu, qu'il prie intensément, ne répondra jamais à ses appels, l'enfant exacerbé par le silence divin deviendra ainsi l'enfant qui ne voulait plus dormir. Loin des cauchemars juvéniles, le présent donne vie chaleureuse à un homme soucieux d'admirer les deux chattes complices, les arbres fruitiers, les pivoines, la tourterelle. Agitation bienveillante partagée entre les rencontres avec des écrivains régionaux, avec le petit-fils à qui il faut inventer des histoires à répétition. La vie ordinaire, transcendée par un œil terriblement observateur, par un poète qui, malgré d'amères déceptions livresques, ne cèdera jamais la place à l'indifférence méprisante de ceux qui ont dénigré son œuvre. Incompris parce qu'il se contente « d'être fidèle à la réalité, au vécu de [ sa ] famille, puisant dans les secrets que personne ne veut entendre. » Comme les pivoines échevelées qui nous attendrissent, le récit n'en devient que plus poignant, l'auteur mentionnant ses propres lectures, au rythme du vent qui « étrille les pins », des vagues qui « plantent leurs griffes dans le sable. »
Irréalité des paysages quand se mobilisent les arbres, les oiseaux, les fleurs, décrits du point de vue d'un homme qui sait dialoguer avec eux. Monde minéral, monde aquatique, monde fluvial, auquel nous devons nous adapter, citadins peu habitués que nous sommes à un tel épanchement irrationnel, vision illusionniste qui adoucit les conflits bruyants estudiantins se déroulant à Montréal, au rythme saccadé des voix fatiguées de toujours revendiquer pour obtenir justice et droits civiques. L'écrivain rassure notre scepticisme en évoquant régulièrement l'écriture d'Ulysse, chacun se déterminant dans son rôle, celui qui prend la parole, qui détourne le regard d'une télévision insipide. Cela n'est pas dit mais pour que le charme opère de jour et de nuit, nous devons pénétrer à pas discrets dans les intentions de l'écrivain qui, avec Danielle, regarde « les étoiles sur la terrasse, devant l'eau qui boit les dernières lumières. Chant de la terre de Gustav Mahler. » Plus tard, l'échappatoire apaisante de personnes aimées qui repartent vers la ville. L'écrivain doit faire face aux derniers chapitres de son roman, le rêve l'emporte pour échapper à l'angoisse, aux peurs, se questionnant sur son rapport incertain avec la vie, qu'a-t-il perdu en soufflant sur ses mots ?

QUESTION

Le récit s'avère un gigantesque point d'interrogation, comparable au destin étonnant de cet homme frappé par la foudre de la poésie qui l'a habité dès la naissance. Échevelé aussi ce questionnement sur soi-même à mesure que les années passent, que la présence des siens s'amenuise, que l'enfance s'assoupit, que l'existence tendrement se loge dans les dentelles de l'aube, dans la promesse du soleil derrière la dune. Il attend les chattes, il ouvre une porte, le jour l'immobilise face au Grand Lac sans fin ni commencement. Il faut tout reprendre, affirme Yvon Paré, alors qu'il le fait constamment pour notre infime plaisir. Participer à l'aventure grandiose d'Ulysse sur qui les loups veillent, accaparent avant sa finalité. Toute vie n'est-elle pas ainsi ? Un vagabondage entre les lignes tracées par une main mystérieusement guidée. Si tel l'écrivain, de la vie nous essayons d'en améliorer les retailles, nos propres fauves ne peuvent échapper au chaud d'une parcelle vitale avortée. Ce n'est pas pour rien, ni pour personne, que Yvon Paré a mentionné ses préférences, ses opinions, ses déceptions, sa tendresse, avec une franchise déconcertante, une humilité démodée, dressant des passerelles que nous devons franchir pour mériter d'écouter les secrets d'un monde qu'il susurre à notre oreille attentive. Souhaitant au fond de nous que jamais ce monde ne soit accessible à qui envisagerait de le blesser ou de le détruire. Ce serait mettre en lambeaux les rêves et cauchemars d'un enfant qui, devenu adulte, en a rassemblé les sources évocatrices et nourricières. A synthétisé l'importance d'une période nécessaire à la maturité d'un regard exceptionnel jeté sur un enfant ébaubi face au miroir du monde qu'il a su édifier, imitant en cela Alice, cherchant la sortie de son territoire habité d'un lapin démonstratif, en retard ou en avance à tous les rendez-vous où l'imaginaire s'alimente de nos expériences plus ou moins adaptées à nos convenances. Récit captivant, sans moralité aucune, à lire lentement, sous le couvert de se retrouver soi-même, d'éprouver nos peurs secrètes, de se dire qu'un écrivain-poète tient notre main, comme il l'a fait au long d'un parcours épineux, hors de sentiers conventionnels.


PARÉ YVON, L’ENFANT QUI NE VOULAIT PLUS DORMIR, une publication de LÉVESQUE ÉDITEUR, 2014, 126 pages.
Cette chronique est parue dans MA PAGE LITTÉRAIRE, le blogue de Dominique Blondeau, le 19 août 2019.



jeudi 15 août 2019

POUR SALUER ALAIN GAGNON

ALAIN GAGNON EST DÉCÉDÉ en 2017, laissant une liste imposante de publications. Sa bibliographie recense une quarantaine d’ouvrages qui prennent toutes les directions, nouvelles, romans, poésie, essais, aphorismes et carnets. L’écrivain n’a cessé d’explorer les chemins négligés pour créer une œuvre unique au Québec. Il paraphrasait souvent le frère Marie Victorin en disant « que nommer un coin de pays par l’écriture, c’est faire reculer la barbarie. »

J’aurai eu le grand privilège de suivre son travail depuis son entrée en littérature en 1970 avec Le Pour et le Contre jusqu’à sa dernière parution en 2015. Et il reste des inédits, plusieurs. J’espère que nous pourrons faire, un jour, le tour de cette œuvre gigantesque.
C’était un ami que je voyais rarement. Il ne sortait guère et pour lui son temps d’écriture était sacré. C’était aussi un lecteur attentif qui revenait souvent aux textes anciens, à Aristote, Platon, Homère et autres pour s’abreuver à la source. C’est ce qui peut expliquer sa version moderne de Gilgamesh publiée en 1986, une fable dont l’origine remonte à plus de 2500 ans avant Jésus-Christ.
Nos chemins se croisaient régulièrement. Il ne manquait jamais de m’écrire après une parution, des mots justes et une compréhension profonde de mon travail. C’était un inconditionnel. Quand il aimait, c’était pour toujours. Il terminait nos échanges épistolaires par l’expression « À bientôt, mon pays ». Il employait ce vocable dans le sens moins utilisé de « personne ayant le même lieu d’origine ». C’était ce que nous étions, des frères d’un même pays, d’un territoire qui a marqué nos enfances.

TOPONYMIE

Si la plupart des écrivains au Québec respectent la toponymie des lieux (je pense à Michel Marc Bouchard et Jacques Poulin), Alain Gagnon n’a pu résister au plaisir de rebaptiser le secteur de Saint-Félicien comme l’ont fait les explorateurs en abordant le continent américain. Il a installé ses fictions en territoire d’Euxémie, une création étymologique qui pourrait signifier « eux et moi », « eux and me ». Ce projet immense englobait le pays de l’Ashuapmushuan, de la rivière aux Saumons et de la rivière à l’Ours, les plaines du Lac-Saint-Jean et les montagnes, le monde premier, sauvage où tout peut arriver.
C’était aussi le Saguenay qui permet de filer vers le fleuve aux grandes marées. L’écrivain aimait particulièrement Notre-Dame-du-Portage au point d’avoir à s’y établir. Il s’est souvent attardé au Saint-Laurent dans ses nouvelles, particulièrement à ces lieux où les eaux douce et salée se mélangent et se colletaillent.
La constitution de ce Nouveau Monde s’impose à partir de son roman Thomas K. La rivière Ashuapmushuan devient La Bleue et la Calouna fait oublier la rivière aux Saumons. Cette création lui a permis de s’enfoncer dans sa région à la manière d’un chasseur qui connaît les moindres replis du terrain, les bêtes qui rampent, courent et volent. Avec cette topographie renouvelée, il échappe à l’histoire réelle et à l’époque contemporaine. Son œuvre peut prendre alors toutes les directions.
Alain Gagnon, historien de formation, était fasciné par ces hommes qui sautaient dans des canots pour remonter les cours d’eau, franchir des montagnes, découvrir un continent pour le baptiser, le dire, en esquisser les contours sur des cartes souvent illisibles. Des missionnaires, des explorateurs, des géographes, des marchands qui n’aimaient pas le mot horizon et voulaient toujours voir ce qui se passe derrière les collines, dans les saillies des plaines ou d’une rivière tumultueuse.
Nous répétions à la blague que nous avions chacun nos territoires. Je régnais au nord de la rivière aux Saumons et lui s’appropriait tout le reste jusqu’au grand lac Saint-Jean. Cela ne l’a pas empêché de faire des incursions dans mon pays comme je l’ai fait dans le sien.

ESPACE ET ÉCRITURE

Pour Alain Gagnon, le monde repose sur une dimension palpable et réelle, que nos sens peuvent appréhender, et sur son envers, un espace rêvé, étrange où le mal existe à l’état brut. Deux univers se manifestant dans la plupart de ses œuvres importantes qui provoquent de profondes secousses telluriques quand elles coïncident.

Tous, nous portons le mal. À la racine de notre être, de l’être, de la nature gîte le mal. Sa présence est une énigme, un mystère à résoudre pour chacun. Il nous suit, chien fidèle. Nous le ressentons et savons qu’il existe. Il noircit nos joies les plus pures, prend de multiples formes. Seule une grande souffrance peut nous en libérer et nous redonner le pouvoir entier sur soi. La souffrance est le feu qui transmute.  [1]

Cet univers fantasmagorique nous propulse hors du temps et dans les profondeurs de l’esprit qui correspondent certainement à ce que l’on appelait jadis le « cerveau reptilien ». Des monstres y survivent et peuvent surgir dans le présent en provoquant des événements d’une rare violence.
Dans Le gardien des glaces, paru dans la plus grande indifférence en 1984, un homme misanthrope monte la garde au milieu de la blancheur hallucinante du lac Saint-Jean en hiver (la référence à la page vierge qui hante l’écrivain est évidente) reçoit des errants qui échappent aux carcans de leur époque. J’ai fait un clin d’œil à ce roman dans Le voyage d’Ulysse où mon héros se faufile dans l’histoire de mon ami pour y confronter des visiteurs farouches et inquiétants.
Des individus dépourvus de dimension morale, qui font tout pour arriver à leur fin. Le protagoniste de Thomas K tue froidement pour éliminer un concurrent qui se dresse devant lui. En ce sens, ses personnages sont redevables de sa conception de l’univers. L’humain civilisé doit maîtriser des pulsions bestiales qui le dépassent souvent. Ces aspects se manifestent dans les gestes les plus anodins et la résolution de grandes énigmes qui hantent les philosophes depuis des millénaires.
Même si bon nombre de ses publications s’ancrent en Euxémie, l’écrivain jeannois n’a jamais hésité à prendre le large et à vagabonder au cœur du continent pour visiter les pays de William Faulkner ou d’Erskine Caldwell. Des contrées qu’il a fréquentées par la lecture et aussi par la musique de jazz qu’il affectionnait particulièrement. Sud constitue un bel hommage à ces grands romanciers.

POÉSIE

Je m’en voudrais d’oublier un volet essentiel de l’œuvre d’Alain Gagnon, ses textes nus, les mots qui résonnent comme la cloche, naguère, hélait les fidèles et les incitait à la prière. Des poèmes auxquels je reviens quand j’ai besoin de reprendre mon souffle entre deux paragraphes d’un roman qui n’arrête pas de fuir devant comme un lièvre affolé. Un rythme poétique marqué par ses promenades en bordure de mer et du fleuve. Il suit la ligne de la berge, là où les grandes vagues ne cessent de remodeler la rive. Il surveille l’horizon, la lisière floue des forêts, soulignée par les premières neiges, l’hésitation entre le froid et l’automne, après que les oiseaux migrateurs soient partis dans un joyeux jacassement. C’est pour lui l’occasion de mettre la main sur une pierre, d’effleurer l’écorce d’un pin ou d’une épinette, de respirer et de se glisser dans la fissure du jour. Il devient le frère d’Eugène Guillevic qui, avec une image, casse une galaxie et donne une parole aux cailloux. Le poète français prête une voix aux éléments de la nature, particulièrement au roc, qui se dressent devant l’humain pour le menacer et revendiquer son attention et son empathie.
Alain Gagnon rêve alors de fouiller les strates de la terre, de se pencher sur la mousse pour en saisir les secrets, d’étudier la vague et les mouettes qui ignorent tout des frontières.
Mon ami, malgré ses nombreuses évasions dans le roman, reste fidèle au genre qui a marqué son entrée en littérature. Comme si les mots étaient un feu de forge qui couve jour et nuit. Voilà le fil de son travail unique et original.

L’eau noire
La glace blanche
L’eau coule
Et je demeure [2]

Un poème dépouillé, quasi un haïku, qui fait ouvrir les yeux dans la rondeur de l’instant.

HÉRITAGE

Et voici la réédition de son roman Le truc de l’oncle Henry paru pour une première fois en 2006. Cet ouvrage illustre parfaitement la pensée binaire d’Alain Gagnon et peut constituer un premier pas vers la compréhension de l’univers singulier de cet écrivain. Des phénomènes étranges traumatisent la population de Saint-Euxème. Des disparitions, des morts, des attaques sauvages se succèdent depuis que les travailleurs ont entrepris de construire un barrage dans la gorge des Conscrits.
Le chef de police ne sait trop par quel bout empoigner ces événements qui échappent à toutes les explications logiques. Ce véritable thriller - un effort certain du romancier pour rendre son univers plus accessible - suit des sentiers peu fréquentés. Avec Olaf Bégon, le lecteur doit oublier ses références, s’aventurer dans l’inconnu où des êtres venus d’un autre monde peuvent le broyer.
Nous avons eu la chance de marcher dans une même direction pendant presque cinquante ans en tout respect et en toute amitié. Dans Propos pour Jacob, l’écrivain parle de sa mort et de l’héritage qu’il va léguer à son petit-fils.

À ma mort, je ne te laisserai rien ou si peu. Je serai pauvre. Par paresse, manque de discipline, insouciance et aptitude aux plaisirs, mes comptes en banque seront vides ou presque. Cet ouvrage te tiendra lieu de legs. Ne sois pas trop déçu. Je t’ai aimé comme personne, et j’espère me faire pardonner en t’offrant ce qui m’est le plus cher : sur quelques pages, ces intuitions puisées dans l’héritage commun et en moi-même, parfois. Si tu en tires quelque profit, je serai moins mort, et tu seras peut-être un peu plus vivant.  [3]

Mon ami n’a pourtant jamais été un paresseux et encore moins un insouciant. Il était un travailleur acharné qui considérait la littérature comme la première des occupations humaines. C’était pour lui une manière de toucher l’innommable, d’effleurer une forme de vérité et peut-être aussi l’immortalité. Écrire envers et contre tous. Pendant la matinée qui a précédé son décès, il a poussé les mots devant lui jusqu’à midi comme il le faisait chaque jour, tentant de voir juste, de montrer la route comme un berger qui marche lentement derrière son troupeau en gardant les yeux sur l’horizon.
Je te salue « mon pays ».


CE TEXTE EST PARU DANS LA NOUVELLE ÉDITION DE : LE TRUC DE L’ONCLE HENRY, ÉDITIONS TRIPTYQUE,  collection ALIAS, 2019, 238 pages, 17,95 S.


Citations :




[1] Gagnon Alain, Les Dames de l’Estuaire, Éditions Triptyque, Montréal, 2013, page 45.
[2] Gagnon Alain, Poèmes de l’homme non-né, Éditions Cercle du livre de France, Montréal, 1975, page 40.
[3] Gagnon Alain, Propos pour Jacob, Éditions La Grenouille bleue, Montréal, 2010, page 9.

http://www.groupenotabene.com/auteur/gagnon-alain

samedi 3 août 2019

RÉCIT QUI DEMANDE DU COURAGE

FRANCE MARTINEAU, DANS RESSACS, m’a complètement retourné. J’en suis sorti abasourdi, me demandant si je trouverais les mots pour cerner cette histoire incroyable. Un autre drame familial, on s’en éloigne difficilement. Comme si les écrivains devaient avoir des enfances horribles pour arriver à naviguer sur les phrases et à se tenir debout. La mort des parents est l’ultime occasion de secouer le passé et de comprendre ce que la narratrice a pu subir pendant des années. Ça donne froid dans le dos.

J’ai lu France Martineau pour la première fois dans Une incorrigible passion, un collectif dirigé par Jo Ann Champagne qui s’attardait à cet objet fascinant qu’est le livre. Madame Martineau y racontait comment elle avait appris les mots en subissant les agressions de son père. Assez pathétique que cet Écrire la parole entravée. Un texte qui avait retenu mon attention et mettait la table si l’on veut à ce récit singulier. J’écrivais alors : « Certains y vont d’un témoignage personnel très émouvant comme celui de France Martineau qui associe les livres aux agressions de son père. »
France a toujours été de trop au milieu de ses frères et sœurs, celle que l’on n’interpellait jamais (surtout de la part de sa mère) et que l’on aurait souhaité oublier. Suzette la rejetait pour des raisons que l’on finit par comprendre en s’aventurant dans ce récit. Armand, le père, un enseignant frustré qui aurait voulu devenir professeur à l’université, compense en se lançant dans la rénovation de maisons, des entreprises qu’il ne terminera jamais. Des gestes aussi, insupportable sur sa fille.
Une histoire banale. Un mariage alors qu’ils étaient tous les deux très jeunes. Suzette issue d’une famille bourgeoise et lui d’un milieu d’ouvriers. Deux univers qui se concilient difficilement. Lui restera un étranger dans le monde de sa femme et elle une curiosité dans les quartiers de l’est de Montréal.
Armand multiplie les infidélités et Suzette, aux prises avec une dépendance affective, s’accroche de façon pathétique. Ils finiront pas se séparer, vivant chacun dans leur maison, se fréquentant cependant, ne parvenant jamais à casser leur couple. Et au centre de toutes ces perturbations, France qui tente désespérément de retenir l’attention de sa mère et de fuir les pulsions de son père.

MORT

Suzette meurt d’emphysème. Une fumeuse indomptable qui m’a fait penser à mon amie Nicole Houde qui a passé sa vie à courir derrière ses cigarettes et qui, même quand elle devait respirer avec l’aide d’une bonbonne d’oxygène, ne pouvait résister à la tentation de prendre « une poffe » ici et là comme elle l’affirmait en riant.
La mort d’un parent, c’est l’ultime occasion pour les enfants de se retrouver. Il faut vider la maison, plonger dans l’intimité de la mère et de tout ce qu’elle a laissé derrière elle. Des bibelots, des vêtements, un chat effarouché dans un appartement trop silencieux. Armand refuse d’abord de toucher à quoi que ce soit et la résidence de Suzette devient une sorte de musée pendant un certain temps. Il faut bien se résoudre à passer à l’action et le mari décide de tout transporter chez lui. Comme s’il n’arrivait pas à admettre que sa femme n’est plus, qu’elle est décédée.

Ni lui ni moi n’osions aborder qui elle avait été comme mère. C’était mieux ainsi. Armand coulait dans des phrases un peu convenues l’image de Suzette, et j’écrivais sous sa dictée, au service de ces deux amants-là. « Femme exceptionnelle, passionnée et chaleureuse, elle fut un modèle pour ceux qui l’ont côtoyée. » C’était tellement faux que j’aurais pu continuer à en ajouter, cela n’avait plus d’importance, je sombrais dans le mensonge, le coup de force, consentante à tout. Suivait cette phrase : « Jamais nous ne l’oublierons. » C’était la seule qui soit vraie, et c’est la seule que j’aurais voulu fausse. (p.18)

Casser maison comme on dit, c’est s’aventurer dans des souvenirs, risquer de s’embourber dans son passé et de secouer des moments heureux, pénibles souvent. Tous les objets racontent une histoire qui nous échappe. Il suffit de s’approcher, de faire des choix pour basculer dans certains espaces de sa vie. Les enfants se partagent des choses que tous finiront par oublier dans un placard ou qu’ils égareront. La mémoire efface beaucoup plus qu’elle ne garde, heureusement.

RECHERCHE

France trouve là l’occasion de cerner sa mère malgré Armand qui se dresse comme le gardien d’une vie qu’il magnifie et transforme selon ses humeurs. Qui était la femme qui a passé des années à habiller des poupées, à tisser et à inventer des personnages qui faisaient rêver autant les adultes que les plus jeunes. Comme si elle avait refusé de quitter l’enfance. Pourquoi cette cruauté avec France, cette grande fille pleine d’empathie qui n’a jamais su trouver sa place dans cette famille ? Il y a certainement un lien avec le père, les agressions et le viol que Suzette a toujours nié.

Mes sœurs et frères évanouis après les funérailles de Suzette, j’entrai aussi dans cette maison, pour l’aider, lui avais-je dit, et peut-être était-ce en partie vrai. Pourtant, il me semblait que je cherchais surtout à subtiliser à Armand ce que Suzette aurait conservé de moi, que je tentais de réanimer, à travers des objets de ma prime enfance, un temps lointain et doux qu’il me fallait croire différent des années qui suivirent, où la négligence de Suzette n’avait pas su me protéger d’Armand. (p.26)

Et tout est à recommencer lors du décès d’Armand. Comment percer les secrets de nos parents même si nous avons découvert le monde auprès d’eux, quand nous avons eu l’impression de voir par leurs regards, de devenir adulte par leurs paroles et leurs gestes ? France Martineau s’aventure dans une zone trouble. Tout ce qu’elle a pu vivre et refouler pendant son enfance et son adolescence remonte. Elle se confie du bout des lèvres je dirais, sans hargne et sans colère, de façon détachée presque, malgré la peur et la douleur qu’elle a dû apprivoiser au cours des années. La narratrice tourne autour des agressions, du viol et mettra du temps à dire la vérité.

HORREUR

Si au départ, je me suis plu à détester Armand, le mari intransigeant, souvent têtu, l’agresseur de sa fille, le récit de la narratrice nous fait tourner les yeux vers Suzette. L’écrivaine révèle peu à peu une femme narcissique qui n’a pas su aimer. Elle a pris France en aversion très tôt. On peut parler de haine, même si c’est difficile à croire entre une mère et son enfant
Madame Martineau n’utilisera jamais ces termes, mais c’est cela qu’il faut comprendre avec certains regards, des refus ou un bout de phrase qui claque comme un fouet. La jeune fille a été livrée au père dans une sorte de sacrifice.
Certaines scènes vous laissent sans mots. Ce moment par exemple où France veille Suzette qui n’en a plus pour longtemps à l’hôpital.

Je me penchai tout près de sa bouche pour mieux entendre, dans un frisson néanmoins incontrôlable de mon corps vers le sien, elle attendit que j’aie ma bouche tout près d’elle et enleva son masque, ses maigres cheveux restèrent pris dans l’élastique, et, en expulsant l’air de ses poumons, comme si cela faisait des années qu’elle se retenait, au bout de son exaspération de moi, siffla : « Va-t’en ! » Je reculai, en manque d’air, sonnée. Il me fallait de toute urgence me soustraire à son regard, aussi sûrement que si ma vie en dépendait. (p.120)

Une telle hargne est difficile à imaginer, surtout dans un moment pareil.

QUÊTE

France Martineau fait preuve d’un courage incroyable pour raconter le drame de sa vie. Mais comment pouvait-elle oublier en décidant de s’aventurer dans le monde de l’écriture. C’était là un chemin obligé pour elle.
Et ce qui rend ce témoignage encore plus perturbant, c’est la manière de se confier, de s’avancer vers l’horreur, se sentant coupable, n’étant jamais certaine de ce que son père ou sa mère ont pu faire. Le doute. Nous vivons parfaitement les émotions de la narratrice. C’est la force des agresseurs d’arriver à faire en sorte que les victimes se croient responsables de tout. On se demande à la fin ce qui a été le plus difficile pour France. Le rejet de sa mère ou les gestes de son père qui sont restés impunis ?
Un texte puissant qui se dépose doucement en vous, bouscule votre manière d’être, de penser et de respirer. À lire avec précaution.


MARTINEAU FRANCE, RESSACS,  Éditions SÉMAPHORE, 2019, 168 pages, 22,95 S.
  

https://www.editionssemaphore.qc.ca/auteur/france-martineau/


vendredi 26 juillet 2019

CERNER LA FIGURE DE SON PÈRE

ÉTRANGE ENTREPRISE QUE celle de l'écrivaine Céline Huyghebaert. Le drap blanc, un récit, nous entraîne dans une enquête troublante. Céline, l’une des filles de la famille, n’a pu arriver à temps pour les derniers moments de son père. Elle vit au Québec depuis quelques années et la mort se montre souvent impatiente. Malgré l’avion et les vols fréquents, elle rate ce rendez-vous, les ultimes paroles, un geste peut-être et des larmes, certainement. Je connais ça. J’ai loupé de peu le décès de ma mère. « Ça vient d’arriver », m’a lancé l’infirmière en me voyant sortir de l'ascenseur. Je suis entré dans la chambre, sur la pointe des pieds, pour retrouver ma sœur et mon frère. Ce moment de silence et de grande émotion devant ma mère apaisée, je ne l’oublierai jamais. Cet instant, où le temps s’est arrêté pendant un bout d’éternité, reste gravé dans ma mémoire.
  
Mario, le père, était une ombre dans la foule. Rien de singulier, d’éclatant ou de particulier qui fait que l’on se retourne sur son passage. Travailleur agricole peu scolarisé, il a pu subvenir aux besoins de ses trois filles et de son épouse sans trop relever la tête. Un homme de peu de mots, un vivant possédé par l’alcool pour échapper à la grisaille des jours certainement. Une existence comme tant d’autres. Il meurt jeune, peut-être parce qu’il n’a pas pris le temps de s’arrêter pour surprendre la vie autour de lui. Il n’avait pas encore cinquante ans et une cirrhose a eu raison de sa résistance.
L’une de ses filles, celle qui vit au Québec, décide de se tourner vers son père pour en examiner toutes les facettes. Qui était cet homme, l’époux et l’ami ? Elle s’attarde auprès de ses sœurs, sa mère, des connaissances et leur demande de remplir un questionnaire pour tenter de voir qui était réellement cet individu qu’elle sent très loin et qui lui a donné la vie.

Je me servais des mots comme de bombes à cette époque, et j’avais bien l’intention que ceux-ci lui sautent à la figure dès qu’il ouvrirait l’enveloppe. Mais le choc avait été tellement violent que mon père était parti à l’hôpital et j’avais dû prendre le premier avion sur la demande pressante de ma sœur. Le temps d’attacher ma ceinture, de la détacher, de traverser l’Atlantique, de rattacher ma ceinture pour l’atterrissage, de toucher le sol de Roissy, d’apercevoir ma valise sur le tapis, et mon téléphone avait sonné à nouveau. C’était ma sœur, c’était trop tard, il était mort. (p.21)

Comment remplir ce vide, ces secondes qui auraient pu changer son regard et sa façon de voir son passé et d’imaginer le futur ? Être là au bon moment, ce n’est jamais facile et c’est une question de circonstances bien souvent. Des moments ratés par étourderie, par paresse ou par crainte, j’en ai connu beaucoup dans ma vie. Surtout quand on sent que ce peut être la dernière chance de prononcer certains mots et de capter un regard. Cela m’est arrivé avec des amis et plusieurs membres de ma famille. Juste une question de secondes qui font tout rater ou encore une impulsion qui nous pousse de l’autre côté des choses.

TENTATIVE

Peut-être que l’écrivain ne cherche jamais autre chose. Il tente par tous les moyens de jeter des ponts sur ces occasions ratées, d’oublier les pas de côté, la culpabilité qui s’installe quand on pense avoir tout gâché par étourderie ou par entêtement.
Céline entreprend de cerner son père comme s’il était un personnage de roman dans Le drap blanc ou quelqu’un qui lui était parfaitement étranger. L’écrivaine n’est pas dupe cependant et sait certainement que l’on ne peut effacer une vie d’hésitations et d’incompréhension par deux ou trois questions. Une existence ne peut être transformée par une pirouette au bout de son parcours même si certaines croyances religieuses laissent entendre que l’on peut tout changer dans un moment de grâce et de lucidité. Ce serait bien trop facile. Ce qui a été, sera et restera, qu’importe les maquillages que l’on invente et les déguisements.
Céline distribue son questionnaire pour glaner des éléments et des détails qui pourront  peut-être l’aider à reconstituer le puzzle. Une sorte de biographie qu’elle tente d’échafauder en ne sachant quelle direction prendre et ce qu’elle va découvrir.

J’aimerais écrire un livre sur mon père. Ça fait tellement longtemps que je note tout ce qui me fait penser à lui, des citations, des conversations, des souvenirs. Je consigne même dans un calepin mes rêves où il apparaît. Un jour, j’ai l’idée d’écrire un roman sur lui, sous la forme d’une longue liste d’anecdotes. J’ai commencé à les inscrire sur une feuille. (p.26)

L’écrivaine fait preuve d’une certaine témérité et risque de découvrir des aspects difficiles à accepter et surtout, c’est elle qu’elle finira par heurter dans cette enquête. Tous n’ont pas le même vécu ou le même regard sur l’homme qu’était Mario. Avec La mort d’Alexandre, je voulais un roman sur mon père. J’ai réalisé à la toute fin que je m’étais attardé aux gestes et aux extravagances de mes frères. Le père est resté une figure un peu mystérieuse et chaque fois que j’ai tenté de m’approcher de lui, c’est comme si je me retrouvais devant un miroir où je ne surprenais que des ombres.

REFUS

Certains acceptent de répondre, mais madame Huyghebaert se heurte à des craintes et des refus. Sa mère d’abord ne veut pas remuer ces cendres et a tout fait pour oublier le père de ses filles. Elle a retrouvé son amour de jeunesse et connaît des jours tranquilles avec cet homme. Elle ne ressent guère d’intérêt pour ces années qui n’ont pas été le bonheur qu’elle attendait. Pourquoi soulever des draps poussiéreux, retourner des tapis et tout ce qui a laissé des blessures et des rancoeurs ? Ses sœurs aussi sont réticentes. On ne fouille pas le passé sans provoquer des réactions qui peuvent être violentes parfois. Un romancier l’apprend très vite quand il secoue au grand jour des secrets que l’on a tout fait pour dissimuler. Les écrivains sont terriblement doués pour trahir leurs familles et tout étaler sur la place publique comme dans un énorme marché aux puces.

SECRETS

Dans toute vie, il y a des parts d’ombres, des secrets, des silences que l’on ne veut pas trop remuer. La quête change quand Céline demande à ses proches de répondre à son questionnaire, même s’ils n’ont pas connu son père. La figure de Mario se transforme alors puisqu’il devient un homme de fiction qu’ils inventent à partir de racontars et de oui-dires. Cela donne un aspect fascinant à l’enquête. Il y a le vivant, celui que l’on a vu agir et s’amuser et l’autre que l’on rêve ou idéalise. Cela me touche beaucoup parce que bien souvent on invente des moments de son passé, surtout quand on navigue dans la fiction et que l’on jongle avec les mots. On raconte certains faits de toutes les manières possibles et parfois on jure avoir vécu un pur fantasme. Faut se méfier de ses rêves et de son imaginaire.
Céline Huyghebaert se rend même à la morgue pour examiner le corps de son père, esquisser des croquis du cadavre. C’est un peu perturbant, je l’avoue, en tous les cas très étonnant. Elle fait preuve d’un sang froid dérangeant. Il y a là un regard et une distance qui m’ont fait avaler de travers.

C’est peut-être un cri d’effroi. Ou le cri qu’on pousse quand la mort est si évidente que le corps, refusant d’abdiquer, n’a plus d’autre arme pour s’en défendre que ce cri. Parfois, je me dis aussi que c’est un cri qui a pour unique but d’abasourdir celui qui le pousse, de recouvrir le brouhaha des souvenirs qui le persécutent  quand personne n’est là pour l’en divertir. (p.259)

Ce texte étonne et bouscule, nous ramène si l’on veut à certains tournants de nos vies, à ces petits espaces flous que l’on trouve dans son passé et ses souvenirs. Céline s’attarde autour de son père, d’un homme qui lui échappe continuellement parce que le propre des témoignages est de travestir certains faits ou gestes pour les transformer. Les morts gardent toujours leur mystère. Mes frères les plus âgés parlaient de mon père et de ma mère et j’avais l’impression qu’ils décrivaient des individus que je ne connaissais pas. Mes parents n’étaient pas leurs parents. Comment se faire une idée juste, alors ? Mario change selon le regard et c’est ce qui rend cette lecture passionnante.
Bien sûr, nous ne pouvons jamais avoir un portrait définitif d’un homme ou d’une femme. Toujours, nous faisons face à la photographie d’un moment qui permet de souligner un trait, de découvrir une ride sur un visage familier et inconnu. Tout est mouvement et changements, échappe à cette entreprise qui voudrait se faire un arrêt sur une vie.

La peur, c’est quelque chose qui fait beaucoup de bruit. (p.259)

Et je me dis que c’est fort heureux cette part de mystère, cette aura que nous ne parviendrons jamais à percer autour de la femme et de l’homme qui nous ont mis au monde. Ils resteront des étrangers qui font rêver, permettant peut-être de s’inventer une existence différente, d’arriver à être écrivain. Et madame Huyghebaert a vite compris que l’important n’était pas les réponses du questionnaire, mais tout le cheminement qu’elle a fait auprès de ses proches pour voir son père. Le drap blanc sur lequel elle se penche ne peut que lui révéler ses traits, son visage, sa propre mort.


HUYGHEBAERT CÉLINE, LE DRAP BLANC,  Éditions LE QUARTANIER, 2019, 236 pages, 26,95 S.