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vendredi 13 novembre 2015

Jean Désy nous injecte une bonne dose de vie.


Une version de cette chronique
est parue dans Lettres québécoises,
numéro 160.

JEAN DÉSY a beaucoup écrit sur le nord du Québec et ses voyages où il va à la découverte du monde. Ce nomade respire mieux quand l’espace s’ouvre autour de lui et que la vie sauvage se manifeste dans toute sa splendeur et sa dureté. Le nord du Québec se prête bien à ce genre d’expériences où la mort rôde. Il s’est même aventuré au Népal et a failli y laisser sa peau. Il est demeuré beaucoup plus discret cependant sur son travail de médecin qui lui a permis de connaître des gens qui vivent en marge du monde, subissant les ressacs d’une société de consommation et de gaspillage des ressources ; des lieux menacés par un Plan Nord qui va se faire aux dépens des populations autochtones qui ne comptent jamais dans ce genre d’entreprise. Pratiquer la médecine dans ces espaces où il faut se débrouiller avec peu de moyens n’attire pas beaucoup de postulants, on le comprendra.

Jean Désy est un homme de la Côte-Nord du Québec et du Nord, ce pays de rêveries, de dureté où la vie se recroqueville et où la survie exige souvent toutes ses ressources et son imagination. C’est une manière de retrouver la vie des Européens qui sont venus en ne sachant comment survivre sur un continent où des peuples nomades composaient avec les saisons et des déplacements bien définis. Ces arrivants ne pouvaient que bouleverser l’ordre américain. C’est encore ce qui se vit dans le Nord où le quotidien n’est plus le même depuis que les Blancs sont débarqués avec leurs machines et leurs habitudes de conquérants. Nous leur avons légué le pire de notre civilisation.
La quarantaine de courts textes que Jean Désy offre dans L’accoucheur en cuissardes nous transporte sur la Côte-Nord et dans le Grand Nord du Québec, des villages qu’il a visités à de nombreuses reprises. Des pays rudes, peu habités où la nature s’impose, où il faut puiser dans toutes ses ressources pour survivre. C’est peut-être encore l’un des rares endroits au monde où il est possible de se mesurer aux saisons et en réaliser toute la force. Une expérience que la vie en ville a souvent dénaturée. Ce monde fascine Désy depuis toujours et après ses heures de garde dans des dispensaires, il s’évade dans la toundra ou encore va en mer pour taquiner la morue ou l’ombre de l’Arctique. Il aime ces moments où il a l’impression d’être un survivant dans une nature qui l’enveloppe, où il est possible de démêler tout ce qui encombre l’esprit. Ce besoin de solitude, d’être totalement dans son corps, d’habiter ses jours du matin au soir, le fait revenir dans ces lieux peu fréquentés pour comprendre peut-être la nature humaine, son propre regard sur les êtres et les choses.

Une mésange entre et se perche sur la table, comme si elle était une habituée. Rosaire lui tend un morceau de pain qu’elle picore volontiers. Je finis par repartir, mais avec l’idée de revenir pêcher en compagnie du plus vieux de mes garçons, l’autre étant trop jeune, pour jaser encore avec Rosaire à propos d’une existence qui m’a tenté toute ma vie, en plein bois, au cœur des épinettes, des orignaux et des mésanges. (p.57)

Il concilie ainsi la pratique de la médecine, son amour de la nature indomptée, y trouvant matière à ses romans et ses récits, parvenant à aider les Autochtones, les regardant se débattre avec leurs terribles difficultés, la perte d’être qui hante ces gens qui ont perdu leur équilibre, leur pensée et leur regard sur le monde.

L’HUMAIN

Désy nous entraîne ainsi dans des situations amusantes, souvent tragiques, toujours étonnantes où il doit improviser et ignorer souvent les directives des spécialistes du Sud qui ne comprennent pas la situation dans laquelle il se trouve. Il fait savoir que dans ce coin du monde, tout près de nous, la médecine est un sport extrême, celle que les médecins de campagne pratiquaient à l’époque de nos grands-parents, que des hommes et des femmes de notre pays sont aussi différents que ces peuples de Mongolie ou du Tibet. L’étranger vit au Québec depuis toujours.
Dans le Nord, le médecin et le personnel des infirmières affrontent la folie, la démence souvent, les accidents qui arrivent après tous les excès et une terrible violence. En décrivant ses journées de travail, l’auteur fait prendre conscience qu’un médecin agit pour sauver la vie de ses semblables, fait le bon geste devant un être en détresse. Il faut avoir des réflexes et surtout ne jamais perdre son sang-froid devant une femme qui n’arrive pas à accoucher ; un homme incontrôlable après avoir ingurgité une drogue et qui bascule dans le coma. Tous les écrivains qui ont parcouru ce territoire le répètent : le Nord vit un problème d’alcool et de drogues qui détruit la vie sociale et communautaire. Juliana Léveillé-Trudel en parle avec une justesse terrible dans Nirliit, un récit émouvant sur le Nord. Le reportage de Radio-Canada portant sur la situation des femmes autochtones en Abitibi n’est que la pointe d’un iceberg.

Elle ne comprend pas ce qui se passe. Selon elle, c’est à cause de la nouvelle drogue qui est entrée au village, par avion. Bien sûr, tout ce qu’il y a de toxique pénètre ici par la voie des airs. Je me dis qu’un beau jour il faudra absolument s’adonner à une fouille obligatoire des bagages et des colis pour déceler les substances délétères qui empoisonnent le Nord. (p.190)


Le personnel infirmier peut faire des miracles, mais tout est toujours à recommencer. Le mythe de Sisyphe prend un sens singulier quand on pratique la médecine à Salliut ou à Kuujiuaq. Il faut être particulier pour agir dans des conditions où risquer sa vie pour secourir une femme dans la toundra ou aller chercher un blessé dans un blizzard qui efface ciel et terre fait partie du quotidien. Certains n’en reviennent pas, l’avion s’étant écrasé contre le flanc d’une montagne.
Se faire médecin dans ces communautés, c’est changer de siècle, vivre dans un monde autre et apprendre à se débrouiller avec peu de moyens, faire confiance à son instinct et aux autres. Et peut-être aussi renoncer à comprendre devant des problèmes sociaux et humains qui dépassent l’entendement. Certainement que Désy a laissé ses grilles d’évaluation au Sud pour vivre l’expérience du Nord et y trouver des leçons de vie.

HUMANITÉ

Jean Désy est un conteur né, capable aussi de méditer sur ce qu’il vit sans jamais perdre le sourire même s’il devra faire face jour après jour aux mêmes problématiques de violence et d’intoxication.
Des situations qu’il raconte à ses étudiants en médecine de l’Université Laval de Québec pour leur faire comprendre qu’il faut plus que des connaissances techniques pour exercer ce métier pas comme les autres. Un futur médecin doit lire de la fiction et de la poésie pour en savoir plus sur ses semblables, ceux et celles qui se retrouvent devant eux dans un état de détresse. La médecine n’est pas une suite de gestes mécaniques, mais un contact particulier et souvent unique avec un être qui vous confie sa vie. Cela demande beaucoup de générosité, de compréhension et surtout beaucoup d’empathie.
Je me suis consolé en me disant qu’il y a encore des hommes et des femmes qui veulent aider les autres et qui n’empruntent pas les chemins de la politique pour mieux les contrôler. Gaétan Barrette et Philippe Couillard auraient avantage à lire ces récits pour comprendre ce qu’est la vie chez des gens démunis, ou encore délaisser leur limousine pour s’aventurer dans la brousse, circuler sur un tout-terrain et croiser des humains qui ont besoin d’aide. Surtout, j’aime à savoir qu’il y a encore des médecins qui sont des humanistes qui se penchent sur la condition humaine et qui tentent de comprendre la différence. Jacques Ferron se réjouirait, certainement, et peut-être aussi, Normand Béthune.

L’accoucheur en cuissardes est paru chez XYZ Éditeur, 232 pages, 22,95 $. 

mardi 10 novembre 2015

David Bouchet fait redécouvrir le Québec

C’EST INTÉRESSANT de trouver un roman où les personnages arrivent de l’étranger et s’installent pour découvrir nos façons de faire, nos grandes et petites manies. Je pense à Le bonheur a la queue glissante d’Albla Farhoud et aux ouvrages de Daniel Castillo-Durante. Je pourrais m’attarder longuement au travail de Sergio Kokis ou encore Catherine Mavrikakis. L’arrivant a une façon de voir nos habitudes et nos comportements. Pour comprendre ce qu’il ressent, il faut partir en voyage, s’installer dans un village ou un quartier et tenter d’être avec les autres. Nous l’avons fait, ma compagne et moi, en Provence et dans le Gers. Ce fut chaque fois une belle occasion d’avoir un autre regard sur le quotidien et ces petites choses qui meublent les jours.
  
J’étais tellement convaincu que David Bouchet était Sénégalais que je n’ai pas fait le lien, au Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean, entre le roman et l’homme que j’ai croisé au stand des éditions La Peuplade. Peut-être que le livre est tellement convaincant qu’on ne peut associer l’auteur qu’à un grand Sénégalais qui sourit et porte le soleil en lui. David Bouchet n’a rien d’un Noir. La Peuplade a la bonne idée de ne jamais mettre la photo de l’auteur sur leurs livres. J’aime ça parce qu’il est possible alors d’imaginer l’écrivain et de s’en faire une image. Je me souviens de ma surprise devant la photo d’Henri Miller, la première fois. Je le voyais grand, noir avec une chevelure abondante et l’allure de Clark Gable. Un écrivain projette une image de lui qui ne correspond jamais à la réalité.
Le narrateur de Soleil est un jeune Sénégalais d’une douzaine d’années. Il débarque à Montréal avec sa famille. Les parents et les trois enfants découvrent la réalité d’un pays que tous idéalisent et voient comme un paradis terrestre.
S’installer dans une nouvelle ville n’est jamais facile pourtant et rien n’arrive en claquant des doigts. Il faut du temps avant de créer des habitudes, trouver des repères et vivre comme tout le monde. Plus, le défi est immense quand on est Noir, même quand on parle français. Les différences d’accents et les expressions font en sorte qu’il est souvent difficile de se comprendre. Le pire qui guette le migrant, c’est l’isolement, le repli sur soi. La famille veut s’intégrer aux Québécois, découvrir leurs habitudes et leurs façons d’affronter les saisons. Pas question de s’installer dans un ghetto.

Quand on est arrivés à l’aéroport international Pierre Elliot Trudeau, la première chose qu’un Canadien nous a dit, un policier des frontières, c’est : « Bienvenue dans votre nouveau pays. » On n’était pas encore Canadiens, on était juste Sénégalais, mais ça faisait très plaisir d’entendre ça, parce que c’est vrai, on venait pour longtemps, on avait l’intention de s’installer profondément et de faire des racines ici, dans notre nouveau pays. (p. 24)

Ils viennent d’un pays de soleil, de chaleur et de végétation extravagante. Tout l’envers de ce Québec qui connaît un été torride et le froid, la neige et le dénuement. Tout est une découverte pour les enfants, source de stress et d’angoisse pour les parents qui savent leurs ressources limitées.
Il faut chercher un travail, découvrir l’école et la garderie. Les problèmes domestiques peuvent devenir des obstacles difficiles à franchir. Comment trouver l’appartement qui convient à la famille ? Tout semble beau au téléphone, mais tout change lors des rencontres. Du racisme ? Des préjugés surtout et de la méfiance face à l’étranger.
Un premier appartement miteux d’abord, en attendant. Il y a toujours quelqu’un pour profiter des arrivants.

Mais nous, on était innocents, on ne savait pas encore sur qui on était tombés, si elle était bien ou mauvaise, cette femme, et elle non plus d’ailleurs ne savait pas qui on était, bons ou tordus, ou juste de simples inconnus dont il fallait peut-être se méfier parce qu’on était Africains et que les gens ont toujours des idées mal placées sur l’Afrique et sur les Noirs. Comme quoi on parle fort, qu’on rigole pour tout et n’importe quoi, qu’on casse tout ou qu’on sent mauvais. Et plein d’autres croyances inquiétantes. (p.45)

DIFFICULTÉS

Le père a beau posséder un diplôme en philosophie et avoir vécu mille métiers au Sénégal, il n’arrive pas à dénicher un emploi malgré son optimisme. Il faut un travail régulier, un bon salaire. Après tout, ils sont venus pour cela.
C’est plutôt du côté de la mère que l’espoir luit. Elle trouve un stage dans un centre de jardinage avec possibilité d’embauche. Le père continue sa quête désespérément et bascule dans la dépression. Le rêve menace d’éclater en mille morceaux. C’est déjà difficile pour un Québécois qui vit la même situation. C’est pire pour un émigrant parce qu’il n’a pas de famille pour le soutenir.
Les enfants s’adaptent. Bibi est très sociable et sportif et la sœur de Souleye est encore trop petite pour connaître des problèmes d’intégration. Tout est nouveau et différent, surprise et découverte.
Le jeune garçon fait la connaissance de Charlotte, une voisine qui vit avec sa mère et est responsable de la famille. La mère, une alcoolique, est internée régulièrement pour retrouver ses esprits. Les gens des services sociaux et de la protection de la jeunesse veillent et tout change quand la fillette est mise dans une famille d’accueil. 

Avec les chaînes québécoises, on s’était mis à écouter la télé parce qu’il fallait faire plus d’efforts pour comprendre ce que la télé disait que ce que la télé montrait. Et c’est par la télé qu’on a découvert le Québec et surtout la langue. D’ailleurs, ici, on dit « écouter », « écouter la télé », « écouter un film ». Nous, au Sénégal, on écoute la radio et on regarde la télé. Peut-être qu’ici les oreilles sont prioritaires (p.47)

LE PÈRE

Désespéré, perdu, le père s’enferme dans le sous-sol et entreprend de creuser un trou, de bricoler d’étranges meubles. Une crise, une rage et il est interné. Tout s’est gâché avec le cambriolage de l’appartement et la disparition du disque dur de l’ordinateur où tous les souvenirs de la famille étaient stockés.

Ce disque dur, c’est une mémoire, comme un cerveau qui dort et qui sert de rangement pour toutes les photos, les musiques, les dossiers et les documents de mes parents. C’étaient des affaires très personnelles et familiales. Et là, sans raison, quelqu’un avait volé la mémoire de P’pa. P’pa était assis sur son lit, la tête entre les mains, mais il ne pleurait pas. Et c’était dramatique, parce que c’était vraiment tout, nos photos d’enfance et toutes ses musiques sénégalaises et cubaines, ses vidéos et ses textes. (p.63)

AMITIÉ

La mère et son fils entreprennent le long chemin de l’intégration et aident le père à retrouver sa lucidité. Le jeune garçon s’acharne et parviendra grâce à la générosité de Triple J, un médecin haïtien qui ne peut exercer au Québec, à ramener son père.

C’est comme une récompense, parce qu’avec P’pa à l’hôpital, ça la rassure vraiment. Même si P’pa ne nous coûte rien, parce qu’ici, avec la carte soleil, on s’occupe de toi jusqu’au bout quand tu es malade. Même par temps de neige, il y a la carte soleil. C’est le soleil sur un visage en larmes, il faut reconnaître que c’est une belle générosité du pays. Les Québécois se plaignent souvent de leur hôpital et du système de santé, mais ils ne savent pas. Ils ne savent pas comment sont traités les fous, les malades mentaux ou les dépressifs profonds dans d’autres pays. (p.200)

David Bouchet décrit subtilement nos travers et nos générosités parfois excessives. Ça fait du bien. C’est un grand reset que Souleye nous sert pour mieux nous voir et prendre conscience de notre chance. Bien des gens voudraient venir ici pour partager nos misères souvent imaginaires. Un regard charmant sur le Québec, nos habitudes, nos manies de nous plaindre de tout et de rien. Un véritable vent de fraîcheur, un bonheur de lecture.

Soleil de David Bouchet est paru aux Éditions La Peuplade, 318 pages, 25,95 $.