lundi 24 octobre 2011

Samuel Archibald subjugue son lecteur

«Arvida» de Samuel Archibald a créé une vague lors de sa parution en septembre. On parlait d’une découverte, de l’événement de la rentrée peut-être.
Je me méfie toujours de ces entrées fracassantes. À la lecture, peut-être que je m’attends à trop, je suis déçu. Souvent.
Ce n’est pas le cas avec «Arvida». Voici un roman étonnant de fraîcheur et d’originalité. Je suis passé par toutes les émotions en lisant ces histoires qui tournent autour de la ville de l’aluminium et de la famille Archibald. L’auteur explique parfaitement ses intentions à la dernière page de son récit.
«Des histoires d’Arvida et d’ailleurs. Des histoires épouvantables et des histoires drôles et des histoires épouvantables et drôles. Des histoires de roadtrip, de petits bandits et de débiles légers. Des histoires de monstres et de maisons hantées. Des histoires d’hommes mauvais comme le sont souvent les hommes et de femmes énigmatiques et terrifiantes comme le sont toutes les femmes. Des histoires vraies que j’écrivais sans demander la permission ni changer les noms, en donnait les dates et le nom des rues.» (p.315)
On ne saurait mieux définir son parcours. Archibald nous entraîne d’un bout à l’autre de la ville pour suivre sa famille et quelques originaux. Nous nous échappons aussi sur les monts Valin pour plonger dans des aventures que les hommes se racontent le soir après avoir suivi les traces d’un orignal et malmené sérieusement une bouteille.

Faits vécus

Samuel Archibald a glané ici et là des histoires, des faits vécus pour créer des moments époustouflants. Je songe à «Foyer des loisirs et de l’oubli», un match épique de hockey entre les anciens joueurs du Canadien et une équipe locale. Cette histoire aussi, ma favorite, celle de «L’animal» qui met en scène un ours apprivoisé et des jeunes filles qui découvrent la vie. Un texte magnifique.
«Il marcha pendant des jours et des jours. Il y avait dans son âme d’ours une connaissance ancestrale des points cardinaux et des exigences de la nourriture et du cycle des saisons et d’une certaine violence mais dans sa tête d’ours il ne connaissait pas la solitude et surtout il ignorait qu’il était normal pour un ours de ne pas avoir de maison.» (p.147)
Le contraire aussi. L’horrible avec «Jigai». Je me suis demandé ce que ce texte faisait dans l’ensemble. Une fausse note, un faux pas je crois. Impensable ces femmes qui se mutilent et finissent en pièces détachées. L’horreur!
Heureusement, la volonté de transcender le quotidien et de le mettre à sa main prend le dessus. C’est souvent truculent et étonnant. Archibald est un conteur imaginatif et un menteur incroyable comme disait ma mère. Le genre à pouvoir transformer un souvenir d’enfance en véritable épopée.
Petits truands qui ratent tout, demeurés qui planifient un meurtre qui tourne à la farce. Victime et agresseur deviendront des inséparables dans «Les derniers-nés».
«La soirée était douce et tranquille et on entendait les estomacs de Raisin et de Martial gargouiller dans l’air du soir. Au début, ils tétèrent tous les trois leur bière en silence, puis la conversation trouva son rythme. Ils parlèrent de la météo, des résultats des matchs et du décolleté émouvant d’une barmaid de la brasserie. Autant de sujets qui semblaient avoir été inventés, ce soir-là, tout spécialement pour eux, tous spécialement pour que les gens comme eux puissent parler de quelque chose.» (p.251)
L’impression de me retrouver dans un texte de John Steinbeck.

L’art de dire

Bien sûr, les résidents d’Arvida chercheront à démêler le vrai du faux. J’ai croisé deux ou trois lecteurs qui s’amusaient à ce jeu. Pas nécessaire pourtant d’avoir parcouru les rues et les parcs de cette ville pour apprécier le roman d’Archibald. L’auteur évoque des histoires qui se répètent lors de ces rencontres familiales où le ton monte après un verre ou deux. Tout cela avec une écriture sentie et belle de vigueur. Un savant mélange qui couvre toute une époque et la transcende.
Samuel Archibald sera certainement un sérieux candidat aux prix littéraires du Salon du livre du Saguenay-Lac-Saint-Jean l’an prochain. Vraiment une belle découverte et un écrivain plein de ressources. Un premier roman remarquable.

«Arvida» de Samuel Archibald est paru aux Éditions du Quartanier.
http://www.lequartanier.com/auteurs/archibald.htm

lundi 17 octobre 2011

Pierre Gobeil atteint un sommet

Peter a dix ans et fonce vers la catastrophe. Plus rien ne va à l’école. Les diagnostics tombent comme des couperets.
«Mon fils de Port-au-Prince. Diagnostiqué dyslexique et dysorthographique avec déficit d’attention dès sa maternelle, il a toujours des difficultés à suivre un programme scolaire et, parti comme ça, il devra sûrement reprendre sa cinquième année.» (p.22)
Pierre Gobeil, l’écrivain que l’on connaît, et son fils s’exilent aux États-Unis, vers Hyannis. Pendant l’hiver, ils vont tenter de reprendre le temps perdu. Les parents se sentent un peu coupable devant ce gâchis scolaire. Que faire? Comment s’y prendre pour que le garçon retrouve sa place dans la société des études?
«Non, à nos yeux, ce ne sont pas l’absence de performances scolaires ou la perte d’un diplôme qui importe, mais le fait que, dans le cas de Peter, il est maintenant malheureux. Pas très malheureux ou encore pas malheureux comme peut l’être quelqu’un qui perd tout espoir, mais assez conscient de ce qui se passe pour nous sembler chaque jour un peu plus triste que la veille et, qu’à seulement dix ans, ça lui arrive de broyer du noir comme ça arrive le jour où l’on commence à réaliser que la vie ne nous apportera jamais tout ce qu’on veut sur un plateau.» (p.23)
De quoi ressasser bien des idées.

Séjour

Ils louent une grande maison où ils vivront à trois. Ils ont apporté Nouky, une petite chienne, un jeune animal qui ne pense qu’à faire la vie difficile à ses maîtres. Tout est calme pendant cette période de l’année. La plupart des résidents sont partis pour le Sud. Les traversiers font la navette entre Martha’s Vineyard et Nantucket. Je connais bien le secteur pour y avoir passé des jours. Des navires réguliers comme les aiguilles d’une horloge.
Français, mathématiques et géographie. Il faut secouer ces matières dont Peter se détache de plus en plus.
«On révise le programme officiel. En tout cas, on se dit qu’on va réviser tout ce qui a déjà été vu en classe, mais je ne suis pas long à me rendre compte qu’on part de très loin et c’est une absence quasi totale de connaissance qui me saute aux yeux lorsque je tente d’élaborer avec mon fils une feuille de route pour les mois à venir.» (p.25)
À peine si le fils peut lire et compter. Il faut tout reprendre, répéter et expliquer. Il l’a suivi pendant des années pourtant. De quoi se questionner sur la société, l’école et tout ce que l’on exige des enfants de maintenant. Impossible non plus de ne pas se retourner pour comprendre l’enfant que l’écrivain était au même âge.
Avant et maintenant. Gobeil note dans son carnet, ne sait où il va avec son texte. Tout se déglingue dans cet hiver de bord de mer, de pluie et de nuages.
C’était mieux ou c’était pire avant. Le père tente de faire progresser le fils qui est de plus en plus «scotché» au téléviseur. Petit à petit, on en apprend un peu sur ce qu’est la littérature pour Gobeil, les sources de certains romans importants, surtout «La mort de Marlon Brando» et «Dessins et cartes du territoire». Et il y a l’histoire de Richard Ford, «Independance» qui le hante. La littérature se profile dans le récit. Le journal de Jean-Pierre Guay que Gobeil apprécie plus que tout.

Progrès
Le moindre progrès devient un exploit. Peter suit des cours de musique, se sent de plus en plus seul dans ce monde en attente. Et les parents de l’auteur vont de plus en plus mal dans ce Saguenay mythique. Le père surtout. L’âge. La vieillesse. Des réflexions sur la vie, la mort, la paternité, l’école, la société, l’écriture parsèment le carnet.
Tout est si fragile. Tout vacille. Si toute société était en déficit d’attention. Si tout était en train de s’effriter. Si on tentait d’en faire trop avec ces enfants.
Rarement Pierre Gobeil n’a atteint une telle émotion dans ses écrits. Avec l’art qu’on lui connaît de s’attarder aux glissements des saisons, des nuages, du temps qui passe et emporte tout, il fascine. Des pages senties et émouvantes. Un récit touchant et juste, vrai, discret aussi. On comprend. Le sujet est délicat. Une magnifique réussite.

«L’hiver à Cape Cod» de Pierre Gobeil est paru aux Éditions du Septentrion.

lundi 10 octobre 2011

Pascal Millet découvre le Québec

Pascal Millet nous emporte dans une lente et douce dérive dans «Québec aller simple». Un désir irrésistible de s’arracher à la monotonie, d’échapper à toutes les balises pour changer sa vie, la transformer et être un autre marque ce roman. Comment ne pas songer à Jack Kerouac... À Jack London aussi pour qui la nature est une présence qui pousse l’humain au dépassement. L’écrivain raconte peut-être aussi son arrivée dans le pays du Québec puisqu’il est Français d’origine. Bien sûr, le lecteur n’hésite jamais à le suivre.
Mal dans sa peau, Manu étouffe dans sa société. Incapable d’imaginer son avenir dans un tel contexte, il fuit, voyage, vit au jour le jour. Sans trop savoir où il pourra dormir, il se laisse bousculer par les rencontres et le hasard. Il y a d’abord les États-Unis qui fascinent tous les Français et Montréal où il croise un jeune homme qui pense faire le tour du monde en voilier, mais qui ne partira jamais. Une rencontre marquante. Il apprendra plus tard, que ce garçon s’est suicidé. Est-ce ce qui arrive à ceux qui tournent le dos à ses rêves?
Manu se retrouve à l’auberge de jeunesse de Tadoussac où des marginaux hibernent pendant l’hiver. Tous attendent les jours chauds en échafaudant des projets. Ce sont des déracinés qui s’étourdissent à la moindre occasion, vivent l’instant sans trop poser de questions. Une rencontre, un sourire et peut-être que l’avenir s’avance dans le lointain.

Nature

Manu est fasciné par ce pays de démesure, de froid et de glace qui recouvre la baie de Tadoussac. Il découvre les excursions avec les chiens, y trouve un apaisement, une forme d’engourdissement peut-être.
Quand il doit retourner en France (question de visa), il retombe dans les mêmes ornières. Il se heurte à son père qui devient l’image de ce qu’il sera dans quelques années s’il se laisse happer par le quotidien et l’amour. La femme devient un piège qui castre l’homme en le sédentarisant. Il retrouve Françoise qu’il a croisée à Tadoussac, séjourne en Bretagne, mais comprend vite que cet amour est impossible. Pourquoi pas l’armée! Un an à n’être personne, à n’être nulle part.
Il rencontre une artiste-peintre à sa libération, travaille dans une banque, au service des archives pour survivre. Le quotidien, malgré l’amour, malgré l’exultation des corps le rattrape. Manu n’arrive pas à chasser son mal à l’âme. Il doit se remettre en mouvement pour être pleinement vivant.

Tadoussac

À Tadoussac, plusieurs sont partis, d’autres occupent les petites chambres de l’auberge. Les projets d’André, le patron de la maison de jeunesse, happent tout le monde. Un bistrot, le ski dans les dunes de sable. Manu vit au jour le jour, travaille pour gagner sa bouffe et avoir une place pour dormir. Des filles arrivent et repartent. Il pourrait y avoir là une façon de secouer la grisaille mais le mal existentiel s’incruste. Toujours. Il revit quand il s’égare sur les routes, prend des photos. Son rêve de devenir reporter de guerre peut-être, d’être là où ça compte, où ça se passe s’éloigne un peu plus à chaque jour.
Manu sait que sa vie va dans toutes le directions et qu’il n’arrive pas à trouver une passion qui le pousse hors de soi. Il se sent comme le vieux bateau qu’ils ont radoubé et qui a fini par couler près du quai.
Il y a surtout cette plongée dans le petit monde de Tadoussac. C’est senti, vécu, vibrant. Un portrait saisissant de cette communauté qui respire à peine en hiver et qui s’éclate quand vient les premiers rayons du soleil. Une description minutieuse de plusieurs marginaux qui vivent sans trop regarder autour d’eux. Souvent émouvant et touchant.
Toujours juste, beau et bien senti. Manu devra reprendre la route parce que l’utopie, on le sait, attend au prochain détour, au creux d’une colline. Ce qui importe, c’est le mouvement, l’élan, l’espoir qui change tout. Peut-être qu’il n’y a que le nomadisme pour garder l’être en éveil. On peut le croire à lire ce beau roman de Pascal Millet.

«Québec aller simple» de Pascal Millet est paru aux Éditions XYZ.

lundi 3 octobre 2011

Jean-Paul Daoust évoque un monde pathétique

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust entraîne le lecteur dans un lieu où des originaux, des parvenus et des riches en mettent plein la vue. L’établissement est situé au nord du Michigan, dans un endroit de villégiature.
Le Neveu flirte avec l’adolescence et passe ses étés chez son oncle et sa tante. Un endroit où aucune personne censée n’aurait idée de garder un enfant. Tous boivent comme des éponges. L’Oncle navigue entre deux eaux et la Tante dirige l’établissement d’une main ferme. Elle cajole le Neveu, se confie, le dorlote peut-être parce qu’elle n’a pu avoir d’enfant. Il rend service, avale les verres que les barmaids lui refilent et pousse la chansonnette quand l’alcool lui fait oublier sa timidité. Il sert aux tables, est fasciné par ces femmes éblouissantes qui cherchent à échapper à la grisaille de leur vie. Il devient le regard qui guide le lecteur
«Lena a appris le piano par elle-même dans sa roulote où elle s’ennuyait. Elle arbore des tenues flamboyantes ornées de bijoux extravagants. Son répertoire comporte un catalogue de chansons américaines des années vingt aux années cinquante. Elle ressemble en fait à Sophie Tucker, celle qui revient de temps à autre comme un fantôme pailleté le dimanche soir au Ed Sullivan Show. Lena s’amène toujours avec une immense coupe qui a l’air d’un bocal à poissons rouges, dans laquelle le Neveu verse une shot de whishy offerte par les clients qui ont des demandes spéciales.» (p.19)

Défilé

Les réguliers et les régulières, les vacanciers, les militaires qui débarquent une semaine par année se retrouvent. On flirte, on se triche, on se réconcilie, s’oublie et on recommence le lendemain. Le Neveu voit tout, s’amuse avec sa tante, une véritable complice.
«Parfois, quand ils ont trop bu, ce qui est habituellement le cas, le Neveu et la Tante rient comme des fous dans l’escalier qui mène à l’appartement, s’obligeant à faire des haltes, en s’assoyant sur une des marches pour reprendre leur souffle. Après, ils vont chez Tony ‘s Pizzeria. Parfois, aussi, ils échappent un tiroir-caisse qui dévale l’escalier dans une pluie de dollars, de petite monnaie et de papiers annotés.»(p.26)
Que d’efforts pour nier une société en mutation. Les jeunes se laissent pousser les cheveux, portent des tenues colorées et les Noirs se révoltent dans les grandes villes. Ils veulent être des êtres humains. Tout simplement. Au «Sand bar» rien ne change pourtant. La vie est une chansonnette, une danse et un grand rire dévastateur.

Hors du temps

Seules les colères de la Tante brisent la monotonie. Le temps passe, le corps n’est plus aussi fiable, les rides se font un chemin. L’angoisse est palpable sous les maquillages, les tenues fantaisistes et les blagues usées. Tout pour ne pas penser, pour éloigner la dure réalité de la vieillesse qui s’avance à grands pas.
«En temps normal, Édith est une femme fière, mais ce soir c’est la catastrophe. Le Neveu a beau lui nettoyer les joues en la cajolant, son visage reste décomposé, l’âge la tatouant d’un masque féroce et indélébile. Tout le monde peut voir de quoi elle aura définitivement l’air quand elle sera vieille, et c’est assez effrayant. L’Oncle offre d’aller la reconduire. No way! Riposte d’un ton sec la Tante, qui les soupçonne d’entretenir une liaison. Pour lui changer les idées, le Neveu l’invite à danser. Il la porte quasiment jusqu’à la piste de danse où, par exprès, Pete entonne Let’s twist again like we did last summer. Alors ce qui devait arriver arriva, car en faisant toutes sortes de sparages, elle se ramasse sur le cul.» (p.39)
S’étourdir jusqu’à en perdre la raison, pour oublier les malheurs et les échecs du quotidien. Tous nagent dans la fumée des cigarettes pour se faire croire que l’éternité existe peut-être, que rien ne change, que rien ne changera jamais.
Un monde inquiétant malgré les vêtements seyants, la musique surannée qui emporte tout le monde. Un milieu qui s’accroche désespérément à une jeunesse qui s’éloigne de plus en plus. Jean-Paul Daoust a l’art du détail, de la description et il nous plonge dans un monde qui fait songer à Fellini. Pathétique.

«Sand Bar» de Jean-Paul Daoust est paru aux Éditions Lévesque Éditeur.

lundi 26 septembre 2011

Bertrand Laverdure bouscule les conventions

Intriguant que «Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure. Il faut quelques pages pour comprendre l’univers dans lequel l’écrivain nous entraîne. Que dire d’un personnage qui se fait grignoter une jambe par un écureuil dans un parc, se déplace d’un continent à l’autre comme ça, en claquant des doigts.
Et puis l’auteur nous ouvre une porte. Son héros est vraiment un être de fiction avec tout ce que cela comporte. Le lecteur se retrouve dans un monde où le réel et l’imaginaire se bousculent. Une fois que l’on comprend cela, tout nous parle et nous fait accepter  les situations les plus étranges.
Imaginons un récit multiplié à des milliers d’exemplaires. Ce texte connaît toutes les sévices et les aventures. Certaines copies seront enfermées dans des bibliothèques et d’autres seront déchirées, laissées un peu partout et en proie à toutes les humeurs du temps.
«Le malentendu plane. Le personnage au corps bleu perd connaissance et tombe sur les pavés. L’enfumé continue à battre l’air autour de lui. Il pagaie avec ses bras, comme s’il tentait de se sortir d’un tunnel asphyxiant durant un grave incendie. Lorsqu’il se rend à l’évidence qu’un seul de ses bras répond, il est sur le point de paniquer, mais préfère, lui aussi, perdre connaissance. Un nouveau manchot s’ajoute à notre histoire. Qui plus est, lui aussi a perdu son bras droit.» (p.46)

Quête

En fait, c’est un peu plus compliqué. Imaginons un personnage de roman égaré dans le monde. Il cherche peut-être sa fiction et risque de se défaire au moindre incident. Plus, une foule de personnages comme lui circulent partout, abandonnés à eux-mêmes et à leurs fantasmes. Les schtroumpfs farceurs se multiplient et répètent des gags usés, incapables de s’arrêter.
Comble de malheur, on organise des visites pour touristes littéraires. Après tout le lecteur est un intrus qui met ses doigts partout dans un livre. Un visiteur qui trouve ce qu’il veut dans un roman et y interprète à sa manière ce que l’auteur a tenté de raconter. Ces curieux bousculent tout et changent l’ordre des choses.
«La police ne vient pas, parce que la police ne se déplace jamais pour emprisonner un personnage. Les personnages ont la belle vie et je ne m’en plains pas puisque je fais partie de leur ridicule aréopage. En y réfléchissant bien, j’ai tranquillement appris à devenir un personnage. C’est un apprentissage de chaque instant. Je ne l’étais pas au début de ce livre et je le suis devenu.» (p.53)
Le personnage est amputé, écrasé, emporté par les passants. Quand on est un être de fiction, on est bien fragile.
Une belle occasion pour Bertrand Laverdure de réfléchir à la nature du héros romanesque. La vie réelle et imaginée aussi. Tout peut arriver. Même basculer dans La déclaration des droits de l’Homme.

Inquiétude

Le plus inquiétant surgit quand le lecteur apprend que des y copyrights existent pour tout ou à peu près.
«Je vous explique : tout fonctionne par la pensée… …La pensée est maintenant bel et bien reconnue comme la meilleure interface qui soit. Implications directes, réactions directes, résultats directs. Nous avons réussi à mettre au point la véritable communication instantanée, sans tiers parti. Je prends le temps ici de vous relire le libellé de notre mission commerciale : «Le Bureau universel des copyrights (B.U.C.) compte servir toute personne ou compagnie cherchant à récupérer, identifier, réclamer, ajouter, inventer ou retirer une licence de copyrights autorisée. Le B.U.C. est régi par les règlements de la loi 1255 du Code des brevets temporaires et par le ministère international de tous les types de Propriétés existantes, soit les intellectuelles, les biologiques, les naturelles, les artificielles, les spéculatives, les biens meubles, les biens immeubles et même les imaginaires.» (pp.101-102)
Assez terrifiant!
Tout en s’amusant Bertrand Laverdure aborde des questions pertinentes. Sommes-nous des personnages ou de véritables humains qui agissent et se comportent librement? Le lecteur ne trouvera pas de réponses. Il devra surtout se situer par rapport à ce qu’il vit dans la réalité. Inquiétant pour ne pas dire angoissant.
Un roman surprenant.

«Bureau universel des copyrights» de Bertrand Laverdure est paru aux Éditions de La Peuplade. 

lundi 19 septembre 2011

Marjolaine Bouchard explore les contes

J’attendais «L’échappée des petites maisons» de Marjolaine Bouchard, son premier roman pour adulte, depuis un certain temps. Rappelons que cette écrivaine s’est fait surtout connaître par ses incursions dans la littérature jeunesse.
Un peu d’histoire. C’était en 2009. Madame Bouchard ne savait plus trop quoi faire de son histoire et elle s’est inscrite au Camp littéraire Félix où je donnais une formation. J’ai donc eu la chance de lire une première mouture de ce roman et de me questionner avec elle. Le plus difficile aura été de convaincre l’auteure de se remettre au travail, d’aller plus loin, de pousser son écriture. Après, ce fut un plaisir que de bousculer ce texte qui déroute au début; un bonheur de plonger dans un monde truffé de références aux contes qui ont terrifié mon enfance. Parce que le conte est cruel, sans pitié et c’est pour cela qu’il fascine et qu’on l’aime.
Tout était là. Il suffisait que l’auteure trouve un ton, un rythme, une musique qui l’emporterait.

Sujet

Une femme seule dans une maison au milieu de l’hiver. La campagne, le froid, le blanc partout. Elle ne se souvient de rien ou presque. Sa fille est partie pour quelques semaines. Elle a laissé un étrange message, des dessins parce qu’elle n’aime pas les mots de l’écriture. Une douleur terrible lui vrille les entrailles à chacun de ses mouvements. Qui est-elle? Qu’est-ce qui lui arrive?
Un lutin se cache-t-il vraiment dans une fente du plancher de la chambre du haut? Elle s’accroche à cette fable pour exorciser le mal peut-être, dissiper le brouillard qui flotte dans sa tête. Une sorte de décompte nous pousse vers la véritable intrigue, celle que sa fille Moïra prendra plaisir à nous livrer.
Cette dernière est à l’hôpital, une jambe fracturée. Un bête accident. Des voisins ont retrouvé la mère dans un état lamentable. La police enquête. Un inspecteur interroge la jeune femme.
Le lecteur découvre le quotidien de la fille et de la mère. Elles vivaient en totale fusion, en marge de la société. Une vie de travail où les moindres corvées devenaient des contes et des légendes. L’enfant a grandi dans un univers où il y avait des fées, des princes changés en grenouilles, des lutins qui se faufilaient entre les planchers. Un monde magique où un arbre les protégeait des catastrophes.

Hommes

Trois hommes ont eu des contacts avec les deux recluses et sont disparus sans laisser de traces. L’enquêteur cherche à savoir. Moïra multiplie les détours, invente des détails, étire son histoire, devient une Shéhérazade qui tente par la magie des mots et des images de retarder le moment où la réalité claquera comme un coup de fouet.
Elle a beau inventer des chemins de traverse, charmer le policier, la jeune femme finit par aborder le sujet litigieux. Les amoureux de sa mère sont disparus quand Moïra a prononcé une certaine formule.
«J’ai compris qu’il me faudrait prononcer mon souhait avec plus de ferveur et de rimes… et peut-être donner un coup de pouce au destin. «Faites que Maurice Taché-Soucy, faux magicien et menteur, ne remette plus jamais les pieds dans notre demeure. Et puisqu’il est incapable de véritable amour, que le fil qui relie sa vie à la nôtre soit rompu pour toujours.»» (p.129)

Quelques phrases et les hommes se sont évanouis. Vérité ou mensonge? Qu’est-ce qui s’est passé? Moïra parvient à envoûter le policier avec ses histoires. C’est ce qui importe. Ils vivront heureux et auront beaucoup d’enfants.
Entre le conte et le roman, «L’échappée des petites maisons» est une immersion dans un monde enchanté. Tout y est! L’imagination, la manière de transformer la réalité et de l’habiter. La cruauté aussi.
Marjolaine Bouchard fait appel à de nombreux personnages, particulièrement à «Rumpelstiltskin» des frères Grimm qui devient la clef de voute du roman.
Quand Moïra raconte, la magie opère. Il faut seulement oublier ses balises et se laisser emporter par le talent de Madame Bouchard. Un premier roman pour adulte bellement réussi et je suis particulièrement fier d’avoir pu l’accompagner. A vous! Laissez vous raconter la plus terrible des histoires par l’enjôleuse Moïra Comté.

«L’échappée des petites maisons» de Marjolaine Bouchard est paru aux Éditions de la Grenouillère.

dimanche 11 septembre 2011

Victor-Lévy Beaulieu met fin à la saga des Beauchemin

Abel est revenu d’Afrique plus mort que vivant. Il ne se souvient de presque rien sauf qu’une femme, Calixthe Béyala, l’a sauvé. Dans un hôpital de Montréal, le corps défait, quasi comateux, le souvenir de cette femme devient une véritable bouée de sauvetage qui lui permet de se maintenir à la surface. Il revit en quelque sorte la terrible épreuve qui l’a terrassée à l’aube de sa vie d’homme. La polio l’avait alors cloué sur une planche de bois pendant des jours, faisant du jeune garçon un Christ qui devait se ressusciter. Ce fut là sa première mort et sa renaissance. Sans cette épreuve, Abel ne serait peut-être pas passé de l’autre côté de sa vie pour se noyer dans le monde de la littérature, s’immerger dans les phrases et les mots, créant une véritable galaxie toujours en expansion sur l’espace-temps. Comme s’il fallait passer à travers son corps pour s’installer dans le monde de la fiction.
Il n’a qu’une idée en tête : quitter cet hôpital pour retrouver sa grande maison de Trois-Pistoles où se languissent ses «animals» et ses choses. Il s’évade avec un corset, un attelage qui lui maintient l’épaule et la jambe gauche. Rafistolé, tout croche dans son corps et son âme, il ne demande qu’à retrouver ses habitudes et un peu de silence.

Dépossession

La maison n’est plus la même. Le gardien s’est installé, imposant sa présence. Ses «animals» ne reconnaissent plus ses odeurs. Il chasse l’intrus pour se retrouver après avoir vu le monde et ses dépendances. La vie est-elle encore possible? Il recourt à l’opium pour oublier cette douleur, pour apaiser le mal dans son âme. Alors, il peut s’allonger sur la table de pommier où il a secoué tous les mots qui le vrillaient, le précédaient, l’aspiraient et qu’il secouait sur les grandes feuilles de notaire, créant des mondes de sa main gauche.
Il n’aspire qu’à des jours calmes avec ses chiens tout près du gros poêle à bois en fumant l’opium, jonglant avec les mots de Michaux, Éluard, Rabelais et bien d’autres.
L’homme engagé rôde, s’impose et le menace. Il y a ce trio de Saint-Guy qui l’embarque dans une campagne électorale pour tenter de colmater les fuites de son pays qui ne cesse de se défaire. Il rencontre des électeurs et constate la misère des naufragés de l’arrière-pays. Plus personne n’entend plus personne.
Rhino s’accroche, prend peu à peu possession de son territoire, entraînant les «animals» dans son sillage. Abel voit ses bêtes le délaisser pour suivre la jeune femme. Il risque d’être dépossédé de son chez-soi à l’image de ce pays nié, trahi, dévasté, ravagé et offert dans tous les plans nord, d’est et du sud. Un pays qui ne demande qu’à être détroussé sans rien exiger en retour. Rhino s’impose et le menace. Il doit l’éloigner pour renaître dans la solitude et reconquérir son domaine.

Combat

La mort risque de l’avaler quand Arnold Cauchon vient rendre l’âme dans sa maison. Heureusement, Calixthe Béyala l’enchante et le fait rêver dans la fumée de l’opium. Il évoque cette nuit de Libreville, cette embellie dans la blancheur de l’hiver. Un fil le relie à cette femme, des mots qu’il lance dans le cosmos par le biais d’Internet.
Tout finira par tomber en place après des mois de froid où la neige a failli étouffer le pays. Avec le printemps, la chaleur du soleil revenu, il reprend vie, se redresse et peut plonger dans l’utopie. Il déménagera sa maison dans cet arrière-pays, ce lieu de sa naissance, ce paradis perdu. Sur les lieux d’origines, tout est encore possible. Même qu’Abel pourra inventer la cité idéale de Nicolas Ledoux. Et il y aura l’amour qu’il devra aller quérir au bout du monde pour se régénérer, peut-être connaître une seconde vie.

Remarquable

Victor-Lévy Beaulieu termine ainsi la saga des Beauchemin par un livre qui s’incruste en vous. Une écriture comme des encoches sur l’être, des stances qui vous emportent. Une aventure qui flotte «-en quelque part entre psaume, cantique et lamentation!-». Voilà tout ce roman!
Difficile bien sûr, aride, mais incroyable. Du grand Victor-Lévy Beaulieu. Un roman qui vous vrille l’esprit et ne vous lâche plus. Exceptionnel! Une aventure au cœur de la langue. Une véritable apothéose.

«Antiterre, utopium» de Victor-Lévy Beaulieu est paru aux Éditions Trois-Pistoles.

dimanche 4 septembre 2011

Pierre Gariépy a créé une fresque fascinante

Certains livres sont faits pour être lus et relus. C’est le cas de la trilogie de Pierre Gariépy. J’avoue! Autant j’avais été envouté par «Lomer Odyssée», autant j’ai hésité devant «Blanca en sainte» et «L’âge de Pierre». L’enchantement du premier volet s’était amenuisé et le dernier opus m’avait un peu rebuté. Je n’en avais pas fini avec Gariépy pour autant.
Autant profiter de l’été pour relire sa fresque.
Malgré des lieux sordides, le lecteur s’attache aux personnages dans «Lomer Odyssée». Le couple vit dans un port où grouillent des marins en quête d’amour et de tendresse. Ils ont de l’argent pour s’empiffrer et surtout pour se saouler. C’est grinçant, violent, étourdissant, mais Lomer et La Gueuse vivent un amour qui permet de triompher de tout. Une forme de romantisme où des fleurs d’une beauté fascinante poussent dans les ordures.
Dans «Blanca en sainte» le monde est ravagé par la peste, le sida peut-être. Les hommes et les femmes sont des bêtes. La seule façon de survivre est de trouver refuge dans une meute. Alors il est possible d’affronter tous les dangers.
Blanca, la Démone, a perdu Lomer dans un incendie. Elle fait marquer son nom sur son front. Elle s’affiche, elle est sa femme. Il n’y aura jamais d’autre homme. L'amour chez Gariépy est total et pour la vie.
Dans ce monde gangrené et sauvage, Blanca met au monde un garçon. Il porte l’avenir si avenir il y a. Tous perdent la mémoire ou sont éliminés par les bandes rivales. Les humains en sont réduits à se dévorer.

Jungle

Blanca est emportée par la peste au début de la vingtaine. Pierre est enfermé dans un orphelinat. Une jungle où les enfants sont utilisés comme marchandise sexuelle. Il s’occupe de l’Enfer, là où l’on garde les livres interdits. Il y découvre la littérature.
Il entreprend alors d’écrire sa vie rêvée, celle du Christ Jésus. Une parabole placée sous le signe de la sexualité et des miracles. Un Christ moderne que la télévision suit dans ses moindres gestes. Il y aura même une crucifixion en direct devant les caméras. L’écrivain en herbe doit quitter l’orphelinat pour aller faire des enfants. Une fiancée l’attend. Il demande un sursis pour terminer son roman où son alter égo séduit les foules.

L’ensemble

Les personnages de ces trois romans sont liés dans le temps et l’espace. Les histoires se construisent l’une par rapport à l’autre. Le monde s’est défait à la mort de La Gueuse. Lomer l’a vengée par le feu en brûlant le bar. Il mourra dans un incendie. Qui utilise le feu périt par le feu. Blanca vit dans un monde similaire à celui de «La route» de Cornac MacCarthty. Que peut-être la vie quand l’avenir est une menace? Il reste la parole pour se défendre, une langue que la jeune femme utilise comme un fouet. Une parle carencée où les mots vacillent et prennent plusieurs sens. Pierre héritera de ce pouvoir de tout transformer par l’écriture. Ses phrases résonnent telle une musique sauvage. C’est le propre d’une langue contaminée par une autre que dire une chose et son contraire. Il y a un aspect ducharmien chez Gariépy.

Barbarie

L’humanité est retournée à la barbarie au temps de Blanca. Pierre, qui a une certaine parenté avec Jean Le Maigre de Marie-Claire Blais, le héros inoubliable de «Une saison dans la vie d’Emmanuel» oublie sa misère par l’écriture.
Un monde de violence, exacerbé, dangereux. La sauvagerie est de retour. Pourtant, il subsiste une sorte de lumière chez Pierre Gariépy qui fait qu’il peut y avoir un demain.
Voilà des romans à nul autre semblable dans la littérature québécoise. L’amour et la souffrance aspirent, retournent et vous secouent. L’amour transforme et permet de s’élever au-dessus de la cruauté du monde.
C’est souvent déroutant et rebutant. Une véritable expérience où l’on perd ses repères. Une jungle où la langue bondit de tous les côtés et menace votre équilibre. Tout est décadent, équivoque, incertain dans un univers souillé et détruit.
Il faut relire Pierre Gariépy pour aller au-delà des apparences, là où la vie palpite et lutte pour être simplement. Bouleversant et étonnant. S’il y a une espérance chez cet écrivain, elle vient de l’écriture qui dit tout et se permet tout.

«Lomer Odyssée», «Blanca en sainte», «L’âge de Pierre» de Pierre Gariépy sont parus chez XYZ Éditeur.

dimanche 28 août 2011

Marina Lewycka: la gravité malgré l'humour


Tout en utilisant l’allégorie du couple et des familles, Marina Lewycka dans «Des adhésifs dans le monde moderne», plonge le lecteur dans une guerre qui se perpétue depuis un demi-siècle entre Israël et la Palestine. L’attaquant et l’attaqué, l’agresseur et la victime sont unis par des liens difficiles à expliquer et à comprendre. Ils sont comme soudés par une forme d’adhésif, semblable à celui qui permet à certains mollusques de s’accrocher aux rochers et de résister aux plus grandes tribulations de l’océan.
Georgie sous un coup de tête met son mari à la porte. Tout est terminé même si Rip, son mari, reste le grand amour de sa vie, son seul amour. Plus, elle jette tous les effets de son homme à la rue. Ses disques, ses vêtements. Tout.

Ce geste spontané lui permet de rencontrer Naomi Shapiro, une vieille juive qui fait les poubelles pour ramasser tout ce qui peut être recyclé.
«Un soir, vers onze heures, j’ai entendu un remue-ménage dans la rue, suivi d’un fracas de verre brisé. J’ai regardé par la fenêtre. Quelqu’un sortait des affaires de la benne déposée devant chez moi. J’ai d’abord cru que ce n’était qu’un adolescent, une petite silhouette aux allures de moineau, la casquette baissée sur le visage ; puis la silhouette s’est retournée dans la lumière et je me suis aperçue que c’était une vieille dame aussi efflanquée qu’un chat de gouttière qui tirait sur des rideaux en velours bordeaux pour atteindre le carton de vieux vinyles de mon mari à demi-enfoui sous le bric-à-brac.» (p.11)

Aventure

Une amitié vient de naître. Madame Shapiro, une femme mystérieuse, vit dans une immense maison délabrée avec une ribambelle de chats, de souvenirs, un amour pour un musicien qui a résisté à tous les soubresauts. Une vieille dame qui change d’âge selon les circonstances, s’arrange avec son passé un peu douteux. Et voilà qu’elle tombe dans la rue et se fracture un poignent. Commence alors une suite d’événements imprévisibles.
Les services sociaux s’en mêlent, des agents immobiliers convoitent la maison et flairent la bonne affaire. Tout se complique quand Georgie, pour satisfaire aux normes du gouvernement et de la municipalité, embauche un certain monsieur Ali. C’est sans compter ses neveux, deux Palestiniens qui, malgré leur bon vouloir, ne réussissent qu’à multiplier les gaffes. Ils s’installent dans la maison et la transforment peu à peu. Il le faut. Quelqu’un doit accueillir Madame Shapiro pour que les instances gouvernementales permettent qu’elle regagne son domicile.
Et voilà que Chaïm, le fils de la vraie Madame Shapiro, on apprend que Madame Shapiro n’est pas madame Shapiro, débarque avec sa haine des Arabes et des Palestiniens. La situation devient explosive.
Tout peut arriver dans la maison de Canaan. Le nom dit tout. Le conflit insoluble du Proche-Orient se transporte dans le foyer de Madame Shapiro qui finit par s’évader du centre d’accueil qui rappelle les camps de réfugiés. Postes de contrôle aux portes pour filtrer les déplacements comme si nous étions dans les territoires occupés.
Il n’y aura pas d’attentat malgré les manœuvres des agents immobiliers qui rôdent, prêts à encaisser les profits.
 
Bonne histoire

Le roman peut sembler compliqué quand j’en parle comme ça, mais il se lit le sourire aux lèvres. Vraiment passionnant. On se rend vite compte que les gens sont liés malgré les conflits, les haines et toutes les violences. Il suffit d’un petit quelque chose pour les rapprocher et peut-être parvenir à instaurer la paix. L’espoir survit.
Plein d’humour, de tendresse, de questionnements et de sous-entendus, ce roman vous emporte et vous fait comprendre mieux les turpitudes de l’âme humaine, les conflits qui reposent sur des haines que l’on a du mal à cerner. Une histoire pleine de rebondissements qui cache une autre histoire, celle des peuples qui s’affrontent et se déchirent.
Marina Lewycka possède un sens de l’humour unique en multipliant les intrigues et l’invraisemblable. Un délice  d’imagination, un exploit en quelque sorte qui aborde un terrible conflit tout en le ramenant aux frontières du territoire domestique.

«Des adhésifs dans le monde moderne» de Marina Lewycka est paru aux Éditions Alto.

dimanche 21 août 2011

Voyage au bout de soi avec André Pronovost





Exclusif à Littérature du Québec
André Pronovost parcourait, il y a plusieurs années, le sentier des Appalaches. Une aventure qui lui a fait traverser treize états américains. Cinq mois de marche, mais peut-être aussi l’aventure d’une vie.
«À l’aube de 1978, mon vieux rêve de couvrir en entier les deux mille milles de l’Appalachian Trail était devenu envahissant. J’avais besoin de me retrouver, de passer à autre chose, et que le diable emporte le reste ! Je partirais en février. À la mi-février, et en cinglant du sud au nord, de la Géorgie au Maine. Avec le printemps, quoi.» (p.11-12)
Une véritable épreuve physique l’attend, des conditions souvent difficiles. Le marcheur doit combattre le froid, la neige et la grêle; le vent, la chaleur, la pluie et les moustiques. Tout ce que l’on peut imaginer quand on ose s’aventurer dans des régions isolées.
Tout cela pour oublier un amour impossible, une thèse sur la psychologie animale qui bat de l’aile.
Les longues marches, les montées, les descentes, les nuits glaciales dans des abris où les moufettes et les souris circulent ont de quoi faire hésiter les plus courageux. L’écrivain en se confrontant aux éléments, apprivoise la solitude, jongle avec des questions existentielles qui pèsent parfois plus que son sac à dos.
«Je caressais, malgré mes doutes, une ambition tout à fait nette : me griser comme jamais je ne l’avais fait jusque-là dans ma vie d’air pur et de liberté ; briser mes fers et échapper aux erreurs de mon époque ; filer, filer vers les étoiles dans la nuit américaine.» (p.24)
On ne peut s’empêcher de penser à Jack Kerouac, aux «Anges vagabonds» entre autres.

Rencontres

L’aventure devient rapidement une marche à travers le temps et l’histoire de l’Amérique. Il croise des gens habités par des croyances qui leur permettent de vivre en paix ou qui cherchent un sens à leur existence.
«Je suivis la piste d’un ours entre le col de Spanish Oak et le sommet chauve et baigné de lumière de Snowbird Moutain, et à midi, après douze milles de marche allègre, me voilà en présence d’un type pas très vieux, pas très grand, à la figure rude et hâlée comme du poisson séché, aux yeux insondables, aux cheveux de jais, aux dents aussi blanches que celles de son chien. S’agissait-il de Lee Eagle, l’Amérindien winnebago qui pousse son mythe d’un pôle à l’autre de cette longue piste des Appalaches?» (p.81-82)
Chacune des étapes permet de croiser des originaux, des parias, des illuminés qui veulent transformer leur vie. Ils partagent un repas, un abri et chacun repart en ayant comme but d’atteindre le prochain relais où la prochaine agglomération pour faire des provisions.
Dans ces villages et ces petites villes, le marcheur fait la connaissance de gens qui l’aident sans rien demander en retour. Se remettre en route devient alors plus exigeant. Comment distancer ses obsessions même s’il connaît de véritables moments d’euphorie et d’extase ?
André Pronovost aura vécu une expérience humaine incomparable, une sorte de voyage initiatique qui lui permet d’aller au fond des choses et de découvrir l’âme des États-Unis d’Amérique.
L’écrivain a eu raison de rééditer ce récit unique. Une descente au fond de soi, une plongée dans un pays qui a du mal à s’assumer même s’il fait la loi sur la planète, qui hésite entre un idéal de pureté et le matérialisme. Absolument fascinant.

«Appalaches» d’André Pronovost est paru aux Éditions XYZ.

Jennifer Tremblay surprend dans ce récit

«Le carrousel» de Jennifer Tremblay surprend d’abord par la forme, l’écriture minimale qui se maquille en poème. L’auteure qualifie cette façon de faire de récit théâtral. Les dialogues se croisent, s’amalgament et la parole devient une sorte d’écho à ses propres questions. 
«Marie.
  Où es-tu Marie.
  Marie je te parle.
  J’exige que tu me répondes.
  Oui ma petite fille.
  Je suis là.
  Ma petite-fille.» (p.11)
Voilà ! Une femme part rejoindre sa mère mourante. Elle monte dans son auto et son esprit fait des bonds, tourne sur lui-même comme dans un carrousel. C’est toujours ainsi quand on se retrouve face à soi-même, sur une route qui traverse tout un continent presque.
«Je saute dans la voiture.
  Direction nord-est.
  Je suis la route qui longe le fleuve.
  Les aurores boréales.
  Les étoiles filantes.
  Ma mère habite loin.
  Je suis les courbes.
  Le camion devant.
  Le camion derrière.
  Il va m’emboutir.
  M’emporter.
  D’où viennent ces camions.
  Pourquoi ne me laissent-ils pas passer.
  La lueur aveuglante des phares.
  Il n’y a rien de facile dans ce pays.
  Il faut s’arracher les yeux.
  S’arracher le cœur.
  Pour traverser ce pays il faut s’arracher le cœur.» (p. 19)
Pendant le long parcours, elle s’adresse à sa grand-mère décédée, retrouve des scènes de sa vie, des moments qui l’ont marquée. Peu à peu le passé remonte à la surface.

Une vie

Le lecteur voit surgir des personnages importants, marquants pour la jeune femme et l’enfant qu’elle a été. La grand-mère bien sûr et la mère qui a passé son enfance au couvent avec les religieuses. Les femmes de la famille s’imposent, l’étourdissent, reprennent sans cesse une scène pour la préciser. La saga familiale se précise non sans douleur et sans peine. Un père absent qui fascine.
«Suis moi ma fille.
  Je gambade derrière lui.
  Il pousse la porte vitrée de l’hôtel.
  Une femme fanée en jupette noire nettoie les tables.
  L’odeur âcre de la fumée dissipée et de la bière évaporée.
  Une odeur de fête terminée.
  Une odeur de fête qui va commencer.
  Les miroirs sur les quatre murs.
  On dirait que nous sommes cent.
  Le pianiste pianote.
  C’est mon oncle.
  Le chanteur chantonne.
  C’est mon oncle aussi.
  Charles s’assoit à la batterie.
  Ils sont heureux tous les trois.
  Ils vont me faire un spectacle.
  Ma chanson préférée.
  Une chanson de Joe Dassin.» (p.46)
Femmes dominées et trompées, hommes peu fiables et inquiétants avec les jeunes filles. Tout y est.

Exploit

Jennifer Tremblay réussit à esquisser l’histoire d’une famille en quelques lignes.
«Combien de fois ai-je traversé ce pays.
   Franchi ce fleuve.
   Combien de fois.
   La splendeur d’une baleine apparaissant au soleil couchant.
   La joie d’apercevoir un béluga.
   Un renard.
   Un oiseau de proie.
   Je suis née ici.
   Au pays des cadavres d’orignaux sur les toits des voitures.
   Au pays de la neige.
   Sale.
   D’octobre jusqu’à mai.
   Marie.
   Je suis tombée.
   Cela m’a tuée.» (p.63)
On reconnaît le pays du Saguenay à la hauteur de Tadoussac. Troublant et surtout difficile de ne pas s’étourdir sur ces dialogues pour mieux comprendre. Jennifer Tremblay prouve qu’il faut peu de mots pour évoquer un univers, des personnages qui demeurent longtemps dans votre esprit. Un récit qui échappe au temps pour dire l’essentiel, ce qui marque un enfant. Ce que l’adulte plus tard tente d’ignorer. Et faites l’expérience de lire ces textes à haute voix. C’est fascinant.

« Le carrousel » de Jennifer Tremblay est paru aux Éditions de La Bagnole.
http://www.leseditionsdelabagnole.com/0_1_artistes/jtremblay.php